Texte intégral
Monsieur le Président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme,
Mesdames et Messieurs,
J'ai exprimé à plusieurs reprises le souhait d'accueillir en ces lieux une réunion plénière de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, au moment où le dispositif institutionnel de la coopération française est en train de se transformer. Les contraintes de mon emploi du temps font que je clôture cette réunion plutôt que de l'ouvrir. Cela étant, je me réjouis que cela se réalise aujourd'hui en présence de Jean Kahn que je souhaite remercier de l'amitié qu'il me témoigne ainsi.
Cette réforme a pour ambition de renforcer l'efficacité de notre action internationale. Beaucoup de schémas seront modifiés mais je peux vous assurer que la volonté du gouvernement en général, et du ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie en particulier, de faire des Droits de l'Homme et de son corolaire, le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit un des objectifs majeurs de notre coopération restera, elle, inchangée.
Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire lors de la visite en France de Mme Robinson, Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l'Homme, notre politique de développement est une politique de Droits de l'Homme parce qu'elle est une manifestation de solidarité en faveur des plus démunis.
En effet, Droits de l'Homme et Développement sont interdépendants : il est illusoire d'envisager un développement durable sans un développement des Droits de l'Homme. A l'inverse, l'épanouissement des Droits de l'Homme suppose et rend indispensable un certain degré de développement.
Cette interdépendance doit être reflétée par chacun de nos projets de coopération.
Mais Droits de l'Homme et Développement sont tous deux dépendants du niveau d'institutionnalisation des pays. Le rôle d'arbitre que doivent jouer les Etats est hélas, souvent, gravement remis en cause, sinon empêché, par l'absence des moyens adéquats pour rémunérer ou faire travailler dans des conditions décentes fonctionnaires, magistrats, policiers, ou armées.
Le Développement n'est en fait que ce qui reste et fait souche des projets de coopération mis en œuvre par des Etats souverains, parfois en partenariat avec des pays développés. Ce processus n'est possible que dans la mesure où les structures permettent la généralisation des projets, leur reproduction. Et de telles structures ne peuvent devenir pérennes que dans la mesure où elles s'inscrivent dans des situations institutionnelles stables et compatibles avec une conception maîtrisée de l'Etat de droit.
Depuis la Conférence internationale consacrée à "Environnement et Développement" à Rio en 1992, tous les textes multilatéraux ont mis l'accent sur l'interdépendance entre les différents paramètres que je vous ai présentés.
C'est un leitmotiv en quelque sorte, qui s'appuie sur deux axes incontournables :
- le rôle des sociétés civiles,
- les processus de décentralisation.
Associer les populations locales, les ONG, les syndicats, les associations professionnelles, est un garant du bon fonctionnement des Etats de droit, mais c'est aussi un élément constitutif du processus de développement, car il permet l'appropriation par les populations locales du développement et il est, en quelque sorte, sa meilleure chance de succès. Comment autrement imaginer qu'un programme de santé primaire ou de lutte contre la pauvreté puisse avoir une quelconque chance de réussir ?
Quant à la décentralisation, le processus est encore récent dans notre pays. Nous avons donc présent à l'esprit, toute la difficulté de l'exercice. Mais on peut aussi déjà voir l'enrichissement incontestable de la vie locale que cette réforme a engendré : une démocratie plus proche de nos concitoyens, des ONG plus vivantes et très actives, des autorités locales qui sont des relais fiables et recherchés.
C'est pourquoi je souhaite encourager cette forme de coopération que nous appelons la coopération décentralisée et qui est d'ores et déjà menée avec beaucoup de succès par les collectivités locales françaises. Parallèlement, partout où il existe une véritable politique de décentralisation, nous la soutenons, car la démocratie s'apprend d'abord dans le village, la commune, la région !
Car il n'y aura pas de progrès de l'Etat de droit sans une société civile forte et dynamique. Les institutions démocratiques, parlement, administration, justice doivent favoriser l'épanouissement des citoyens qui doivent à leur tour, individuellement ou collectivement, participer à la mise en place d'un Etat plus transparent, plus juste, plus démocratique.
Ceci doit être dit, expliqué, démontré aux pays en voie de développement. Ils doivent d'ailleurs avoir présent à l'esprit que la coopération décentralisée et l'action des ONG françaises ou locales ne relèvent pas de la rhétorique : cela représente aujourd'hui plus d'un milliard de francs de coopération hors l'Etat. Il faudra donc l'organiser. Mais quel Etat faible, sans moyens, mal structuré, accepterait d'avoir en son sein des ONG, des villes, des régions mieux organisées, plus autonomes que lui ? Dialogues, médiations, seront indispensables.
Les moyens consacrés au développement institutionnel sont en constante augmentation depuis 1993. Aujourd'hui il s'agit d'un milliard de francs dont près de la moitié consacrée à l'Etat de droit. Un effort spécifique a été consenti en faveur des institutions judiciaires dont l'indépendance et l'efficacité permettent seules in fine de garantir les libertés. Les crédits qui sont consacrés à la réforme juridique et judiciaire ont doublé en 5 ans. Ils dépassent désormais les 200 millions de francs.
D'une manière plus générale, il me paraît important d'appuyer toutes les institutions qui peuvent tempérer un exercice trop autoritaire du pouvoir, qu'il s'agisse de parlements, d'institutions judiciaires, ou de médias.
Un accent particulier a été mis récemment par mon Département sur l'action des associations œuvrant à la promotion et à la diffusion des valeurs liées aux Droits de l'Homme.
Il s'agit par ces diverses actions de faciliter l'accès de tous au droit, notamment les catégories de citoyens les plus exposés aux discriminations.
Enfin, nous encourageons bien sûr, le renforcement et la création d'institutions nationales de protection et de promotion des Droits de l'Homme, inspirées par les principes de Paris adoptés en octobre 1991. La Commission nationale consultative des Droits de l'Homme française, lieu de rencontre et de concertation entre l'Etat et la société civile, a été un modèle pour près de 40 commissions dans le monde. Ces commissions constituent, me semble-t-il, un outil privilégié pour les démocraties en marche.
La création dans différentes régions du monde d'institutions de cet ordre (15 en Afrique), et leur reconnaissance officielle par les Nations unies, lors de la Conférence de Vienne sur les Droits de l'Homme en 1993, témoignent du rôle grandissant qu'elles jouent pour la promotion des Droits de l'Homme. Les nouveaux moyens de communication devraient en accroître encore l'efficacité par l'accès à l'information qu'ils induisent.
L'approche qui sous-tend nos interventions dans ce secteur, relève moins de la spécialisation que de la recherche de synergie. Ainsi, un volet d'appui à la justice peut être complété par un volet d'appui à la promotion des droits de l'homme et permet de soutenir les projets des associations locales les plus dynamiques dans ce secteur. Il peut aussi s'agir d'organiser par exemple des rencontres entre magistrats et journalistes pour définir les rôles et responsabilités respectifs des uns et des autres.
Mais à côté de ce soutien apporté à la construction d'Etats démocratiques, il importe aujourd'hui de promouvoir les instruments et le fonctionnement d'un meilleur dialogue social. Cela ne peut se faire sans une aide concrète au développement économique et une aide à la structuration du monde du travail.
Face à la mondialisation, aux bouleversements sociaux qu'entraînent des mutations économiques rapides, des tensions internes, des conflits se font jour. L'existence d'une Organisation mondiale du Travail, capable de négocier avec les autorités, peut être un facteur de stabilité politique et de paix. C'est dans cette perspective que j'ai décidé de contribuer à l'appui des syndicats de notre pays, pour aider à la mise en place dans les pays du Sud d'un syndicalisme moderne et structuré, préparé à la négociation.
Universalité et indivisibilité des Droits de l'Homme sont donc au cœur de notre action.
Mais vous le savez tous, les pays en voie de développement sont les plus touchés par les crises politiques, les catastrophes naturelles. C'est pourquoi j'ai dans mes attributions le secteur humanitaire auquel vous vous intéressez depuis plus d'un an.
La France a, vous ne l'ignorez pas, joué un rôle majeur dans le développement et la mise en œuvre du principe de libre accès aux victimes des catastrophes humanitaires. Près de 80 résolutions du Conseil de sécurité depuis 1990 ont exigé le respect de ce principe dans des situations de conflits internes. Cette innovation à laquelle notre pays a apporté une contribution majeure est aujourd'hui largement admise même si son application n'est pas toujours aisée dans certains cas.
Beaucoup de ces crises sont dites "complexes" ou destructurées. Elles sont difficilement appréhendables. Certaines auraient cependant pu être sans doute atténuées, voire évitées, avec un programme de développement adéquat.
On peut très bien imaginer que d'autres formes de structures institutionnelles, de modes de développement pourraient permettre d'éviter le pire ou simplement l'extrême pauvreté et sa cohorte de malheur.
On peut aussi traiter la crise en évitant d'exacerber les antagonismes, en apportant une aide qui s'inscrive dans le contexte préexistant et ne soit pas un facteur déstabilisant supplémentaire.
Un groupe de travail a débuté au sein de la Commission Coopération Développement sur le thème "urgence reconstruction, Développement" dont j'attends beaucoup.
Le gouvernement est très attentif aux avis que vous rendez dans le domaine du droit et de l'action humanitaires.
Sans en reprendre la liste exhaustive, je voudrais en évoquer quelques-uns et vous dire qu'ils ont été pris en considération, à des titres et à des niveaux divers, dans la conduite de notre diplomatie bilatérale ou multilatérale comme sur le plan interne.
Ainsi vous avez notamment rendu, à la demande du cabinet du Premier ministre, un avis sur les conséquences humanitaires de l'embargo ou plus généralement des sanctions économiques. Comme vous le savez, la France avait déjà pris des initiatives dans ce domaine. Elle a proposé l'introduction de la dérogation humanitaire dans des résolutions du Conseil de sécurité édictant des sanctions à l'égard de l'ex-Yougoslavie, de l'Iraq, de la Libye, etc. Elle siège dans les différents Comités de sanction et veille à ce que les biens humanitaires par nature ou par destination (nourriture, médicament, équipements sanitaires...) circulent sans entrave à destination des populations civiles. Depuis quelques mois, nous avons œuvré pour alléger davantage contre les effets des embargos sur les habitants des pays visés.
Vous avez également, à plusieurs reprises, adopté des avis sur les mines anti-personnel. Sans doute connaissez-vous la détermination du gouvernement en faveur de l'interdiction totale et complète de ces armes. Le succès que nous avons obtenu lors de la Conférence d'Ottawa est - à cet égard - important. J'ai moi-même participé à cette réunion diplomatique et le processus de ratification de cette convention ainsi que la transposition de ces dispositions dans notre ordre juridique interne sont maintenus très avancés puisque l'Assemblée nationale a voté la loi de transposition en droit interne et que le projet de loi de ratification a été adopté en Conseil des ministres le 6 mai. Le processus de ratification devrait être achevé à l'été. Il en va de même pour le protocole additionnel à la Convention de 1981.
Votre avis sur l'incorporation des dispositions du droit international humanitaire dans notre droit interne relève moins de mon département que de celui du garde des Sceaux.
Mais je reste attentif car de la manière dont la loi française adaptera les règles juridiques internationales dépend aussi notre image à l'extérieur. A cet égard la France participera de façon active à la Conférence de Rome en juin prochain, sur la création d'une Cour pénale internationale. Vous vous êtes également prononcés à son sujet. Nous souhaitons à la fois permettre à cette future juridiction de lutter efficacement contre l'impunité dont bénéficient certains criminels et protéger la compétence du Conseil de sécurité. Je sais que M. de Brichambaut, le directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, vous a exposé les données du problème et la manière dont la France compte les aborder à Rome.
La richesse du secteur humanitaire vient du facteur humain. Ce sont des êtres humains qui s'engagent aux côtés d'autres, c'est également ce qui fait la difficulté de l'exercice.
Le gouvernement est particulièrement préoccupé par l'insécurité à laquelle se trouvent souvent confrontés les volontaires des ONG humanitaires en zone de conflits armés. De graves évènements récents ont frappé plusieurs d'entre elles.
Hubert Védrine et moi-même avons présidé une réunion des ONG les plus concernées par ce problème pour examiner les risques encourus et les réponses possibles. Jusqu'à maintenant les problèmes ont été traités au cas par cas et la direction des Français à l'étranger a déployé des efforts considérables pour résoudre chaque drame individuel, faire libérer et rapatrier nos compatriotes victimes d'actes hostiles. Mais il va de soi que la prévention serait préférable au traitement à chaud.
Les organisations intergouvernementales sont en proie aux mêmes risques. Depuis 1994, 141 agents des Nations unies ont été pris en otage ; depuis 1992, 219 ont été tués.
Le 25 février dernier, une centaine de représentants d'Etats, d'agences des Nations unies et d'ONG se sont réunis à New York pour examiner la situation. Ils ont adopté 15 principes et proposé diverses attitudes pour améliorer la sécurité des fonctionnaires internationaux et des agents des organisations humanitaires intergouvernementales. Mais quelle que soit l'utilité de ces 15 principes, ils ne sauraient à eux seuls protéger les volontaires d'autant que tous ne sont pas transposables aux ONG.
Des leçons sont à tirer des expériences passées, une mémoire doit être organisée. C'est du partage de ces savoirs que naîtra, j'en suis sûr, une meilleure sécurité pour tous.
Cette réflexion d'ensemble peut éviter les erreurs. Elle peut aussi permettre une intervention mieux acceptée et donc plus efficace des ONG, comme des assistants techniques de la coopération française. Cela peut enfin éviter des contresens qui parfois ont mis en péril la vie de membres d'ONG expatriés ou locaux. Le travail de votre commission chargée du droit humanitaire est à cet égard la toute première importance.
J'attends vos réflexions avec intérêts sur ce sujet d'une extrême gravité.
Je voudrais enfin souligner l'effort qui sera fait cette année par mon département pour donner un lustre particulier aux célébrations du cinquantenaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Un évènement dont la portée symbolique est immense. Sans entrer dans les détails car j'ai conscience d'avoir été déjà très long, je voudrais vous dire que c'est avec plaisir que j'ouvrirai le 5 décembre la réunion des Commissions nationales consultatives des Droits de l'Homme que vous organisez à l'occasion de ce 50ème anniversaire.
Pour conclure, je voudrais exprimer mon souhait que l'année de célébration qui s'ouvre soit aussi une année de réflexion et d'action commune qui permette à un plus grand nombre d'accéder aux Droits de l'Homme pour mieux se développer./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2001)