Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à LCI le 1er septembre 2003, sur la politique budgétaire et fiscale, la mise en oeuvre de la réforme de la décentralisation et le maintien de l'ordre public en Corse.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- On dit que gouverner c'est prévoir. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le Gouvernement n'avait pas prévu 4 % de déficit public, 10 milliards de déficit de la Sécurité sociale, une croissance à 0,2 %, + 0,2 %, alors que la prévision initiale était de 2,5 %. Evidemment, il y a un débat qui s'instaure sur la baisse des impôts. Est-elle toujours opportune ?
- "D'abord, on n'a jamais cru que ce serait facile, et le fait qu'il y ait des déficits n'est pas quelque chose qui nous surprend, il faut les remonter. Cette situation est générale à toute l'Europe, et la France avait peu de chances d'y échapper. D'autre part, la politique..."
Vous généralisez un peu là, "toute l'Europe"...
- "Regardez la situation de l'Allemagne, regardez la situation de l'Italie, parfois elle est moins grave - il n'y a que l'Angleterre qui échappe à cela - mais les autres pays d'Europe sont dans la même situation que nous, parfois moins déficitaire mais toutes avec un recul de la croissance, toutes avec une augmentation du chômage."
La question : faut-il continuer à baisser les impôts ?
- "Bien entendu. Si on baisse les impôts, ce n'est pas pour se faire plaisir. On baisse les impôts pour plusieurs raisons. La première, d'abord, c'est que la France est le pays le plus imposé, pratiquement le pays le plus imposé de l'Europe, à part peut-être la Suède. Et donc, ceux qui investissent, ceux qui sont actifs, la quittent. Et cela crée du chômage. Deuxièmement, baisser l'impôt, c'est permettre des investissements, et les investissements c'est ce qui crée de l'emploi. Troisièmement, baisser les impôts, c'est ce qui suscite de la consommation nouvelle. Et ça aussi, cela crée des emplois. C'est une politique de croissance."
Oui, mais ça a suscité de l'épargne depuis l'année dernière.
- "Ca suscite de l'épargne, et l'épargne ça crée de l'investissement. C'est avec l'épargne qu'on investit. Soit, quand vous baissez les impôts..."
Pas dans les ménages.
- "Mais quand vous mettez votre argent dans une banque pour constituer une épargne, excusez-moi de vous le dire, cette épargne est investie dans l'économie par les acteurs financiers. Toute épargne n'est pas stérile, elle au contraire investie. Donc, soit elle donne lieu à l'investissement, soit elle donne lieu à une consommation, si je me souviens bien de mon cours d'économie de première année."
Est-ce qu'on n'est pas en train d'opérer un transfert, c'est-à-dire de débattre ou de baisser l'impôt sur le revenu et finalement, de transférer les impôts, les charges sur les collectivités locales, que vous connaissez bien, les départements notamment, puisqu'il y a de nouvelles demandes et de nouveaux besoins qui se font jour, on l'a bien vu avec la canicule ?
- "Ca, c'est ce qu'on fait nos prédécesseurs. Nos prédécesseurs, en donnant aux départements l'obligation de financer la Prestation autonomie ont transféré les obligations d'Etat sans les financer vers les départements."
Vous seriez prêts à la reprendre ?
- "Nous, nous avons, au contraire, fait une réforme constitutionnelle qui garantit que les collectivités locales, lorsqu'elles ont une compétence nouvelle, ne pourront pas, et on n'aura pas le droit de leur faire dépenser davantage que ce qu'elles dépensaient auparavant."
L'augmentation des impôts locaux c'est quoi ?!
- "C'est le fruit de ce qui s'est passé précédemment, c'est-à-dire de la part du gouvernement précédent, le transfert de la Prestation autonomie, à la charge des départements ; le coût des 35 heures, qu'il faut financer et que les collectivités locales payent ; et les services de secours et d'incendie des pompiers qui ont été également transférés à la charge des départements."
Avouez qu'ils vous ont rendu bien services vos prédécesseurs, parce que vous imaginez si l'Etat devait assumer ces charges, le déficit serait encore supérieur à 4 %.
- "De toute façon, les Français les payent ces charges-là. Donc, il n'y a pas de service qui soit rendu. Le drame au contraire, c'est que cela crée des déséquilibres et que cela crée effectivement une augmentation des impôts locaux, et cette augmentation est due à ces charges transférées par le gouvernement précédent."
Il y a débat au sein du Gouvernement sur l'opportunité de continuer ou non la baisse des impôts ?
- "Non, le Gouvernement a parfaitement compris cette leçon élémentaire de l'économie que, pour relancer la croissance, il faut permettre davantage d'investissement ou davantage de consommation ou les deux."
Il n'y a aucune pause dans les réformes ?
- "Mais vous voyez la situation dans laquelle est notre pays, c'est-à-dire les déficits qui se creusent, la paralysie qui gagne progressivement certains secteurs d'activité, le chômage qui se développe ! Et vous pensez qu'il faut rester les bras ballants, qu'il ne faut pas faire de réformes devant une situation aussi difficile !"
Continuer la décentralisation, par exemple ?
- "La décentralisation, c'est un moyen de redonner de l'énergie et de la donner localement pour créer de nouvelles activités."
En transférant des charges ?
- "Je viens de vous expliquer exactement le contraire."
Mais la décentralisation, j'y reviens, puisque J.-P. Raffarin a voulu rassurer les syndicats enseignants en leur disant que, finalement, tout cela serait décalé dans le temps, et que les TOS ne seraient décentralisés qu'en 2005. Qu'en pensez-vous ?
- "L'effectivité des TOS, c'est-à-dire le transfert effectif, n'apparaîtra qu'à la rentrée 2005, mais la loi comportant le transfert des TOS, sera examinée au derniers trimestre de cette année, aux mois d'octobre et novembre. Et le projet de transfert de compétences, va passer au Conseil des ministres le 1er octobre prochain."
Quels seront les effets de la décentralisation dans un avenir plus proche ?
- "Les effets de la décentralisation, d'abord c'est l'amélioration du service public. C'est-à-dire, que..."
C'est ce qu'on dit...
- "Mais c'est vrai, c'est-à-dire que les citoyens vont avoir en face d'eux, l'interlocuteur qui régit le service public et donc, avec une possibilité d'adaptation, et aussi une proximité qui rend un service public plus efficace. Deuxièmement, elles vont créer sur place, une énergie, elles vont permettre aux acteurs locaux de régler eux-mêmes leurs propres affaires. C'est quand même une liberté élémentaire que de pouvoir régler soi-même ses propres affaires."
On a voulu laisser aux Corses le soin de régler leurs propres affaires, ou du moins leur destin, et on a vu le résultat : 85 attentats depuis le début de l'été. Une situation de blocage total.
- "Il ne faut pas mettre tous les Corses dans la responsabilité de ces attentats tout de même !"
Non, non, mais je veux dire, on a consulté les Corses, je dis que...
- "Oui, mais ce ne sont pas les résultats du référendum qui sont responsables, pas ceux qui ont voté contre le référendum, même si, je le regrette, qui sont responsables des attentats. Je ne fais pas cet amalgame tout de même !"
Non, mais était-ce la bonne méthode ?
- "C'est difficile la Corse, chacun le comprend. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que la Corse a besoin d'une réforme et besoin de l'ordre républicain, les deux à la fois. Elle a besoin de davantage d'autonomie, davantage de décentralisation, parce que les Corses aspirent, et c'est normal, encore plus vécu quand c'est dans une île aussi importante que la Corse, ils aspirent à diriger eux-mêmes leurs propres affaires, et qu'elles soient moins dirigées de Paris. Et d'autre part, il faut faire respecter les lois de la République. Ca, c'est le devoir de l'Etat. Ce sont les deux à la fois. C'est assez difficile à conjuguer. Mais c'est une politique qui est poursuivie."
C'est le message de D. Perben aujourd'hui ?
- "C'est le message du Gouvernement : le respect de la loi."
Le fait que ce soit le ministre de la Justice qui aille en Corse, et pas le ministre de l'Intérieur, qui est quand même allé huit fois avant le référendum, c'est...
- "C'est parce que ce sont des établissements judiciaires qui ont été frappés, notamment Casabianda. Vous savez que Casabianda est un modèle d'établissement pénitentiaire, puisque c'est ce qu'on a de mieux."
Oui, mais il n'y a pas que Casabianda, il y a aussi des gendarmeries, des Trésoreries, des bâtiments publics de tous ordres.
- "Oui. Mais en l'occurrence, c'est le Garde des Sceaux, parce qu'on s'est attaqué en particulier à Casabianda qui est un symbole important, y compris pour la Corse, et y compris pour le modèle de justice français. Mais le ministre de l'Intérieur s'y est rendu à plusieurs reprises. N. Sarkozy, n'hésite pas à aller en Corse vous le savez."
On va voir. Dernière question : seriez-vous candidat aux élections régionales pour l'Ile-de-France ?
- "Je crois que le problème ne se pose pas."
Vous êtes sûr ?
- "D'abord, il y a une multiplicité de candidats, et il y en a un qui, à mon avis, est le plus solide et le plus sérieux, c'est N. Sarkozy. Je soutiens sa candidature."
Et s'il n'y va pas ?
- "Il sera toujours temps de voir. Mais il y a déjà beaucoup de candidats qui se sont profilés."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 1 septembre 2003)