Texte intégral
Q - Alors que la France préside l'Union européenne, elle se trouve dans une situation singulière puisqu'elle est le seul pays à maintenir l'embargo sur le boeuf britannique. Comment envisagez-vous de sortir de cette crise par le haut ?
R. - Les récentes nouvelles justifient les doutes des scientifiques français et la prudence du gouvernement. J'ajoute qu'une information fondamentale vient de nous parvenir : les Britanniques ont décelé, il y a une quinzaine de jours, un cas de vache malade née après 1996 alors qu'ils étaient sûrs et certains de ne jamais en avoir. Nous devons donc nous maintenir en état d'alerte et resserrer notre dispositif sans cesse. Nous avons donc interdit tout récemment l'utilisation de l'iléon, partie extrême de l'intestin, dans la charcuterie. Et nous continuerons de prendre des mesures resserrant notre dispositif tant que cela sera nécessaire, sachant que, dans les hypothèses scientifiques actuelles, l'épidémie devrait commencer à décroître à partir de 2002. Si tel n'était pas le cas, de nouvelles hypothèses scientifiques devraient être faites notamment sur une nouvelle voie de contamination.
Q - Il n'est donc pas question que la France lève l'embargo dans un proche avenir...
R·- Pour l'instant, il n'est pas question de lever l'embargo puisqu'il n'y a pas de données objectives nous permettant de le faire. Même, si nous avons obtenu de très gros progrès au niveau européen. Les Quinze ont par exemple décidé le retrait des matériaux à risque spécifiés dans les farines animales. C'est important, car certains pays continuent à mettre n'importe quoi, y compris des parties à risque, dans les farines. Et puis au début de cette semaine nous avons décidé, à l'unanimité, la mise en place, au 1er septembre, de l'étiquetage de la viande bovine. Nous allons enfin savoir d'une manière obligatoire, pour tout morceau de viande qui sera vendu ou consommé en Europe, où elle a été produite et où elle a été abattue notamment.
Q - Tous ces progrès ne suffisent pas pour lever l'embargo ?
R - Non, parce que les informations qui nous parviennent d'Angleterre sont inquiétantes. Par ailleurs, nous serons très attentifs à l'évolution du programme de tests de dépistage qui sera mis en place au 1er janvier 2001 par l'Union européenne.
Q - La mise en place de l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments se fera-t-elle sous présidence française ?
R - Cette proposition avait été faite au nom du gouvernement français par Bernard Kouchner au printemps 1999. Pour l'instant, sa création est en discussion devant le Parlement européen. Le Conseil des ministres de l'Agriculture des Quinze en débattra à l'automne. Il reste à régler quelques problèmes non négligeables, notamment le positionnement de cette autorité par rapport au conseil des ministres. L'autorité doit se contenter d'évaluer le risque ; la gestion du risque doit revenir aux responsables politiques. Cette séparation des missions doit être très bien précisée. De, la même manière, la complémentarité de cette autorité avec les organismes, indépendants ou non, qui existent dans les différents pays, devra être bien précisée pour que ce ne soit pas un élément de complexité, mais au contraire de sécurité supplémentaire. Nous ferons tout sous présidence française pour accélérer ce processus.
Q - Le gouvernement français a décidé l'arrachage du colza contaminé accidentellement par des semences transgéniques mais pas du maïs. Comment expliquez-vous cette différenciation de traitement ?
R - Par des raisons simples. Premièrement, le colza était mélangé avec une semence transgénique interdite, alors que le maïs est croisé avec une semence transgénique autorisée. Ensuite, le taux de croisement est nettement plus faible pour le maïs que pour le colza. Je ne veux d'ailleurs pas parler de " contamination ". Je refuse ce mot qui fait peur, qui est lourd, qui a un sens grave. Parlons plutôt de pollution, ou de croisement fortuit. Enfin, troisième raison, à l'inverse du colza, le risque de pollinisation c'est-à-dire de dissémination naturelle est nul. Cela dit, je comprends très bien que l'opinion se pose des questions.
Nous sommes devant des problèmes de société qui, au fond, voient s'entrechoquer, d'une part, une aspiration au progrès de la science, de la connaissance, et d'autre part, une volonté de maîtriser ce progrès pour qu'il ne porte pas atteinte à notre propre sécurité. Je pense qu'il faut continuer à débattre de ces questions devant la société car il ne peut pas y avoir une parole d'expert qui soit supérieure à celle des citoyens. Il faut donc avancer dans la transparence dans un débat public. Et je voudrais que l'on en appelle à la raison, et non pas à une espèce de guerre de religion, ni pour ni contre les OGM, organismes génétiquement modifiés. Cela se fera dans la durée, pas à coups de mesures spectaculaires. La réalité est simple. Nous avons du mal à mesurer les effets de certains végétaux OGM qui sont mis sur le marché par des firmes multinationales qui, elles, s'inscrivent clairement dans une logique de productivisme, à laquelle je ne peux évidemment pas faire confiance pour poser le débat d'une manière sereine et saine.
Q - La transparence, pour le consommateur, ce n'est pas avant tout avoir un étiquetage clair ?
R - L'Union européenne va bientôt mettre en place l'étiquetage des productions OGM et non OGM avec la tolérance de la présence fortuite d'un maximum de 1 %. Maintenant, il faut aller plus loin pour que toute la chaîne alimentaire fasse la transparence sur la présence d'OGM d'une manière fortuite ou non. Ce que nous avons obtenu pour les produits de consommation, il faut l'obtenir pour les semences avec un contrôle beaucoup plus rigoureux des importations. Je pense que, pour les semences, le seuil de présence fortuite doit être beaucoup plus faible que celui qui a été admis pour la consommation.
Q - Combien ?
R - Ce n'est pas à moi de le décréter. Reste que nous devons harmoniser nos attitudes. Regardez l'affaire du colza : cinq pays étaient concernés, deux ont détruit - la Suède et la France ; les trois autres - Allemagne, Luxembourg et Royaume-Uni - ne l'ont pas fait. Mon souci, je le répète, est que l'on avance avec beaucoup de prudence parce que je ne fais pas confiance aux grandes sociétés semencières multinationales qui ne m'ont jamais donné la preuve que leur principal souci était la santé des consommateurs ou la protection de l'environnement. Donc, je suis très prudent.
Q - Approuvez-vous le combat de José Bové ?
R - J'ai du respect et de l'estime pour les objectifs qu'il poursuit. J'ai parfois des désaccords soit sur certaines appréciations, la manière d'aborder la mondialisation notamment, soit sur certains modes d'action.
Q - L'Union européenne négocie actuellement son élargissement aux pays de l'Est. Ces derniers ont-ils bien compris la nouvelle politique agricole commune ?
R - Mon raisonnement sur l'élargissement est simple. D'abord, comme responsable politique, je considère que l'élargissement est une chance pour l'Europe, une opportunité incontournable. Il s'agit donc d'un objectif prioritaire pour des raisons profondément politiques d'union de l'ensemble du continent européen, de maintien de la paix et, en plus, de construction d'une Europe puissante qui pèse plus encore dans le débat international notamment face à la grande puissance d'outre-Atlantique. Donc, il ne peut être question que l'agriculture représente un élément de blocage dans un tel processus. Ensuite, il y a les aspects techniques. L'Europe et la France sont décidées à ce que ces pays adhèrent le plus tôt possible, mais seulement quand ils seront prêts. Ce n'est pas à nous de leur imposer le rythme des transformations nécessaires chez eux. Il est clair néanmoins que sur un point, nous devrons être très ferme : la sécurité sanitaire des aliments. On ne peut pas admettre que l'élargissement soit synonyme de répression en ce domaine. En outre, le jour où ces pays vont adhérer, au bout du processus de transition, de dérogation, il n'y aura pas de Politique agricole commune à deux vitesses. Donc, au bout du processus, il y aura les mêmes subventions agricoles - tant convoitées - pour tout le monde.
Q - Bref, le virage pris par la PAC n'est pas compris à l'Est...
R - Les aides directes au revenu ne constituent pas un droit éternel pour les agriculteurs. Je dis aux pays candidats : n'oubliez pas que ces aides ont été conçues comme des compensations à des baisses de prix, ce ne sont pas des compensations ad aeternam. Et surtout, réfléchissez au fait que la Politique agricole commune a entamé un virage notable - dont certains, comme moi, pensent qu'il n'a pas été assez audacieux - en créant le deuxième pilier de la PAC, le développement rural. Or, à mon sens, ces pays candidats ont au moins autant besoin de développement rural pour maintenir leurs activités et l'emploi dans leur campagne que d'aides directes pures et simples par milliards d'euros.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).
R. - Les récentes nouvelles justifient les doutes des scientifiques français et la prudence du gouvernement. J'ajoute qu'une information fondamentale vient de nous parvenir : les Britanniques ont décelé, il y a une quinzaine de jours, un cas de vache malade née après 1996 alors qu'ils étaient sûrs et certains de ne jamais en avoir. Nous devons donc nous maintenir en état d'alerte et resserrer notre dispositif sans cesse. Nous avons donc interdit tout récemment l'utilisation de l'iléon, partie extrême de l'intestin, dans la charcuterie. Et nous continuerons de prendre des mesures resserrant notre dispositif tant que cela sera nécessaire, sachant que, dans les hypothèses scientifiques actuelles, l'épidémie devrait commencer à décroître à partir de 2002. Si tel n'était pas le cas, de nouvelles hypothèses scientifiques devraient être faites notamment sur une nouvelle voie de contamination.
Q - Il n'est donc pas question que la France lève l'embargo dans un proche avenir...
R·- Pour l'instant, il n'est pas question de lever l'embargo puisqu'il n'y a pas de données objectives nous permettant de le faire. Même, si nous avons obtenu de très gros progrès au niveau européen. Les Quinze ont par exemple décidé le retrait des matériaux à risque spécifiés dans les farines animales. C'est important, car certains pays continuent à mettre n'importe quoi, y compris des parties à risque, dans les farines. Et puis au début de cette semaine nous avons décidé, à l'unanimité, la mise en place, au 1er septembre, de l'étiquetage de la viande bovine. Nous allons enfin savoir d'une manière obligatoire, pour tout morceau de viande qui sera vendu ou consommé en Europe, où elle a été produite et où elle a été abattue notamment.
Q - Tous ces progrès ne suffisent pas pour lever l'embargo ?
R - Non, parce que les informations qui nous parviennent d'Angleterre sont inquiétantes. Par ailleurs, nous serons très attentifs à l'évolution du programme de tests de dépistage qui sera mis en place au 1er janvier 2001 par l'Union européenne.
Q - La mise en place de l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments se fera-t-elle sous présidence française ?
R - Cette proposition avait été faite au nom du gouvernement français par Bernard Kouchner au printemps 1999. Pour l'instant, sa création est en discussion devant le Parlement européen. Le Conseil des ministres de l'Agriculture des Quinze en débattra à l'automne. Il reste à régler quelques problèmes non négligeables, notamment le positionnement de cette autorité par rapport au conseil des ministres. L'autorité doit se contenter d'évaluer le risque ; la gestion du risque doit revenir aux responsables politiques. Cette séparation des missions doit être très bien précisée. De, la même manière, la complémentarité de cette autorité avec les organismes, indépendants ou non, qui existent dans les différents pays, devra être bien précisée pour que ce ne soit pas un élément de complexité, mais au contraire de sécurité supplémentaire. Nous ferons tout sous présidence française pour accélérer ce processus.
Q - Le gouvernement français a décidé l'arrachage du colza contaminé accidentellement par des semences transgéniques mais pas du maïs. Comment expliquez-vous cette différenciation de traitement ?
R - Par des raisons simples. Premièrement, le colza était mélangé avec une semence transgénique interdite, alors que le maïs est croisé avec une semence transgénique autorisée. Ensuite, le taux de croisement est nettement plus faible pour le maïs que pour le colza. Je ne veux d'ailleurs pas parler de " contamination ". Je refuse ce mot qui fait peur, qui est lourd, qui a un sens grave. Parlons plutôt de pollution, ou de croisement fortuit. Enfin, troisième raison, à l'inverse du colza, le risque de pollinisation c'est-à-dire de dissémination naturelle est nul. Cela dit, je comprends très bien que l'opinion se pose des questions.
Nous sommes devant des problèmes de société qui, au fond, voient s'entrechoquer, d'une part, une aspiration au progrès de la science, de la connaissance, et d'autre part, une volonté de maîtriser ce progrès pour qu'il ne porte pas atteinte à notre propre sécurité. Je pense qu'il faut continuer à débattre de ces questions devant la société car il ne peut pas y avoir une parole d'expert qui soit supérieure à celle des citoyens. Il faut donc avancer dans la transparence dans un débat public. Et je voudrais que l'on en appelle à la raison, et non pas à une espèce de guerre de religion, ni pour ni contre les OGM, organismes génétiquement modifiés. Cela se fera dans la durée, pas à coups de mesures spectaculaires. La réalité est simple. Nous avons du mal à mesurer les effets de certains végétaux OGM qui sont mis sur le marché par des firmes multinationales qui, elles, s'inscrivent clairement dans une logique de productivisme, à laquelle je ne peux évidemment pas faire confiance pour poser le débat d'une manière sereine et saine.
Q - La transparence, pour le consommateur, ce n'est pas avant tout avoir un étiquetage clair ?
R - L'Union européenne va bientôt mettre en place l'étiquetage des productions OGM et non OGM avec la tolérance de la présence fortuite d'un maximum de 1 %. Maintenant, il faut aller plus loin pour que toute la chaîne alimentaire fasse la transparence sur la présence d'OGM d'une manière fortuite ou non. Ce que nous avons obtenu pour les produits de consommation, il faut l'obtenir pour les semences avec un contrôle beaucoup plus rigoureux des importations. Je pense que, pour les semences, le seuil de présence fortuite doit être beaucoup plus faible que celui qui a été admis pour la consommation.
Q - Combien ?
R - Ce n'est pas à moi de le décréter. Reste que nous devons harmoniser nos attitudes. Regardez l'affaire du colza : cinq pays étaient concernés, deux ont détruit - la Suède et la France ; les trois autres - Allemagne, Luxembourg et Royaume-Uni - ne l'ont pas fait. Mon souci, je le répète, est que l'on avance avec beaucoup de prudence parce que je ne fais pas confiance aux grandes sociétés semencières multinationales qui ne m'ont jamais donné la preuve que leur principal souci était la santé des consommateurs ou la protection de l'environnement. Donc, je suis très prudent.
Q - Approuvez-vous le combat de José Bové ?
R - J'ai du respect et de l'estime pour les objectifs qu'il poursuit. J'ai parfois des désaccords soit sur certaines appréciations, la manière d'aborder la mondialisation notamment, soit sur certains modes d'action.
Q - L'Union européenne négocie actuellement son élargissement aux pays de l'Est. Ces derniers ont-ils bien compris la nouvelle politique agricole commune ?
R - Mon raisonnement sur l'élargissement est simple. D'abord, comme responsable politique, je considère que l'élargissement est une chance pour l'Europe, une opportunité incontournable. Il s'agit donc d'un objectif prioritaire pour des raisons profondément politiques d'union de l'ensemble du continent européen, de maintien de la paix et, en plus, de construction d'une Europe puissante qui pèse plus encore dans le débat international notamment face à la grande puissance d'outre-Atlantique. Donc, il ne peut être question que l'agriculture représente un élément de blocage dans un tel processus. Ensuite, il y a les aspects techniques. L'Europe et la France sont décidées à ce que ces pays adhèrent le plus tôt possible, mais seulement quand ils seront prêts. Ce n'est pas à nous de leur imposer le rythme des transformations nécessaires chez eux. Il est clair néanmoins que sur un point, nous devrons être très ferme : la sécurité sanitaire des aliments. On ne peut pas admettre que l'élargissement soit synonyme de répression en ce domaine. En outre, le jour où ces pays vont adhérer, au bout du processus de transition, de dérogation, il n'y aura pas de Politique agricole commune à deux vitesses. Donc, au bout du processus, il y aura les mêmes subventions agricoles - tant convoitées - pour tout le monde.
Q - Bref, le virage pris par la PAC n'est pas compris à l'Est...
R - Les aides directes au revenu ne constituent pas un droit éternel pour les agriculteurs. Je dis aux pays candidats : n'oubliez pas que ces aides ont été conçues comme des compensations à des baisses de prix, ce ne sont pas des compensations ad aeternam. Et surtout, réfléchissez au fait que la Politique agricole commune a entamé un virage notable - dont certains, comme moi, pensent qu'il n'a pas été assez audacieux - en créant le deuxième pilier de la PAC, le développement rural. Or, à mon sens, ces pays candidats ont au moins autant besoin de développement rural pour maintenir leurs activités et l'emploi dans leur campagne que d'aides directes pures et simples par milliards d'euros.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).