Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur l'action de son ministère en faveur des Français à l'étranger, en matière de sécurité, de protection sociale, d'enseignement et sur la modernisation du réseau consulaire, Paris le 1er septembre 2003.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Circonstance : Session inaugurale de la 56ème assemblée plénière du Conseil supérieur des Français de l'étranger à Paris le 1er septembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Ministre délégué,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous retrouver pour ouvrir les travaux de votre 56ème assemblée plénière. Je tiens à féliciter particulièrement les 33 nouveaux délégués qui participent pour la première fois aux travaux du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Je veux aussi rendre hommage aux membres sortants pour leur engagement et leur dévouement.
Votre action, tout entière consacrée au service des Français de l'étranger et de notre pays, est irremplaçable. Vous êtes pour notre pays une force et une richesse car vous contribuez à la promotion de ses intérêts et de son influence dans tous les domaines, politique, économique, culturel ou encore scientifique et technologique.
Nous avons en commun, Mesdames et Messieurs les Délégués, le goût de l'ailleurs et de la découverte ; vous représentez nos communautés de l'étranger dans toute leur diversité, exprimant leurs espoirs, leurs inquiétudes et parfois leur douleur. Je me réjouis donc de pouvoir évoquer avec vous, lors de cette rencontre, leurs préoccupations et leurs attentes ; mais aussi de rappeler notre intérêt et notre attachement à leur égard.
Aujourd'hui plus que jamais, la communauté des Français expatriés porte haut les couleurs d'une France qui s'engage. Comme des pionniers qui ouvrent de nouvelles frontières, les Français de l'étranger portent en eux le courage, l'innovation, la créativité qui caractérisent cette France à laquelle je crois, tournée vers l'avenir, ouverte et entreprenante. Vous connaissez l'importance que j'accorde à leur rôle et à leur influence. Leurs entreprises, leurs associations, leurs écoles sont des leviers indispensables de notre action extérieure.
Cet apport est d'autant plus important que nous vivons aujourd'hui dans un monde plus complexe et plus incertain. Face aux défis de notre temps, qu'aucun de nos pays ne peut contrôler seul, votre présence aux avant-postes, votre mobilité, votre vitalité sont des atouts précieux. Si nous savons vous écouter, nous pourrons mieux comprendre le monde et l'investir davantage pour le plus grand bénéfice de notre influence.
Pour mieux cerner la réalité des communautés françaises à l'étranger, il faut d'abord les connaître.
La direction des Français de l'étranger (DFAE) a passé commande d'une analyse socio-démographique des communautés françaises sur la période 1984 à 2002. Les résultats viennent d'en être publiés. Vous en recevrez chacun un exemplaire. On y constate que la population française à l'étranger a augmenté de 30 % depuis 1991. Elle dépasse maintenant 2 millions de personnes et la part des femmes et des jeunes n'y a jamais été aussi importante. Les Français sont de plus en plus nombreux en Europe et en Amérique du Nord ; une tendance inverse semble se dessiner en Afrique.
Cette étude montre également la grande diversité de la population française à l'étranger. J'ai demandé une étude comparative précise, par catégories socio-professionnelles, de cette communauté avec la population française de métropole.
Face à ces évolutions et aux incertitudes du monde, l'Etat doit être mobilisé pour apporter aux Français de l'étranger les moyens et les garanties sur lesquels ils doivent pouvoir compter. Dans ce cadre, la première de ces priorités est et demeure la sécurité.
Les Français, de plus en plus nombreux à l'étranger, ont été durement éprouvés au cours de l'année écoulée : crise ivoirienne, attentats de Bali, Riyad, Casablanca et Jérusalem, guerre en Irak, naufrage du Joola, accident d'avion de Tamanrasset, épidémie de pneumopathie atypique, sans oublier les terribles tremblements de terre qui ont secoué l'Algérie. Autant de circonstances douloureuses pour nos communautés, pour ces Français dont on est sans nouvelles, ces journalistes qui paient lourdement la liberté d'exercer leur métier.
Pour nous, l'heure est donc plus que jamais à la vigilance. Nous sommes à vos côtés, mobilisés face à ces menaces qui pèsent sur nos compatriotes. Nous avons renforcé la coordination intergouvernementale pour la sécurité des Français et des implantations de l'Etat à l'étranger. Des services, qui jusqu'à présent travaillaient chacun de leur côté, agissent désormais ensemble. C'est le rôle du Comité de sécurité interministériel, créé à la demande du Premier ministre et présidé par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères.
A la direction des Français à l'étranger, j'ai fait renforcer les effectifs et les moyens de la cellule de veille. Et les crédits consacrés à la sécurité des Français ont doublé pour atteindre 2 millions en 2003. La cellule de crise - qui est mise en place dès qu'une situation de crise est constatée quelque part dans le monde - n'a jamais été aussi fréquemment activée. En début d'année, elle a fonctionné de façon quasi ininterrompue pendant neuf semaines. A cet égard, je souhaite saluer ici le travail d'écoute, d'information et de solidarité assuré par les volontaires de toutes les directions du ministère, qui se relaient jour et nuit pour répondre aux appels.
Dans nos postes, l'année a été marquée par la mobilisation de notre personnel diplomatique et consulaire, dans les régions du monde les plus marquées par l'instabilité, au service de nos compatriotes. Plusieurs missions interministérielles d'évaluation et de conseils ont été envoyées pour adapter et renforcer les dispositifs de sécurité de nos postes en Afrique et au Moyen-Orient. Dans les pays les plus exposés aux risques, des moyens de communication ont été installés pour maintenir, en toutes circonstances, la liaison avec nos ressortissants, à travers leurs chefs d'îlot.
Je connais votre esprit de solidarité et votre contribution aux comités qui se sont mis en place partout. Je vous remercie de votre engagement et de l'encouragement ainsi donné à tous ceux qui agissent pour assurer la protection de nos concitoyens.
L'action en faveur de nos ressortissants en difficulté constitue une deuxième priorité. Je me félicite, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, que notre détermination commune ait permis de préserver l'intégralité des crédits d'action sociale de l'exercice en cours. Les propositions des comités consulaires pour la protection et l'action sociale (CCPAS) ont été examinées avec le souci de l'équité dans l'attribution des aides, afin que la situation de chaque allocataire soit traitée selon les mêmes critères.
Nous voulons parvenir à mieux protéger ceux qui sont victimes de violations des droits de la personne comme, notamment, les mariages forcés à l'étranger. Nos préoccupations et le travail de nos services consulaires sur le terrain s'inscrivent dans la politique d'intégration définie par le gouvernement. Ils vont dans le sens de l'avis sur les droits des femmes issues de l'immigration, remis il y a deux mois au Premier ministre par le Haut Conseil à l'Intégration.
Au-delà de notre action dans le domaine social, notre réseau consulaire s'efforce chaque jour de s'adapter dans l'urgence et de prendre en charge le mieux possible les difficultés qui se présentent pour nos compatriotes. Je voudrais en donner trois exemples.
D'abord, celui des passeports sécurisés. La décision de l'administration américaine d'imposer à partir du 1er octobre un visa aux Français dont le passeport n'est pas lisible en machine suscite des inquiétudes. Les documents de voyage délivrés par nos postes ne répondent pas encore aux exigences américaines. Dès que cette décision nous a été notifiée, nous avons demandé le report de son entrée en vigueur. Mais sans attendre, nous avons mis en place une procédure et une chaîne de traitement, à Nantes, qui permettront, dès la fin de ce mois, de délivrer des passeports sécurisés aux Français de l'étranger. En parallèle, nos compatriotes ont été régulièrement informés, à travers les sites internet de nos postes, des nouvelles conditions d'accès aux Etats-Unis. Cette rapidité de réaction dont je vous félicite, il faut en faire une exigence de base dans les domaines de notre action en faveur des Français de l'étranger.
Ensuite, celui de l'état civil. Je sais l'importance qu'attachent nos compatriotes à pouvoir disposer rapidement des extraits d'actes d'état civil qu'ils demandent. A cette fin, nous avons mis à profit toutes les ressources qui pourront être tirées de l'informatique. Il faut donc saluer le succès du traitement des demandes d'actes d'état civil par internet : aujourd'hui le service central d'état civil répond à plus de 1 500 demandes par jour sur le réseau, soit plus du double que l'année dernière à la même époque.
Parallèlement deux actions ont été engagées pour améliorer le service rendu à nos compatriotes d'Algérie dont les actes d'état civil ont été dressés dans ce pays avant 1962 :
- en partenariat avec la direction des Archives de France, dans le cadre de l'année de l'Algérie en France, le fonds d'actes sur microfilms est en cours de numérisation. D'ici un an, les extraits seront délivrés dans des délais considérablement réduits ;
- de même, les registres d'état civil restés sur place à l'indépendance et qui n'ont donc pu être microfilmés vont être également numérisés. Lors de sa visite d'Etat, en mars dernier, le Président de la République a obtenu l'accord des autorités algériennes à ce sujet.
Dernier exemple de ce constant effort d'adaptation, l'enseignement français à l'étranger. Dans un contexte international troublé, nous avons fait le nécessaire pour assurer la continuité de l'enseignement : en Afrique d'abord avec la crise en Côte d'Ivoire, ou les événements en Centrafrique et récemment à Lomé ; en Asie ensuite où des dispositions particulières ont été prises pour les personnels et les élèves de l'AEFE, du fait de l'épidémie de SRAS ; enfin au Moyen-Orient, durant la guerre d'Irak. A chaque fois, les décisions ont été prises avec, comme souci prioritaire, la sécurité de nos enfants, en veillant également à la préservation de leurs cursus scolaires. A chaque fois, nous avons mis en place des solutions de repli, à l'étranger ou en France, avec l'appui du ministère de l'Education nationale.
S'agissant de l'avenir des missions et du réseau de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE), l'objectif doit être de l'appuyer dans sa double vocation de service public d'enseignement et d'instrument de coopération et d'influence. Son évolution passe par un assainissement de sa situation financière et un effort constant d'adaptation de son réseau. Mais au-delà, je continuerai à m'attacher à ce que, grâce à notre système de bourses, aucun enfant français ne soit écarté pour des raisons tenant à la situation financière de ses parents. Il y va de l'équité et du droit, mais aussi des intérêts de la France.
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Aujourd'hui plus que jamais, nous devons être présents dans tous les domaines :
- politique, avec la construction européenne qui doit réussir à la fois son élargissement et son approfondissement. Mais aussi avec l'explosion de nouveaux foyers de crise, sur tous les continents ;
- consulaire, avec d'un côté la maîtrise des flux migratoires, et de l'autre, des communautés françaises en pleine évolution ;
- culturel, enfin, dans un monde écartelé entre le risque d'uniformisation et les aspirations identitaires ; un monde où s'entrelace une pluralité de voix, de langues, de repères. A nous de faire partager nos valeurs et nos idéaux, de faire connaître, à travers nos centres et nos instituts culturels, nos artistes, nos écrivains et nos penseurs.
Face à toutes ces évolutions, l'impératif est bien de moderniser nos instruments. Notre réseau consulaire doit s'adapter pour viser un triple objectif. D'abord, faire face à la diversification et à l'ampleur croissante des tâches : notre pays est celui qui offre la plus large gamme de services à ses ressortissants à l'étranger. Ensuite, prendre en compte l'émergence d'une citoyenneté européenne et le rapprochement des législations des Etats membres. Enfin, mettre au point, dans l'esprit de la loi organique sur les lois de finance (LOLF), une nouvelle gestion par objectifs et indicateurs de résultats.
Dans cette perspective, il nous faudra faire un effort indispensable de rationalisation, qui passe par la simplification des procédures, par l'octroi à nos postes d'une plus grande autonomie de gestion et par l'évolution de la carte consulaire. Aujourd'hui nos postes doivent travailler en réseau ; nous devons leur en donner les moyens et jouer de toutes les possibilités de souplesse.
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En tout état de cause, la modernisation de notre réseau implique aussi la mobilisation des élus et des communautés françaises. Dans tous les domaines de l'action consulaire qui ne relèvent pas des missions régaliennes de l'Etat - aide sociale, secours, formation professionnelle et emploi - il m'apparaît essentiel d'accroître votre rôle et de responsabiliser davantage les postes en leur accordant une plus large autonomie.
C'est le sens des premières mesures prises pour la réforme de votre Conseil sur proposition de sa commission temporaire. Le CSFE doit adapter son mode de fonctionnement et ses pouvoirs aux enjeux d'aujourd'hui. Vous avez engagé, dans un cadre consensuel, une réflexion visant à améliorer les modalités de fonctionnement du Conseil et je vous en félicite. Des premiers textes d'application viennent d'être publiés. Votre président et votre rapporteur soumettront dans les prochains jours les autres résultats de ces travaux.
Les attributions des délégués en matière d'action sociale et éducative doivent être renforcées, notamment pour l'accès à l'enseignement français, l'accompagnement de l'expatriation, la recherche de stages ou d'emplois. En liaison avec nos consulats, ils doivent contribuer à mobiliser les communautés françaises, avec l'appui de tous les partenaires concernés, des chambres de commerce aux établissements et sociétés de bienfaisance.
Une expérience pilote sera conduite en ce sens en 2004 dans quelques postes. Des comités de gestion consulaires se substitueront aux structures existantes : comités consulaires pour l'action et la protection sociales, commissions locales des bourses et comités pour l'emploi et la formation professionnelle. Ils décideront des actions à entreprendre au bénéfice des Français notamment en matière d'action sociale, d'octroi de bourses scolaires, ou d'accompagnement des projets d'expatriation.
Enfin, la modernisation exige de faire de la qualité du service une véritable priorité, comme l'a rappelé le Premier ministre. La DFAE va engager une action en ce sens pour améliorer le réseau consulaire et les services qu'il fournit. Cette démarche, exigeante et difficile, visera à mettre en place de nouveaux modes de travail et un système d'évaluation des résultats. Tous les agents des postes seront impliqués dans cet effort et vous y serez partie prenante. Vos remarques et vos propositions seront essentielles pour la réussite de cette démarche.
Vous le savez, l'Europe est au coeur de notre avenir et notre réseau doit maintenant se mettre à l'heure de l'identité européenne. Notre objectif est de façonner progressivement une citoyenneté européenne. Cette perspective nous incite à faire preuve d'imagination. Il faut concevoir de nouveaux modèles, de nouvelles procédures, un nouveau droit compatible avec celui de nos partenaires.
D'abord, le rôle de nos consulats en Europe va évoluer. Leurs fonctions politique, culturelle et économique devront se renforcer pour en faire des relais de l'action de nos ambassades. A l'inverse, lorsque interviendra la reconnaissance mutuelle des actes juridiques établis en Europe, nos compatriotes pourront s'adresser aux administrations locales, et non plus à leurs consulats, pour certains services administratifs.
Ensuite, la construction européenne implique également d'adapter notre réseau consulaire hors d'Europe. Nous serons appelés à recourir davantage à une représentation croisée entre Etats européens. De même, faudra-t-il maintenir, dans une même région du monde, plusieurs postes consulaires européens, lorsque l'importance des communautés ne le justifie pas ?
Enfin, l'Europe doit devenir plus active et plus présente auprès de ses ressortissants. Ensemble, nous devons faire plus pour la sécurité de tous les citoyens européens. La crise ivoirienne et les opérations militaires en Irak ont incité plusieurs de nos partenaires de l'Union à se tourner vers nos ambassades et nos consulats pour que la France veille à la sécurité de leurs ressortissants et assure leur évacuation en cas de besoin. Face à de telles situations, il faut plus de coopération entre les membres de l'Europe. Cette solidarité à l'étranger marquera le début d'une conscience et d'une identité proprement européennes.
Commençons par identifier, sur chaque continent, quelques postes pilotes pour la protection des ressortissants des pays de l'Union qui ne disposent pas, localement, de représentation diplomatique et consulaire. A cet égard, l'Iran et le Nicaragua ont déjà été retenus à ce titre pour une coopération plus étroite entre la France et l'Allemagne.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Ensemble nous parviendrons à faire évoluer notre dispositif et à le porter à la hauteur des attentes de ceux qui, parmi nous, ont décidé de vivre à l'étranger. Votre responsabilité, en tant qu'élus, est décisive à l'heure où le monde appelle à la mobilisation de tous et à la solidarité face à des menaces sans précédent.
Nos compatriotes à l'étranger jouent un rôle essentiel pour porter les intérêts et les valeurs de la France. Notre devoir est de leur apporter un soutien résolu et permanent. C'est la volonté du gouvernement et c'est l'engagement que je renouvelle aujourd'hui devant vous.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 03 septembre 2003)