Texte intégral
Déclaration devant la Ligue européenne de coopération économique :
Monsieur le Ministre, Cher Dick,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui à La Haye, à l'occasion de cette conférence organisée par l'institut Cligendael et l'IFRI, et consacrée à la très prochaine présidence française de l'Union européenne.
Je remercie Alfred Von Staden, directeur de l'institut Cligendael, ainsi que les responsables de l'IFRI, d'avoir pris une telle initiative et de m'avoir convié à m'exprimer à la veille de ce moment important - et juste au lendemain du Conseil européen de Feira - en compagnie de mon homologue, mon ami Dick Benshop.
1/ Le contexte dans lequel va s'inscrire la présidence française
Dans dix jours, donc, la France va assurer la présidence de l'Union. Nous le savons tous, une présidence est très brève et elle s'inscrit, de ce fait, avant tout, dans une continuité. Mais elle est également une réelle opportunité d'inspirer des évolutions, des tournants, d'aider à franchir ensemble des obstacles.
Notre présidence se situe dans un contexte politique et institutionnel bien particulier. Cinquante ans après la Déclaration Schuman et le début de l'aventure européenne, à laquelle la France et les Pays-Bas participent depuis l'origine, l'Union apparaît à un tournant.
D'un côté, de grandes réalisations ont été accomplies. La mise en place de la monnaie unique représente une évolution décisive pour l'Europe. Les politiques communautaires, certes imparfaites, ont permis des progrès économiques et sociaux considérables dans nos différents pays. Après plus de vingt années de crise, la croissance est, enfin, de retour.
Pourtant, inutile de le cacher, l'Europe s'interroge : et maintenant, quelle Europe voulons-nous, pour quoi faire ?
Les explications à ce scepticisme européen, au vrai sens du terme, sont multiples et nous les connaissons tous :
Il y a tout d'abord la rançon du succès de la méthode communautaire initiée voici cinquante ans. La volonté d'avancer pas à pas, par des réalisations concrètes, vers la "solidarité de fait" qu'appelait de ses vux la Déclaration Schuman, a permis de bâtir l'Europe d'aujourd'hui. Mais son souci délibéré de ne pas inscrire, a priori, ces réalisations dans un grand cadre conceptualisé a eu l'inconvénient de donner parfois le sentiment d'avancer à court terme, sans idée précise de l'objectif à atteindre.
Deux autres éléments interviennent dans ce climat complexe de l'Europe d'aujourd'hui. Le premier est évidemment, nous ne devons pas nous en cacher, l'usure du système institutionnel communautaire, qui ne permet pas à l'Union de fonctionner de manière aussi efficace, transparente et démocratique que nous le souhaiterions. Il existe, chez les Européens, un grand besoin, largement insatisfait, de gouvernance au plan européen.
Ce besoin devient crucial si on le rapproche du dernier élément que je veux évoquer, et qui est, bien sûr, la perspective historique de l'élargissement de l'Europe. Il est clair que cette vision d'une Europe dont le nombre d'Etats membres pourrait plus que doubler en quelques décennies attise les incertitudes de beaucoup. Elle nous oblige à aborder de front les questions essentielles sur le fonctionnement et la raison d'être de la construction européenne.
Nous n'avons pas la prétention - il parait que c'est un défaut parfois reproché, a priori, aux Français - de tracer, en six mois, l'ensemble des perspectives de l'Europe des prochaines décennies. Mais nous souhaitons au moins aider à indiquer quelques pistes, autour des valeurs et des principes qui nous sont chers, du modèle politique et culturel qui fonde notre identité.
2/ Les trois priorités de la présidence française
a) Notre première responsabilité sera d'aider à franchir un pas décisif dans la marche vers la grande Europe politique de demain.
Ceci me conduit à évoquer, en premier lieu, l'indispensable réforme des institutions de l'Union. Notre volonté est double : réussir une bonne réforme, ne pas retarder l'élargissement par un échec.
Vous savez tous que nous devons régler en premier lieu les trois questions centrales non résolues à Amsterdam en 1997 : limiter la taille de la Commission, afin qu'elle soit mieux en mesure d'exercer effectivement son rôle d'impulsion ; généraliser le recours au vote à la majorité qualifiée, à quelques exceptions près, pour éviter la paralysie ; rendre plus fidèle aux réalités le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union.
Nous devons également améliorer le mécanisme des coopérations renforcées, qui est destiné à permettre à quelques Etats d'aller plus vite et plus loin, dans certains domaines bien déterminés, et dont le premier exemple a été mis en place dès 1992, avec l'Union économique et monétaire.
Il faut donc, à l'occasion de la CIG - et ce point a été également approuvé à Feira - faciliter le recours aux coopérations renforcées et leur mode de fonctionnement, afin de disposer d'un instrument opérationnel, permettant donc à une avant-garde de progresser dans l'intégration, d'ouvrir le chemin, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.
Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans le détail des négociations de la CIG, sur lesquelles les chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le point à Feira. Elles progressent bien et nous savons pouvoir compter, notamment, sur la volonté d'aboutir des autorités néerlandaises, comme Dick Benshop l'a indiqué dans son très intéressant article, paru la semaine dernière, dans Le Figaro.
J'insiste sur le fait que, si nous parvenons à une bonne réforme sur les points que j'ai évoqués, nous aurons conduit la réforme la plus profonde des institutions européennes depuis 1957, dans le sens de la souplesse et de l'efficacité. Cela sera la meilleure réponse à ceux qui ont pu, au départ, critiquer le manque d'ambition présumé des gouvernements européens.
Cela ne signifie évidemment pas que nous aurons épuisé le sujet. Tout d'abord, parce que des réformes pratiques, ne nécessitant pas de changer les Traités, peuvent être engagées très rapidement pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Je pense notamment au fonctionnement du Conseil des ministres. Un premier pas a été franchi avec le regroupement de certaines formations du Conseil, pour en limiter le nombre excessif. Une autre étape devrait être l'amélioration du fonctionnement du Conseil Affaires générales, qui a perdu, avec le temps, sa capacité de remplir son rôle de coordination et de préparation des travaux du Conseil européen. Il y a aussi, bien sûr, les réformes internes à la Commission, pour en améliorer la gestion, redéfinir ses missions. Ce travail est en cours. Il doit se poursuivre.
Ensuite, il nous restera, bien sûr, à entamer la réflexion sur les Institutions de l'Europe de 2020, qui comptera peut-être plus de trente membres. Ce travail nécessaire doit s'engager - et Joschka Fischer vient d'y apporter une contribution éclairante et stimulante -, mais il se place à un autre horizon. J'espère d'ailleurs que Français et Néerlandais pourront, ensemble, y contribuer activement.
Pour l'heure, notre devoir est bien de parvenir à une bonne réforme rendant possible, sans la retarder, l'intégration des actuels candidats. Je sais que telle est aussi la perception du gouvernement de La Haye.
Vous le savez, la France est totalement engagée dans la réussite de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. L'adhésion de nos amis d'Europe centrale, orientale et méridionale sera une chance pour le Continent. Elle nous permettra d'accomplir réellement le rêve d'une Europe démocratique et en paix. Comme l'a très bien dit Dick Benshop, dans sa tribune, "élargir l'Union est une nécessité".
La présidence française veillera à maintenir la dynamique du processus d'élargissement avec l'ensemble des candidats. Il s'agira de poursuivre et d'intensifier le rythme des négociations avec l'ensemble des douze candidats, en n'écartant aucun domaine, même les plus délicats.
Nous nous attacherons également à renforcer la place de la Conférence européenne, au travers des réunions que nous organiserons au second semestre, et, notamment, lors du Conseil européen de Nice en décembre.
Un mot, également, sur la perspective historique que nous avons ouverte depuis maintenant près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense, dont l'architecture a été dessinée lors du Conseil européen d'Helsinki l'année dernière et vient d'être affinée à Feira, et que nous espérons concrétiser au second semestre, sous notre présidence.
Nous voulons préparer activement le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense, renforcer les capacités militaires, en concrétisant, par des engagements nationaux, les objectifs définis à Helsinki et poursuivre les travaux sur le renforcement des instruments civils de gestion des crises. L'Europe pourra ainsi, demain, jouer son rôle dans le maintien de la paix, sur notre continent et ailleurs dans le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un heureux présage.
b) Le deuxième champ dans lequel doit porter notre effort, est bien sûr l'Europe de la croissance et de l'emploi
Cette préoccupation, que partagent les autorités néerlandaises, est au cur de notre politique européenne depuis 1997. La conjugaison de nos efforts nous a permis de parvenir, lors des Conseils européens de Lisbonne puis de Feira, grâce au travail très efficace de nos amis portugais, à la définition d'un objectif stratégique, qui fait écho à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie et, pour y parvenir, la volonté de consolider en Europe une croissance à hauteur de 3% en moyenne dans les années à venir.
Nos efforts doivent d'abord porter sur le renforcement du pôle économique européen, dans la ligne des efforts menés depuis 1997. Aux côtés de la Banque centrale européenne, dont le rôle est indispensable pour garantir la stabilité de la monnaie et des prix, nous avons l'Euro-11 - qui sera bientôt l'Euro-12, avec l'arrivée de la Grèce -. Il joue un rôle positif. Mais nous pouvons encore le renforcer et lui permettre de donner plus d'autorité et de visibilité à la politique économique des pays membres de la zone euro.
Nous voulons ensuite affirmer, lors de notre présidence, notre conviction que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. Notre détermination sera donc entière pour que "l'Agenda social", dont l'adoption est prévue d'ici la fin de l'année, soit le plus ambitieux possible, et qu'il contribue à renforcer l'ensemble des composantes du modèle social européen : une protection élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'exclusion.
Nous devons également donner toutes ses chances à l'Europe dans la nouvelle économie. Nous privilégierons ainsi l'accès de tous à la société de l'information. A cet égard, il nous faudra viser à exploiter, et sans faire de nouveaux exclus, les gisements d'emplois offerts par les services issus de l'Internet et à préciser le cadre européen, juridique et fiscal, du commerce électronique.
Une autre dimension majeure pour nous, et qui illustre notre vision d'une Europe capable de répondre aux besoins profonds de nos sociétés, sera le lancement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la recherche. L'Europe dispose dans ces domaines d'atouts essentiels. Mais nous devons encore progresser - c'est une certitude - dans les échanges et dans la confrontation des pratiques, des idées et des techniques. C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir un programme de travail permettant de lever, dans un délai rapproché, les nombreux obstacles qui s'opposent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs à travers les continents.
c) Enfin, notre troisième axe d'action portera sur l'Europe des citoyens, une Europe qui retrouve tout son sens, à la fois en réaffirmant les valeurs communes qui la fondent et en répondant concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Nous devons donc tout d'abord réaffirmer les valeurs communes sur lesquelles se fonde le projet européen. La perspective d'une Europe plus hétérogène doit nous conduire à préserver l'unité de l'ambition commune : c'est dans cet esprit que nous entendons faire aboutir le projet de Charte des droits fondamentaux.
Cette Charte devra, à la fois, confirmer les droits civiques et politiques qui fondent nos démocraties européennes et renforcer les droits sociaux, qu'il s'agisse du droit à l'emploi, à la protection sociale ou encore au logement.
C'est dans le même esprit que nous aborderons la question des relations avec le gouvernement autrichien. Je n'ai pas besoin d'insister, devant vous, sur la gravité de la présence, en Europe, d'un gouvernement de coalition comprenant un parti d'extrême-droite, haineux, xénophobe, intolérant, aux antipodes des valeurs qui sont le fondement de la démocratie.
Nous poursuivrons intégralement la politique de sanctions décidées à quatorze et vous pouvez compter sur les Autorités françaises, le président de la République comme le Premier ministre et son gouvernement, pour ne faire montre d'aucune complaisance vis-à-vis du gouvernement autrichien. Il en va de la cohérence de notre message politique et de notre vision de l'Europe. De ce point de vue, je me réjouis de la cohésion et de la fermeté manifestée par les Quatorze à Feira.
Notre volonté sera ensuite de faire que l'Europe puisse mieux répondre aux besoins concrets des Européens, dans leur vie de tous les jours, afin de contrecarrer la vision stéréotypée d'une Europe seulement préoccupée des grands flux commerciaux et financiers et synonymes, pour chacun, de réglementations abusives ou inadaptées.
Je me contenterai de citer rapidement quelques-uns uns de ces dossiers :
. D'abord, bien sûr, la santé et la protection des consommateurs, dont je sais également l'importance aux Pays-Bas. Je souhaite que nous nous donnions pour objectif de jeter les bases d'une "autorité alimentaire européenne indépendante", telle que la Commission européenne l'a préconisée dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments.
. Ensuite, la sécurité dans les transports, à laquelle nous a rendu encore plus sensible le naufrage du navire Erika, qui a frappé les côtes françaises en décembre dernier : notre présidence devrait permettre l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures sur l'amélioration de la sécurité du transport maritime.
. J'évoquerai également le sport - cette journée s'y prête - pour lequel la dimension européenne doit représenter un "plus" en matière de lutte contre le dopage, contre le hooliganisme et aussi, plus généralement, pour mieux préserver la fonction sociale et éducative éminente du sport, face aux dérives de la commercialisation excessive.
Toutes ces orientations seront de nature à renforcer la crédibilité de l'action européenne auprès de nos concitoyens, de faire naître une confiance nouvelle à l'égard de l'Europe.
On le voit, l'agenda sera chargé, et le moment sera bref. Pour accomplir cette tâche avec sérieux, pour contribuer à faire avancer l'Europe, la présidence française devra être tout sauf un exercice solitaire. Elle s'appuiera, au contraire, sur un effort de concertation permanent avec l'ensemble de ses partenaires.
Dans ce contexte, j'attache personnellement la plus grande importance au travail mené avec le gouvernement néerlandais de Wim Kok. Je crois pouvoir dire que nous avons su, depuis maintenant trois ans, établir une excellente relation de travail, faite de confiance et de proximité, qui permet à nos deux pays de maintenir une concertation étroite sur l'ensemble des dossiers européens. Je suis convaincu que cette entente franco-néerlandaise va se renforcer encore pendant notre présidence et qu'elle sera particulièrement utile, à commencer par les contacts très fréquents et fructueux entre Dick Benshop et moi-même.
Et que tout le monde se rassure : cette entente ne sera pas mise à mal par la confrontation qui va opposer nos deux équipes de football, dans quelques heures à Amsterdam ! Nous allons d'ailleurs nous y rendre ensemble, avec Dick, pour bien montrer la force de notre amitié, en espérant d'ailleurs que nos deux pays se retrouveront en finale le 2 juillet. Ce sera une belle façon de fêter le début de la présidence française !
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2000)
Déclaration devant l'Institut Cligendael :
Monsieur le Ministre, Cher Dick,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui à La Haye, à l'occasion de cette conférence organisée par l'institut Cligendael et l'IFRI, et consacrée à la très prochaine présidence française de l'Union européenne.
Je remercie Alfred Von Staden, directeur de l'institut Cligendael, ainsi que les responsables de l'IFRI, d'avoir pris une telle initiative et de m'avoir convié à m'exprimer à la veille de ce moment important - et juste au lendemain du Conseil européen de Feira - en compagnie de mon homologue, mon ami Dick Benshop.
1/ Le contexte dans lequel va s'inscrire la présidence française
Dans dix jours, donc, la France va assurer la présidence de l'Union. Nous le savons tous, une présidence est très brève et elle s'inscrit, de ce fait, avant tout, dans une continuité. Mais elle est également une réelle opportunité d'inspirer des évolutions, des tournants, d'aider à franchir ensemble des obstacles.
Notre présidence se situe dans un contexte politique et institutionnel bien particulier. Cinquante ans après la Déclaration Schuman et le début de l'aventure européenne, à laquelle la France et les Pays-Bas participent depuis l'origine, l'Union apparaît à un tournant.
D'un côté, de grandes réalisations ont été accomplies. La mise en place de la monnaie unique représente une évolution décisive pour l'Europe. Les politiques communautaires, certes imparfaites, ont permis des progrès économiques et sociaux considérables dans nos différents pays. Après plus de vingt années de crise, la croissance est, enfin, de retour.
Pourtant, inutile de le cacher, l'Europe s'interroge : et maintenant, quelle Europe voulons-nous, pour quoi faire ?
Les explications à ce scepticisme européen, au vrai sens du terme, sont multiples et nous les connaissons tous :
Il y a tout d'abord la rançon du succès de la méthode communautaire initiée voici cinquante ans. La volonté d'avancer pas à pas, par des réalisations concrètes, vers la "solidarité de fait" qu'appelait de ses vux la Déclaration Schuman, a permis de bâtir l'Europe d'aujourd'hui. Mais son souci délibéré de ne pas inscrire, a priori, ces réalisations dans un grand cadre conceptualisé a eu l'inconvénient de donner parfois le sentiment d'avancer à court terme, sans idée précise de l'objectif à atteindre.
Deux autres éléments interviennent dans ce climat complexe de l'Europe d'aujourd'hui. Le premier est évidemment, nous ne devons pas nous en cacher, l'usure du système institutionnel communautaire, qui ne permet pas à l'Union de fonctionner de manière aussi efficace, transparente et démocratique que nous le souhaiterions. Il existe, chez les Européens, un grand besoin, largement insatisfait, de gouvernance au plan européen.
Ce besoin devient crucial si on le rapproche du dernier élément que je veux évoquer, et qui est, bien sûr, la perspective historique de l'élargissement de l'Europe. Il est clair que cette vision d'une Europe dont le nombre d'Etats membres pourrait plus que doubler en quelques décennies attise les incertitudes de beaucoup. Elle nous oblige à aborder de front les questions essentielles sur le fonctionnement et la raison d'être de la construction européenne.
Nous n'avons pas la prétention - il parait que c'est un défaut parfois reproché, a priori, aux Français - de tracer, en six mois, l'ensemble des perspectives de l'Europe des prochaines décennies. Mais nous souhaitons au moins aider à indiquer quelques pistes, autour des valeurs et des principes qui nous sont chers, du modèle politique et culturel qui fonde notre identité.
2/ Les trois priorités de la présidence française
a) Notre première responsabilité sera d'aider à franchir un pas décisif dans la marche vers la grande Europe politique de demain.
Ceci me conduit à évoquer, en premier lieu, l'indispensable réforme des institutions de l'Union. Notre volonté est double : réussir une bonne réforme, ne pas retarder l'élargissement par un échec.
Vous savez tous que nous devons régler en premier lieu les trois questions centrales non résolues à Amsterdam en 1997 : limiter la taille de la Commission, afin qu'elle soit mieux en mesure d'exercer effectivement son rôle d'impulsion ; généraliser le recours au vote à la majorité qualifiée, à quelques exceptions près, pour éviter la paralysie ; rendre plus fidèle aux réalités le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union.
Nous devons également améliorer le mécanisme des coopérations renforcées, qui est destiné à permettre à quelques Etats d'aller plus vite et plus loin, dans certains domaines bien déterminés, et dont le premier exemple a été mis en place dès 1992, avec l'Union économique et monétaire.
Il faut donc, à l'occasion de la CIG - et ce point a été également approuvé à Feira - faciliter le recours aux coopérations renforcées et leur mode de fonctionnement, afin de disposer d'un instrument opérationnel, permettant donc à une avant-garde de progresser dans l'intégration, d'ouvrir le chemin, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.
Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans le détail des négociations de la CIG, sur lesquelles les chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le point à Feira. Elles progressent bien et nous savons pouvoir compter, notamment, sur la volonté d'aboutir des autorités néerlandaises, comme Dick Benshop l'a indiqué dans son très intéressant article, paru la semaine dernière, dans Le Figaro.
J'insiste sur le fait que, si nous parvenons à une bonne réforme sur les points que j'ai évoqués, nous aurons conduit la réforme la plus profonde des institutions européennes depuis 1957, dans le sens de la souplesse et de l'efficacité. Cela sera la meilleure réponse à ceux qui ont pu, au départ, critiquer le manque d'ambition présumé des gouvernements européens.
Cela ne signifie évidemment pas que nous aurons épuisé le sujet. Tout d'abord, parce que des réformes pratiques, ne nécessitant pas de changer les Traités, peuvent être engagées très rapidement pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Je pense notamment au fonctionnement du Conseil des ministres. Un premier pas a été franchi avec le regroupement de certaines formations du Conseil, pour en limiter le nombre excessif. Une autre étape devrait être l'amélioration du fonctionnement du Conseil Affaires générales, qui a perdu, avec le temps, sa capacité de remplir son rôle de coordination et de préparation des travaux du Conseil européen. Il y a aussi, bien sûr, les réformes internes à la Commission, pour en améliorer la gestion, redéfinir ses missions. Ce travail est en cours. Il doit se poursuivre.
Ensuite, il nous restera, bien sûr, à entamer la réflexion sur les Institutions de l'Europe de 2020, qui comptera peut-être plus de trente membres. Ce travail nécessaire doit s'engager - et Joschka Fischer vient d'y apporter une contribution éclairante et stimulante -, mais il se place à un autre horizon. J'espère d'ailleurs que Français et Néerlandais pourront, ensemble, y contribuer activement.
Pour l'heure, notre devoir est bien de parvenir à une bonne réforme rendant possible, sans la retarder, l'intégration des actuels candidats. Je sais que telle est aussi la perception du gouvernement de La Haye.
Vous le savez, la France est totalement engagée dans la réussite de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. L'adhésion de nos amis d'Europe centrale, orientale et méridionale sera une chance pour le Continent. Elle nous permettra d'accomplir réellement le rêve d'une Europe démocratique et en paix. Comme l'a très bien dit Dick Benshop, dans sa tribune, "élargir l'Union est une nécessité".
La présidence française veillera à maintenir la dynamique du processus d'élargissement avec l'ensemble des candidats. Il s'agira de poursuivre et d'intensifier le rythme des négociations avec l'ensemble des douze candidats, en n'écartant aucun domaine, même les plus délicats.
Nous nous attacherons également à renforcer la place de la Conférence européenne, au travers des réunions que nous organiserons au second semestre, et, notamment, lors du Conseil européen de Nice en décembre.
Un mot, également, sur la perspective historique que nous avons ouverte depuis maintenant près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense, dont l'architecture a été dessinée lors du Conseil européen d'Helsinki l'année dernière et vient d'être affinée à Feira, et que nous espérons concrétiser au second semestre, sous notre présidence.
Nous voulons préparer activement le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense, renforcer les capacités militaires, en concrétisant, par des engagements nationaux, les objectifs définis à Helsinki et poursuivre les travaux sur le renforcement des instruments civils de gestion des crises. L'Europe pourra ainsi, demain, jouer son rôle dans le maintien de la paix, sur notre continent et ailleurs dans le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un heureux présage.
b) Le deuxième champ dans lequel doit porter notre effort, est bien sûr l'Europe de la croissance et de l'emploi
Cette préoccupation, que partagent les autorités néerlandaises, est au cur de notre politique européenne depuis 1997. La conjugaison de nos efforts nous a permis de parvenir, lors des Conseils européens de Lisbonne puis de Feira, grâce au travail très efficace de nos amis portugais, à la définition d'un objectif stratégique, qui fait écho à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie et, pour y parvenir, la volonté de consolider en Europe une croissance à hauteur de 3% en moyenne dans les années à venir.
Nos efforts doivent d'abord porter sur le renforcement du pôle économique européen, dans la ligne des efforts menés depuis 1997. Aux côtés de la Banque centrale européenne, dont le rôle est indispensable pour garantir la stabilité de la monnaie et des prix, nous avons l'Euro-11 - qui sera bientôt l'Euro-12, avec l'arrivée de la Grèce -. Il joue un rôle positif. Mais nous pouvons encore le renforcer et lui permettre de donner plus d'autorité et de visibilité à la politique économique des pays membres de la zone euro.
Nous voulons ensuite affirmer, lors de notre présidence, notre conviction que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. Notre détermination sera donc entière pour que "l'Agenda social", dont l'adoption est prévue d'ici la fin de l'année, soit le plus ambitieux possible, et qu'il contribue à renforcer l'ensemble des composantes du modèle social européen : une protection élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'exclusion.
Nous devons également donner toutes ses chances à l'Europe dans la nouvelle économie. Nous privilégierons ainsi l'accès de tous à la société de l'information. A cet égard, il nous faudra viser à exploiter, et sans faire de nouveaux exclus, les gisements d'emplois offerts par les services issus de l'Internet et à préciser le cadre européen, juridique et fiscal, du commerce électronique.
Une autre dimension majeure pour nous, et qui illustre notre vision d'une Europe capable de répondre aux besoins profonds de nos sociétés, sera le lancement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la recherche. L'Europe dispose dans ces domaines d'atouts essentiels. Mais nous devons encore progresser - c'est une certitude - dans les échanges et dans la confrontation des pratiques, des idées et des techniques. C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir un programme de travail permettant de lever, dans un délai rapproché, les nombreux obstacles qui s'opposent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs à travers les continents.
c) Enfin, notre troisième axe d'action portera sur l'Europe des citoyens, une Europe qui retrouve tout son sens, à la fois en réaffirmant les valeurs communes qui la fondent et en répondant concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Nous devons donc tout d'abord réaffirmer les valeurs communes sur lesquelles se fonde le projet européen. La perspective d'une Europe plus hétérogène doit nous conduire à préserver l'unité de l'ambition commune : c'est dans cet esprit que nous entendons faire aboutir le projet de Charte des droits fondamentaux.
Cette Charte devra, à la fois, confirmer les droits civiques et politiques qui fondent nos démocraties européennes et renforcer les droits sociaux, qu'il s'agisse du droit à l'emploi, à la protection sociale ou encore au logement.
C'est dans le même esprit que nous aborderons la question des relations avec le gouvernement autrichien. Je n'ai pas besoin d'insister, devant vous, sur la gravité de la présence, en Europe, d'un gouvernement de coalition comprenant un parti d'extrême-droite, haineux, xénophobe, intolérant, aux antipodes des valeurs qui sont le fondement de la démocratie.
Nous poursuivrons intégralement la politique de sanctions décidées à quatorze et vous pouvez compter sur les Autorités françaises, le président de la République comme le Premier ministre et son gouvernement, pour ne faire montre d'aucune complaisance vis-à-vis du gouvernement autrichien. Il en va de la cohérence de notre message politique et de notre vision de l'Europe. De ce point de vue, je me réjouis de la cohésion et de la fermeté manifestée par les Quatorze à Feira.
Notre volonté sera ensuite de faire que l'Europe puisse mieux répondre aux besoins concrets des Européens, dans leur vie de tous les jours, afin de contrecarrer la vision stéréotypée d'une Europe seulement préoccupée des grands flux commerciaux et financiers et synonymes, pour chacun, de réglementations abusives ou inadaptées.
Je me contenterai de citer rapidement quelques-uns uns de ces dossiers :
. D'abord, bien sûr, la santé et la protection des consommateurs, dont je sais également l'importance aux Pays-Bas. Je souhaite que nous nous donnions pour objectif de jeter les bases d'une "autorité alimentaire européenne indépendante", telle que la Commission européenne l'a préconisée dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments.
. Ensuite, la sécurité dans les transports, à laquelle nous a rendu encore plus sensible le naufrage du navire Erika, qui a frappé les côtes françaises en décembre dernier : notre présidence devrait permettre l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures sur l'amélioration de la sécurité du transport maritime.
. J'évoquerai également le sport - cette journée s'y prête - pour lequel la dimension européenne doit représenter un "plus" en matière de lutte contre le dopage, contre le hooliganisme et aussi, plus généralement, pour mieux préserver la fonction sociale et éducative éminente du sport, face aux dérives de la commercialisation excessive.
Toutes ces orientations seront de nature à renforcer la crédibilité de l'action européenne auprès de nos concitoyens, de faire naître une confiance nouvelle à l'égard de l'Europe.
On le voit, l'agenda sera chargé, et le moment sera bref. Pour accomplir cette tâche avec sérieux, pour contribuer à faire avancer l'Europe, la présidence française devra être tout sauf un exercice solitaire. Elle s'appuiera, au contraire, sur un effort de concertation permanent avec l'ensemble de ses partenaires.
Dans ce contexte, j'attache personnellement la plus grande importance au travail mené avec le gouvernement néerlandais de Wim Kok. Je crois pouvoir dire que nous avons su, depuis maintenant trois ans, établir une excellente relation de travail, faite de confiance et de proximité, qui permet à nos deux pays de maintenir une concertation étroite sur l'ensemble des dossiers européens. Je suis convaincu que cette entente franco-néerlandaise va se renforcer encore pendant notre présidence et qu'elle sera particulièrement utile, à commencer par les contacts très fréquents et fructueux entre Dick Benshop et moi-même.
Et que tout le monde se rassure : cette entente ne sera pas mise à mal par la confrontation qui va opposer nos deux équipes de football, dans quelques heures à Amsterdam ! Nous allons d'ailleurs nous y rendre ensemble, avec Dick, pour bien montrer la force de notre amitié, en espérant d'ailleurs que nos deux pays se retrouveront en finale le 2 juillet. Ce sera une belle façon de fêter le début de la présidence française !
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2000)
Monsieur le Ministre, Cher Dick,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui à La Haye, à l'occasion de cette conférence organisée par l'institut Cligendael et l'IFRI, et consacrée à la très prochaine présidence française de l'Union européenne.
Je remercie Alfred Von Staden, directeur de l'institut Cligendael, ainsi que les responsables de l'IFRI, d'avoir pris une telle initiative et de m'avoir convié à m'exprimer à la veille de ce moment important - et juste au lendemain du Conseil européen de Feira - en compagnie de mon homologue, mon ami Dick Benshop.
1/ Le contexte dans lequel va s'inscrire la présidence française
Dans dix jours, donc, la France va assurer la présidence de l'Union. Nous le savons tous, une présidence est très brève et elle s'inscrit, de ce fait, avant tout, dans une continuité. Mais elle est également une réelle opportunité d'inspirer des évolutions, des tournants, d'aider à franchir ensemble des obstacles.
Notre présidence se situe dans un contexte politique et institutionnel bien particulier. Cinquante ans après la Déclaration Schuman et le début de l'aventure européenne, à laquelle la France et les Pays-Bas participent depuis l'origine, l'Union apparaît à un tournant.
D'un côté, de grandes réalisations ont été accomplies. La mise en place de la monnaie unique représente une évolution décisive pour l'Europe. Les politiques communautaires, certes imparfaites, ont permis des progrès économiques et sociaux considérables dans nos différents pays. Après plus de vingt années de crise, la croissance est, enfin, de retour.
Pourtant, inutile de le cacher, l'Europe s'interroge : et maintenant, quelle Europe voulons-nous, pour quoi faire ?
Les explications à ce scepticisme européen, au vrai sens du terme, sont multiples et nous les connaissons tous :
Il y a tout d'abord la rançon du succès de la méthode communautaire initiée voici cinquante ans. La volonté d'avancer pas à pas, par des réalisations concrètes, vers la "solidarité de fait" qu'appelait de ses vux la Déclaration Schuman, a permis de bâtir l'Europe d'aujourd'hui. Mais son souci délibéré de ne pas inscrire, a priori, ces réalisations dans un grand cadre conceptualisé a eu l'inconvénient de donner parfois le sentiment d'avancer à court terme, sans idée précise de l'objectif à atteindre.
Deux autres éléments interviennent dans ce climat complexe de l'Europe d'aujourd'hui. Le premier est évidemment, nous ne devons pas nous en cacher, l'usure du système institutionnel communautaire, qui ne permet pas à l'Union de fonctionner de manière aussi efficace, transparente et démocratique que nous le souhaiterions. Il existe, chez les Européens, un grand besoin, largement insatisfait, de gouvernance au plan européen.
Ce besoin devient crucial si on le rapproche du dernier élément que je veux évoquer, et qui est, bien sûr, la perspective historique de l'élargissement de l'Europe. Il est clair que cette vision d'une Europe dont le nombre d'Etats membres pourrait plus que doubler en quelques décennies attise les incertitudes de beaucoup. Elle nous oblige à aborder de front les questions essentielles sur le fonctionnement et la raison d'être de la construction européenne.
Nous n'avons pas la prétention - il parait que c'est un défaut parfois reproché, a priori, aux Français - de tracer, en six mois, l'ensemble des perspectives de l'Europe des prochaines décennies. Mais nous souhaitons au moins aider à indiquer quelques pistes, autour des valeurs et des principes qui nous sont chers, du modèle politique et culturel qui fonde notre identité.
2/ Les trois priorités de la présidence française
a) Notre première responsabilité sera d'aider à franchir un pas décisif dans la marche vers la grande Europe politique de demain.
Ceci me conduit à évoquer, en premier lieu, l'indispensable réforme des institutions de l'Union. Notre volonté est double : réussir une bonne réforme, ne pas retarder l'élargissement par un échec.
Vous savez tous que nous devons régler en premier lieu les trois questions centrales non résolues à Amsterdam en 1997 : limiter la taille de la Commission, afin qu'elle soit mieux en mesure d'exercer effectivement son rôle d'impulsion ; généraliser le recours au vote à la majorité qualifiée, à quelques exceptions près, pour éviter la paralysie ; rendre plus fidèle aux réalités le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union.
Nous devons également améliorer le mécanisme des coopérations renforcées, qui est destiné à permettre à quelques Etats d'aller plus vite et plus loin, dans certains domaines bien déterminés, et dont le premier exemple a été mis en place dès 1992, avec l'Union économique et monétaire.
Il faut donc, à l'occasion de la CIG - et ce point a été également approuvé à Feira - faciliter le recours aux coopérations renforcées et leur mode de fonctionnement, afin de disposer d'un instrument opérationnel, permettant donc à une avant-garde de progresser dans l'intégration, d'ouvrir le chemin, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.
Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans le détail des négociations de la CIG, sur lesquelles les chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le point à Feira. Elles progressent bien et nous savons pouvoir compter, notamment, sur la volonté d'aboutir des autorités néerlandaises, comme Dick Benshop l'a indiqué dans son très intéressant article, paru la semaine dernière, dans Le Figaro.
J'insiste sur le fait que, si nous parvenons à une bonne réforme sur les points que j'ai évoqués, nous aurons conduit la réforme la plus profonde des institutions européennes depuis 1957, dans le sens de la souplesse et de l'efficacité. Cela sera la meilleure réponse à ceux qui ont pu, au départ, critiquer le manque d'ambition présumé des gouvernements européens.
Cela ne signifie évidemment pas que nous aurons épuisé le sujet. Tout d'abord, parce que des réformes pratiques, ne nécessitant pas de changer les Traités, peuvent être engagées très rapidement pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Je pense notamment au fonctionnement du Conseil des ministres. Un premier pas a été franchi avec le regroupement de certaines formations du Conseil, pour en limiter le nombre excessif. Une autre étape devrait être l'amélioration du fonctionnement du Conseil Affaires générales, qui a perdu, avec le temps, sa capacité de remplir son rôle de coordination et de préparation des travaux du Conseil européen. Il y a aussi, bien sûr, les réformes internes à la Commission, pour en améliorer la gestion, redéfinir ses missions. Ce travail est en cours. Il doit se poursuivre.
Ensuite, il nous restera, bien sûr, à entamer la réflexion sur les Institutions de l'Europe de 2020, qui comptera peut-être plus de trente membres. Ce travail nécessaire doit s'engager - et Joschka Fischer vient d'y apporter une contribution éclairante et stimulante -, mais il se place à un autre horizon. J'espère d'ailleurs que Français et Néerlandais pourront, ensemble, y contribuer activement.
Pour l'heure, notre devoir est bien de parvenir à une bonne réforme rendant possible, sans la retarder, l'intégration des actuels candidats. Je sais que telle est aussi la perception du gouvernement de La Haye.
Vous le savez, la France est totalement engagée dans la réussite de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. L'adhésion de nos amis d'Europe centrale, orientale et méridionale sera une chance pour le Continent. Elle nous permettra d'accomplir réellement le rêve d'une Europe démocratique et en paix. Comme l'a très bien dit Dick Benshop, dans sa tribune, "élargir l'Union est une nécessité".
La présidence française veillera à maintenir la dynamique du processus d'élargissement avec l'ensemble des candidats. Il s'agira de poursuivre et d'intensifier le rythme des négociations avec l'ensemble des douze candidats, en n'écartant aucun domaine, même les plus délicats.
Nous nous attacherons également à renforcer la place de la Conférence européenne, au travers des réunions que nous organiserons au second semestre, et, notamment, lors du Conseil européen de Nice en décembre.
Un mot, également, sur la perspective historique que nous avons ouverte depuis maintenant près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense, dont l'architecture a été dessinée lors du Conseil européen d'Helsinki l'année dernière et vient d'être affinée à Feira, et que nous espérons concrétiser au second semestre, sous notre présidence.
Nous voulons préparer activement le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense, renforcer les capacités militaires, en concrétisant, par des engagements nationaux, les objectifs définis à Helsinki et poursuivre les travaux sur le renforcement des instruments civils de gestion des crises. L'Europe pourra ainsi, demain, jouer son rôle dans le maintien de la paix, sur notre continent et ailleurs dans le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un heureux présage.
b) Le deuxième champ dans lequel doit porter notre effort, est bien sûr l'Europe de la croissance et de l'emploi
Cette préoccupation, que partagent les autorités néerlandaises, est au cur de notre politique européenne depuis 1997. La conjugaison de nos efforts nous a permis de parvenir, lors des Conseils européens de Lisbonne puis de Feira, grâce au travail très efficace de nos amis portugais, à la définition d'un objectif stratégique, qui fait écho à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie et, pour y parvenir, la volonté de consolider en Europe une croissance à hauteur de 3% en moyenne dans les années à venir.
Nos efforts doivent d'abord porter sur le renforcement du pôle économique européen, dans la ligne des efforts menés depuis 1997. Aux côtés de la Banque centrale européenne, dont le rôle est indispensable pour garantir la stabilité de la monnaie et des prix, nous avons l'Euro-11 - qui sera bientôt l'Euro-12, avec l'arrivée de la Grèce -. Il joue un rôle positif. Mais nous pouvons encore le renforcer et lui permettre de donner plus d'autorité et de visibilité à la politique économique des pays membres de la zone euro.
Nous voulons ensuite affirmer, lors de notre présidence, notre conviction que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. Notre détermination sera donc entière pour que "l'Agenda social", dont l'adoption est prévue d'ici la fin de l'année, soit le plus ambitieux possible, et qu'il contribue à renforcer l'ensemble des composantes du modèle social européen : une protection élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'exclusion.
Nous devons également donner toutes ses chances à l'Europe dans la nouvelle économie. Nous privilégierons ainsi l'accès de tous à la société de l'information. A cet égard, il nous faudra viser à exploiter, et sans faire de nouveaux exclus, les gisements d'emplois offerts par les services issus de l'Internet et à préciser le cadre européen, juridique et fiscal, du commerce électronique.
Une autre dimension majeure pour nous, et qui illustre notre vision d'une Europe capable de répondre aux besoins profonds de nos sociétés, sera le lancement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la recherche. L'Europe dispose dans ces domaines d'atouts essentiels. Mais nous devons encore progresser - c'est une certitude - dans les échanges et dans la confrontation des pratiques, des idées et des techniques. C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir un programme de travail permettant de lever, dans un délai rapproché, les nombreux obstacles qui s'opposent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs à travers les continents.
c) Enfin, notre troisième axe d'action portera sur l'Europe des citoyens, une Europe qui retrouve tout son sens, à la fois en réaffirmant les valeurs communes qui la fondent et en répondant concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Nous devons donc tout d'abord réaffirmer les valeurs communes sur lesquelles se fonde le projet européen. La perspective d'une Europe plus hétérogène doit nous conduire à préserver l'unité de l'ambition commune : c'est dans cet esprit que nous entendons faire aboutir le projet de Charte des droits fondamentaux.
Cette Charte devra, à la fois, confirmer les droits civiques et politiques qui fondent nos démocraties européennes et renforcer les droits sociaux, qu'il s'agisse du droit à l'emploi, à la protection sociale ou encore au logement.
C'est dans le même esprit que nous aborderons la question des relations avec le gouvernement autrichien. Je n'ai pas besoin d'insister, devant vous, sur la gravité de la présence, en Europe, d'un gouvernement de coalition comprenant un parti d'extrême-droite, haineux, xénophobe, intolérant, aux antipodes des valeurs qui sont le fondement de la démocratie.
Nous poursuivrons intégralement la politique de sanctions décidées à quatorze et vous pouvez compter sur les Autorités françaises, le président de la République comme le Premier ministre et son gouvernement, pour ne faire montre d'aucune complaisance vis-à-vis du gouvernement autrichien. Il en va de la cohérence de notre message politique et de notre vision de l'Europe. De ce point de vue, je me réjouis de la cohésion et de la fermeté manifestée par les Quatorze à Feira.
Notre volonté sera ensuite de faire que l'Europe puisse mieux répondre aux besoins concrets des Européens, dans leur vie de tous les jours, afin de contrecarrer la vision stéréotypée d'une Europe seulement préoccupée des grands flux commerciaux et financiers et synonymes, pour chacun, de réglementations abusives ou inadaptées.
Je me contenterai de citer rapidement quelques-uns uns de ces dossiers :
. D'abord, bien sûr, la santé et la protection des consommateurs, dont je sais également l'importance aux Pays-Bas. Je souhaite que nous nous donnions pour objectif de jeter les bases d'une "autorité alimentaire européenne indépendante", telle que la Commission européenne l'a préconisée dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments.
. Ensuite, la sécurité dans les transports, à laquelle nous a rendu encore plus sensible le naufrage du navire Erika, qui a frappé les côtes françaises en décembre dernier : notre présidence devrait permettre l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures sur l'amélioration de la sécurité du transport maritime.
. J'évoquerai également le sport - cette journée s'y prête - pour lequel la dimension européenne doit représenter un "plus" en matière de lutte contre le dopage, contre le hooliganisme et aussi, plus généralement, pour mieux préserver la fonction sociale et éducative éminente du sport, face aux dérives de la commercialisation excessive.
Toutes ces orientations seront de nature à renforcer la crédibilité de l'action européenne auprès de nos concitoyens, de faire naître une confiance nouvelle à l'égard de l'Europe.
On le voit, l'agenda sera chargé, et le moment sera bref. Pour accomplir cette tâche avec sérieux, pour contribuer à faire avancer l'Europe, la présidence française devra être tout sauf un exercice solitaire. Elle s'appuiera, au contraire, sur un effort de concertation permanent avec l'ensemble de ses partenaires.
Dans ce contexte, j'attache personnellement la plus grande importance au travail mené avec le gouvernement néerlandais de Wim Kok. Je crois pouvoir dire que nous avons su, depuis maintenant trois ans, établir une excellente relation de travail, faite de confiance et de proximité, qui permet à nos deux pays de maintenir une concertation étroite sur l'ensemble des dossiers européens. Je suis convaincu que cette entente franco-néerlandaise va se renforcer encore pendant notre présidence et qu'elle sera particulièrement utile, à commencer par les contacts très fréquents et fructueux entre Dick Benshop et moi-même.
Et que tout le monde se rassure : cette entente ne sera pas mise à mal par la confrontation qui va opposer nos deux équipes de football, dans quelques heures à Amsterdam ! Nous allons d'ailleurs nous y rendre ensemble, avec Dick, pour bien montrer la force de notre amitié, en espérant d'ailleurs que nos deux pays se retrouveront en finale le 2 juillet. Ce sera une belle façon de fêter le début de la présidence française !
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2000)
Déclaration devant l'Institut Cligendael :
Monsieur le Ministre, Cher Dick,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui à La Haye, à l'occasion de cette conférence organisée par l'institut Cligendael et l'IFRI, et consacrée à la très prochaine présidence française de l'Union européenne.
Je remercie Alfred Von Staden, directeur de l'institut Cligendael, ainsi que les responsables de l'IFRI, d'avoir pris une telle initiative et de m'avoir convié à m'exprimer à la veille de ce moment important - et juste au lendemain du Conseil européen de Feira - en compagnie de mon homologue, mon ami Dick Benshop.
1/ Le contexte dans lequel va s'inscrire la présidence française
Dans dix jours, donc, la France va assurer la présidence de l'Union. Nous le savons tous, une présidence est très brève et elle s'inscrit, de ce fait, avant tout, dans une continuité. Mais elle est également une réelle opportunité d'inspirer des évolutions, des tournants, d'aider à franchir ensemble des obstacles.
Notre présidence se situe dans un contexte politique et institutionnel bien particulier. Cinquante ans après la Déclaration Schuman et le début de l'aventure européenne, à laquelle la France et les Pays-Bas participent depuis l'origine, l'Union apparaît à un tournant.
D'un côté, de grandes réalisations ont été accomplies. La mise en place de la monnaie unique représente une évolution décisive pour l'Europe. Les politiques communautaires, certes imparfaites, ont permis des progrès économiques et sociaux considérables dans nos différents pays. Après plus de vingt années de crise, la croissance est, enfin, de retour.
Pourtant, inutile de le cacher, l'Europe s'interroge : et maintenant, quelle Europe voulons-nous, pour quoi faire ?
Les explications à ce scepticisme européen, au vrai sens du terme, sont multiples et nous les connaissons tous :
Il y a tout d'abord la rançon du succès de la méthode communautaire initiée voici cinquante ans. La volonté d'avancer pas à pas, par des réalisations concrètes, vers la "solidarité de fait" qu'appelait de ses vux la Déclaration Schuman, a permis de bâtir l'Europe d'aujourd'hui. Mais son souci délibéré de ne pas inscrire, a priori, ces réalisations dans un grand cadre conceptualisé a eu l'inconvénient de donner parfois le sentiment d'avancer à court terme, sans idée précise de l'objectif à atteindre.
Deux autres éléments interviennent dans ce climat complexe de l'Europe d'aujourd'hui. Le premier est évidemment, nous ne devons pas nous en cacher, l'usure du système institutionnel communautaire, qui ne permet pas à l'Union de fonctionner de manière aussi efficace, transparente et démocratique que nous le souhaiterions. Il existe, chez les Européens, un grand besoin, largement insatisfait, de gouvernance au plan européen.
Ce besoin devient crucial si on le rapproche du dernier élément que je veux évoquer, et qui est, bien sûr, la perspective historique de l'élargissement de l'Europe. Il est clair que cette vision d'une Europe dont le nombre d'Etats membres pourrait plus que doubler en quelques décennies attise les incertitudes de beaucoup. Elle nous oblige à aborder de front les questions essentielles sur le fonctionnement et la raison d'être de la construction européenne.
Nous n'avons pas la prétention - il parait que c'est un défaut parfois reproché, a priori, aux Français - de tracer, en six mois, l'ensemble des perspectives de l'Europe des prochaines décennies. Mais nous souhaitons au moins aider à indiquer quelques pistes, autour des valeurs et des principes qui nous sont chers, du modèle politique et culturel qui fonde notre identité.
2/ Les trois priorités de la présidence française
a) Notre première responsabilité sera d'aider à franchir un pas décisif dans la marche vers la grande Europe politique de demain.
Ceci me conduit à évoquer, en premier lieu, l'indispensable réforme des institutions de l'Union. Notre volonté est double : réussir une bonne réforme, ne pas retarder l'élargissement par un échec.
Vous savez tous que nous devons régler en premier lieu les trois questions centrales non résolues à Amsterdam en 1997 : limiter la taille de la Commission, afin qu'elle soit mieux en mesure d'exercer effectivement son rôle d'impulsion ; généraliser le recours au vote à la majorité qualifiée, à quelques exceptions près, pour éviter la paralysie ; rendre plus fidèle aux réalités le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union.
Nous devons également améliorer le mécanisme des coopérations renforcées, qui est destiné à permettre à quelques Etats d'aller plus vite et plus loin, dans certains domaines bien déterminés, et dont le premier exemple a été mis en place dès 1992, avec l'Union économique et monétaire.
Il faut donc, à l'occasion de la CIG - et ce point a été également approuvé à Feira - faciliter le recours aux coopérations renforcées et leur mode de fonctionnement, afin de disposer d'un instrument opérationnel, permettant donc à une avant-garde de progresser dans l'intégration, d'ouvrir le chemin, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.
Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans le détail des négociations de la CIG, sur lesquelles les chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le point à Feira. Elles progressent bien et nous savons pouvoir compter, notamment, sur la volonté d'aboutir des autorités néerlandaises, comme Dick Benshop l'a indiqué dans son très intéressant article, paru la semaine dernière, dans Le Figaro.
J'insiste sur le fait que, si nous parvenons à une bonne réforme sur les points que j'ai évoqués, nous aurons conduit la réforme la plus profonde des institutions européennes depuis 1957, dans le sens de la souplesse et de l'efficacité. Cela sera la meilleure réponse à ceux qui ont pu, au départ, critiquer le manque d'ambition présumé des gouvernements européens.
Cela ne signifie évidemment pas que nous aurons épuisé le sujet. Tout d'abord, parce que des réformes pratiques, ne nécessitant pas de changer les Traités, peuvent être engagées très rapidement pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Je pense notamment au fonctionnement du Conseil des ministres. Un premier pas a été franchi avec le regroupement de certaines formations du Conseil, pour en limiter le nombre excessif. Une autre étape devrait être l'amélioration du fonctionnement du Conseil Affaires générales, qui a perdu, avec le temps, sa capacité de remplir son rôle de coordination et de préparation des travaux du Conseil européen. Il y a aussi, bien sûr, les réformes internes à la Commission, pour en améliorer la gestion, redéfinir ses missions. Ce travail est en cours. Il doit se poursuivre.
Ensuite, il nous restera, bien sûr, à entamer la réflexion sur les Institutions de l'Europe de 2020, qui comptera peut-être plus de trente membres. Ce travail nécessaire doit s'engager - et Joschka Fischer vient d'y apporter une contribution éclairante et stimulante -, mais il se place à un autre horizon. J'espère d'ailleurs que Français et Néerlandais pourront, ensemble, y contribuer activement.
Pour l'heure, notre devoir est bien de parvenir à une bonne réforme rendant possible, sans la retarder, l'intégration des actuels candidats. Je sais que telle est aussi la perception du gouvernement de La Haye.
Vous le savez, la France est totalement engagée dans la réussite de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. L'adhésion de nos amis d'Europe centrale, orientale et méridionale sera une chance pour le Continent. Elle nous permettra d'accomplir réellement le rêve d'une Europe démocratique et en paix. Comme l'a très bien dit Dick Benshop, dans sa tribune, "élargir l'Union est une nécessité".
La présidence française veillera à maintenir la dynamique du processus d'élargissement avec l'ensemble des candidats. Il s'agira de poursuivre et d'intensifier le rythme des négociations avec l'ensemble des douze candidats, en n'écartant aucun domaine, même les plus délicats.
Nous nous attacherons également à renforcer la place de la Conférence européenne, au travers des réunions que nous organiserons au second semestre, et, notamment, lors du Conseil européen de Nice en décembre.
Un mot, également, sur la perspective historique que nous avons ouverte depuis maintenant près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense, dont l'architecture a été dessinée lors du Conseil européen d'Helsinki l'année dernière et vient d'être affinée à Feira, et que nous espérons concrétiser au second semestre, sous notre présidence.
Nous voulons préparer activement le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense, renforcer les capacités militaires, en concrétisant, par des engagements nationaux, les objectifs définis à Helsinki et poursuivre les travaux sur le renforcement des instruments civils de gestion des crises. L'Europe pourra ainsi, demain, jouer son rôle dans le maintien de la paix, sur notre continent et ailleurs dans le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un heureux présage.
b) Le deuxième champ dans lequel doit porter notre effort, est bien sûr l'Europe de la croissance et de l'emploi
Cette préoccupation, que partagent les autorités néerlandaises, est au cur de notre politique européenne depuis 1997. La conjugaison de nos efforts nous a permis de parvenir, lors des Conseils européens de Lisbonne puis de Feira, grâce au travail très efficace de nos amis portugais, à la définition d'un objectif stratégique, qui fait écho à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie et, pour y parvenir, la volonté de consolider en Europe une croissance à hauteur de 3% en moyenne dans les années à venir.
Nos efforts doivent d'abord porter sur le renforcement du pôle économique européen, dans la ligne des efforts menés depuis 1997. Aux côtés de la Banque centrale européenne, dont le rôle est indispensable pour garantir la stabilité de la monnaie et des prix, nous avons l'Euro-11 - qui sera bientôt l'Euro-12, avec l'arrivée de la Grèce -. Il joue un rôle positif. Mais nous pouvons encore le renforcer et lui permettre de donner plus d'autorité et de visibilité à la politique économique des pays membres de la zone euro.
Nous voulons ensuite affirmer, lors de notre présidence, notre conviction que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. Notre détermination sera donc entière pour que "l'Agenda social", dont l'adoption est prévue d'ici la fin de l'année, soit le plus ambitieux possible, et qu'il contribue à renforcer l'ensemble des composantes du modèle social européen : une protection élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'exclusion.
Nous devons également donner toutes ses chances à l'Europe dans la nouvelle économie. Nous privilégierons ainsi l'accès de tous à la société de l'information. A cet égard, il nous faudra viser à exploiter, et sans faire de nouveaux exclus, les gisements d'emplois offerts par les services issus de l'Internet et à préciser le cadre européen, juridique et fiscal, du commerce électronique.
Une autre dimension majeure pour nous, et qui illustre notre vision d'une Europe capable de répondre aux besoins profonds de nos sociétés, sera le lancement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la recherche. L'Europe dispose dans ces domaines d'atouts essentiels. Mais nous devons encore progresser - c'est une certitude - dans les échanges et dans la confrontation des pratiques, des idées et des techniques. C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir un programme de travail permettant de lever, dans un délai rapproché, les nombreux obstacles qui s'opposent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs à travers les continents.
c) Enfin, notre troisième axe d'action portera sur l'Europe des citoyens, une Europe qui retrouve tout son sens, à la fois en réaffirmant les valeurs communes qui la fondent et en répondant concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Nous devons donc tout d'abord réaffirmer les valeurs communes sur lesquelles se fonde le projet européen. La perspective d'une Europe plus hétérogène doit nous conduire à préserver l'unité de l'ambition commune : c'est dans cet esprit que nous entendons faire aboutir le projet de Charte des droits fondamentaux.
Cette Charte devra, à la fois, confirmer les droits civiques et politiques qui fondent nos démocraties européennes et renforcer les droits sociaux, qu'il s'agisse du droit à l'emploi, à la protection sociale ou encore au logement.
C'est dans le même esprit que nous aborderons la question des relations avec le gouvernement autrichien. Je n'ai pas besoin d'insister, devant vous, sur la gravité de la présence, en Europe, d'un gouvernement de coalition comprenant un parti d'extrême-droite, haineux, xénophobe, intolérant, aux antipodes des valeurs qui sont le fondement de la démocratie.
Nous poursuivrons intégralement la politique de sanctions décidées à quatorze et vous pouvez compter sur les Autorités françaises, le président de la République comme le Premier ministre et son gouvernement, pour ne faire montre d'aucune complaisance vis-à-vis du gouvernement autrichien. Il en va de la cohérence de notre message politique et de notre vision de l'Europe. De ce point de vue, je me réjouis de la cohésion et de la fermeté manifestée par les Quatorze à Feira.
Notre volonté sera ensuite de faire que l'Europe puisse mieux répondre aux besoins concrets des Européens, dans leur vie de tous les jours, afin de contrecarrer la vision stéréotypée d'une Europe seulement préoccupée des grands flux commerciaux et financiers et synonymes, pour chacun, de réglementations abusives ou inadaptées.
Je me contenterai de citer rapidement quelques-uns uns de ces dossiers :
. D'abord, bien sûr, la santé et la protection des consommateurs, dont je sais également l'importance aux Pays-Bas. Je souhaite que nous nous donnions pour objectif de jeter les bases d'une "autorité alimentaire européenne indépendante", telle que la Commission européenne l'a préconisée dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments.
. Ensuite, la sécurité dans les transports, à laquelle nous a rendu encore plus sensible le naufrage du navire Erika, qui a frappé les côtes françaises en décembre dernier : notre présidence devrait permettre l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures sur l'amélioration de la sécurité du transport maritime.
. J'évoquerai également le sport - cette journée s'y prête - pour lequel la dimension européenne doit représenter un "plus" en matière de lutte contre le dopage, contre le hooliganisme et aussi, plus généralement, pour mieux préserver la fonction sociale et éducative éminente du sport, face aux dérives de la commercialisation excessive.
Toutes ces orientations seront de nature à renforcer la crédibilité de l'action européenne auprès de nos concitoyens, de faire naître une confiance nouvelle à l'égard de l'Europe.
On le voit, l'agenda sera chargé, et le moment sera bref. Pour accomplir cette tâche avec sérieux, pour contribuer à faire avancer l'Europe, la présidence française devra être tout sauf un exercice solitaire. Elle s'appuiera, au contraire, sur un effort de concertation permanent avec l'ensemble de ses partenaires.
Dans ce contexte, j'attache personnellement la plus grande importance au travail mené avec le gouvernement néerlandais de Wim Kok. Je crois pouvoir dire que nous avons su, depuis maintenant trois ans, établir une excellente relation de travail, faite de confiance et de proximité, qui permet à nos deux pays de maintenir une concertation étroite sur l'ensemble des dossiers européens. Je suis convaincu que cette entente franco-néerlandaise va se renforcer encore pendant notre présidence et qu'elle sera particulièrement utile, à commencer par les contacts très fréquents et fructueux entre Dick Benshop et moi-même.
Et que tout le monde se rassure : cette entente ne sera pas mise à mal par la confrontation qui va opposer nos deux équipes de football, dans quelques heures à Amsterdam ! Nous allons d'ailleurs nous y rendre ensemble, avec Dick, pour bien montrer la force de notre amitié, en espérant d'ailleurs que nos deux pays se retrouveront en finale le 2 juillet. Ce sera une belle façon de fêter le début de la présidence française !
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2000)