Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à "France 2" le 5 septembre 2003, sur les conséquences pour les agriculteurs des deux catastrophes naturelles : les incendies et de la sécheresse et sur les difficiles négociations de l'OMC en matière agricole.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Bonjour à tous, bonjour H. Gaymard.
- "Bonjour."
Les incendies de forêt ne sont pas encore terminés, mais on sait déjà que plus de 50.000 hectares ont brûlé cette année. Est-ce qu'il y a des mesures à prendre tout de suite dans les régions qui ont été dévastées ?
- "C'est effectivement une vraie catastrophe humaine et écologique, et je voudrais rendre hommage à tout le merveilleux travail que font les pompiers, que font nos équipes de prévention des feux de forêt. Alors effectivement, il y a des mesures à court terme à prendre. Il faut faire ce que l'on appelle " des fascines ", c'est-à-dire à l'endroit où ça a brûlé, dans les ravins, faire de petits barrages pour éviter que, quand la pluie reviendra parce qu'on sait qu'elle reviendra dans certains endroits"
Elle va même revenir ce week-end apparemment.
- "Pour éviter les ravinements. Donc avec R. Bachelot - nous sommes tous les deux en charge de la forêt dans le cadre de cette gestion durable de la forêt -, nous allons prendre très rapidement les mesures à court terme absolument indispensables."
Oui, parce que le paradoxe c'est qu'après la sécheresse, on craint maintenant les inondations dans ces régions !
- "Oui, parce qu'il peut y avoir des orages, des précipitations violentes de type Cévenol, comme on l'a connu l'année dernière. Il faut être effectivement très très vigilant. C'est la raison pour laquelle ces mesures d'urgence seront prises très rapidement."
A plus long terme, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut replanter d'autres arbres, d'autres espèces ou est-ce qu'il faut laisser la nature reprendre un petit peu ses droits ?
- "Il faut évidemment reconstituer notre forêt, et c'est vrai qu'en peu d'années c'est le second gros coup dur. Vous vous souvenez des tempêtes. Nous sommes en période de reconstitution de la forêt française, publique comme privée d'ailleurs à la suite de ces tempêtes, et beaucoup d'arbres qui ont été touchés par la sécheresse, je ne parle même pas de ceux qui ont été brûlés, je parle des jeunes pousses qui sont tout à fait touchées par le manque d'eau et par l'excès de chaleur, sont fragilisées. Donc il faut, à long terme, que nous mettions en place un plan de reconstitution de la forêt, nous y travaillons."
Mais avec quels arbres, est-ce qu'il faut mettre des arbres qui brûlent moins facilement ?
- "Il y a tout le débat - je ne suis pas forestier, mais ce monde de la forêt est passionnant, puisqu'on voit des hommes de passion qui s'en occupent. C'est vrai qu'il y a une question sur l'équilibre entre les résineux et les feuillus, et ça fait partie des sujets qu'il faut qu'on regarde de près dans les plantations."
Est-ce qu'on a une idée aujourd'hui de ce que ce désastre aura coûté ?
- "Pour l'instant, sur le plan de la forêt, il est très difficile de le dire, je pense que d'ici deux mois, on sera en mesure d'avoir un bilan plus global."
Mais c'est une facture qui va être en milliards d'euros, est-ce qu'on a une idée générale ?
- "Pour l'agriculture, on sera quelque part entre plus d'un milliard d'euros et quatre milliards, c'est ce qu'on peut dire approximativement aujourd'hui. Pour la forêt, il est encore trop tôt pour le dire, mais ce sera une facture très importante pour la collectivité nationale oui."
L'autre catastrophe c'est la sécheresse. Là encore, est-ce que l'on a une idée de ce que ça va coûter pour l'agriculture française ?
- "Je vous l'ai dit, les estimations varient entre un milliard et quatre milliards d'euros. Il y a les coûts que l'on connaît aujourd'hui, on commence à en connaître une partie puisque la procédure d'indemnisation au titre des calamités agricoles est lancée, une réunion s'est tenue la semaine dernière. Je viens de décider d'augmenter l'acompte de 60 à 70 %. Donc on a déjà des premières estimations à court terme."
Quand est-ce que les agriculteurs vont toucher ces indemnisations ?
- "Ceux dont les dossiers ont déjà été traités le 29 août dernier, recevront un acompte de 70 % du montant total de l'indemnisation dans la deuxième quinzaine du mois de septembre"
Ils ont l'air de dire que ce n'est vraiment pas suffisant !
- "C'est une première étape. Vous savez, depuis le début de cette crise de la sécheresse, je suis sur le terrain depuis le 15 juin, au fur et à mesure nous avons apporté les réponses qu'il fallait au bon moment : l'autorisation de pâturer la jachère, l'aide pour le transport du fourrage, la décision de reporter la perception des cotisations sociales, le versement anticipé des aides européennes et nationales pour la trésorerie, la semaine dernière, les mesures au titre des calamités agricoles, tout le dispositif de taux hyper bonifiés et de prise en charge des agriculteurs en grandes difficultés surendettés, jeunes ou nouvellement installés. Donc dans toutes les semaines qui vont venir, nous allons adapter notre réponse par rapport aux besoins réels. C'est comme cela que nous avons fonctionné depuis le début et c'est comme ça que nous continuerons."
La semaine prochaine, vous serez à Cancun au Mexique pour le sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce. Là aussi, les agriculteurs français sont très inquiets. Ils disent " Cancun ça va être la fin des subventions qui nous permettent de vivre ".
- "Qu'il y ait des inquiétudes c'est normal, et je les partage d'autant plus qu'il faut être d'une très grande vigilance dans cette négociation. En fait..."
Vous, vous êtes inquiet ?
- "Je suis inquiet bien sûr, parce que c'est une négociation extrêmement importante, puisque s'agissant de l'agriculture dans le monde il y a deux visions. On va dire, en gros, qu'il y a une vision libérale qui consiste à dire qu'il faut qu'il y ait une dizaine de grands pays favorisés par la nature qui produisent de la nourriture pour le reste du monde, et que les autres n'ont qu'à être importateurs. Nous, nous avons une vision complètement différente, parce que nous pensons que l'agriculture, ce n'est pas seulement la production de produits agricoles, c'est aussi la place de l'homme dans la société, c'est le goût et le rôle des terroirs, donc ça c'est la vision européenne de l'agriculture."
Et puis nous, on veut protéger nos paysans aussi, il faut le dire.
- "Oui mais partout dans le monde, les paysans ont le droit de vivre de ce qu'ils produisent. Et en fait à Cancun, on aura trois sujets : le premier sujet c'est celui de ce qu'on appelle les aides internes, et de ce point de vue-là, je dirais que l'Europe n'a pas de leçon à recevoir, notamment des Etats-Unis qui ont augmenté les leurs de 30 % ces dernières années, et l'accord que nous avons conclu à Luxembourg le 26 juin dernier permet que la plus grande partie de ces aides ne soit pas considérée comme un obstacle au développement des pays du Tiers-Monde. Donc ça c'est le premier paquet. Il y a le deuxième paquet qui sont les subventions aux exportations agricoles, en Europe elles ont énormément baissé ces dernières 10 années, puisqu'elles représentaient 30 % il y a 10 ans et 6 % maintenant, et s'il y a des concessions il faut qu'elles soient équilibrées, et notamment que les Américains en fassent autant parce que là-dessus, ils sont bien meilleurs que nous. Et enfin il y a le troisième sujet qui est celui de l'accès au marché. Là aussi, je crois qu'il faut"
C'est-à-dire les droits de douane.
- "C'est-à-dire les droits de douane. Là-dessus il ne faut pas se tromper, et je pense que l'objectif, c'est d'aider les pays en voie de développement à se développer et l'Europe, depuis 25 ans avec les accords de Lomé qui accorde des préférences commerciales aux pays du Tiers monde, a montré la voie, puisque vous savez que l'Europe aujourd'hui est le premier espace au monde pour importer des produits agricoles en provenance des pays en voie de développement. Donc moi, je résumerai sur ce sujet des droits de douane et d'ouverture des marchés, le Mali oui l'Australie non."
Un mot de politique, un des ministres du gouvernement, P. Bédier, est mis en cause dans une affaire de corruption. S'il était mis en examen, est-ce qu'il devrait démissionner ?
- "Ecoutez, je voudrais dire d'abord que P. Bédier est un type formidable que je connais depuis bien longtemps, qui a beaucoup d'énergie"
Mais s'il est mis en examen, est-ce qu'il devra démissionner ?
- "Et qui est dévoué qui est dévoué à la chose publique. Donc je n'ai pas, moi, à connaître de ces questions, je ne suis pas à la place de Pierre, donc je pense que c'est une décision qu'il prendra en son âme et conscience."
Non, mais il y avait eu une jurisprudence Balladur qui disait : quand un ministre est mis en examen pour une raison ou pour une autre, il démissionne.
- "Je crois que c'est une question qui appartient à P. Bédier, et pas à un de ses collègues du gouvernement."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2003)