Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à Europe 1 le 19 septembre 2003, sur le résultat positif du référendum d'adhésion de la Lettonie à l'Union européenne, la position de la Commission européenne concernant le redressement d'Alstom, les contraintes budgétaires de la France et de l'Allemagne face au Pacte de stabilité et les débats autour de la future Constitution de l'Europe.

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Q - Je voudrais parler d'abord avec vous de l'Europe, coté soleil, pour évoquer le référendum des Lettons, qui seront les derniers des dix pays candidats à se prononcer, demain, sur leur adhésion à l'Union européenne. Ces pays ont manifesté un engouement réel pour l'Europe, alors qu'ici, elle sème plutôt le doute. Vous pensez toujours que c'est un élan salutaire pour la cause européenne ?
R - Cet élan ne m'étonne pas du tout parce que l'Europe est notre destin. Il n'y en a pas d'autre. L'Europe représente la stabilité politique, la démocratie, dont ces pays ont été privés pendant des décennies. Grâce à la démocratie et à la concurrence saine et loyale qu'elle autorise, L'Europe est une chance pour la prospérité et pour la défense d'un modèle auquel nous sommes attachés. Je ne suis donc pas étonnée, même si je me réjouis des excellents pronostics en Lettonie.
Q - L'Europe coté nuages, maintenant. De ce côté, il y a tout ce que nous savons sur le Pacte de stabilité, les tensions qui sont de plus en plus visibles concernant la future constitution qui sera probablement adoptée à Rome le 4 octobre prochain. Il y a aussi, pour la France, le dossier Alstom qui inquiète beaucoup. On craint que la Commission, préférant la lettre à l'esprit, aille jusqu'au bout et mette Alstom, ce champion de l'industrie française, au tapis. Est-ce que c'est aussi votre inquiétude ?
R - Je n'ai pas d'inquiétude. Le président de la République l'a rappelé hier à Berlin : la Commission est dans son rôle. Elle joue ce rôle désagréable du gendarme. Normalement cette entreprise n'aurait pas du connaître les difficultés qu'elle connaît.
Q - Il y a eu faute.
R - Je ne peux pas me prononcer sur la caractérisation de la gestion de cette entreprise. En tout cas, le résultat est là et la Commission nous rappelle à l'ordre, mais je suis persuadée qu'une solution d'accord sera trouvée. Elle satisfera à la fois les investisseurs qui vont renflouer Alstom, l'Etat qui doit sauver une entreprise dans l'urgence absolue, et la Commission qui est gardienne des bonnes règles de la concurrence.
Q - La France apparaît être dans ce dossier, comme dans tant d'autres, le mauvais élève. Hier elle était à la table d'un autre mauvais élève de l'Europe, en l'occurrence l'Allemagne. Est-ce que, aujourd'hui, les deux pays ont la légitimité suffisante pour dire : "voilà ce qu'il faut faire", et donner un nouvel élan, en particulier économique, à l'Union.
R - La première source de légitimité est notre responsabilité. Nous sommes deux grandes économies qui pesons d'un poids certain. Quand cela va mal chez nous, cela risque d'aller aussi mal chez les autres. Ensuite, nous sommes des pays fondateurs, avec un fort potentiel industriel. Il ne faut pas laisser filer cette industrie parce que cela ne résoudra ni les problèmes d'emploi, ni, surtout, les problèmes de déficit budgétaire.
Q -Il y a une dizaine de grands projets relatifs aux infrastructures. On est un peu surpris, d'abord parce qu'il n'y a pas de volet financement à ces projets. On a aussi l'impression qu'on découvre un peu la lune. Par exemple, l'idée d'interconnecter les réseaux à grande vitesse, c'est quand même incroyable que l'on pense à cela seulement maintenant ?
R - Le fameux marché intérieur a maintenant dix ans. Il a été créé en 1993, nous sommes en 2003. Nous avons beaucoup harmonisé les normes, supprimé toutes barrières douanières. Toutefois, il reste des barrières physiques et de réglementation technique. On ne peut pas procéder à l'interconnexion convenable du gaz et de l'électricité pour exporter, par exemple, de l'électricité au-delà des Pyrénées, en Espagne. On ne peut pas faire passer les trains convenablement - même si l'écartement des voies est le même - de France en Allemagne. C'est la raison pour laquelle, il faut assurer ces interconnexions. J'ai demandé un rapport sur le sujet, et je suis maintenant favorable à la création d'aiguilleurs européens, d'agences européennes de régulation. Il faut pouvoir procéder à la levée de ces barrières physiques et techniques qui sont un handicap pour le marché.
Q - Une étape importante le 4 octobre à Rome. On va se pencher sur le projet de Constitution européenne. La règle commune. Avez-vous bon espoir que ce qui a été tricoté par Valéry Giscard d'Estaing ne soit pas remis en question ?
R - Les citoyens ont un droit à l'Europe. On ne peut plus faire l'Europe sans les citoyens
Q - Celle-ci sera plus citoyenne ?
R - Il y a des avancées. Par exemple, nous créons, dans ce projet de constitution, une initiative populaire. S'il y a un million de citoyens dans toute l'Europe qui signe, par exemple via Internet, une demande sur un sujet précis, la Commission devra proposer que ce sujet soit sur la table des négociations. C'est une forme de démocratie directe, que même nous, en France, n'avons jamais expérimenté.
Q - Vous n'imaginez pas que les Européens, à 25, puissent ne pas s'entendre sur un projet de Constitution ?
R - Les débats sont animés. Certains Etats ont déjà fait connaître leurs souhaits. Certains demandent notamment que l'on puisse remanier le système de la majorité des votes pour augmenter leur poids politique. C'est le cas de l'Espagne et de la Pologne. Il y aura donc des débats. Le débat est au principe du fonctionnement de l'Europe. La volonté politique d'arriver à une Constitution pour les Européens - qui a été manifestée lors de l'adoption par consensus du projet de Constitution élaboré par la Convention sur l'avenir de l'Europe - n'a pas de raison de disparaître. Il s'agit maintenant d'adopter le texte final.
Q - Pour la France, on dit souvent qu'elle est toujours là quand il s'agit d'établir la règle, mais qu'elle est instantanément tentée de s'en émanciper. Cette Constitution peut-elle être l'occasion d'une nouvelle ferveur européenne en France. Une ferveur qui soit plus sincère ?
R - Je souhaite cette ferveur. Je la sens exister, mais parfois douter d'elle-même. L'action dont m'a chargée le Premier ministre est d'animer en France ce débat sur l'Europe. En tout cas, il n'y a aucune raison que les citoyens français ne se sentent pas - ce qu'ils sont d'ailleurs depuis le Traité de Maastricht en 1992 - des citoyens pleinement européens et qui font eux-mêmes l'Europe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 2003)