Texte intégral
Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés,
Avant d'examiner le contenu de la proposition de loi présentée par Robert Hue et le groupe communiste, je voudrais d'emblée préciser le cadre dans lequel elle s'insère et, partant, l'état d'esprit qui anime le gouvernement à l'occasion de ce débat.
I - Le cadre du débat
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui a une histoire.
Elle trouve sa source dans plusieurs travaux parlementaires : je pense notamment aux rapports de Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol de juin 1999 sur " les pratiques des grands groupes et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire ", et de Gérard Bapt sur " les aides publiques aux entreprises en matière d'emploi ".
Elle a été aussi, chacun s'en souvient, conçue par Robert Hue, en septembre dernier puis lors de la manifestation du 16 octobre dernier, comme une des réponses à " l'affaire Michelin ".
Je salue donc sa ténacité: j'y vois le symbole de sa volonté d'articuler contestation et proposition ou, mieux encore, de faire émerger concrètement les propositions de l'expression même de la contestation.
Cette proposition de loi répond à une nécessité
Le gouvernement a en effet une double conviction :
la conviction que les aides à l'emploi peuvent être utiles et même qu'elles ne sont pas pour rien dans ce que les experts appellent " l'enrichissement de la croissance en emplois " qui explique les résultats que nous connaissons depuis plus de deux ans dans la lutte contre le chômage.
la conviction que l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique doit plus que jamais constituer le critère central, l'ultima ratio, de notre politique budgétaire.
Dès lors, il paraît nécessaire de trouver des réponses adaptées aux abus concernant cette catégorie d'aides à l'emploi que constituent les fonds publics accordés aux entreprises.
Parce que, même si les aides sont octroyées par les services gestionnaires sur des critères précis, même si elles sont vérifiées par les services des différents ministères et par les diverses inspections compétentes, les abus sont en la matière particulièrement choquants. Choquants d'abord et surtout pour les salariés lorsque c'est un engagement sur l'emploi qui n'est pas respecté. Choquants pour l'ensemble des contribuables et citoyens. Choquants pour les entreprises concurrentes.
Il ne s'agit pas, bien évidemment, de diaboliser nos systèmes d'aides, qui ont leur logique économique et sociale, mais de traquer leurs dévoiements : tel chef d'entreprise qui s'engage à un maintien de l'emploi qu'il sait impossible, tel autre contracte avec une collectivité sans pouvoir respecter ses obligations, tel autre encore se trouve comme " abonné " à certaines aides dont il pourrait se passer.
Pour remédier à ces abus, il fallait éviter deux écueils opposés : celui de la bureaucratie ; celui de l'alibi.
Le premier écueil est évité : la Commission n'est pas instituée dans l'optique d'une investigation systématique, et ne fait pas peser une suspicion généralisée sur l'ensemble de nos aides aux entreprises, avec à la clef un risque - paradoxal ! - de recul de l'action de l'État.
Le deuxième écueil est également évité : votre proposition n'institue pas à l'inverse une " Commission - alibi " dénuée de tout pouvoir. Au contraire, il la dote de moyens d'information puissants, et de relais régionaux efficaces.
Aussi, vous l'avez compris, j'aborde le débat d'aujourd'hui dans un état d'esprit très positif.
Des divergences demeurent, sur la composition de la commission et sur certains de ses pouvoirs. Mais elles sont de nature technique. Notre accord sur les principes comme sur l'équilibre général de votre texte, laisse penser qu'un accord est possible. Et, après vous avoir entendu, qu'un accord est probable.
II - Le contenu de la proposition de loi
Le texte qui vous est proposé répond à ces préoccupations essentielles de bonne utilisation des fonds publics. Je voudrais préciser la position du gouvernement à l'égard de votre proposition de loi sur quatre points : le principe même d'une instance nationale d'évaluation et de contrôle (1), la composition et la saisine de cette Commission (2), les pouvoirs de la Commission (3), et le rôle des acteurs du terrain (4).
1) Le principe même d'une instance nationale d'évaluation. répond à un manque.
Il n'existe pas, en effet, à ce jour, d'instance nationale d'évaluation des dispositifs d'aides aux entreprises.
Il manque aujourd'hui une instance nationale susceptible de connaître de l'ensemble des pratiques abusives et de mener des évaluations des systèmes d'aides.
Vous mettez fin à ce vide en instituant une Commission nationale - déclinée en commissions régionales - qui examinera la pertinence de dispositifs existants ou projetés au regard des objectifs des aides et essentiellement de l'emploi, et pourra proposer les réformes et modifications nécessaires.
2) La composition large de la Commission et la facilité de sa saisine enrichira la vision des pouvoirs publics sur la mise en uvre des aides.
Dans un cas de non-respect par une entreprise de ses engagements pour bénéficier d'une aide, les divers acteurs peuvent prendre des positions différentes : les élus dénoncent le non-respect de la règle, l'entreprise en cause argue qu'en cas de retrait de l'aide elle risque de devoir licencier, ses concurrents soulignent la distorsion de concurrence occasionnée, tandis que les représentants des salariés peuvent souhaiter le strict respect de la règle comme ils peuvent être sensibles aux arguments de leur direction.
Face à cette diversité de points de vue, les auteurs de la proposition de loi ont retenu une composition très large de la Commission ainsi que de possibilités de saisine très ouvertes, et le gouvernement ne peut que les en féliciter.
3) Les pouvoirs de la Commission, à la fois étendus et respectueux du rôle des partenaires sociaux et des administrations gestionnaires d'aides, s'articulent autour de trois idées : l'information, l'évaluation, la sanction.
une information précise, grâce aux rapports qui lui seront transmis chaque année par les préfets de région ;
une évaluation rigoureuse, qui sera confortée par la capacité de saisir les organismes gestionnaires d'aides et par le rôle central dévolu au commissariat général au plan ;
des pouvoirs de sanction effectifs, par la possibilité de suspendre, de supprimer ou même d'obtenir le remboursement des aides.
4) Le rôle des acteurs du terrain.
La proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste confère tout leur rôle aux acteurs du terrain en prévoyant la possibilité pour le comité d'entreprise de saisir le gestionnaire de l'aide pour lui signaler le non-respect par l'entreprise de ses engagements. C'est là la généralisation d'une disposition prévoyant ce recours dans les cas de l'aide structurelle aux 35 heures, prévue dans un amendement à la deuxième loi sur les 35 heures déposé par M. Maxime Gremetz.
Cette saisine des services compétents par les acteurs eux-mêmes démultiplie les moyens de contrôle des abus caractérisés sur l'ensemble du territoire national. Elle permettra une réponse directe et rapide aux situations qui auront été reconnues comme abusives.
Mesdames et Messieurs les députés, voilà donc les commentaires que m'inspire la proposition de loi déposée par Robert Hue et le groupe communiste.
On qualifie généralement la majorité qui soutient le gouvernement de " gauche plurielle ". Le texte dont nous débattons aujourd'hui apporte une nouvelle confirmation de l'ancrage - à gauche - et de la méthode - plurielle - qui sont les nôtres. A cette différence près - et je comprends qu'elle n'est pas mince - qu'il ne s'agit pas seulement pour le groupe communiste d'apposer sa trace sur des textes déposés par le gouvernement - comme vous avez pu le faire en matière fiscale ou en matière financière avec le " pôle financier public " - mais de laisser votre marque par le dépôt - et j'espère par le vote - d'une proposition de loi.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 24 janvier 2000)