Texte intégral
Conférence de presse à l'invitation de la fondation Bohemiae :
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Madame la Directrice,
Mesdames et Messieurs.
Je suis très heureux d'avoir l'occasion d'intervenir ce matin devant vous dans le cadre historique prestigieux du palais Cernin, où vous nous faites, Monsieur le Ministre, l'honneur de votre hospitalité. Je voudrais remercier la Fondation Bohemiae et sa directrice, Mme Stefkova, qui ont organisé cette rencontre. Je salue les ambassadeurs ici présents, ainsi que les représentants, de tous horizons, de la société tchèque.
La République tchèque est un partenaire majeur de la France et de l'Union européenne en Europe centrale. Elle sera demain un Etat membre de l'Union, appelée à jouer un rôle de premier plan grâce aux nombreux atouts dont elle dispose et à la vision historique qui est la sienne. C'est dans cet esprit que j'ai tenu à effectuer, après le président de la République et après le Premier ministre, une nouvelle visite à Prague, tout juste avant le début de la Présidence française de l'Union européenne. Prague est une ville où je suis venu déjà assez souvent, mais qu'on ne connaît jamais assez et qui émerveille toujours autant.
Je souhaiterais mettre à profit notre rencontre pour, en quelques mots, vous indiquer les orientations et les objectifs qui seront les nôtres pendant cette période et qui peuvent présenter un intérêt direct pour la République tchèque.
A partir du 1er juillet, donc, la France va exercer la présidence pour une durée de six mois, mais les présidences de l'Union qui ont lieu au second semestre ont en réalité une durée utile moins longue puisqu'il faut tenir compte d'une pause pendant le mois d'août, et qu'en général les travaux communautaires ne durent pas tout à fait jusqu'à la fin du mois de décembre. C'est donc souvent une présidence qui est plus tendue, pour des raisons d'organisation, que celles du premier semestre.
Pendant cette période, le Conseil européen va se réunir deux fois, la première fois à Biarritz en octobre, et la seconde fois à Nice en décembre. Le Conseil des ministres, dans ses différentes formations, tiendra plus de cinquante réunions. S'y ajouteront les très nombreuses séances de travail à des niveaux plus techniques.
Notre première ambition naturellement, comme toute présidence, est d'assurer le bon fonctionnement de l'Union, qui a eu tendance à se dégrader au fil des ans. Nous chercherons à avoir la meilleure continuité possible avec le Portugal, dont la présidence n'est pas terminée, que je salue d'ailleurs pour le très bon travail qui a été fait - mais aussi avec la Suède, qui prendra notre suite. Cet élément de continuité entre les pays qui exercent cette présidence tournante est fondamental dans notre système et explique les succès que l'Europe finit par obtenir sur des dossiers même difficiles, car il est très rare qu'un problème sérieux puisse se dénouer complètement en six mois, les grandes affaires se traitent donc souvent sur deux, trois, quatre, ou cinq présidences.
Pour autant, chaque pays conserve la possibilité d'imprimer sa marque et son style à l'exercice de la présidence, avec la volonté de donner certaines impulsions et inflexions. C'est naturellement tout à fait notre intention.
Je ne vais pas vous faire ici une présentation détaillée de tous les objectifs de notre présidence, qui sont évidemment nombreux. Mais je voudrais vous exposer les grandes lignes, avant d'insister tout spécialement sur le dossier de l'élargissement dans ses différentes dimensions. Mais avant d'en venir à cette question de l'élargissement qui vous intéresse en priorité, je vais vous donner quelques indications sur nos autres objectifs. Notamment les objectifs internes, qui sont très importants pour les pays membres mais ont certainement une influence et un intérêt pour les pays-candidats. Les pays candidats, quand ils sont aussi proches et avec des relations aussi étroites que déjà la République tchèque avec les pays membres de l'Union, ont un intérêt très direct à savoir ce que nous faisons, bien au-delà même des questions relatives aux négociations d'élargissement.
Le premier des objectifs que nous allons chercher à atteindre est d'ordre économique et social : il vise à renforcer la croissance dans l'Union, au service de l'emploi. La France plaide depuis de longues années pour que l'emploi soit au coeur des préoccupations de l'Union et devienne l'objet principal de ses politiques. Depuis trois ans, notamment à l'initiative du gouvernement français, chaque année se tient au moins un Conseil européen consacré spécialement à ces questions. Au dernier Conseil européen de Lisbonne, nous avons eu des débats très intéressants sur ce point, et très utiles ; nous avons mis en commun nos expériences les plus réussies et nous avons comparé ce qui fonctionnait le mieux dans les politiques économiques des pays européens.
Dans le prolongement des décisions prises à Lisbonne, la présidence française se fixe quatre objectifs pour la croissance et l'emploi.
Le premier point, c'est l'adoption d'un agenda social européen défini en accord avec les partenaires sociaux et permettant d'améliorer dans les 5 ans qui viennent le niveau de protection sociale ainsi que la lutte contre toutes les formes d'exclusion et de discrimination.
Ensuite le renforcement, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque centrale européenne, du pôle économique constitué notamment par les ministres de l'Euro-11. Vous savez que l'euro est peut-être la réalisation la plus spectaculaire de l'Union européenne jusqu'à maintenant. Tous les pays n'en sont pas encore membres, il y en a 11, c'est pour cela qu'on parle de l'Euro 11, bientôt 12. Les fondamentaux économiques de l'Union européenne sont à l'heure actuelle excellents, quels que soient les évolutions du cours de l'euro qui ne doivent pas nous préoccuper outre mesure. Ce n'est pas anormal qu'une aussi grande monnaie appelée à jouer un rôle aussi fondamental dans les échanges internationaux mette quelques temps à trouver son niveau exact. Au demeurant, il faut se rappeler que les 17 années de croissance consécutive que les Etats-Unis connaissent, ont commencé par plusieurs années de ce qu'on a appelé le dollar faible, mais qui avait eu en même temps un effet d'accélérateur
- pour d'autres raisons - sur l'économie américaine. Donc il faut examiner cette question de l'euro avec beaucoup de sérénité, c'est ce que nous faisons. Le seul point qui est un peu défaillant et que nous voulons perfectionner, précisément, c'est cette capacité de pilotage en matière de politique économique pour la zone de l'Euro-11. Donc cela fera partie de nos objectifs.
Autre objectif dans ce domaine : le développement d'une société de l'information à l'échelle européenne. Nous souhaitons, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, que toutes les écoles européennes soient reliées à l'Internet avant la fin 2001. Ensuite, la construction d'une véritable Europe de la connaissance, pour faciliter la mobilité des étudiants et des chercheurs entre les pays de l'Union, mais aussi avec les pays candidats à l'adhésion. C'est un sujet très important pour les jeunes d'Europe on en parle depuis toujours, depuis quasiment le début de la construction européenne. Il y a des programmes remarquables , mais ce n'est pas suffisant par rapport à la demande. Il y a une demande presque inépuisable pour retrouver cette mobilité qui existait à d'autres époques historiques et qu'il faut reproduire aujourd'hui avec tous les moyens modernes. Notre volonté est de multiplier par dix, sur une période de 5 ans, le nombre d'étudiants en mobilité.
Le second grand objectif porte sur ce que l'on appelle l'Europe des citoyens, c'est-à-dire tout ce qui fait que l'Europe peut être utile à chacun et de façon compréhensible, de façon perceptible. Je vais prendre quelques exemples concrets.
La protection des consommateurs et de la santé publique. C'est un point qui est de plus en plus important. A travers quelques incidents, quelques problèmes qui mettent en évidence une insuffisance de vigilance ou une rapidité insuffisante de réaction. Il y a toujours à améliorer sur ce plan, il y a toujours à perfectionner autour du principe de précaution. Précisément, nous voulons que soit mise en place dans les meilleurs délais, une autorité alimentaire européenne et nous voulons faire progresser sur le plan international, le principe de précaution.
Ensuite l'environnement. Nous voulons contribuer au succès de la réunion des parties au Protocole de Kyoto sur la lutte contre l'effet de serre à La Haye en novembre prochain. La France est d'ailleurs dans une très bonne position par rapport à l'effet de serre parce qu'une très grande partie de notre électricité est d'origine nucléaire civile et, par conséquent, nous sommes parmi les grands pays développés, celui qui contribue le moins à l'effet de serre. Nous avons en outre mieux respecté les objectifs définis par le Protocole de Kyoto que d'autres pays développés, qui ont beaucoup de mal à prendre les mesures concrètes qui diminueraient l'effet de serre, parce que cela suppose des modifications en profondeur de l'appareil de production et de certains modes de consommation.
Autre sujet - dans l'Europe des citoyens - très proche des gens et des attentes des Européens : la coopération dans le secteur de la justice et des affaires intérieures. Nous souhaitons développer une véritable politique européenne d'asile et d'immigration. Nous souhaitons créer un espace judiciaire européen fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
J'en viens maintenant au plan externe. Pour dire que l'un des objectifs principaux de la Présidence française sera de renforcer la Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne notamment dans sa composante de sécurité et de défense.
Vous savez qu'il y a quelques années, nous sommes arrivés à la conclusion que l'Union européenne était arrivée à un tel stade de développement qu'il était anormal qu'elle n'ait aucune compétence, aucune capacité en matière de défense et de sécurité, qu'elle ne puisse pas par elle-même décider d'agir ou d'intervenir quand par malheur se posent des problèmes grave, notamment à sa périphérie. Pendant longtemps cette question était bloquée. On parlait de " pilier européen de l'Alliance atlantique " depuis au moins l'époque du président Kennedy, mais il ne s'était jamais rien passé en pratique. Et depuis 1998, grâce à un changement d'attitude de la Grande-Bretagne d'une part et de la France, d'autre part - chacun des deux pays ayant fait certains compromis sur cette question -, nous avons pu dégager une nouvelle ligne originale autour de laquelle les Quinze se sont retrouvés et nous sommes en train de mettre en place cette Identité européenne de défense et de sécurité à l'intérieur de l'Alliance Atlantique, mais qui repose sur une vraie autonomie et sur une vraie capacité pour être informée pour analyser, pour réagir le cas échéant. Ainsi, nous estimons que l'Union européenne devrait être capable, à l'horizon 2003 , de mobiliser 50 à 60000 hommes sur un théâtre extérieur, pour une durée d'au moins un an. Voilà l'objectif.
Je voudrais ici, comme je l'ai fait dans d'autres pays candidats à l'adhésion à l'Union, comme je l'ai fait à Washington il y a quelques jours, et à Florence lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l'OTAN, dissiper quelques malentendus. Cette volonté des Quinze dont je vous ai rappelé l'origine n'est pas de concurrencer l'OTAN. Nous ne sommes pas absurdes. Le rôle de l'OTAN reste essentiel en matière de défense collective et de gestion des crises. La défense européenne n'est pas incompatible avec le lien transatlantique. Au contraire, nous pensons même que l'Alliance sera enrichie et renforcée par cette évolution. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir longuement avec Madeleine Albright, Sandy Berger et avec M. Cohen. Je crois qu'aujourd'hui les responsables américains - je parle des responsables de l'administration mais c'est avec eux que nous parlons directement , bien sûr - comprennent bien que notre démarche vise à doter l'Union d'un instrument qui lui faisait jusqu'à présent défaut et qui est indispensable à l'affirmation de son rôle sur la scène internationale. D'ailleurs il y a très longtemps que les Etats-Unis se tournent vers nous en nous disant " il faudrait qu'il y ait un meilleur partage du fardeau ". Alors, partage du fardeau, nous y sommes prêts, plus qu'avant, mais cela suppose aussi une certaine redistribution des responsabilités et un certain partage de la décision. Ce qui est important du point de vue de la République tchèque comme de certains autres pays candidats, c'est qu'à aucun moment nous n'avons demandé aux pays membres de l'OTAN et candidats à l'adhésion de choisir entre les deux organisations. Le problème ne se pose évidemment pas en ces termes. Donc il ne faut pas opposer ce qui est complémentaire. Il n'y a pas d'antagonisme, il n'y a que de la synergie.
Dans cette phase de transition nous sommes en train de mettre en place des dispositifs nouveaux. Nous demandons de la patience, de la sérénité, du pragmatisme, notamment dans l'effort que nous faisons pour installer nos structures intérimaires de décision dans l'Europe avant de pouvoir mettre en place les structures définitives. Et d'ailleurs, dans cette phase, les pays comme la République tchèque, membres de l'OTAN, pas encore membres de l'Union européenne, sont tout à fait pris en compte dans nos réflexions. Tout en préservant l'autonomie de décision de l'Union, des mécanismes particuliers de concertation seront mis en place avec eux, y compris dans le domaine des industries de la défense, où la République tchèque dispose d'un savoir-faire reconnu.
Pour la politique étrangère elle-même, notre ambition n'est pas de décréter du jour au lendemain une politique étrangère européenne unique. Comme pour la monnaie d'ailleurs. Nous parlons d'une politique étrangère commune, fondée sur des actions communes. Chaque Etat membre conserve en ce domaine une spécificité et une identité liées à la diversité des héritages historiques et culturels. C'est évidemment vrai de la politique étrangère française, mais de beaucoup d'autres politique étrangère en Europe. Ce que nous cherchons, c'est faire en sorte que l'Europe bénéficie de cette richesse, et non pas de procéder à un nivellement qui, au total, serait un appauvrissement. La politique étrangère de l'Europe doit être le résultat de cette variété, nous voulons procéder par addition ou multiplication et non pas par soustraction.
Sous la présidence française, en liaison et via notre Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana, notre effort portera en priorité - vous comprendrez pourquoi - sur les Balkans et sur la Méditerranée. Mais l'Union devra par ailleurs réfléchir aux moyens concrets de relancer le partenariat avec la Russie, qui est le complément indispensable du processus d'élargissement en cours, et d'améliorer les modalité de coopération avec ce pays. Nous aurons un certains nombre d'occasions, dans les semaines qui viennent, de travailler avec la Russie, notamment lors des réunions ministérielles et du Sommet du G8 qui se tiendront en juillet au Japon. Il faut faire le bilan de l'aide apportée à l'Union soviétique, puis à la Russie depuis une dizaine d'années, pour essayer de l'améliorer en la rendant plus exigeante, pour qu'elle ne soit pas détournée de son objet, mais en faisant également en sorte que les pays occidentaux et le FMI apportent à la Russie une aide mieux adaptée à ses besoins. Je veux dire par là qu'aujourd'hui la Russie a besoin d'un Etat efficace, moderne, démocratique - ce qui n'a pas vraiment existé auparavant -. C'est une nécessité aussi, pour le bon fonctionnement de l'économie de marché, et en termes de garanties à donner aux investissement étrangers. L'aide internationale doit aussi aider à construire cet Etat moderne et démocratique.
J'en viens maintenant à la question qui vous intéresse le plus, qui est celle de l'élargissement. C'est un élément déterminant pour l'avenir de la construction européenne, c'est beaucoup plus important que quand l'Union européenne est passée de 6 membres à neuf, puis de 9 à 10, de 10 à 12 et de 12 à 15. Parce que la perspective est un passage de 15 à 27, voire peut-être 30. Il y a encore des pays d'Europe qui sont incontestablement européens et qui ne sont pas à ce stade candidats. Nous sommes donc à un moment important. Mais nous voulons surmonter les difficultés. C'est pour cela que nous avons fixé des échéances et des mécanismes de décision prenant en compte les deux objectifs : réussir l'élargissement et réussir la réforme des institutions. Si l'Union Européenne n'avait été préoccupée que de la réforme de ses institutions, elle aurait lancé une Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions et elle aurait dit " nous nous occuperons de l'élargissement après ". Mais il y a pour nous un impératif historique et il y a une attente de la part des pays candidats. Ces pays, à commencer par le vôtre, ont entrepris et mené à bien tant de réformes déjà, avec beaucoup de courage politique. D'un autre côté, nous ne pouvions pas raisonner comme si l'élargissement devait être une préoccupation exclusive du reste, parce que les pays candidats veulent adhérer à l'Union Européenne parce qu'elle est forte, et parce qu'elle fonctionne. Ils n'auraient aucun intérêt à intégrer un ensemble paralysé parce que les réformes nécessaires n'auraient pas été faites. Donc il fallait prendre les deux choses de front. C'est pour cela que nous avons aujourd'hui simultanément la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, qui a commencé sous présidence portugaise, et que nous voulons mener à bien - je vais en dire un mot tout de suite - et d'autre part les négociations d'élargissement qui elles aussi doivent entrer dans une phase plus intense.
En ce qui concerne la réforme institutionnelle, vous savez que nous avons à traiter trois sujets qui n'avaient pu être résolus à Amsterdam. D'abord, une re-pondération des voix. Parce qu'aujourd'hui, dans le système de décisions, le nombre de voix n'a plus de rapport avec le poids réel des pays et il faut rendre les choses plus justes sur ce plan. Nous voulons pouvoir étendre le vote à la majorité qualifiée pour que les décisions se prennent plus facilement, plus rapidement - mais les deux choses sont liées, bien sûr : pour pouvoir élargir la majorité qualifiée, il faut au préalable une repondération juste et équitable. En ce qui concerne la Commission, pour qu'elle puisse demeurer un organe efficace et collégial, nous voulons à la fois en plafonner le nombre de membres et mieux en hiérarchiser les fonctions.
Ce sont les trois sujets dits " d'Amsterdam " , qui ont l'air simples ainsi résumés, mais qui posent pour chacun des difficultés considérables , mais dont nous avons bien l'intention de venir à bout.
A cela s'ajoute un quatrième sujet - nous venons de décider de l'introduire dans les négociations - que nous appelons les coopérations renforcées. Cela signifie simplement que plus l'Europe va s'élargir, plus il sera difficile de bâtir de nouvelles politiques communes auxquelles participeront tout de suite l'ensemble des pays, du fait de la variété des situations, des centres d'intérêt, des situations géographiques. Nous avons besoin d'un mécanisme souple permettant à des groupes de pays de mener ensemble un projet commun, auxquels se joint l'ensemble des pays qui le souhaitent. Car ce sera toujours des procédures ouvertes. C'est ainsi qu'a été lancé l'euro, c'est ainsi qu'a été lancé Schengen, et c'est ainsi que l'on a fait l'Airbus. Mais à l'époque ça ne s'appelait pas " coopération renforcée ". A l'époque on le faisait, tout simplement. Ca s'appelle coopération renforcée depuis que c'est inscrit dans le traité d'Amsterdam. Mais le Traité d'Amsterdam a soumis cette coopération à tant de conditions préalables qu'en réalité c'est un mécanisme inutilisable. Donc notre quatrième objectif c'est d'assouplir ce mécanisme de coopération pour le rendre utilisable.
Voilà la négociation. Nous nous sommes fixé une contrainte de date. Autant il est artificiel de fixer des dates pour l'aboutissement des négociations d'adhésion, qui doivent aller le plus vite possible mais résoudre des problèmes très concrets, autant nous, les Quinze, nous devons nous obliger à aboutir dans un certain délai puisque nous avons décidé il y a quelques mois, que nous devons être capables d'accueillir de nouveaux membres à partir de janvier 2003. Si l'on tient compte que cela passe par une modification du Traité, si l'on tient compte du fait qu'un traité nouveau doit être ratifié dans tous les pays, soit par référendum, soit par les parlements, cela signifie qu'il faut avoir achevé nos réformes à la fin de l'année, c'est-à-dire à la fin de la présidence française. Ce qui signifie qu'il y a une attente importante, parfois un peu préoccupante - mais nous allons tout faire pour être à la hauteur de ces enjeux, puisque toute l'Europe espère que les difficultés auront été surmontées lors du Conseil européen de Nice.
Nous, Français, ferons tout ce qui dépend de nous, en tant que président. Mais, naturellement, on ne peut pas se substituer à chacun des quatorze autres membres. Il faudra donc que l'ensemble des pays fasse preuve d'élan, de foi, d'enthousiasme européen et aussi d'esprit de compromis, pour arracher à la fin de l'année les solutions dont nous avons absolument besoin pour la suite et notamment pour réussir l'élargissement.
J'en viens à l'élargissement. Les négociations d'adhésion ont commencé ; il y a eu six pays d'abord, six pays ensuite. Mais nous avons décidé à Helsinki en décembre dernier que désormais nous ne raisonnons plus par groupes, ni par vague. Nous avons décidé que chaque candidature sera jugée en fonction de ses mérites propres. La négociation est une affaire sérieuse. Ce n'est pas une décision politique dans laquelle on fait entrer les gens qui vous plaisent et pas ceux qui ne vous plaisent pas. La négociation a commencé. Il faut que les pays candidats reprennent les acquis communautaires, identifient les problèmes lorsqu'il y en a, pour voir comment ils peuvent être surmontés. Dans les négociations d'adhésion précédentes, on a su trouver des solutions adaptées, des exceptions temporaires, des périodes de transition, à conditions qu'il n'y en ait pas trop, qu'elles ne soient pas trop longues, et qu'elles ne dénaturent pas l'ensemble de la démarche. Ce sont ces questions qu'il est urgent de poser maintenant.
En réalité , il m'est aisé d'en parler ainsi à Prague parce que je sais que la négociation avec la République tchèque n'est pas compliquée, qu'elle ne posera pas de difficultés majeures. En tout cas, nous souhaitons, pendant la présidence française faire avancer l'ensemble : réforme des institutions et élargissement, pour répondre aux attentes des pays-candidats, tout en étant sérieux, parce qu'il faut que tout fonctionne correctement ensuite. Nous voulons faire entrer les négociations dans le vif du sujet, ne pas se borner à constater que tel aspect ne soulève pas de problème et tel autre si. Il faut que la Commission puisse chercher des solutions avec les pays qui rencontreraient des difficultés, et voir si ces solutions sont acceptables par tous. C'est la meilleure façon d'avancer, et c'est ce que nous allons faire durant notre présidence. Cela devrait nous permettre d'avoir une vision plus claire en fin d'année. Encore une fois, il ne s'agit pas de fixer une date - parce que, je vous l'ai dit, ça c'est artificiel, parce que les négociations aboutissent quand elles sont terminées. Mais cela devrait quand même permettre d'aboutir à la fin de notre présidence à une sorte de scénario pour la suite des négociations, permettant de montrer les étapes par lesquelles il faudra ensuite passer. Cela donnera plus de clarté, de visibilité, et aidera à mobiliser les énergies, à partir de quoi les autres présidences pourront ensuite aller plus loin, notamment nos amis Suédois.
Je ne développe pas - mais peut-être aurai-je des questions sur ce point - la question du grand débat qui a lieu en ce moment en Europe, non pas dans des conférences de négociations, mais tout simplement à travers des discours, ou des articles, dans la presse sur l'avenir de l'Europe à long terme. C'est un débat qui est extrêmement intéressant, qui est utile. Il y a eu beaucoup d'interventions ces derniers mois, des propositions de Jacques Delors, des réflexions de Monsieur Fischer, de beaucoup d'autres encore. Ce débat est très utile, il est très stimulant. Nous y participons, nous Français, pleinement et de façon active. Mais il faut savoir que notre responsabilité immédiate, c'est de tout faire pour résoudre la question de la réforme des institutions avec le lien que cela a sur l'élargissement. Donc il y a deux niveaux, il ne faut pas les opposer parce que chronologiquement ils ne se présentent pas avec la même intensité et au même rythme. Naturellement nos travaux pendant la Conférence intergouvernementale seront éclairés par les réflexions que nous menons sur l'avenir de l'Europe. Nous autres Français, avons toujours voulu que l'Europe devienne une puissance utile pour les Européens, utile au monde, une vraie puissance, mais qui soit en même temps respectueuse des identités nationales, qui sont une partie inaliénable de la richesse de l'Europe.
Voilà la question autour de laquelle nous tournons. Nous avons trouvé depuis des dizaines d'années des solutions percutantes et originales à cette question. Je suis sûr que nous en trouverons à nouveau dans la phase qui vient.
Car notre objectif à tous, je crois, pays fondateurs, pays membres depuis longtemps, pays candidats mais en tout cas pays européens, c'est que notre Europe à tous, qui est une partie irremplaçable de la civilisation mondiale, cette culture qui nous est commune, cette façon de comprendre l'organisation des sociétés, sur le plan humain, sur le plan politique, sur le plan juridique, ce que nous voulons c'est que cette Europe acquiert de plus en plus de rayonnement et que dans le monde globalisé dans lequel nous entrons un peu plus chaque jour, elle soit un élément précieux et irremplaçable de la globalité du monde.
Q - Sur la date d'adhésion.
R - Je pense que le problème de la date est mal posé. Et je ne pense pas qu'on fasse avancer la question des négociations d'élargissement en la ramenant sans arrêt à la question de la date d'arrivée. Je pense que c'est artificiel. Nous avons déjà , en tant que pays membres de l'Union à Quinze, fixé une date à nous-mêmes pour être prêts à accueillir les pays candidats qui seront prêts. C'est une sorte de discipline que nous nous sommes imposée, qui démontre l'importance que nous attachons à l'élargissement. Mais, si on entrait dans une logique de date pour les pays candidats, cela voudrait dire qu'il faudrait fixer douze dates. Fixer douze dates identiques ? C'est évidemment absurde compte tenu de l'extrême variété des situations. Alors fixer douze dates différentes ? Vous imaginez les interrogations par rapport à cela. C'est une mauvaise question - en tant que journaliste, c'est une très bonne question - mais sur le fond ce n'est pas le bonne façon de prendre le problème, c'est une mauvaise méthode. Je pense qu'il faut être sérieux dans la négociation d'élargissement. La faire avancer - les faire avancer, puisqu'il y a douze négociations différentes - les faire avancer le plus vite possible. Mais la meilleure façon de les faire avancer, c'est de résoudre les problèmes qui se posent pour l'adhésion et non pas de les enjamber de façon artificielle en fixant une date, pour, uniquement, des raisons d'impatience. Soyons aussi rapides que possible, mais soyons sérieux.
(...)
Q - (inaudible)
R - Si on se place du point de vue de l'intérieur de l'Union européenne et du point de vue des Français, ce qui est le plus attendu, c'est ce qui est le plus concret. Si vous regardez les attentes de l'opinion publique française, c'est tout ce qui concerne ce que j'ai cité au début. C'est-à-dire la consolidation de la croissance qui est redevenue très forte dans nos pays, les conséquences pour l'emploi et tout ce qui a une conséquence heureuse et positive dans la vie des gens, dans la vie sociale, dans la vie culturelle. Là, il y a une grande attente sur une Europe plus proche des gens, plus concrète. Là, je crois que pendant la présidence française, si on additionne toutes nos actions - j'en ai cité quelques-unes mais il y en e encore plus - il y aura quelque chose d'important.
Si on se place de votre point de vue et de l'inquiétude dans ce pays où on se demande si on va vraiment réussir à réformer les institutions, si on va vraiment réussir à le faire suffisamment vite, et on se demande si ça ne va pas entraîner un retard, malheureusement, des négociations d'élargissement. Vous avez un autre problème, qui est que ce pays souhaiterait que sa candidature soit examinée en tant que telle, en tant que République tchèque ; et il y a une autre conception - on traite tous les pays candidats en même temps, - donc le rythme risquerait d'être celui du pays le moins prêt. Ce sont vos soucis à vous. Par rapport à cela, ce que peut apporter la France c'est peut-être une autorité, une autorité particulière pour essayer de dénouer un ensemble de problèmes très compliqués - cette autorité au bon sens du terme, ce n'est pas autoritaire, une autorité c'est le poids politique - elle nous est donnée par l'attente des autres. Si vous regardez l'Europe aujourd'hui : tout le monde dit " la présidence française va régler ceci, va régler cela ". On attend un peu qu'on fasse des miracles. Je suis obligé de vous dire qu'on ne fera pas de miracle, mais on peut essayer de faire un très bon travail politique. Voilà, notre force aujourd'hui et notre apport particulier, nous les puisons dans l'attente et dans la confiance des autres membres par rapport à ce que nous allons faire et j'espère aussi dans l'attente et dans la compréhension des pays-candidats.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)
Conférence de presse :
Mesdames et Messieurs, mon collègue, Jan Kavan, vient de vous faire un excellent résumé des entretiens que nous avons eus. Par conséquent, je n'ai quasiment rien à ajouter en attendant vos questions, si ce n'est que je tiens à vous dire que je suis très heureux d'avoir trouvé le temps de venir à Prague avant le début de la Présidence française. C'est toujours un échange d'une très grande utilité de part et d'autre et manifestement, entre la France et la République tchèque, nous nous comprenons bien, sur tous les sujets, et cela sera un élément de grande force pour l'avenir.
Q : Les incertitudes concernant l'élargissement de l'Union européenne ne vont-elles pas créer trop de déception parmi les pays candidats ?
R - Tout cela a été tranché très clairement par le Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier. Par les Quinze, pas par la France seule, par les Quinze. Nous avons décidé de nous fixer une date à nous même, pour achever la réforme des institutions. Nous avons décidé d'être prêts à accueillir les nouveaux membres à partir de 2003. Et nous avons décidé de ne pas fixer artificiellement de date pour l'aboutissement des négociations. Quelle date aurait-il fallu fixer ? La même pour tout le monde, au risque de faire dépendre l'entrée de tous les pays de l'état de préparation du pays le moins avancé ? Ou une date par pays ? Vous imaginez quelle situation en résulterait ? Donc les Quinze ont réfléchi et conclu que c'était une mauvaise méthode. La bonne méthode et la plus sérieuse, c'est de faire avancer, et le mieux possible, les négociations, pays par pays, et surmonter les problèmes qui resteraient à résoudre.
Réussir l'élargissement est très important pour nous. Pour l'Union, et pour l'ensemble des Etats membres. Si ce n'était pas aussi important pour nous, nous aurions fait autrement. Nous aurions d'abord fait la réforme des institutions, puis nous aurions songé à nous occuper de l'élargissement après. Voilà ce que nous aurions fait si l'élargissement n'était pas très important pour nous. Mais pour des raisons historiques, politiques, parce que nous voulons la réunification de l'Europe, nous avons décidé de tout faire en même temps.
Q : Vous avez parlé de scénario pour l'élargissement ?
Nous avons en effet décidé de dessiner, d'ici la fin de la Présidence française, un scénario, sans date, mais qui comprend des étapes, par lesquelles il faudra encore passer, pour faciliter la poursuite et l'aboutissement des négociations
Q : Les pays candidat craignent que des obstacles d'ordre psychologique, davantage que d'ordre technique, bloquent le processus d'élargissement ?
R - La meilleure façon de réussir l'élargissement, c'est de régler les problèmes qui se posent. Ce n'est pas de les ignorer en restant uniquement au degré de la psychologie. S'il s'agissait simplement de constater que la République tchèque est un pays européen, ce serait fait en une seconde. Pour entrer dans l'Union, ce n'est pas la même chose, il y a l'acquis communautaire, il y a des mécanismes, et des règles de droit, toutes sortes de choses. Dans le passé, lorsque des pays comme la Grande Bretagne, le Portugal et l'Espagne ont voulu adhérer à l'Union, ils ont avancé et ont travaillé pour résoudre les problèmes qui se posaient. Je ne comprends pas pourquoi négocier sérieusement pour surmonter les problèmes entraînerait une inquiétude. Ce doit être exactement le contraire, cela doit entraîner de l'espérance, et dans un pays comme celui-ci où les choses se présentent bien, ça devrait créer de l'optimisme
Q : Avez-vous évoqué le match de football qui doit opposer ce soir la France à la République tchèque ?
R - Nous avons constaté que nous n'avions pas d'influence directe sur les résultats du match, et nous avons décidé de garder des rapports amicaux quoi qu'il arrive. Celui qui gagnera sera le meilleur.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)
ENTRETIEN AVEC LA TELEVISION "CESKA TELEVIZE-CT1" ET LA RADIO "CESKY ROZHLAS" TCHEQUES :
Q - Monsieur le Ministre, les médias et les hommes politiques de l'Europe orientale ont exprimé des craintes à l'égard d'un possible ralentissement du processus d'élargissement de l'Union européenne. Avez-vous l'impression que ces craintes sont justifiées, et comment faire pour les dissiper ?
R - Je ne sais pas sur quoi ces craintes sont fondées. Aucun calendrier n'a jamais été fixé, on ne peut donc pas dire qu'il y a un ralentissement par rapport à quoi que ce soit. Je trouve que l'on est dans le domaine d'une psychologie incompréhensible. Si l'Union européenne n'avait pas voulu élargir, elle n'aurait pas ouvert les négociations d'élargissement. Elle aurait décidé de se consacrer à la réforme des institutions, qui est un problème très important et très complexe, et aurait dit " occupons-nous d'abord de faire cette réforme, et ensuite de l'élargissement ". Etant donné que nous, les Quinze, sommes convaincus de la nécessité historique, politique, culturelle, humaine, de réaliser cet élargissement, nous avons décidé de faire tout en même temps. Nous avons donc ouvert la conférence sur la réforme des institutions et nous avons ouvert les négociations avec douze pays candidats. C'est donc la preuve absolue que, pour nous, il s'agit là d'un grand objectif. C'est d'ailleurs un seul et même objectif. Donc je ne comprends pas sur quoi sont fondées ces craintes.
Au contraire, les pays candidats devraient être rassurés de voir que les négociations ont lieu, même lorsque ces négociations butent sur des difficultés, car il est bon de connaître les difficultés, pour pouvoir les traiter, les surmonter et les résoudre. Ce processus de négociations, qui est sérieux et qui avance, devrait au contraire créer un climat d'espérance et de confiance.
Q - C'est au tour de la France d'assurer la Présidence de l'Union européenne. Cet élargissement qu'on voudrait rapide, en République tchèque, est-il la priorité de la France, ou bien l'une des priorités, ou est-ce qu'on recule déjà devant les difficultés inhérentes à la réforme ?
R - La réforme des institutions et la réussite de l'élargissement sont un seul et même objectif. On ne peut pas faire l'un sans l'autre. Nous devons faire l'élargissement. Je le répète, nous avons ouvert des négociations pour l'élargissement, c'est la preuve que nous allons dans cette direction. On ne peut pas faire l'élargissement si l'on n'a pas réformé les institutions, donc nous avons entamé la réforme des institutions. Nous allons avancer pour essayer d'obtenir un résultat et nous ferons tout ce qui dépend de nous, Présidence française, pour avoir un résultat au mois de décembre. Nous ferons aussi tout ce que nous pouvons pour que les négociations d'adhésion soient de plus en plus concrètes, entrent dans le vif du sujet, ce qui est la meilleure façon d'avancer. Pour nous, c'est un seul et même objectif.
Q - Nous avons parlé du scénario d'accession. De quoi dépend ce scénario, quelle forme devrait-il revêtir ?A-t-on déjà une idée à ce sujet ?
R - Il s'agirait d'indiquer dès que possible à chaque pays candidat - puisque les Quinze ont décidé au Conseil européen d'Helsinki en décembre dernier, de raisonner pays par pays et non plus par groupe ou par vague, il s'agirait donc de dire dès que possible " voilà ce qui a été réglé avec vous, voilà ce qui reste à régler et voilà les étapes qu'il reste à franchir pour mener à bien la négociation ". Ce n'est pas un calendrier parce qu'on ne peut pas fixer de date, ce serait totalement artificiel et complètement arbitraire. En effet, quelle date fixer ? La même date pour tout le monde ? Une date pour chaque pays. Vous imaginez la complexité et les réactions que cela susciterait ? C'est donc une mauvaise méthode et ce n'est pas ainsi que la question se pose.
En revanche si l'on est sérieux et si l'on veut vraiment aboutir, comme c'est notre cas, il faut indiquer à chaque pays ce qu'il doit encore faire pour arriver au terme de la négociation. Voilà ce que nous mettrons dans ce que nous commençons à appeler " scénario ". Mais cela reste à préciser, pour le moment ce n'est qu'une idée.
Q - L'Union européenne pense-t-elle répondre aux hommes d'Etat des pays de la première vague qui se sont récemment réunis à Ljubljana, et aux quatre Premiers ministres de Visegrad qui se sont réunis à Prague il y a une semaine, et qui ont exprimé des craintes quant au ralentissement de l'élargissement ?
R - Il n'y a pas de ralentissement et je ne vois pas pourquoi il y aurait des craintes, sauf si elles sont entretenues de façon artificielle pour éviter la négociation . Je crois au contraire que la meilleure réponse est de négocier sérieusement si l'on veut avancer. D'autre part, il n'y a plus de vagues. Nous avons décidé à Helsinki en décembre dernier - quand je dis nous ce sont les Quinze, ce ne sont pas les Français seuls - les Quinze pays ont décidé qu'on ne raisonnerait plus par vague ni par groupe. Chaque candidature sera considérée en fonction de ses mérites propres. C'est d'ailleurs normal puisque les problèmes à résoudre ne sont pas tout à fait les mêmes d'un pays à l'autre. Par conséquent, la meilleure réponse aux questions qui peuvent se poser est toujours la même : avançons dans la négociation et avançons sérieusement. La remarque est valable pour les pays candidats mais elle est aussi valable pour nous, pour l'Union comme pour la Commission, bien sûr.
Q - Vous avez parlé de la nécessité d'une Union européenne forte. Pouvez-vous nous dire quels sont les avantages et les désavantages de l'élargissement ?
R - L'avantage est évident : c'est un plus grand potentiel économique et un plus grand potentiel humain. D'autre part, je ne sais pas si le terme " avantage " convient, mais l'élargissement répond à un objectif humain, culturel et historique, qui est celui de la réunification, de l'unification de l'Europe. L'Europe sera ainsi plus forte qu'elle n'aura jamais été. C'est un objectif en soi. Il est même inutile de se demander quels sont les avantages et les inconvénients, c'est une chose que l'on doit faire, tout simplement. Voilà tous les aspects positifs. Le problème posé est le même qu'à chaque élargissement. Je veux dire par là que ce n'est pas lié aux pays candidats, mais au nombre, tout simplement. Chaque fois que l'Europe s'est élargie, en passant de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze et de douze à quinze, cela a posé des problèmes sur le mode de représentation, le fonctionnement des différentes institutions, l'équilibre entre elles, et le poids de chaque pays. Donc il y a un problème de mécanique de décisions. Nous souhaitons que l'Union européenne puisse continuer à fonctionner même après le grand élargissement, et d'ailleurs vous le souhaitez certainement puisque si votre pays veut entrer dans l'Europe c'est parce qu'elle marche - on ne veut pas entrer dans une Europe qui ne marche pas. Notre intérêt est donc le même : il faut réussir l'élargissement. C'est le sens de cette expression. Cela veut dire résoudre les problèmes de telle façon que l'Union Européenne en sorte non pas affaiblie, mais renforcée.
Q - Monsieur le Ministre est-ce que les populations des quinze pays membres comprennent les choses de cette manière ? Quelle est l'atmosphère au sein des populations des Quinze ?
R - Les populations des Quinze sont variées, l'état d'esprit peut changer. Ce que je sais c'est ce qui a été décidé par les dirigeants des Quinze. C'est de mener à bien les négociations d'élargissement, de les réussir et d'avoir réformé auparavant l'Union européenne pour qu'elle puisse faire face à cette nouvelle étape de son développement. Voilà ce que vous devez regarder, quelle est la décision et quelle est la volonté. Et elle sont claires.
Q - Mais l'opinion publique française ?
R - L'opinion en France se traduit par les décisions prises par les responsables français. Et quand je vous parle des décisions des Quinze, c'est évidemment avec l'accord de la France, sinon il n'y aurait pas de décision des Quinze. Nous avons joué un rôle important pour que soient prises ces décisions sur le lancement de la conférence sur la réforme des institutions et les négociations d'élargissement. Et nous allons encore jouer un rôle dans le cadre de la Présidence française de l'Union, pour que les négociations d'élargissement soient de plus en plus concrètes et de plus en plus efficaces. Voilà la réponse de la France.
Q - Une préoccupation est récemment apparue quant à l'hypothèse d'une Europe à deux vitesses, avec l'existence d'un noyau dur. Ne va-t-on pas vers deux catégories de pays-membres : les forts, participant pleinement à l'intégration, et les autres, qui continueraient à faire antichambre ?
R - Il y a toujours eu en Europe un débat, une réflexion, sur l'avenir de l'Europe à long terme. A mesure que l'Europe s'élargit et que le fonctionnement des institutions devient plus complexe, ce débat de développe. Avec des propositions de deux types. La première famille regroupe des propositions pragmatiques, fondées surs la souplesse, la géométrie variable, les coopérations renforcées. Une autre propose des solutions de type fédéral, avec un noyau dur, une avant-garde, un centre de gravité. Là en effet, ce sont des proposition, des idées qui peuvent poser le problème d'une séparation de l'Europe en deux catégories. L'idée du noyau dur avait été lancée il y a quelques années par un rapport allemand, celui de M. Schauble, M. Lammers. Cette idée est toujours restée dans les préoccupations. Aujourd'hui ce débat est relancé à travers un certain nombre d'interventions, mais il ne faut pas confondre les deux choses. Il y a le débat qui est très ouvert, tout le monde peut y participer, hommes politiques, spécialistes, commentateurs. Il faut que ce débat soit démocratique et ouvert, c'est un débat sur l'Europe à long terme. Mais ce n'est pas cela dont nous sommes en train de débattre aujourd'hui. Dans la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, nous ne sommes pas en train de préparer une Europe à deux vitesses. C'est le contraire. Nous faisons des réformes pour que l'Europe toute entière puisse fonctionner mieux. Voilà, il ne faut pas mélanger. Ce débat est très intéressant, très important. Il faut y participer, faire valoir les points de vue des uns et des autres, des pays-membres et des candidats, c'est tout à fait légitime. Mais il faut bien voir sur quoi porte la négociation institutionnelle actuelle.
Q - Si quelque chose se complique et que les négociations d'adhésion n'aboutissent pas vers 2003, 2004, ne craignez-vous pas une déstabilisation de la moitié Est de l'Europe ?
R - Je trouve qu'il y a trop de craintes dans vos questions...
Q - ...C'est vrai. Mais je ne suis pas le seul, cet article de " The Economist " ne vient pas de chez nous...
R - Il y a beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations, et honnêtement, je ne comprends pas pourquoi. La négociation a lieu. Je ne pense pas que vous ayez à redouter la négociation. Les pays candidats savent bien qu'il faut négocier pour entrer dans l'Union européenne. Cela ne consiste pas simplement à reconnaître le caractère européen des pays-candidats. Bien sûr les pays-candidats sont européens. Ils n'ont pas besoin de négociations pour qu'on le leur dise. Mais pour entrer dans l'Union européenne, pour pouvoir s'adapter aux règles de l'Union européenne, au système juridique, pour reprendre les acquis communautaires, évidemment il faut une préparation, une négociation. Nous sommes en train de négocier. Que peut-on faire de plus que bien négocier et avancer ? Toutes ces craintes me paraissent sans fondement à cet égard.
Q - Le ministre tchèque des Affaires étrangères, M. Kavan, a dit que vous voyiez la situation dans notre pays d'une manière très optimiste. Et vous l'avez dit vous-même . Quelle est la raison de votre optimisme?
R - Je ne me permettrais pas de commenter la situation dans votre pays, je ne vais pas m'immiscer dans les affaires intérieures de la République tchèque. Je parle simplement de la négociation. Nous savons tous, ce n'est pas un " scoop ", que dans la négociation d'adhésion avec la République tchèque, il n'y a pas de problème très important, ni très compliqué. Il y a des problèmes à résoudre, mais nous savons bien que s'agissant de votre pays, il n'y aura pas de blocage. C'est ce que j'ai constaté sur ce seul point. Raison de plus pour ne pas se laisser aller à des craintes. Mais j'ajouterai que même s'agissant de pays pour lesquels des problèmes plus complexes se posent, il sont faits pour être surmontés, précisément. Voilà pourquoi il faut avancer dans la négociation, pour bien identifier les difficultés et y trouver des solutions. On en trouvera. Le temps des inquiétudes et des interrogations devrait être dépassé. Ce devrait être maintenant un temps d'espérance, un temps d'optimisme, mais aussi un temps de travail et un temps de préparation active.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Madame la Directrice,
Mesdames et Messieurs.
Je suis très heureux d'avoir l'occasion d'intervenir ce matin devant vous dans le cadre historique prestigieux du palais Cernin, où vous nous faites, Monsieur le Ministre, l'honneur de votre hospitalité. Je voudrais remercier la Fondation Bohemiae et sa directrice, Mme Stefkova, qui ont organisé cette rencontre. Je salue les ambassadeurs ici présents, ainsi que les représentants, de tous horizons, de la société tchèque.
La République tchèque est un partenaire majeur de la France et de l'Union européenne en Europe centrale. Elle sera demain un Etat membre de l'Union, appelée à jouer un rôle de premier plan grâce aux nombreux atouts dont elle dispose et à la vision historique qui est la sienne. C'est dans cet esprit que j'ai tenu à effectuer, après le président de la République et après le Premier ministre, une nouvelle visite à Prague, tout juste avant le début de la Présidence française de l'Union européenne. Prague est une ville où je suis venu déjà assez souvent, mais qu'on ne connaît jamais assez et qui émerveille toujours autant.
Je souhaiterais mettre à profit notre rencontre pour, en quelques mots, vous indiquer les orientations et les objectifs qui seront les nôtres pendant cette période et qui peuvent présenter un intérêt direct pour la République tchèque.
A partir du 1er juillet, donc, la France va exercer la présidence pour une durée de six mois, mais les présidences de l'Union qui ont lieu au second semestre ont en réalité une durée utile moins longue puisqu'il faut tenir compte d'une pause pendant le mois d'août, et qu'en général les travaux communautaires ne durent pas tout à fait jusqu'à la fin du mois de décembre. C'est donc souvent une présidence qui est plus tendue, pour des raisons d'organisation, que celles du premier semestre.
Pendant cette période, le Conseil européen va se réunir deux fois, la première fois à Biarritz en octobre, et la seconde fois à Nice en décembre. Le Conseil des ministres, dans ses différentes formations, tiendra plus de cinquante réunions. S'y ajouteront les très nombreuses séances de travail à des niveaux plus techniques.
Notre première ambition naturellement, comme toute présidence, est d'assurer le bon fonctionnement de l'Union, qui a eu tendance à se dégrader au fil des ans. Nous chercherons à avoir la meilleure continuité possible avec le Portugal, dont la présidence n'est pas terminée, que je salue d'ailleurs pour le très bon travail qui a été fait - mais aussi avec la Suède, qui prendra notre suite. Cet élément de continuité entre les pays qui exercent cette présidence tournante est fondamental dans notre système et explique les succès que l'Europe finit par obtenir sur des dossiers même difficiles, car il est très rare qu'un problème sérieux puisse se dénouer complètement en six mois, les grandes affaires se traitent donc souvent sur deux, trois, quatre, ou cinq présidences.
Pour autant, chaque pays conserve la possibilité d'imprimer sa marque et son style à l'exercice de la présidence, avec la volonté de donner certaines impulsions et inflexions. C'est naturellement tout à fait notre intention.
Je ne vais pas vous faire ici une présentation détaillée de tous les objectifs de notre présidence, qui sont évidemment nombreux. Mais je voudrais vous exposer les grandes lignes, avant d'insister tout spécialement sur le dossier de l'élargissement dans ses différentes dimensions. Mais avant d'en venir à cette question de l'élargissement qui vous intéresse en priorité, je vais vous donner quelques indications sur nos autres objectifs. Notamment les objectifs internes, qui sont très importants pour les pays membres mais ont certainement une influence et un intérêt pour les pays-candidats. Les pays candidats, quand ils sont aussi proches et avec des relations aussi étroites que déjà la République tchèque avec les pays membres de l'Union, ont un intérêt très direct à savoir ce que nous faisons, bien au-delà même des questions relatives aux négociations d'élargissement.
Le premier des objectifs que nous allons chercher à atteindre est d'ordre économique et social : il vise à renforcer la croissance dans l'Union, au service de l'emploi. La France plaide depuis de longues années pour que l'emploi soit au coeur des préoccupations de l'Union et devienne l'objet principal de ses politiques. Depuis trois ans, notamment à l'initiative du gouvernement français, chaque année se tient au moins un Conseil européen consacré spécialement à ces questions. Au dernier Conseil européen de Lisbonne, nous avons eu des débats très intéressants sur ce point, et très utiles ; nous avons mis en commun nos expériences les plus réussies et nous avons comparé ce qui fonctionnait le mieux dans les politiques économiques des pays européens.
Dans le prolongement des décisions prises à Lisbonne, la présidence française se fixe quatre objectifs pour la croissance et l'emploi.
Le premier point, c'est l'adoption d'un agenda social européen défini en accord avec les partenaires sociaux et permettant d'améliorer dans les 5 ans qui viennent le niveau de protection sociale ainsi que la lutte contre toutes les formes d'exclusion et de discrimination.
Ensuite le renforcement, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque centrale européenne, du pôle économique constitué notamment par les ministres de l'Euro-11. Vous savez que l'euro est peut-être la réalisation la plus spectaculaire de l'Union européenne jusqu'à maintenant. Tous les pays n'en sont pas encore membres, il y en a 11, c'est pour cela qu'on parle de l'Euro 11, bientôt 12. Les fondamentaux économiques de l'Union européenne sont à l'heure actuelle excellents, quels que soient les évolutions du cours de l'euro qui ne doivent pas nous préoccuper outre mesure. Ce n'est pas anormal qu'une aussi grande monnaie appelée à jouer un rôle aussi fondamental dans les échanges internationaux mette quelques temps à trouver son niveau exact. Au demeurant, il faut se rappeler que les 17 années de croissance consécutive que les Etats-Unis connaissent, ont commencé par plusieurs années de ce qu'on a appelé le dollar faible, mais qui avait eu en même temps un effet d'accélérateur
- pour d'autres raisons - sur l'économie américaine. Donc il faut examiner cette question de l'euro avec beaucoup de sérénité, c'est ce que nous faisons. Le seul point qui est un peu défaillant et que nous voulons perfectionner, précisément, c'est cette capacité de pilotage en matière de politique économique pour la zone de l'Euro-11. Donc cela fera partie de nos objectifs.
Autre objectif dans ce domaine : le développement d'une société de l'information à l'échelle européenne. Nous souhaitons, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, que toutes les écoles européennes soient reliées à l'Internet avant la fin 2001. Ensuite, la construction d'une véritable Europe de la connaissance, pour faciliter la mobilité des étudiants et des chercheurs entre les pays de l'Union, mais aussi avec les pays candidats à l'adhésion. C'est un sujet très important pour les jeunes d'Europe on en parle depuis toujours, depuis quasiment le début de la construction européenne. Il y a des programmes remarquables , mais ce n'est pas suffisant par rapport à la demande. Il y a une demande presque inépuisable pour retrouver cette mobilité qui existait à d'autres époques historiques et qu'il faut reproduire aujourd'hui avec tous les moyens modernes. Notre volonté est de multiplier par dix, sur une période de 5 ans, le nombre d'étudiants en mobilité.
Le second grand objectif porte sur ce que l'on appelle l'Europe des citoyens, c'est-à-dire tout ce qui fait que l'Europe peut être utile à chacun et de façon compréhensible, de façon perceptible. Je vais prendre quelques exemples concrets.
La protection des consommateurs et de la santé publique. C'est un point qui est de plus en plus important. A travers quelques incidents, quelques problèmes qui mettent en évidence une insuffisance de vigilance ou une rapidité insuffisante de réaction. Il y a toujours à améliorer sur ce plan, il y a toujours à perfectionner autour du principe de précaution. Précisément, nous voulons que soit mise en place dans les meilleurs délais, une autorité alimentaire européenne et nous voulons faire progresser sur le plan international, le principe de précaution.
Ensuite l'environnement. Nous voulons contribuer au succès de la réunion des parties au Protocole de Kyoto sur la lutte contre l'effet de serre à La Haye en novembre prochain. La France est d'ailleurs dans une très bonne position par rapport à l'effet de serre parce qu'une très grande partie de notre électricité est d'origine nucléaire civile et, par conséquent, nous sommes parmi les grands pays développés, celui qui contribue le moins à l'effet de serre. Nous avons en outre mieux respecté les objectifs définis par le Protocole de Kyoto que d'autres pays développés, qui ont beaucoup de mal à prendre les mesures concrètes qui diminueraient l'effet de serre, parce que cela suppose des modifications en profondeur de l'appareil de production et de certains modes de consommation.
Autre sujet - dans l'Europe des citoyens - très proche des gens et des attentes des Européens : la coopération dans le secteur de la justice et des affaires intérieures. Nous souhaitons développer une véritable politique européenne d'asile et d'immigration. Nous souhaitons créer un espace judiciaire européen fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
J'en viens maintenant au plan externe. Pour dire que l'un des objectifs principaux de la Présidence française sera de renforcer la Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne notamment dans sa composante de sécurité et de défense.
Vous savez qu'il y a quelques années, nous sommes arrivés à la conclusion que l'Union européenne était arrivée à un tel stade de développement qu'il était anormal qu'elle n'ait aucune compétence, aucune capacité en matière de défense et de sécurité, qu'elle ne puisse pas par elle-même décider d'agir ou d'intervenir quand par malheur se posent des problèmes grave, notamment à sa périphérie. Pendant longtemps cette question était bloquée. On parlait de " pilier européen de l'Alliance atlantique " depuis au moins l'époque du président Kennedy, mais il ne s'était jamais rien passé en pratique. Et depuis 1998, grâce à un changement d'attitude de la Grande-Bretagne d'une part et de la France, d'autre part - chacun des deux pays ayant fait certains compromis sur cette question -, nous avons pu dégager une nouvelle ligne originale autour de laquelle les Quinze se sont retrouvés et nous sommes en train de mettre en place cette Identité européenne de défense et de sécurité à l'intérieur de l'Alliance Atlantique, mais qui repose sur une vraie autonomie et sur une vraie capacité pour être informée pour analyser, pour réagir le cas échéant. Ainsi, nous estimons que l'Union européenne devrait être capable, à l'horizon 2003 , de mobiliser 50 à 60000 hommes sur un théâtre extérieur, pour une durée d'au moins un an. Voilà l'objectif.
Je voudrais ici, comme je l'ai fait dans d'autres pays candidats à l'adhésion à l'Union, comme je l'ai fait à Washington il y a quelques jours, et à Florence lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l'OTAN, dissiper quelques malentendus. Cette volonté des Quinze dont je vous ai rappelé l'origine n'est pas de concurrencer l'OTAN. Nous ne sommes pas absurdes. Le rôle de l'OTAN reste essentiel en matière de défense collective et de gestion des crises. La défense européenne n'est pas incompatible avec le lien transatlantique. Au contraire, nous pensons même que l'Alliance sera enrichie et renforcée par cette évolution. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir longuement avec Madeleine Albright, Sandy Berger et avec M. Cohen. Je crois qu'aujourd'hui les responsables américains - je parle des responsables de l'administration mais c'est avec eux que nous parlons directement , bien sûr - comprennent bien que notre démarche vise à doter l'Union d'un instrument qui lui faisait jusqu'à présent défaut et qui est indispensable à l'affirmation de son rôle sur la scène internationale. D'ailleurs il y a très longtemps que les Etats-Unis se tournent vers nous en nous disant " il faudrait qu'il y ait un meilleur partage du fardeau ". Alors, partage du fardeau, nous y sommes prêts, plus qu'avant, mais cela suppose aussi une certaine redistribution des responsabilités et un certain partage de la décision. Ce qui est important du point de vue de la République tchèque comme de certains autres pays candidats, c'est qu'à aucun moment nous n'avons demandé aux pays membres de l'OTAN et candidats à l'adhésion de choisir entre les deux organisations. Le problème ne se pose évidemment pas en ces termes. Donc il ne faut pas opposer ce qui est complémentaire. Il n'y a pas d'antagonisme, il n'y a que de la synergie.
Dans cette phase de transition nous sommes en train de mettre en place des dispositifs nouveaux. Nous demandons de la patience, de la sérénité, du pragmatisme, notamment dans l'effort que nous faisons pour installer nos structures intérimaires de décision dans l'Europe avant de pouvoir mettre en place les structures définitives. Et d'ailleurs, dans cette phase, les pays comme la République tchèque, membres de l'OTAN, pas encore membres de l'Union européenne, sont tout à fait pris en compte dans nos réflexions. Tout en préservant l'autonomie de décision de l'Union, des mécanismes particuliers de concertation seront mis en place avec eux, y compris dans le domaine des industries de la défense, où la République tchèque dispose d'un savoir-faire reconnu.
Pour la politique étrangère elle-même, notre ambition n'est pas de décréter du jour au lendemain une politique étrangère européenne unique. Comme pour la monnaie d'ailleurs. Nous parlons d'une politique étrangère commune, fondée sur des actions communes. Chaque Etat membre conserve en ce domaine une spécificité et une identité liées à la diversité des héritages historiques et culturels. C'est évidemment vrai de la politique étrangère française, mais de beaucoup d'autres politique étrangère en Europe. Ce que nous cherchons, c'est faire en sorte que l'Europe bénéficie de cette richesse, et non pas de procéder à un nivellement qui, au total, serait un appauvrissement. La politique étrangère de l'Europe doit être le résultat de cette variété, nous voulons procéder par addition ou multiplication et non pas par soustraction.
Sous la présidence française, en liaison et via notre Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana, notre effort portera en priorité - vous comprendrez pourquoi - sur les Balkans et sur la Méditerranée. Mais l'Union devra par ailleurs réfléchir aux moyens concrets de relancer le partenariat avec la Russie, qui est le complément indispensable du processus d'élargissement en cours, et d'améliorer les modalité de coopération avec ce pays. Nous aurons un certains nombre d'occasions, dans les semaines qui viennent, de travailler avec la Russie, notamment lors des réunions ministérielles et du Sommet du G8 qui se tiendront en juillet au Japon. Il faut faire le bilan de l'aide apportée à l'Union soviétique, puis à la Russie depuis une dizaine d'années, pour essayer de l'améliorer en la rendant plus exigeante, pour qu'elle ne soit pas détournée de son objet, mais en faisant également en sorte que les pays occidentaux et le FMI apportent à la Russie une aide mieux adaptée à ses besoins. Je veux dire par là qu'aujourd'hui la Russie a besoin d'un Etat efficace, moderne, démocratique - ce qui n'a pas vraiment existé auparavant -. C'est une nécessité aussi, pour le bon fonctionnement de l'économie de marché, et en termes de garanties à donner aux investissement étrangers. L'aide internationale doit aussi aider à construire cet Etat moderne et démocratique.
J'en viens maintenant à la question qui vous intéresse le plus, qui est celle de l'élargissement. C'est un élément déterminant pour l'avenir de la construction européenne, c'est beaucoup plus important que quand l'Union européenne est passée de 6 membres à neuf, puis de 9 à 10, de 10 à 12 et de 12 à 15. Parce que la perspective est un passage de 15 à 27, voire peut-être 30. Il y a encore des pays d'Europe qui sont incontestablement européens et qui ne sont pas à ce stade candidats. Nous sommes donc à un moment important. Mais nous voulons surmonter les difficultés. C'est pour cela que nous avons fixé des échéances et des mécanismes de décision prenant en compte les deux objectifs : réussir l'élargissement et réussir la réforme des institutions. Si l'Union Européenne n'avait été préoccupée que de la réforme de ses institutions, elle aurait lancé une Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions et elle aurait dit " nous nous occuperons de l'élargissement après ". Mais il y a pour nous un impératif historique et il y a une attente de la part des pays candidats. Ces pays, à commencer par le vôtre, ont entrepris et mené à bien tant de réformes déjà, avec beaucoup de courage politique. D'un autre côté, nous ne pouvions pas raisonner comme si l'élargissement devait être une préoccupation exclusive du reste, parce que les pays candidats veulent adhérer à l'Union Européenne parce qu'elle est forte, et parce qu'elle fonctionne. Ils n'auraient aucun intérêt à intégrer un ensemble paralysé parce que les réformes nécessaires n'auraient pas été faites. Donc il fallait prendre les deux choses de front. C'est pour cela que nous avons aujourd'hui simultanément la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, qui a commencé sous présidence portugaise, et que nous voulons mener à bien - je vais en dire un mot tout de suite - et d'autre part les négociations d'élargissement qui elles aussi doivent entrer dans une phase plus intense.
En ce qui concerne la réforme institutionnelle, vous savez que nous avons à traiter trois sujets qui n'avaient pu être résolus à Amsterdam. D'abord, une re-pondération des voix. Parce qu'aujourd'hui, dans le système de décisions, le nombre de voix n'a plus de rapport avec le poids réel des pays et il faut rendre les choses plus justes sur ce plan. Nous voulons pouvoir étendre le vote à la majorité qualifiée pour que les décisions se prennent plus facilement, plus rapidement - mais les deux choses sont liées, bien sûr : pour pouvoir élargir la majorité qualifiée, il faut au préalable une repondération juste et équitable. En ce qui concerne la Commission, pour qu'elle puisse demeurer un organe efficace et collégial, nous voulons à la fois en plafonner le nombre de membres et mieux en hiérarchiser les fonctions.
Ce sont les trois sujets dits " d'Amsterdam " , qui ont l'air simples ainsi résumés, mais qui posent pour chacun des difficultés considérables , mais dont nous avons bien l'intention de venir à bout.
A cela s'ajoute un quatrième sujet - nous venons de décider de l'introduire dans les négociations - que nous appelons les coopérations renforcées. Cela signifie simplement que plus l'Europe va s'élargir, plus il sera difficile de bâtir de nouvelles politiques communes auxquelles participeront tout de suite l'ensemble des pays, du fait de la variété des situations, des centres d'intérêt, des situations géographiques. Nous avons besoin d'un mécanisme souple permettant à des groupes de pays de mener ensemble un projet commun, auxquels se joint l'ensemble des pays qui le souhaitent. Car ce sera toujours des procédures ouvertes. C'est ainsi qu'a été lancé l'euro, c'est ainsi qu'a été lancé Schengen, et c'est ainsi que l'on a fait l'Airbus. Mais à l'époque ça ne s'appelait pas " coopération renforcée ". A l'époque on le faisait, tout simplement. Ca s'appelle coopération renforcée depuis que c'est inscrit dans le traité d'Amsterdam. Mais le Traité d'Amsterdam a soumis cette coopération à tant de conditions préalables qu'en réalité c'est un mécanisme inutilisable. Donc notre quatrième objectif c'est d'assouplir ce mécanisme de coopération pour le rendre utilisable.
Voilà la négociation. Nous nous sommes fixé une contrainte de date. Autant il est artificiel de fixer des dates pour l'aboutissement des négociations d'adhésion, qui doivent aller le plus vite possible mais résoudre des problèmes très concrets, autant nous, les Quinze, nous devons nous obliger à aboutir dans un certain délai puisque nous avons décidé il y a quelques mois, que nous devons être capables d'accueillir de nouveaux membres à partir de janvier 2003. Si l'on tient compte que cela passe par une modification du Traité, si l'on tient compte du fait qu'un traité nouveau doit être ratifié dans tous les pays, soit par référendum, soit par les parlements, cela signifie qu'il faut avoir achevé nos réformes à la fin de l'année, c'est-à-dire à la fin de la présidence française. Ce qui signifie qu'il y a une attente importante, parfois un peu préoccupante - mais nous allons tout faire pour être à la hauteur de ces enjeux, puisque toute l'Europe espère que les difficultés auront été surmontées lors du Conseil européen de Nice.
Nous, Français, ferons tout ce qui dépend de nous, en tant que président. Mais, naturellement, on ne peut pas se substituer à chacun des quatorze autres membres. Il faudra donc que l'ensemble des pays fasse preuve d'élan, de foi, d'enthousiasme européen et aussi d'esprit de compromis, pour arracher à la fin de l'année les solutions dont nous avons absolument besoin pour la suite et notamment pour réussir l'élargissement.
J'en viens à l'élargissement. Les négociations d'adhésion ont commencé ; il y a eu six pays d'abord, six pays ensuite. Mais nous avons décidé à Helsinki en décembre dernier que désormais nous ne raisonnons plus par groupes, ni par vague. Nous avons décidé que chaque candidature sera jugée en fonction de ses mérites propres. La négociation est une affaire sérieuse. Ce n'est pas une décision politique dans laquelle on fait entrer les gens qui vous plaisent et pas ceux qui ne vous plaisent pas. La négociation a commencé. Il faut que les pays candidats reprennent les acquis communautaires, identifient les problèmes lorsqu'il y en a, pour voir comment ils peuvent être surmontés. Dans les négociations d'adhésion précédentes, on a su trouver des solutions adaptées, des exceptions temporaires, des périodes de transition, à conditions qu'il n'y en ait pas trop, qu'elles ne soient pas trop longues, et qu'elles ne dénaturent pas l'ensemble de la démarche. Ce sont ces questions qu'il est urgent de poser maintenant.
En réalité , il m'est aisé d'en parler ainsi à Prague parce que je sais que la négociation avec la République tchèque n'est pas compliquée, qu'elle ne posera pas de difficultés majeures. En tout cas, nous souhaitons, pendant la présidence française faire avancer l'ensemble : réforme des institutions et élargissement, pour répondre aux attentes des pays-candidats, tout en étant sérieux, parce qu'il faut que tout fonctionne correctement ensuite. Nous voulons faire entrer les négociations dans le vif du sujet, ne pas se borner à constater que tel aspect ne soulève pas de problème et tel autre si. Il faut que la Commission puisse chercher des solutions avec les pays qui rencontreraient des difficultés, et voir si ces solutions sont acceptables par tous. C'est la meilleure façon d'avancer, et c'est ce que nous allons faire durant notre présidence. Cela devrait nous permettre d'avoir une vision plus claire en fin d'année. Encore une fois, il ne s'agit pas de fixer une date - parce que, je vous l'ai dit, ça c'est artificiel, parce que les négociations aboutissent quand elles sont terminées. Mais cela devrait quand même permettre d'aboutir à la fin de notre présidence à une sorte de scénario pour la suite des négociations, permettant de montrer les étapes par lesquelles il faudra ensuite passer. Cela donnera plus de clarté, de visibilité, et aidera à mobiliser les énergies, à partir de quoi les autres présidences pourront ensuite aller plus loin, notamment nos amis Suédois.
Je ne développe pas - mais peut-être aurai-je des questions sur ce point - la question du grand débat qui a lieu en ce moment en Europe, non pas dans des conférences de négociations, mais tout simplement à travers des discours, ou des articles, dans la presse sur l'avenir de l'Europe à long terme. C'est un débat qui est extrêmement intéressant, qui est utile. Il y a eu beaucoup d'interventions ces derniers mois, des propositions de Jacques Delors, des réflexions de Monsieur Fischer, de beaucoup d'autres encore. Ce débat est très utile, il est très stimulant. Nous y participons, nous Français, pleinement et de façon active. Mais il faut savoir que notre responsabilité immédiate, c'est de tout faire pour résoudre la question de la réforme des institutions avec le lien que cela a sur l'élargissement. Donc il y a deux niveaux, il ne faut pas les opposer parce que chronologiquement ils ne se présentent pas avec la même intensité et au même rythme. Naturellement nos travaux pendant la Conférence intergouvernementale seront éclairés par les réflexions que nous menons sur l'avenir de l'Europe. Nous autres Français, avons toujours voulu que l'Europe devienne une puissance utile pour les Européens, utile au monde, une vraie puissance, mais qui soit en même temps respectueuse des identités nationales, qui sont une partie inaliénable de la richesse de l'Europe.
Voilà la question autour de laquelle nous tournons. Nous avons trouvé depuis des dizaines d'années des solutions percutantes et originales à cette question. Je suis sûr que nous en trouverons à nouveau dans la phase qui vient.
Car notre objectif à tous, je crois, pays fondateurs, pays membres depuis longtemps, pays candidats mais en tout cas pays européens, c'est que notre Europe à tous, qui est une partie irremplaçable de la civilisation mondiale, cette culture qui nous est commune, cette façon de comprendre l'organisation des sociétés, sur le plan humain, sur le plan politique, sur le plan juridique, ce que nous voulons c'est que cette Europe acquiert de plus en plus de rayonnement et que dans le monde globalisé dans lequel nous entrons un peu plus chaque jour, elle soit un élément précieux et irremplaçable de la globalité du monde.
Q - Sur la date d'adhésion.
R - Je pense que le problème de la date est mal posé. Et je ne pense pas qu'on fasse avancer la question des négociations d'élargissement en la ramenant sans arrêt à la question de la date d'arrivée. Je pense que c'est artificiel. Nous avons déjà , en tant que pays membres de l'Union à Quinze, fixé une date à nous-mêmes pour être prêts à accueillir les pays candidats qui seront prêts. C'est une sorte de discipline que nous nous sommes imposée, qui démontre l'importance que nous attachons à l'élargissement. Mais, si on entrait dans une logique de date pour les pays candidats, cela voudrait dire qu'il faudrait fixer douze dates. Fixer douze dates identiques ? C'est évidemment absurde compte tenu de l'extrême variété des situations. Alors fixer douze dates différentes ? Vous imaginez les interrogations par rapport à cela. C'est une mauvaise question - en tant que journaliste, c'est une très bonne question - mais sur le fond ce n'est pas le bonne façon de prendre le problème, c'est une mauvaise méthode. Je pense qu'il faut être sérieux dans la négociation d'élargissement. La faire avancer - les faire avancer, puisqu'il y a douze négociations différentes - les faire avancer le plus vite possible. Mais la meilleure façon de les faire avancer, c'est de résoudre les problèmes qui se posent pour l'adhésion et non pas de les enjamber de façon artificielle en fixant une date, pour, uniquement, des raisons d'impatience. Soyons aussi rapides que possible, mais soyons sérieux.
(...)
Q - (inaudible)
R - Si on se place du point de vue de l'intérieur de l'Union européenne et du point de vue des Français, ce qui est le plus attendu, c'est ce qui est le plus concret. Si vous regardez les attentes de l'opinion publique française, c'est tout ce qui concerne ce que j'ai cité au début. C'est-à-dire la consolidation de la croissance qui est redevenue très forte dans nos pays, les conséquences pour l'emploi et tout ce qui a une conséquence heureuse et positive dans la vie des gens, dans la vie sociale, dans la vie culturelle. Là, il y a une grande attente sur une Europe plus proche des gens, plus concrète. Là, je crois que pendant la présidence française, si on additionne toutes nos actions - j'en ai cité quelques-unes mais il y en e encore plus - il y aura quelque chose d'important.
Si on se place de votre point de vue et de l'inquiétude dans ce pays où on se demande si on va vraiment réussir à réformer les institutions, si on va vraiment réussir à le faire suffisamment vite, et on se demande si ça ne va pas entraîner un retard, malheureusement, des négociations d'élargissement. Vous avez un autre problème, qui est que ce pays souhaiterait que sa candidature soit examinée en tant que telle, en tant que République tchèque ; et il y a une autre conception - on traite tous les pays candidats en même temps, - donc le rythme risquerait d'être celui du pays le moins prêt. Ce sont vos soucis à vous. Par rapport à cela, ce que peut apporter la France c'est peut-être une autorité, une autorité particulière pour essayer de dénouer un ensemble de problèmes très compliqués - cette autorité au bon sens du terme, ce n'est pas autoritaire, une autorité c'est le poids politique - elle nous est donnée par l'attente des autres. Si vous regardez l'Europe aujourd'hui : tout le monde dit " la présidence française va régler ceci, va régler cela ". On attend un peu qu'on fasse des miracles. Je suis obligé de vous dire qu'on ne fera pas de miracle, mais on peut essayer de faire un très bon travail politique. Voilà, notre force aujourd'hui et notre apport particulier, nous les puisons dans l'attente et dans la confiance des autres membres par rapport à ce que nous allons faire et j'espère aussi dans l'attente et dans la compréhension des pays-candidats.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)
Conférence de presse :
Mesdames et Messieurs, mon collègue, Jan Kavan, vient de vous faire un excellent résumé des entretiens que nous avons eus. Par conséquent, je n'ai quasiment rien à ajouter en attendant vos questions, si ce n'est que je tiens à vous dire que je suis très heureux d'avoir trouvé le temps de venir à Prague avant le début de la Présidence française. C'est toujours un échange d'une très grande utilité de part et d'autre et manifestement, entre la France et la République tchèque, nous nous comprenons bien, sur tous les sujets, et cela sera un élément de grande force pour l'avenir.
Q : Les incertitudes concernant l'élargissement de l'Union européenne ne vont-elles pas créer trop de déception parmi les pays candidats ?
R - Tout cela a été tranché très clairement par le Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier. Par les Quinze, pas par la France seule, par les Quinze. Nous avons décidé de nous fixer une date à nous même, pour achever la réforme des institutions. Nous avons décidé d'être prêts à accueillir les nouveaux membres à partir de 2003. Et nous avons décidé de ne pas fixer artificiellement de date pour l'aboutissement des négociations. Quelle date aurait-il fallu fixer ? La même pour tout le monde, au risque de faire dépendre l'entrée de tous les pays de l'état de préparation du pays le moins avancé ? Ou une date par pays ? Vous imaginez quelle situation en résulterait ? Donc les Quinze ont réfléchi et conclu que c'était une mauvaise méthode. La bonne méthode et la plus sérieuse, c'est de faire avancer, et le mieux possible, les négociations, pays par pays, et surmonter les problèmes qui resteraient à résoudre.
Réussir l'élargissement est très important pour nous. Pour l'Union, et pour l'ensemble des Etats membres. Si ce n'était pas aussi important pour nous, nous aurions fait autrement. Nous aurions d'abord fait la réforme des institutions, puis nous aurions songé à nous occuper de l'élargissement après. Voilà ce que nous aurions fait si l'élargissement n'était pas très important pour nous. Mais pour des raisons historiques, politiques, parce que nous voulons la réunification de l'Europe, nous avons décidé de tout faire en même temps.
Q : Vous avez parlé de scénario pour l'élargissement ?
Nous avons en effet décidé de dessiner, d'ici la fin de la Présidence française, un scénario, sans date, mais qui comprend des étapes, par lesquelles il faudra encore passer, pour faciliter la poursuite et l'aboutissement des négociations
Q : Les pays candidat craignent que des obstacles d'ordre psychologique, davantage que d'ordre technique, bloquent le processus d'élargissement ?
R - La meilleure façon de réussir l'élargissement, c'est de régler les problèmes qui se posent. Ce n'est pas de les ignorer en restant uniquement au degré de la psychologie. S'il s'agissait simplement de constater que la République tchèque est un pays européen, ce serait fait en une seconde. Pour entrer dans l'Union, ce n'est pas la même chose, il y a l'acquis communautaire, il y a des mécanismes, et des règles de droit, toutes sortes de choses. Dans le passé, lorsque des pays comme la Grande Bretagne, le Portugal et l'Espagne ont voulu adhérer à l'Union, ils ont avancé et ont travaillé pour résoudre les problèmes qui se posaient. Je ne comprends pas pourquoi négocier sérieusement pour surmonter les problèmes entraînerait une inquiétude. Ce doit être exactement le contraire, cela doit entraîner de l'espérance, et dans un pays comme celui-ci où les choses se présentent bien, ça devrait créer de l'optimisme
Q : Avez-vous évoqué le match de football qui doit opposer ce soir la France à la République tchèque ?
R - Nous avons constaté que nous n'avions pas d'influence directe sur les résultats du match, et nous avons décidé de garder des rapports amicaux quoi qu'il arrive. Celui qui gagnera sera le meilleur.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)
ENTRETIEN AVEC LA TELEVISION "CESKA TELEVIZE-CT1" ET LA RADIO "CESKY ROZHLAS" TCHEQUES :
Q - Monsieur le Ministre, les médias et les hommes politiques de l'Europe orientale ont exprimé des craintes à l'égard d'un possible ralentissement du processus d'élargissement de l'Union européenne. Avez-vous l'impression que ces craintes sont justifiées, et comment faire pour les dissiper ?
R - Je ne sais pas sur quoi ces craintes sont fondées. Aucun calendrier n'a jamais été fixé, on ne peut donc pas dire qu'il y a un ralentissement par rapport à quoi que ce soit. Je trouve que l'on est dans le domaine d'une psychologie incompréhensible. Si l'Union européenne n'avait pas voulu élargir, elle n'aurait pas ouvert les négociations d'élargissement. Elle aurait décidé de se consacrer à la réforme des institutions, qui est un problème très important et très complexe, et aurait dit " occupons-nous d'abord de faire cette réforme, et ensuite de l'élargissement ". Etant donné que nous, les Quinze, sommes convaincus de la nécessité historique, politique, culturelle, humaine, de réaliser cet élargissement, nous avons décidé de faire tout en même temps. Nous avons donc ouvert la conférence sur la réforme des institutions et nous avons ouvert les négociations avec douze pays candidats. C'est donc la preuve absolue que, pour nous, il s'agit là d'un grand objectif. C'est d'ailleurs un seul et même objectif. Donc je ne comprends pas sur quoi sont fondées ces craintes.
Au contraire, les pays candidats devraient être rassurés de voir que les négociations ont lieu, même lorsque ces négociations butent sur des difficultés, car il est bon de connaître les difficultés, pour pouvoir les traiter, les surmonter et les résoudre. Ce processus de négociations, qui est sérieux et qui avance, devrait au contraire créer un climat d'espérance et de confiance.
Q - C'est au tour de la France d'assurer la Présidence de l'Union européenne. Cet élargissement qu'on voudrait rapide, en République tchèque, est-il la priorité de la France, ou bien l'une des priorités, ou est-ce qu'on recule déjà devant les difficultés inhérentes à la réforme ?
R - La réforme des institutions et la réussite de l'élargissement sont un seul et même objectif. On ne peut pas faire l'un sans l'autre. Nous devons faire l'élargissement. Je le répète, nous avons ouvert des négociations pour l'élargissement, c'est la preuve que nous allons dans cette direction. On ne peut pas faire l'élargissement si l'on n'a pas réformé les institutions, donc nous avons entamé la réforme des institutions. Nous allons avancer pour essayer d'obtenir un résultat et nous ferons tout ce qui dépend de nous, Présidence française, pour avoir un résultat au mois de décembre. Nous ferons aussi tout ce que nous pouvons pour que les négociations d'adhésion soient de plus en plus concrètes, entrent dans le vif du sujet, ce qui est la meilleure façon d'avancer. Pour nous, c'est un seul et même objectif.
Q - Nous avons parlé du scénario d'accession. De quoi dépend ce scénario, quelle forme devrait-il revêtir ?A-t-on déjà une idée à ce sujet ?
R - Il s'agirait d'indiquer dès que possible à chaque pays candidat - puisque les Quinze ont décidé au Conseil européen d'Helsinki en décembre dernier, de raisonner pays par pays et non plus par groupe ou par vague, il s'agirait donc de dire dès que possible " voilà ce qui a été réglé avec vous, voilà ce qui reste à régler et voilà les étapes qu'il reste à franchir pour mener à bien la négociation ". Ce n'est pas un calendrier parce qu'on ne peut pas fixer de date, ce serait totalement artificiel et complètement arbitraire. En effet, quelle date fixer ? La même date pour tout le monde ? Une date pour chaque pays. Vous imaginez la complexité et les réactions que cela susciterait ? C'est donc une mauvaise méthode et ce n'est pas ainsi que la question se pose.
En revanche si l'on est sérieux et si l'on veut vraiment aboutir, comme c'est notre cas, il faut indiquer à chaque pays ce qu'il doit encore faire pour arriver au terme de la négociation. Voilà ce que nous mettrons dans ce que nous commençons à appeler " scénario ". Mais cela reste à préciser, pour le moment ce n'est qu'une idée.
Q - L'Union européenne pense-t-elle répondre aux hommes d'Etat des pays de la première vague qui se sont récemment réunis à Ljubljana, et aux quatre Premiers ministres de Visegrad qui se sont réunis à Prague il y a une semaine, et qui ont exprimé des craintes quant au ralentissement de l'élargissement ?
R - Il n'y a pas de ralentissement et je ne vois pas pourquoi il y aurait des craintes, sauf si elles sont entretenues de façon artificielle pour éviter la négociation . Je crois au contraire que la meilleure réponse est de négocier sérieusement si l'on veut avancer. D'autre part, il n'y a plus de vagues. Nous avons décidé à Helsinki en décembre dernier - quand je dis nous ce sont les Quinze, ce ne sont pas les Français seuls - les Quinze pays ont décidé qu'on ne raisonnerait plus par vague ni par groupe. Chaque candidature sera considérée en fonction de ses mérites propres. C'est d'ailleurs normal puisque les problèmes à résoudre ne sont pas tout à fait les mêmes d'un pays à l'autre. Par conséquent, la meilleure réponse aux questions qui peuvent se poser est toujours la même : avançons dans la négociation et avançons sérieusement. La remarque est valable pour les pays candidats mais elle est aussi valable pour nous, pour l'Union comme pour la Commission, bien sûr.
Q - Vous avez parlé de la nécessité d'une Union européenne forte. Pouvez-vous nous dire quels sont les avantages et les désavantages de l'élargissement ?
R - L'avantage est évident : c'est un plus grand potentiel économique et un plus grand potentiel humain. D'autre part, je ne sais pas si le terme " avantage " convient, mais l'élargissement répond à un objectif humain, culturel et historique, qui est celui de la réunification, de l'unification de l'Europe. L'Europe sera ainsi plus forte qu'elle n'aura jamais été. C'est un objectif en soi. Il est même inutile de se demander quels sont les avantages et les inconvénients, c'est une chose que l'on doit faire, tout simplement. Voilà tous les aspects positifs. Le problème posé est le même qu'à chaque élargissement. Je veux dire par là que ce n'est pas lié aux pays candidats, mais au nombre, tout simplement. Chaque fois que l'Europe s'est élargie, en passant de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze et de douze à quinze, cela a posé des problèmes sur le mode de représentation, le fonctionnement des différentes institutions, l'équilibre entre elles, et le poids de chaque pays. Donc il y a un problème de mécanique de décisions. Nous souhaitons que l'Union européenne puisse continuer à fonctionner même après le grand élargissement, et d'ailleurs vous le souhaitez certainement puisque si votre pays veut entrer dans l'Europe c'est parce qu'elle marche - on ne veut pas entrer dans une Europe qui ne marche pas. Notre intérêt est donc le même : il faut réussir l'élargissement. C'est le sens de cette expression. Cela veut dire résoudre les problèmes de telle façon que l'Union Européenne en sorte non pas affaiblie, mais renforcée.
Q - Monsieur le Ministre est-ce que les populations des quinze pays membres comprennent les choses de cette manière ? Quelle est l'atmosphère au sein des populations des Quinze ?
R - Les populations des Quinze sont variées, l'état d'esprit peut changer. Ce que je sais c'est ce qui a été décidé par les dirigeants des Quinze. C'est de mener à bien les négociations d'élargissement, de les réussir et d'avoir réformé auparavant l'Union européenne pour qu'elle puisse faire face à cette nouvelle étape de son développement. Voilà ce que vous devez regarder, quelle est la décision et quelle est la volonté. Et elle sont claires.
Q - Mais l'opinion publique française ?
R - L'opinion en France se traduit par les décisions prises par les responsables français. Et quand je vous parle des décisions des Quinze, c'est évidemment avec l'accord de la France, sinon il n'y aurait pas de décision des Quinze. Nous avons joué un rôle important pour que soient prises ces décisions sur le lancement de la conférence sur la réforme des institutions et les négociations d'élargissement. Et nous allons encore jouer un rôle dans le cadre de la Présidence française de l'Union, pour que les négociations d'élargissement soient de plus en plus concrètes et de plus en plus efficaces. Voilà la réponse de la France.
Q - Une préoccupation est récemment apparue quant à l'hypothèse d'une Europe à deux vitesses, avec l'existence d'un noyau dur. Ne va-t-on pas vers deux catégories de pays-membres : les forts, participant pleinement à l'intégration, et les autres, qui continueraient à faire antichambre ?
R - Il y a toujours eu en Europe un débat, une réflexion, sur l'avenir de l'Europe à long terme. A mesure que l'Europe s'élargit et que le fonctionnement des institutions devient plus complexe, ce débat de développe. Avec des propositions de deux types. La première famille regroupe des propositions pragmatiques, fondées surs la souplesse, la géométrie variable, les coopérations renforcées. Une autre propose des solutions de type fédéral, avec un noyau dur, une avant-garde, un centre de gravité. Là en effet, ce sont des proposition, des idées qui peuvent poser le problème d'une séparation de l'Europe en deux catégories. L'idée du noyau dur avait été lancée il y a quelques années par un rapport allemand, celui de M. Schauble, M. Lammers. Cette idée est toujours restée dans les préoccupations. Aujourd'hui ce débat est relancé à travers un certain nombre d'interventions, mais il ne faut pas confondre les deux choses. Il y a le débat qui est très ouvert, tout le monde peut y participer, hommes politiques, spécialistes, commentateurs. Il faut que ce débat soit démocratique et ouvert, c'est un débat sur l'Europe à long terme. Mais ce n'est pas cela dont nous sommes en train de débattre aujourd'hui. Dans la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, nous ne sommes pas en train de préparer une Europe à deux vitesses. C'est le contraire. Nous faisons des réformes pour que l'Europe toute entière puisse fonctionner mieux. Voilà, il ne faut pas mélanger. Ce débat est très intéressant, très important. Il faut y participer, faire valoir les points de vue des uns et des autres, des pays-membres et des candidats, c'est tout à fait légitime. Mais il faut bien voir sur quoi porte la négociation institutionnelle actuelle.
Q - Si quelque chose se complique et que les négociations d'adhésion n'aboutissent pas vers 2003, 2004, ne craignez-vous pas une déstabilisation de la moitié Est de l'Europe ?
R - Je trouve qu'il y a trop de craintes dans vos questions...
Q - ...C'est vrai. Mais je ne suis pas le seul, cet article de " The Economist " ne vient pas de chez nous...
R - Il y a beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations, et honnêtement, je ne comprends pas pourquoi. La négociation a lieu. Je ne pense pas que vous ayez à redouter la négociation. Les pays candidats savent bien qu'il faut négocier pour entrer dans l'Union européenne. Cela ne consiste pas simplement à reconnaître le caractère européen des pays-candidats. Bien sûr les pays-candidats sont européens. Ils n'ont pas besoin de négociations pour qu'on le leur dise. Mais pour entrer dans l'Union européenne, pour pouvoir s'adapter aux règles de l'Union européenne, au système juridique, pour reprendre les acquis communautaires, évidemment il faut une préparation, une négociation. Nous sommes en train de négocier. Que peut-on faire de plus que bien négocier et avancer ? Toutes ces craintes me paraissent sans fondement à cet égard.
Q - Le ministre tchèque des Affaires étrangères, M. Kavan, a dit que vous voyiez la situation dans notre pays d'une manière très optimiste. Et vous l'avez dit vous-même . Quelle est la raison de votre optimisme?
R - Je ne me permettrais pas de commenter la situation dans votre pays, je ne vais pas m'immiscer dans les affaires intérieures de la République tchèque. Je parle simplement de la négociation. Nous savons tous, ce n'est pas un " scoop ", que dans la négociation d'adhésion avec la République tchèque, il n'y a pas de problème très important, ni très compliqué. Il y a des problèmes à résoudre, mais nous savons bien que s'agissant de votre pays, il n'y aura pas de blocage. C'est ce que j'ai constaté sur ce seul point. Raison de plus pour ne pas se laisser aller à des craintes. Mais j'ajouterai que même s'agissant de pays pour lesquels des problèmes plus complexes se posent, il sont faits pour être surmontés, précisément. Voilà pourquoi il faut avancer dans la négociation, pour bien identifier les difficultés et y trouver des solutions. On en trouvera. Le temps des inquiétudes et des interrogations devrait être dépassé. Ce devrait être maintenant un temps d'espérance, un temps d'optimisme, mais aussi un temps de travail et un temps de préparation active.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)