Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les priorités de la future présidence française de l'Union européenne, notamment la réforme des institutions communautaires et la préparation de l'élargissement, et sur les perspectives de la construction européenne au XXIe siècle, Budapest le 4 mai 2000.

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Circonstance : Visite officielle de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en Hongrie les 3 et 4 mai 2000-allocution à l'Université des sciences économiques de Budapest le 4 mai

Texte intégral

Monsieur le Recteur,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
J'apprécie particulièrement l'occasion qui m'est donnée de rencontrer les jeunes Européens - les futurs citoyens de l'Union - que vous êtes. Alors que la France s'apprête à assumer dans quelques semaines la présidence de l'Union européenne, je souhaite évoquer devant vous la vision française de l'avenir de l'Europe.
Le calendrier européen nous commande de nous pencher d abord sur l'organisation de cette présidence et je puis vous assurer que nous y travaillons de manière intensive. Toutefois, nous devons en même temps regarder au-delà du second semestre 2000. Une présidence n'est pas un moment isolé. Elle s'inscrit dans une continuité. Elle est partiellement déterminée par les avancées de la présidence précédente. Elle pose à son tour les jalons de la présidence suivante. La présidence française intervient en outre à un tournant de l'histoire européenne, puisque ce qui s'ouvre à nous, aujourd'hui, c'est le défi de l'unification de l'Europe.
Bien sûr la France ne pourra, en moins d'un semestre, réaliser ce tour de force. Mais elle entend bien y contribuer en portant une vision claire de l'Europe que nous voulons, cela doit nous inciter plus encore à préserver l'unité de l'ambition commune. Au-delà des dimensions sociale, économique, commerciale de l'Union, il est essentiel que les pays candidats adhèrent pleinement au projet européen lui-même, c'est-à-dire aux valeurs de démocratie et de liberté qui le fondent.
C'est pourquoi la situation créée par l'arrivée au pouvoir dans l'un des Etats membres, l'Autriche, d'une coalition comprenant un parti d'extrême-droite xénophobe a posé un problème majeur à l'Europe. Nous ne pouvons accepter que soient menacées les valeurs qui fondent le projet européen. C'est pourquoi les quatorze autres Etats membres, dont la France, ont adopté depuis le mois de janvier dernier l'attitude ferme et responsable que vous connaissez.
Je suis convaincu que nos amis d'Europe centrale et orientale qui ont durement payé le prix de la démocratie et des Droits de l'Homme comprennent cette exigence.
L'élargissement demande également aux Etats membres des efforts.
Il ne doit pas se traduire par une perte de substance pour l'Union européenne, pour la force intégratrice de ses politiques communes et pour ses ambitions politiques. L'élargissement ne doit pas entraîner la dilution de l'idée européenne dans une simple zone de libre-échange.
Nous y travaillons.
Nous avons l'année dernière réformé le cadre financier de l'Union. Il nous fallait l'adapter à l'entrée de pays qui auront au départ des capacités contributives modestes au budget européen et qui exprimeront des besoins considérables en matière de solidarité, qu'il s'agisse de la politique agricole ou des politiques structurelles. Un accord sur " l'Agenda 2000 " a été atteint à Berlin en mars 1999. Il a rendu possible la réforme des politiques communes pour plus de rigueur budgétaire, plus d'efficacité et des aides plus sélectives aux régions ou activités qui ont le plus grand besoin de solidarité.
Il nous faut maintenant mener à bien la réforme institutionnelle, Ce sera, avec l'élargissement, un des thèmes majeurs de la présidence française de l'Union européenne. Et un lien étroit unit ces deux questions. Il n'est pas question de retarder ce processus historique. Il ne saurait être question non plus de brûler les étapes.
Les institutions européennes ne fonctionnent pas aujourd'hui de façon satisfaisante. Elles seraient d'autant moins adaptées à une Europe de plus de vingt Etats membres. C'est pourquoi, depuis Amsterdam, une réforme profonde des institutions est conçue comme un impératif avant tout nouvel élargissement. Cette réforme est vitale dans la perspective de l'Europe réunifiée. Elle est donc vitale pour la Hongrie comme pour les autres pays candidats : il n'y aura pas d'Europe forte sans de fortes institutions.
Cette réforme a débuté le 14 février sous la présidence de nos amis portugais. Elle vise à faciliter les processus de décision - par l'extension du recours à la majorité qualifiée lors des votes au sein du Conseil -, à mieux représenter le poids respectif des Etats - par la repondération des votes - et à améliorer le fonctionnement de la Commission - notamment par une meilleure organisation et la maîtrise du nombre de Commissaires.
Il faudra aussi doter l'Union d'un mécanisme souple et efficace à même de faire avancer l'intégration européenne, quelle que soit la taille de l'Europe de demain. Cela suppose de réviser le système des coopérations renforcées sur certains sujets afin de conserver la possibilité d'aller de l'avant, même si tous les Etats membres n'y sont pas prêts au même moment.
Ces réformes doivent aboutir d'ici la fin de l'an 2000 pour consolider les fondations de la maison Europe avant de l'élargir,
L'élargissement pourra ainsi progresser plus rapidement. Les modalités en sont maintenant clairement posées. Conformément aux conclusions d'Helsinki, le principe d'un traitement individualisé de chaque pays prévaudra. Chaque candidat avancera à son propre rythme et adhérera lorsqu'il sera pleinement en mesure de le faire.
Sans attendre, nous devons relancer l'idée d'un forum de dialogue permanent qui associe Etats membres et pays candidats, afin que prenne forme dès maintenant cette future union de tous les Européens. La " Conférence européenne " a été conçue pour remplir cette mission. Elle a été jusqu'à présent quelque peu négligée. La France entend, à l'occasion de sa présidence, relancer les rencontres dans ce cadre, afin de réfléchir ensemble à l'avenir de notre continent.
Nous devons redonner sens et projet à l'unification de l'Europe.
Il nous faut d'abord revenir aux ambitions premières de ses " pères fondateurs ".
Le sens profond de la construction européenne est celui de la paix sur notre continent. Cette ambition doit toujours être entretenue. Elle ne doit jamais être tenue pour acquise. Le conflit du Kosovo a montré l'an dernier qu'il demeurait dans la grande Europe des foyers de conflits et de guerre.
L'Europe de demain avec vous, ce doit donc être en premier lieu une Europe en paix et capable d'imposer la paix. Il faut d'abord pour cela, je l'ai dit, unifier notre continent.
Il faut ensuite faire de l'Europe un véritable acteur sur la scène internationale, avec une politique étrangère commune forte et respectée et une capacité autonome de défense En moins de deux ans, des progrès considérables ont été accomplis en ce sens - même s'ils sont trop méconnus. Ils montrent que l'Europe peut sortir du faux dilemme entre défense atlantique et défense européenne
Le projet européen est un projet par essence démocratique. Il peut nous sembler que cette ambition est largement réalisée aujourd'hui. C'est exact, en grande partie grâce à l'intégration européenne. Et nous nous réjouissons de la liberté retrouvée, depuis maintenant dix ans, par une moitié de l'Europe dont la Hongrie fut une sorte d'avant-garde. Pour qui a vécu, avec douleur et révolte, l'anéantissement des espoirs nés ici-même, en 1956, au sein du peuple hongrois, l'approfondissement de la démocratie dans votre pays est une magnifique récompense.
Mais cet idéal démocratique reste toujours à parfaire. La perspective de l'adhésion est la meilleure garantie contre d'éventuelles tentations, nostalgiques ou autoritaires, qu'éveilleraient les difficultés de la transition économique et sociale. La démocratisation des régimes de l'ex-Yougoslavie, vos voisins, devra également s'appuyer sur cette perspective.
Il faut ensuite démocratiser l'Union européenne elle-même. Il faut pour cela renforcer la transparence et la responsabilité de ces structures. Une Europe démocratique, c'est une Europe qui fonctionne, qui n'abandonne pas à force de blocages les mandats que lui ont confiés ses citoyens. L'Europe de demain devra donc disposer des institutions nécessaires à la poursuite de ses ambitions.
Pour cette Europe à trente, le débat est ouvert. Les structures à venir devront prendre en compte le nombre et la diversité des situations et des ambitions. Certaines façons de gouverner l'Europe devront être revues. Je pense à la présidence du Conseil, dont je vois mal qu'elle puisse continuer à long terme selon le mécanisme tournant et semestriel actuel. Il sera nécessaire de préciser le socle de valeurs et de règles commun à tous les Etats membres. Il nous faudra aussi définir les domaines où certains pays pourront aller plus loin et plus vite que leurs partenaires. Il ne s'agit pas de refaire une nouvelle Communauté au sein de l'Europe, ni d'exclure quelque Etat membre que ce soit d'un domaine de coopération. Il s'agit plutôt de garantir l'existence d'initiatives motrices capables d'ouvrir de nouvelles pistes dans le respect des règles communes, comme on l'a fait, par exemple, avec la monnaie unique.
C'est l'idée même de démocratie que nous devons renouveler. D'abord en plaçant le progrès social au cur du projet européen. C'est également une façon de préserver l'identité de l'Europe dans un monde qui s'unifie. Le gouvernement français a marqué depuis 1997 sa volonté de réorienter la politique européenne vers la croissance et l'emploi. De grands progrès ont été faits, encore dernièrement lors du Conseil européen de Lisbonne. Notre ambition est de recréer en Europe une société de la croissance et du plein emploi à l'horizon de la fin de la décennie. L'ensemble des instruments économiques et financiers, une véritable coordination européenne de nos politiques doivent tendre vers cet objectif.
C'est une Europe au service de ses citoyens que nous voulons bâtir. Je ne mentionnerai que quelques-uns des sujets que nous voulons faire avancer pendant notre présidence : celui de la sécurité des personnes, de la lutte contre les inégalités sociales ; ceux de la santé, de l'alimentation et de l'environnement, qui sont liés.
L'Europe d'après-demain doit aussi être celle de l'éducation. Nous voulons mettre en place un espace européen de la connaissance afin de supprimer toute entrave à la liberté de circulation des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Car c'est bien la question de l'adhésion de la jeunesse à l'idéal européen qui est posée. L'Europe doit être à ses yeux - à vos yeux -, une des idées neuves du siècle qui commence. Elle doit pour cela devenir concrètement le lieu de la circulation des idées et des savoirs.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
L'Europe, cinquante ans après la déclaration Schuman, se trouve à un tournant de son histoire. Alors qu'elle vient de se doter d'une monnaie unique, elle doit aujourd'hui réformer ses structures et ses politiques, préparer son élargissement et surtout s'enraciner dans un projet collectif des peuples européens.
Je souhaite profondément que Français et Hongrois franchissent ensemble ces étapes. Je suis convaincu que notre amitié nous donnera l'énergie et l'enthousiasme de bâtir, de Paris à Budapest, l'Europe, la grande et belle Europe de demain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 09 mai 2000)