Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France inter le 25 avril 2003, sur la réforme des retraites, sa proposition pour un référendum sur le sujet, la retraite des agriculteurs et le chômage des gens de cinquante ans.

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Média : France Inter

Texte intégral

Invité de Questions directes, François Bayrou, président de l'UDF. Bonjour.
S'agit-il d'une vraie réforme ? C'est vous qui posiez la question hier.
D'abord il faut donner acte au gouvernement de sa volonté d'agir, de faire quelque chose. Cela tranche avec l'inertie qui a été la règle ces dernières années. Est-ce que la méthode choisie par le gouvernement est la bonne ? Vous savez que j'aurais préféré une méthode par référendum, pour que les Français soient directement eux-mêmes décideurs et acteurs de leur réforme. Et sur le fond, il me semble que l'on pouvait aller encore plus loin vers une vraie réforme qui aurait été celle d'une retraite par points, dans laquelle chacun aurait vu ses droits garantis et dans laquelle plus de souplesse aurait été prise en compte.
Sur quels sujets ? On dit 42 ans. Mais 42 ans d'un métier pénible et difficile, ça n'est pas la même chose que 42 ans dans un bureau.
Vous n'êtes pas convaincu par les aménagements proposés hier soir par M. Fillon, notamment pour ceux qui ont commencé de travailler très tôt, 14-15 ans ?
Je pense que, même si c'est cher, l'idée que, au bout de 40 ans de cotisation à taux plein, on puisse partir en retraite si on en fait le choix, était une idée juste. Elle était défendue en particulier par la CFDT. C'était une idée juste, parce que, lorsque vous avez commencé à travailler à 14 ans dans un métier difficile - prenez l'exemple d'un ouvrier qui est au 3-8, qui travaille la nuit pendant de longues années de sa vie, c'est usant. Et il aurait été juste d'en tenir compte.
Mais comment vous la financez ?
Je pense que les questions de financement pouvaient être traitées dans le cadre d'une remise sur le métier de ce qu'on appelle la retraite par points, c'est-à-dire avec l'idée qu'on adapte constamment le point de retraite que l'on a acquis aux possibilités du système, avec certains qui peuvent racheter des points, qui peuvent améliorer leur retraite, partir plus tard, être encouragés à partir plus tard, et d'autres qui peuvent choisir de partir plus tôt. Mais disons qu'il y a dans le plan du gouvernement, en tout cas, la possibilité de faire face à l'urgence.
Vous avez été souvent très attentif aux enjeux de l'équité sociale, de la justice sociale. Là, tout le monde va cotiser 40 ans, puis 42 ans à l'horizon 2020. Néanmoins, certains ne peuvent pas racheter des points, comme vous le proposiez à l'instant, n'auront pas les moyens de le faire. Comment faire dans ces cas là ? Et comment garantir l'équité et la justice sociale pour tous ?
Je pense que des idées ont été avancées pour que soit constitué un fonds de garantie des retraites qui permettrait de répondre aux problèmes que vous évoquez là. Je prends un exemple : une retraite qui est limitée à 75 % du SMIG, c'est très bas pour les toutes petites retraites. Je pense aux retraités agricoles, qui sont dans des conditions souvent scandaleuses. Je pense aux femmes, qui n'ont souvent pas pu compléter toutes les retraites de leur vie professionnelle parce qu'elles ont élevé des enfants, par exemple. Et Dieu sait que c'est une uvre utile.
Prendre en compte ces particularités-là, cela ne pouvait se faire que par une remise en cause profonde du système, qui soit plus adaptable et plus juste. Et ce sera probablement une autre étape. On aurait pu le faire aujourd'hui. Cela n'a pas été le choix du gouvernement, il a choisi de garder l'organisation des retraites comme elle était, et de parer au plus pressé en allongeant les durées de cotisation. Je pense qu'il y avait une autre voie, ce sera peut-être un impératif pour plus tard.
Cela veut dire qu'à vos yeux, on n'est toujours pas dans les grandes réformes attendues. Là aussi, je vous cite quasiment mot à mot, quand vous disiez que l'on ne voyait pas les grandes réformes annoncées.
Ne soyons pas trop sévères sur cette réforme des retraites. Il est juste de dire que le gouvernement a pris le problème, et qu'il propose un traitement de ce problème. Encore une fois, on pouvait imaginer, je crois, qu'une autre méthode soit adoptée, la méthode par référendum, et qu'on rebâtisse à partir des fondations de manière plus juste et plus efficace le système.
Avez-vous hier soir entendu dans la voix de M. Fillon ce qu'on pourrait appeler un langage de vérité ? Vous avez été, là aussi, très sévère sur l'annonce faite de la réduction du remboursement des prix des médicaments le week-end de la Toussaint. Vous avez dit : " on ne fait pas les choses en catimini ". Hier soir, comment avez-vous reçu le message politique ?
Hier soir, c'était ouvert, c'était face aux Français. Et je préfère cette méthode, en effet, aux choix qui sont faits quelquefois par des administrations, d'agir pour que les Français ne s'en aperçoivent pas.
Est-ce que cette méthode nous protège de décisions qui pourraient être prises pendant l'été ? Je pense à ce qu'avait fait M. Balladur en 93 sur les retraites, qui concernait le privé. Est-ce qu'on est à l'abri de décisions qui seraient prises pendant que tout le monde est en vacances ?
Pour moi, la bonne méthode de gouvernement, c'est de prendre les décisions devant les Français et, si possible, avec eux. L'idée que les pouvoirs politiques décident avec l'espoir que les Français ne s'apercevront pas de leurs décisions et qu'ils se réveilleront un beau matin, décisions prises, et seront bien obligés de les " avaler ", cette idée n'est pas la mienne. Et voilà pourquoi j'ai plaidé pour que la réforme des retraites se fasse par référendum. Parce qu'une grande partie du progrès d'un pays, c'est que les citoyens adhèrent aux changements qui sont faits. C'est-à-dire qu'on leur explique, que l'on soit vrai dans les explications et qu'ensuite, on se retourne vers eux pour les mettre en situation de décideur. S'ils ne sont pas placés en situation de décideur, ils restent des consommateurs défendant uniquement leurs intérêts ou leurs acquis. Je suis persuadé qu'une réforme des retraites, par exemple sur le principe de l'équité et de la justice, les Français l'auraient acceptée par référendum. Et on aurait fait un pas formidable vers la mobilisation du pays pour la réforme et la justice.
Quelle explication donnez-vous au sondage réalisé par l'IPSOS pour " Le Point " qui paraît aujourd'hui, et qui place l'UDF dans l'esprit des Français comme le premier parti politique, devant les Verts, puis le Parti socialiste, puis l'UMP, puis le Parti communiste, puis le Front national ?
Je crois que les Français aiment le pluralisme. Ils ont envie que dans leur vie politique, il y ait un parti qui défende le pluralisme et qui soit une voix libre, capable de dire c'est bien quand c'est bien, et ça ne va pas lorsque ça ne va pas. Et ils ont envie aussi qu'il y ait des femmes et des hommes qui résistent et ne se laissent pas faire.
On s'interrogeait, il y a quelques jours à peine, sur cette antenne mais aussi dans tous les médias et dans tous les quotidiens, sur les suites de l'élection présidentielle du premier tour. Les choses ont-elles changé à vos yeux ou pas, justement le fait que l'UDF apparaisse aujourd'hui comme le parti qui répond peut-être le mieux aux questions des Français ?
Ce qui s'est passé le 21 avril, c'est un geste d'exaspération de la part des Français, à l'égard d'un langage politique, ou d'une attitude politique qui ne correspondait pas à leurs attentes, et dont ils n'avaient pas le sentiment qu'il en sortait la vérité. Est-ce que les choses ont changé un an après ? Franchement, je serai très prudent. J'ai l'impression que sur certains points, le monde de la décision publique, le monde de l'Etat est devenu plus actif, c'est le cas par exemple en matière de sécurité. J'ai le sentiment que sur d'autres grands sujets, ce n'est pas encore le cas et que la première des réformes qu'il y aurait à accomplir, c'est-à-dire la réforme de l'Etat, promise et annoncée, tout cela n'est pas encore là.
D'un mot, François Bayrou, est-ce que tout cela va vous conduire à continuer de vous différencier, de façon assez marquée, notamment de l'UMP ?
Oui. Vous vouliez une réponse brève, je vous donne une réponse brève ! La vie politique française a besoin que des voix différentes se fassent entendre pour que la vérité, comme on disait autrefois, sorte du puits. Il n'est pas vrai qu'un parti tout seul puisse avoir la vérité. La vérité ne peut naître que du débat, et quelquefois de la confrontation, entre des thèses différentes. Et l'idée que l'on va tout enfermer et tout verrouiller, vous venez de le montrer dans ce sondage, c'est une idée que les Français n'accepteront pas. Alors oui, en effet, il faut continuer à faire apparaître des approches différentes.
Il s'agit du sondage IPSOS réalisé pour " Le Point " les 11 et 12 avril auprès d'un échantillon de 961 personnes représentatives de la population âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.
Yves Decamp - Sur les prises de position de N. Sarkozy à propos de la drogue, et la mise au point de D. Perben : " Je ne sais pas très bien ce qu'a voulu dire le ministre de l'Intérieur, car c'est moi, le Garde des Sceaux, chargé de ces questions, qui pourrait proposer de modifier la loi de 70 sur la consommation de drogues. " Je ne sais pas ce que vous en pensez, François Bayrou, non pas sur l'activisme de Nicolas Sarkozy, mais sur le fond : faut-il sanctionner les consommateurs de cannabis ?
Je pense en tout cas que la lutte contre la drogue, on s'honorerait de le faire, et que l'alcool est une drogue comme les autres. Et lorsque les jeunes disent qu'il n'y a aucune raison de faire deux poids et deux mesures, la consommation d'alcool, parmi les jeunes en particulier, est un risque qui est aussi important que la consommation des autres drogues.
YD - Donc pénaliser les consommateurs ?
En tout cas, une démarche qui touche toutes les drogues, quelles qu'elles soient.
SP - Vous êtes très nombreux ce matin à avoir appelé. François Bayrou, le président de l'UDF, est resté en studio pour vous répondre.
Auditeur: ma question rejoint une proposition qui avait été faite concernant la taxe sociale aux importations. La mondialisation entraîne plus d'importations, surtout dans des domaines d'activité à forts taux de main-d'uvre, et donc les cotisants sont en baisse, inévitablement. Pourquoi ne pas rejoindre cette idée de la taxe sociale aux importations, qui comblait le manque de cotisations par manque de cotisants, et faire la même chose pour les retraites ? Qu'en pense M. Bayrou ?
C'est une idée que j'ai soutenue et qui consiste à remarquer que ne paient de charges sociales que les emplois qui sont ouverts en France, alors qu'un grand nombre de produits qui sont fabriqués à l'étranger, quelquefois dans des zones où il n'y a aucune sécurité sociale et aucun niveau social respectable, ceux-là ne paient pas. Donc l'idée avait été avancée qu'il y ait une TVA, ou une part de la TVA, qui soit payée ou acquittée sur tous les produits et qui puisse servir à financer le système social français et, pourquoi pas, les retraites. En tout cas il faudra bien un jour ou l'autre qu'on ait une réponse pour que les délocalisations n'apparaissent pas comme un phénomène irrésistible, constamment en train de se développer, et que nous restions les spectateurs de ce déplacement du travail, depuis les zones qui sont les nôtres où le social est respecté jusqu'à des zones où il n'y a pas de social du tout. Donc le modèle social, c'est une des manières de le défendre que de songer à des projets de cet ordre.
SP - Il faut une Europe sociale, pour cela, au minimum.
Il faut une Europe tout court. Ce qu'on vient de voir en Irak, c'est que, quand l'Europe n'existe pas, nous sommes complètement impuissants. Que l'on choisisse une position ou l'autre, on ne change pas le cours des choses si l'on n'est pas assis autour de la table et respecté en tant que tel. Nous ne le serons que le jour où l'Europe existera.
Question : Est-ce que dans un souci d'équité, on ne pourrait pas plafonner les retraites à un montant maximum, et est-ce que la loi pourrait être faite par des gens qui ne s'appliquent pas à eux-mêmes ce système de retraite : si on prend les députés, au bout de trois législatures, c'est-à-dire 15 ans de travail à peu près, ils vont toucher 40 000 francs de retraite. Cela me semble un peu scandaleux.
SP - C'est vrai, pour les députés ?
Un député rachète ses points de retraite en cotisant double pendant les 15 premières années de son mandat, ce qui fait qu'il obtient pendant 15 ans l'équivalent de 30 ans de retraite, mais il cotise. Simplement cette double cotisation est obligatoire les 15 premières années du mandat.
Mais je vais donner raison à ce monsieur sur un point : c'est évident que les règles qui s'appliquent aux uns doivent s'appliquer aux autres. C'est pourquoi j'avais soutenu l'idée que la grande règle de justice : à cotisation égale, retraite égale, on la fasse adopter par référendum devant les Français, pour qu'on ne puisse plus jamais faire l'esprit léger d'entorse à ce principe. Ou plus exactement, si l'on fait des dérogations à ce principe, elles devraient être uniquement conçues en matière de justice. Devraient pouvoir partir plus tôt à la retraite ceux qui ont un travail dur, pénible et qui les usent.
Or aujourd'hui, c'est exactement le contraire que l'on a : ceux qui ont un travail dur, pénible et usant partent les derniers, avec évidemment les plus petites retraites. Et ceux qui ont, au contraire, des garanties qui font que leur situation est plus facile à supporter, ceux-là partent les premiers. Vous voyez bien qu'il y a là une entorse profonde à la justice. J'aurais voulu qu'on traite ce problème pour tout le monde. Je ne vais pas me faire bien voir, mais je le dis quand même : la réforme que l'on a là n'évoque pas les régimes spéciaux. Pourquoi est-ce qu'on accepte de gaieté de cur l'idée que parce qu'ils se défendent bien, un certain nombre de Français ne sont pas touchés par la retraite ? Ce n'est pas la justice, ça. Si vraiment la situation est telle, et je crois qu'elle l'est, qu'il faut apporter une réforme, alors le courage et la vérité voudraient que cette réforme touche tous les Français, également, et que l'on considère que comme le 4 août 1789 on a aboli les privilèges, on fasse aujourd'hui en France un vaste mouvement de justice soutenu par les Français. Cela serait, me semble-t-il, un progrès de conscience qui changerait beaucoup de choses en France.
SP - Mais la nuit du 4 août, si on ne la fait pas sur les statuts spéciaux, c'est peut-être parce qu'en touchant à ça, souvent on met le feu aux poudres.
Jean-Michel Apathie - Oui, en 1995 c'est la SNCF qui a bloqué. Mais pour aller au bout de votre raisonnement, M. Bayrou, régimes spéciaux c'est SNCF, RATP, EDF, etc : y aura-t-il une discussion parlementaire, votre groupe déposera-t-il des amendements pour réintroduire justement ces régimes dans la réforme ?
Vous voyez bien ce que je voulais dire. Moi je proposais de le faire par référendum.
JMA - D'accord, ce ne sera pas un référendum, mais est-ce que vous déposerez des amendements pour que ces régimes spéciaux soient pris dans la réforme ?
En tout cas, les amendements que nous déposerons seront tous inspirés par l'esprit de justice que je viens de dire là. Ce n'est pas moi qui suis l'architecte de la réforme, c'est le ministre, et je vais respecter son travail.
SP - On ne peut pas tourner autour du pot. François Bayrou, vous qui proposez le langage de la vérité, si on dit régimes spéciaux, il faut savoir de quoi on parle. Et en effet, on parle de la SNCF, on parle de la RATP. On parle de ce qui en principe déclenche la tempête.
Oui, mais quelle tempête ? De quoi a-t-on peur ? Si vous demandez aux Français, à tous les Français, la fonction publique aussi - je suis un fonctionnaire d'origine, je suis un enseignant - : est-ce qu'une réforme doit toucher tous les Français pour être juste, ils répondront oui. Et ils auront raison. Parce que l'idée qu'on traite simplement les problèmes petits bouts par petits bouts est une idée qui, je crois, est au fond dangereuse. Moi j'aurais voulu un mouvement d'ensemble, et j'aurais voulu qu'on ne sépare pas les Français. Il n'y a aucune raison de maintenir les avantages des uns et au contraire de les supprimer pour les autres. Je ne sais pas si c'est le cas du débat parlementaire, de la loi, je ne sais même pas encore quelle loi nous allons avoir sous les yeux. Mais je sais qu'un vrai esprit réformateur doit être inspiré par la justice et que la justice, cela veut dire que c'est tout le monde ou alors personne. Voilà pourquoi je pense et maintiens que l'idée de faire cette réforme par un grand mouvement d'explication devant les Français, et de les faire trancher eux-mêmes, était une idée susceptible de changer la mentalité d'esprit du pays.
SP - Ce sera pour tout le monde, où y aura-t-il décidément des cas particuliers s'agissant de cette réforme ?
Brigitte Jeanperrin - Cette réforme est pour tout le monde. Le système des régimes spéciaux en France est un système des poupées russes. Il y a l'histoire, où chaque profession a négocié à coup d'acquis sociaux, souvent au bout de différentes luttes sociales, et l'histoire progresse. Il y a maintenant l'ouverture de ces entreprises à la concurrence, le besoin de se caler sur ce qui se passe ailleurs, l'obligation de coller au régime général, et les privilèges de ces différentes entreprises, c'est une négociation entreprise par entreprise - c'est la loi du marché, pour savoir si on doit cotiser plus, avoir plus, sous quelles conditions, ce qui est supportable par l'entreprise et par les salariés. C'est à la négociation de jouer, mais le socle du régime de base, c'est le même pour tous et les régimes spéciaux vont y être appliqués. Ce n'est pas ceux-là qui coûtent le plus cher, c'est les agriculteurs. Et le drame du côté des professions libérales, de l'artisanat et des PME est beaucoup plus important.
Je ne peux pas vous laisser dire ça. Je ne suis pas sûr que ce soit l'heure d'un débat, mais cette manière de saucissonner les choses n'est pas juste. Je vais prendre le problème des agriculteurs. Vous dites : ça coûte cher. Non, cela ne coûte pas cher. Les agriculteurs sont dans la situation d'avoir été 25 % des actifs il y a 30 ans et d'être aujourd'hui moins de 3 % des actifs. Mais ils ont élevé des enfants. Ces enfants font d'autres métiers aujourd'hui. Et vouloir empêcher les enfants d'agriculteurs de cotiser pour leurs parents, c'est une présentation comptable, mais qui n'est pas une présentation juste. Je vous assure que ceux-là ont un sort qui n'est pas enviable. Je suis un fils d'agriculteur. Je sais exactement ce que sont les retraites agricoles. Elles sont à un niveau qui jusqu'à maintenant était scandaleux. Vous aviez une retraite agricole à moins de 3 000 francs par mois. Vous voulez vivre avec moins de 3 000 francs par mois ?
Donc je dis que ce qui manque à cette réforme, c'est d'avoir une approche globale et générale qui puisse permettre aussi de satisfaire à ces affaires de justice. Et dire que la SNCF, ou EDF, ou la RATP, doivent être coupés du corps de la nation, et avoir leurs propres régimes parce que simplement, ils ont au travers du temps eu ces acquis-là, cela ne me paraît pas extrêmement juste. Sans cela, qu'est-ce qui justifie que les fonctionnaires perdent ces avantages là, alors que les autres les garderaient ? Eux aussi, ils peuvent en appeler à l'histoire. Eux aussi, ils ont eu des acquis après la guerre. L'idée qu'on saucissonne la France du travail, en statuts des uns et statuts des autres et présentation comptable qui fait que les uns coûtent cher et les autres pas, je trouve que ce n'est pas une approche juste.
Question : J'ai 20 ans d'expertise dans l'informatique, 12 ans dans le journalisme. J'ai 52 ans, je suis au chômage. Aucun patron n'accepte de m'embaucher en raison de mon âge. Comment vais-je faire pour cotiser 40 ans ?
Il est très clair que le plan du gouvernement est suspendu à plusieurs conditions. Et l'une de ces conditions, c'est qu'on recommence à comprendre et accepter qu'en France, on puisse travailler dans une entreprise jusqu'à l'âge de 60 ans. Très souvent les entreprises, à la vérité, se débarrassent de leur personnel qui arrive à cet âge de 54, 55, 56, 58, 60 ans. Pourquoi ? Parce qu'ils coûtent plus cher. Et elles se disent que recruter les jeunes, c'est moins cher, qu'ils ont plus de capacité d'adaptation. Donc, c'est un changement qui doit s'imposer aussi à l'entreprise. Ne plus avoir cette exclusion par l'âge, et considérer que c'est non seulement un devoir, mais une discipline que l'Etat doit au moins favoriser pour l'entreprise, de conserver ceux qui ont une expérience et l'âge qui va avec, et de les recruter. Parce que, quand vous êtes au chômage à 50 ans, très souvent c'est une expérience de vie difficile que de voir qu'on vous refuse, alors que vous avez l'âge qui au contraire devrait vous pousser vers les responsabilités et l'engagement professionnel.
SP - Merci, François Bayrou.
(source http://www.udf.org, le 29 avril 2003)