Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à LCI le 2 octobre 2003, sur le transfert des compétences et des financements prévus dans le cadre de la réforme de la décentralisation.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Bonjour P. Devedjian.
- "Bonjour."
On va parler de décentralisation, puisque le projet de loi a été adopté, hier, en Conseil des ministres, j'allais dire "enfin"...
- "Comment "enfin" ! On a fait beaucoup de choses jusqu'à maintenant."
On va voir...
- "C'est la quatrième loi qui passe sur la décentralisation depuis qu'on est là."
C'est la vraie de vrai celle-ci, celle qui prévoit les transferts.
- "C'est le concret, la vraie de vrai c'était la Constitution, parce qu'elle crée des droits nouveaux."
Oui, mais c'était "un cadre" si l'on peut dire, et maintenant on passe...
- "C'étaient des droits. C'est important les droits."
Il y a déjà un petit flou puisqu'il est question de transferts, de personnels évidemment, et de transferts de crédits. On nous dit entre 11 et 13 milliards.
- "Oui."
Déjà, il y a 2 milliards, là, qui se promènent.
- "Cela prouve, au contraire, notre honnêteté. D'abord, parce que dans la loi il y a des expérimentations, donc on les prendra on ne les prendra pas. Cela fait appel au volontariat. Suivant qu'on les prend, l'Etat les paye, donc ça fait une différence. Deuxièmement, il faut faire l'évaluation des transferts et cette évaluation elle se fait de manière contradictoire avec les élus au sein du comité des finances locales. Et là aussi, il faut se mettre d'accord sur les chiffres de manière loyale."
C'est pas fonction du budget ? Du budget de la nation ?
- "L'Etat consacrera très exactement ce qu'il dépense à l'exercice de ses compétences. Mais encore faut-il savoir très exactement le périmètre de ce qui est transféré en se mettant d'accord. Par exemple, les routes nationales : quels sont les fonctionnaires d'Etat qui vont accompagner le transfert des routes nationales auprès des départements ? Combien il y en aura très précisément ? Parce que, c'est ce chiffre qui évidemment déterminera la somme."
Et ce sont les départements qui vont payer les travaux ?
- "Non, il vont recevoir l'argent de l'Etat pour ça."
Justement, c'est là où il y a problème puisqu'il peut y avoir modulation en fonction des sous qui rentrent, pardonnez-moi. Mais si l'Etat a beaucoup d'argent, il peut transférer beaucoup d'argent...
- "L'Etat va leur donner ce qu'il payait jusqu'à maintenant. Si les départements veulent dépenser davantage..."
A périmètre constant, comme on dit dans votre langage ?
- "Sur cinq ans, on fait le calcul. Ce que l'Etat a dépensé pour les routes nationales sur cinq ans, ça, il va le donner."
Bon. Alors, on va, dit-on, transférer 130 000 fonctionnaires...
- "Oui."
C'est rien du tout par rapport aux 5 millions de fonctionnaires que compte l'Etat.
- "C'est déjà pas mal, c'est surtout les personnels qui exercent les compétences transférées. Et vous avez observé que même ces 130 000-là..."
Ca va pas sans peine.
- "... on aussi quelques petites protestations qui se sont arrangées."
Donc, on va s'arrêter là peut-être ?
- "Non, c'est une étape dans la décentralisation. La décentralisation, c'est un processus continu, qui va notamment continuer grâce à l'expérimentation puisque..."
Mais continuer jusqu'où ?
- "C'est un processus continu de la Constitution. C'est un mode de gouvernement. Chaque fois qu'une compétence..."
Ca veut dire qu'un beau jour, il n'y aura plus que la Justice, la Défense et les Affaires étrangères qui seront du ressort de l'Etat comme dans les pays fédéraux ?
- "Mais non, c'est pas aussi simple que ça. Vous voyez bien que, dans une société moderne, il y a, tous les jours, des choses nouvelles. Par exemple, la canicule. On a découvert que le système d'alerte ne marchait pas très bien. Dans la loi de décentralisation, on fait obligatoirement remonter les statistiques vers l'Etat pour que l'Etat dans sa fonction d'alerte, et ça c'est bien son rôle, il puisse l'exercer, alors que jusqu'à maintenant il ne le faisait mal."
On va en reparler de la canicule. J'allais dire, votre loi tombe mal, parce que...
- "Pourquoi ?"
... vous voyez bien, dans les journaux, il y a une campagne contre l'augmentation des impôts locaux ...
- "Mais attendez, ça c'est de la... c'est pas sérieux ça !"
Comment c'est pas sérieux !
- "C'est pas sérieux du tout."
Vous ne parlez pas sérieusement ! Les impôts locaux ont déjà augmenté...
- "Non, mais, attendez ...
Laissez-moi poser ma question.
- "Je vous vois venir."
Ben oui, vous me voyez venir, mais tout le monde se la pose celle-là. Avec le transfert des compétences, il y aura transfert de charges et par conséquent augmentation de la fiscalité locale.
- "Eh bien, non, justement ! D'abord, parce que..."
Vous n'avez pas le nez qui s'allonge un peu, là ?
- "Je vais vous expliquer. Vous n'allez pas me traiter de menteur avant-même que je me sois expliqué, tout de même !"
Je ne ferais pas une chose pareille !
- "Bon, j'espère bien. Alors, c'est très simple : jusqu'à maintenant, l'Etat n'a pas transféré pour un centime de compétence. Donc, l'augmentation des impôts locaux, cela ne peut pas être la décentralisation, vous êtes bien d'accord, puisqu'il n'a encore rien transféré. Et si les impôts ont augmenté dans le passé..."
Ca va venir ...
- "... c'est parce que, précisément, sous le gouvernement précédent, on a transféré la prestation autonomie, les 35 heures, ça a coûté 45 % des augmentations d'impôts, les services d'incendie, et la fin des emplois-jeunes. Et donc, les départements en particulier mais les communes aussi, ont dû subir tous ces transferts sans compensations. Or, désormais - et c'est pour ça que la réforme de la Constitution c'était important - c'est interdit par la Constitution de mettre à la charge des collectivités locales des transferts sans donner l'argent qui va avec. Donc, c'est une garantie que les impôts n'augmenteront pas."
On va dire : on verra. En attendant, le Gouvernement a d'autres soucis : la popularité du Premier ministre et du Gouvernement en général. Il y a un sondage qui paraît en fin de semaine...
- "Il y a toujours des sondages."
... un sondage terrible, oui, 30 % de confiance...
- "Ils sont toujours terribles."
... pour le Premier ministre, sa cote la plus basse depuis son arrivée à Matignon. Hier, on a senti qu'il voulait..
- "Vous savez, nous on perd les sondages mais on gagne les élections..."
Pas toujours.
- "... C'est quand même l'essentiel."
Oui, mais enfin, là, il n'y a pas d'élections, ... enfin, il y a des régionales, donc effectivement, le défi va être relevé. Vous estimez que J.-P. Raffarin, là, a sérieusement repris la main ou a commencé à reprendre la main ?
- "Je vais vous dire : tout le monde avait annoncé, et la presse en particulier, cet été, qu'on allait avoir une rentrée "terrible", on allait voir ce qu'on allait voir. On a rarement eu une rentrée aussi calme, et cela c'est rarement aussi bien passé. Je crois que les Français, mis en condition par cette annonce apocalyptique, avaient anticipé des choses qui se sont finalement bien passées et on verra que le Premier ministre a finalement assez bien maîtrisé la situation, contrairement à ceux qui jettent des mauvais sorts."
Ca veut dire que vous êtes confiant pour les élections régionales ?
- "On verra. Les élections régionales elles sont difficiles parce que c'est toujours des élections difficiles pour le gouvernement en place. Mais, la bataille n'a pas encore eu lieu, la campagne n'a pas encore eu lieu."
Etes-vous un candidat à la candidature déçue en Ile-de-France ?
- "Je ne suis pas du tout déçu, on a un excellent candidat, qui est J.-F. Copé, il est dynamique, il est jeune, il a des choses à démontrer. Et à mon avis, il va déplacer un peu d'air."
Et vous allez le soutenir ?
- "Je le soutiens, oui."
Vous ne serez pas candidat du tout dans votre département ?
- "Non, mais moi je suis complètement impliqué justement dans cette grande loi de décentralisation qui va m'occuper pendant quatre mois. Je ne vois pas comment j'aurais pu faire campagne en même temps."
Est-ce que les fonctions ministérielles et notamment celle de porte-parole, sont compatibles avec une candidature dans une région ?
- "Il faudra que J.-F. Copé gère cela. C'est une petite difficulté, mais je crois qu'il a le talent pour le faire."
Et vous ne pensez pas qu'il va être obligé de quitter une ces fonctions ? Comme certains le souhaitent d'ailleurs ?
- "On verra. Mais il me paraît capable de mener les deux de front."
L'UDF, on la presse de dire, si oui ou non elle est prête à faire des listes communes avec l'UMP. Quel est le délai que vous lui impartissez, que l'UMP lui impartit ?
- "Non, j'impartis rien du tout. Mais je pense que raisonnablement, la campagne électorale commencera en début d'année prochaine, et qu'on a jusque-là pour discuter et se mettre gentiment d'accord."
Début de l'année prochaine, c'est court ça ?
- "Il reste trois mois, c'est quand même pas mal."
Enfin, c'est court pour une campagne, j'allais dire ?
- "Mais les Français ne sont pas dans la campagne des élections régionales, ni des élections cantonales. Ils ont d'autres soucis aujourd'hui. Donc, c'est eux qui décident en réalité le moment où s'ouvre la campagne, ce n'est pas les politiques. C'est l'opinion, c'est les Français qui décident quand ça les intéresse de rentrer dans la campagne."
A. Santini en Ile-de-France, c'est une bonne idée ?
- "C'est en tous les cas quelqu'un qui a du poids, c'est sûr. Et je pense que J.-F. Copé, par sa jeunesse, par son dynamisme, représente une sorte de relève des générations, c'est un symbole."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2003)