Texte intégral
JACQUES PAUGHAM
Bonjour. L'invité de " Face aux chrétiens " est aujourd'hui Hervé Gaymard, qui après avoir été secrétaire d'Etat aux Finances, secrétaire d'Etat à la Santé et à la Sécurité sociale dans les gouvernements Juppé, est désormais ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. L'un des quatre ou cinq ministres qui, pour employer la terminologie chère à Jean-Pierre Raffarin, a jusqu'à présent le mieux réussi sa feuille de route, ne serait-ce que parce que, avec l'aide - il faut le dire - parfois musclée du président de la République, il a su défendre les intérêts des agriculteurs français face à la Commission de Bruxelles, et éviter au monde de la pêche d'être engagé dans des perspectives, il faut le dire, parfois désespérante. Hervé Gaymard, bonjour.
HERVÉ GAYMARD
Bonjour.
JACQUES PAUGHAM
Pour vous interroger aussi, Denise Dumolin, rédactrice en chef de Radio Notre-Dame ; Jean-François Bodin, directeur de l'information de RCF, et Matthieu Castagné de la rédaction de La Croix. (Chacun des journalistes disent bonjour à M. Gaymard). Au sommaire de cette émission, d'abord l'Europe dans la crise irakienne, et après, ainsi que l'avenir de la politique agricole commune et les négociations commerciales internationales, puis les problèmes de la pêche, la question des OGM et, dans la mesure où cela vous concerne car c'est partiellement dans votre secteur d'activité, la gestion de l'eau, et enfin, l'avenir de la ruralité et l'évolution du syndicalisme agricole. Je précise que compte tenu de votre emploi du temps particulièrement chargé, ce " Face aux chrétiens " a été enregistré le mercredi 9, à 13 heures 30. Ceci étant dit, place au premier thème, donc " l'Europe dans la crise irakienne ", et surtout après. Première question, Denise Demolin.
DENISE DUMOLINHervé Gaymard, même si dans le milieu des ministres de l'Agricultre c'est peut-être un peu différent parce qu'il y a peut-être plus de solidarité comme vous nous le disiez avant l'émission que dans la politique tout court, il faut aujourd'hui envisager, après ce drame qu'est cette guerre en Irak, comment va ressortir l'Europe et notamment quel rôle aura la France dans cette reconstruction de ce pays qui sera, à l'évidence, très très meurtri ?
HERVE GAYMARD
Je crois qu'au-delà de la question de la reconstruction de l'Irak, dont on sait bien que, autant qu'on puisse en juger aujourd'hui, la plupart des positions des pays européens divergent de celles de celles des Etats-Unis, je crois que ce malheureux conflit irakien aura été le révélateur d'une question centrale sur la conception que l'on a de l'Europe. Est-ce que l'on veut une Europe européenne, qui assure des solidarité, qui mette en oeuvre des politiques communes, ou est-ce qu'on veut d'une Europe qui ne serait qu'une zone commerciale de libre échange avec, vaguement, une monnaie commune ? Je crois que c'est une question centrale...
JACQUES PAUGHAM
Vous pensez que Jacques Chirac a eu raison de mettre violemment les pieds dans le plat ?
HERVE GAYMARD
Oui, je crois qu'il faut dire les choses. Nous sommes des Européens européens, et nous pensons que l'Europe doit être une puissance, une puissance de paix, une puissance qui doit incarner un certain message dans le monde, et que nous ne nous résumons pas à un marché unique avec une monnaie unique.
DENISE DUMOLIN
Est-ce que vous pensez, Hervé Gaymard, que les peuples européens auront leurs voix à faire entendre et notamment au niveau de l'Organisation des Nations Unies, qu'elles pourront se faire entendre ?
HERVE GAYMARD
Je crois que c'est la responsabilité des Etats membres, puisque, comme vous le savez, l'Europe en tant que telle ne siège pas aux Nations Unies, l'Union européenne ne siège pas aux Nations Unies, ce sont seulement les Etats membres qui siègent, eh bien je crois que c'est ce message-là que nos représentants doivent porter haut et fort et je crois que pour ce qui concerne la France, Dominique de Villepin n'a pas si mal réussi depuis quelques semaines.
JACQUES PAUGHAM
Mais l'idée que l'Union européenne soit représentée, en tant que telle au Conseil de sécurité vous paraît farfelu ou vous paraît...
HERVE GAYMARD
Ça ne me semble pas atteignable à court terme en tout cas.
JACQUES PAUGHAM ?
Mais ça pourrait être un objectif ou pas ?
HERVE GAYMARD
Vous savez, je ne suis pas ministre des Affaires étrangères, donc je ne m'élèverai pas au-dessus de ma condition.
MATTHIEU CASTAGNE
Est-ce que vous avez le sentiment que cette crise n'a pas montré que l'Europe, qu'on voyait comme une maison commune, avec des peuples qui se rapprochent, en fait, ça reste quand même extrêmement fragile, et qu'une crise qui est pourtant très lointaine suffit à séparer l'Europe en deux blocs opposés, parfois même antagonistes, quand on voit ce qui s'écrit dans la presse anglo-saxonne, en particulier anglaise, sur les Français, c'est... Est-ce que ça vous inquiète ?
HERVE GAYMARD
L'Union européenne ne va pas de soi. Et chacun sait que la paix que nous avons vécue en Europe continentale depuis 1945 est une construction exigeante et patiente. De même, la mise en oeuvre de politique commune - et je suis bien placé pour le voir, aussi bien pour l'Agriculture que pour la Pêche, ce n'est pas toujours un long fleuve tranquille ! Donc il faut que chacun fasse des efforts. Mais où nous avons une question cardinale - c'est ce que je disais à l'instant - c'est : quelle conception de l'Europe avons-nous ? Et alors là, cela plonge dans les tréfonds de notre histoire culturelle. Je vais vous donner un exemple : je suis allée au début du mois de janvier, invité par les Britanniques, à m'exprimer à Oxford, devant l'Oxford Farming Conference, et j'ai fait un discours d'une cinquantaine de minutes sur la conception qui était la nôtre de l'agriculture, de la ruralité, j'ai d'ailleurs dit aux Anglais " ne crachez pas sur l'agriculture ni sur la ruralité, puisque vous en êtes issus. Vous étiez un pays exportateur au XIXe siècle, de produits agricoles, c'est ce qui vous a permis de vous industrialiser, comprenez la vision qui est la nôtre de l'agriculture ". Mais je pense que c'est par ce dialogue entre les peuples qu'on peut faire avancer les choses.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
On entend dire, en tout cas certains analystes le disent, " la position de la France est courageuse, mais les USA dans l'avenir pourraient faire payer cette position, notamment dans le secteur économique ". Est-ce que, plus précisément sur le secteur agricole, où on sait qu'il est aussi une concurrence, vous pensez qu'il peut y avoir des moyens de pression américains dans les années à venir.
HERVE GAYMARD
Je crois qu'on a deux sujets sur cette très importante question. Première question : est-ce que les Etats-Unis intenteront des mesures de rétorsion commerciale ? Je ne suis pas capable de le dire, mais je pense que ce n'est pas de leur intérêt, tout simplement parce que les échanges commerciaux sont équilibrés de part et d'autre de l'Atlantique, que d'autre part beaucoup d'intérêts financiers américains sont investis en Europe, donc ils n'ont pas intérêt à ce que les entreprises européennes se portent mal...
JACQUES PAUGHAM
Oui, on peut dire que 30 % du capital des sociétés du CAC 40 appartiennent à des fonds américains.
HERVE GAYMARD
Tout à fait, et à l'inverse vous avez aussi beaucoup de capitaux européens investis aux Etats-Unis. J'y suis allé il y a quelques années passer quinze jours et dans une petite commune du nord Vermont, j'ai vu que la seule industrie qui employait 2 ou 300 personnes dépendait d'un industriel savoyard qui avait investi dans le Nord Easthern Kingdom dans le Vermont. Donc je crois que les choses sont équilibrées. Après il y a un deuxième sujet : est-ce que l'opinion publique américaine va boycotter les produits français ? Aujourd'hui, rien ne nous permet de le dire malgré certains images spectaculaires qu'on a vu passer en boucle sur les télés et qu'on a vu dans les journaux où on voyait des gens verser du vin de Bordeaux je crois... Mais ça, on voit toujours la même image, donc aujourd'hui j'ai encore eu notre attaché agricole à Washington il y a quelques heures, rien ne permet de le dire aujourd'hui.
JACQUES PAUGHAM
Alors, avant de passer à l'évolution de la PAC, un dernière question sur ce sujet : on sait que vous êtes entré en politique par passion pour le général de Gaulle, vous êtes également très proche de Jacques Chirac, très très proche de Jacques Chirac, et on a dit à travers la crise irakienne que la démarche était asses proche entre les deux ; or le général de Gaulle traitait l'ONU de " machin " et Jacques Chirac fait de l'ONU la pièce maîtresse, capitale, de l'organisation collective politique à venir. Alors, comment vous articulez les deux positions ?
HERVE GAYMARD
Je crois que nous ne sommes plus dans les années cinquante ni dans les années soixante, et qu'il ne faut pas regarder dans le rétroviseur. Aujourd'hui nous avons un monde qui est très différent de ce qu'il était il à a trente ou quarante ans, avec beaucoup de pays qui ont accédé à l'indépendance, et le mur de Berlin et l'Union soviétique qui sont tombés. Donc on n'est plus du tout dan la même configuration qu'à l'époque du général de Gaulle et je crois qu'effectivement nous avons la chance d'avoir une organisation internationale, qui a certes des imperfections mais qui a beaucoup de mérites et en tout cas la France privilégie toujours la voie de la négociation multilatérale.
JACQUES PAUGHAM
Autrement dit, aujourd'hui le général de Gaulle aurait pu être un farouche partisan de l'ONU ?
JACQUES PAUGHAM
Oh moi je ne vais pas faire parler les morts, surtout quand on les respecte et on les vénère comme c'est mon cas pour le général.
JACQUES PAUGHAM
Alors, deuxième thème donc : l'avenir de la Politique Agricole Commune, et en corollaire les négociations commerciales internationales. Matthieu Castagné ?
MATTHIEU CASTAGNE
Vous nous disiez : mener des politiques européennes communes ce n'est pas un long fleuve tranquille, alors la PAC qui est extrêmement contestée aussi bien au niveau de l'OMC - l'Organisation mondiale du commerce - que par un grand nombre de nos partenaires européens, est-ce que ce modèle de subventions de l'agriculture européenne et en particulier française, est-ce qu'il n'est pas à très court terme amené à disparaître ?
HERVE GAYMARD
Ce que vous dites est assez réducteur en réalité. Je crois qu'il faut repartir de l'origine des choses ; il y a en gros deux conceptions de l'agriculture, au-delà de l'agriculture de la ruralité dans le monde, il y a une conception, on va dire ultralibérale, en général anglo-saxonne, qui consiste à dire que les prix à la production doivent être toujours plus bas - donc c'est ce fameux prix mondial dont on nous rebat les oreilles - et dans cette configuration, les paysans constituent, en gros - comme les pêcheurs d'ailleurs - la variable d'ajustement de la mondialisation. Ça c'est une conception...
MATTHIEU CASTAGNE
Autrement dit c'est une vision industrielle...
HERVE GAYMARD
Oui, c'est une conception industrielle qui est celle des Anglo-Saxons, notamment de grands pays exportateurs - je pense à la Nouvelle-Zélande, à l'Australie, à la Grande-Bretagne qui n'est plus guère exportatrice mais c'est aussi la vision qu'elle défend, le Canada, les Etats-Unis c'est un peu différent, j'y reviendrai. Donc ça c'est une conception. Bon. Et puis il y a une deuxième conception qui est la nôtre, en disant que les prix doivent être rémunérateurs, que l'agriculture, c'est bien évident, la production de produits agricoles mais c'est autre chose : c'est l'entretien du paysage, c'est quelque part notre identité, et le maintien d'une vie rurale. Et c'est vrai que sur le plan politique, je dirai même philosophique, je n'hésite pas à employer de grands mots, ces deux conceptions sont frontalement séparées.
MATTHIEU CASTAGNE
Mais la conception française est très minoritaire, au niveau international.
HERVE GAYMARD
Non, elle n'est pas très minoritaire. Enfin, au niveau international, elle est, semble-t-il, minoritaire par rapport à un certain nombre de pays au sein de l'OMC, mais je répète que notre conception est majoritaire au sein de l'Union européenne, et que le sens de l'initiative de Jacques Chirac en faveur des pays africains il y a quelques semaines à Paris, est pour bien faire partager à nos amis africain cette conception humaniste de l'agriculture. C'est pour ça que je sais qu'il ne faut pas être trop long dans les réponses puisqu'on dit que les auditeurs décrochent, mais c'est des sujets extrêmement compliqués parce que vous avez bien fait de poser la question comme vous l'avez posée, en disant " les subventions ". Alors effectivement, on ne parle que des subventions. Mais pourquoi est-ce qu'on a des subventions aujourd'hui ? C'est parce qu'il y a dix ans, l'OMC - qui à l'époque s'appelait le GAT - nous a dit " vous n'avez pas le droit, vous n'avez plus le droit d'avoir des prix agricoles rémunérateurs ". Donc il a fallu baiser les prix agricoles, et donc ce sont des subventions compensatoires ; mais je voudrais dire très clairement que, aujourd'hui, les Etats-Unis qui nous donnent beaucoup de leçons - on revient toujours sur eux - accordent par exploitant agricole un niveau d'aide un tiers supérieur à ce que fait l'Union européenne.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Est-ce que dans les discussions que vous menez en ce moment sur la PAC vous intégrez le fait que l'Europe va s'élargir et que l'arrivée de s nouveaux pays va probablement déséquilibrer les équilibres qui prévalent en ce moment. Est-ce que c'est quelque chose d'important dans les discussions que vous menez ?
HERVE GAYMARD
Sur la Politique agricole commune nous avons eu un premier rendez-vous très important l'année dernière, qui est passé inaperçu, parce que quand les trains arrivent à l'heure on ne s'en rend pas compte. Pour résumer : quand je suis arrivé dans ce ministère, la première fois que je suis allé à Bruxelles on m'a dit " de toute façon on ne peut pas garder la PAC avec l'élargissement, c'est ou l'un ou l'autre, et comme on ne peut pas remettre en cause l'élargissement c'est la PAC qui fera les frais de l'élargissement. Eh bien ce qui est écrit, semble-t-il, n'est pas toujours vrai puisque grâce à l'initiative franco-allemande nous avons pu faire adopter à Bruxelles, le 15 octobre dernier, un cadre budgétaire sur 10 ans - 2003-2013 - qui permet de financer durablement la Politique agricole commune, y compris élargie évidemment aux 10 nouveaux Etats membres. Ça c'est la première remarque.
MATTHIEU CASTAGNE
Oui, mais à partir de 2006 le budget est bloqué.
HERVE GAYMARD
Non justement, c'est là où c'est une percée très importante de l'année dernière, c'est qu'il n'y a plus d'échéance de 2006 pour l'agriculture.
MATTHIEU CASTAGNE
Y compris pour le plafond des dépenses ?
HERVE GAYMARD
Oui. Ce qui a été décidé à Bruxelles et c'est ça qui est une initiative extraordinaire que nous avons réussie et c'est un véritable tour de force de l'année dernière, c'est que nous avons déterminé le budget agricole européen sur la séquence 2003-2013 ; donc pour l'agriculture, il n'y a pas de rendez-vous budgétaire en 2006, ça c'est extrêmement important, et ça c'est grâce à la diplomatie agricole si j'ose dire, française et allemande, que nous avons pu conclure cet accord à Bruxelles, sous l'autorité du président de la République Jacques Chirac, le 15 octobre dernier. Ça c'est le premier point, c'est le point budgétaire. Le deuxième point, par rapport à l'élargissement et l'agriculture : je crois qu'on peut dire que cet élargissement, au plan agricole, est à peu près l'équivalent de l'élargissement au début des années 1980 et au milieu des années 1980, Grèce, Espagne et Portugal.
MATTHIEU CASTAGNE
Les pays du Sud.
HERVE GAYMARD
Voilà. En terme, l'équivalent agricole de cet élargissement est à peu près le même, donc moi je n'ai pas peur. Je suis allé en Pologne l'été dernier, j'ai vu beaucoup de Polonais qui avaient très peur - des paysans polonais - qui avaient très peur de l'intégration, en disant " on va être laminés par vos exploitations agricoles qui sont compétitives ", je vois un certain nombre de paysans français également qui sont inquiets, donc je me dis que quand tout le monde a peur, il ne faut pas avoir peur.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Alors, il y a quand même un thème sur lequel vous êtes en bataille frontale avec le commissaire européen, M. Fischer, c'est celui de ce qu'on appelle " le découplage ". Alors je résume : découpler, ça veut dire que les aides aux agriculteurs ne seraient pas liées à leur production. Alors, lui, défend cette idée pour essayer d'éviter les surproductions alors qu'il n'y en a plus beaucoup dans la plupart des secteurs, et pour défendre l'environnement. Pourquoi vous vous battez bec et ongles en disant " pour nous c'est un casus belli, on tiendra jusqu'au bout ", pourquoi ?
HERVE GAYMARD
Parce que je pense - excusez-moi l'expression, j'aimerais employer un autre mot plus parlant - c'est une vraie bêtise. C'est une vraie bêtise pourquoi ?
JEAN-FRANÇOIS BODIN
De technocrate ?
HERVE GAYMARD
C'est une vraie bêtise de technocrate en chambre, oui, je le pense vraiment, et pour de vraies raisons de fond, ce n'est pas pour le plaisir de s'opposer tout le temps, moi je ne suis pas comme ça, je suis un type de dialogue et de négociation et je pense l'avoir prouvé, mais je pense que c'est vraiment une très mauvaise idée. Pour plusieurs raisons : la première, c'est que, avec ce découplage, comme vous l'avez dit, on n'a plus aucun lien avec la production, ce qui veut dire que du jour au lendemain on n'a plus les moyens de gérer des crises conjoncturelles puisque tout l'argent est distribué en fonction de critères physiques j'allais dire, et pas en fonction de la production, donc on n'a plus les moyens de réguler les crises conjoncturelles et je crois que la première des vertus d'une politique agricole, quelle qu'elle soit, c'est de pouvoir gérer les crises conjoncturelles dont on sait qu'elles sont très nombreuses, trop nombreuses. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est que ces aides deviendraient de l'assistanat, et en réalité ce serait une sorte de revenu minimum agricole, et ça les paysans n'en veulent pas ! Et moi je n'en veux pas non plus. Parce que l'acte de produire est un acte noble. Et l'idée de donner des aides sans qu'il y ait une contrepartie, je pense que c'est une logique d'assistance qui est insultante pour les agriculteurs. Troisièmement, on gèlerait les aides à un niveau historique ; c'est-à-dire que si on passe du jour au lendemain d'aides qui étaient reliées à la production à des aides couplées à la superficie, ça veut dire que par exploitation et par pays membres on gèle tout alors que l'économie agricole est quelque chose qui bouge, une année on produit plus, une année on produit moins, les parts respectives de marché des différents pays et des différents exploitants agricoles sont différents d'une année à l'autre, et là on aurait un système qui bloquerait tout. Et enfin, dernier élément qui n'est pas le moindre : je ne vous raconte pas ce que ça provoquerait en matière de spéculation foncière et pour la transmission des exploitations.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
A vous entendre, on a l'impression que c'est un peu une démarche soviétique... je veux dire intellectuellement.
HERVE GAYMARD
Oui, parce que ça part d'une bonne idée, on dit " oui, il faut davantage prendre en compte les superficies, l'environnement ", on est évidemment tous d'accord, et ce n'est pas moi qui vais dire le contraire, - j'ai augmenté cette année la prime herbagère agro-environnementale de 70 % - qui elle-même est calculée sur les superficies en herbe, donc je suis le dernier à être contre cette évolution de la Politique agricole commune. Mais je pense que ce que nous propose Bruxelles est une vraie bêtise - d'ailleurs les Américains ont mis en place un système comparable en 1995, ils l'ont abandonné l'année dernière - et je vous rappelle, j'ai encore vu ça hier à Luxembourg au Conseil des ministres, c'est que nous avons 11 pays sur 15 qui sont opposés à ce découplage total des aides.
JACQUES PAUGHAM
Matthieu Castagné ?
MATTHIEU CASTAGNE
La question va peut-être vous faire bondir, mais est-ce qu'on ne dépense pas trop au niveau européen et français pour des agriculteurs toujours moins nombreux ?
HERVE GAYMARD
Je crois qu'il ne faut pas poser la question comme cela. On a la chance, alors que l'Europe il ne faut pas raisonner seulement au niveau de la France, il faut toujours raisonner au niveau de l'Europe puisqu'on a une politique commune européenne. On avait une Europe qui au début des années 1960 était importatrice nette de ce qu'elle mangeait, elle importait la moitié de ce qu'elle mangeait ; aujourd'hui on a une Europe qui non seulement est autosuffisante mais qui est également exportatrice. Et donc moi je crois que la souveraineté alimentaire, c'est quelque chose de très important. Ce n'est peut-être pas politiquement correct de le dire, mais je le dis : il n'y a aucune raison que le marché européen soit la proie des multinationales agroalimentaires, je le dis comme je le pense. Deuxième observation : nous avons en Europe des produits de qualité. Troisième observation : l'agriculture, comme je le disais, ce n'est pas seulement produire des biens alimentaires, c'est aussi le paysage, c'est aussi l'animation du monde rural, donc je crois que par rapport à tout ce que l'Europe produit des politiques agricoles sont nécessaires. Enfin, dernier mot et qui n'est pas le moindre : sur la Politique agricole commune, on vit beaucoup sur des souvenirs. Par exemple, on dit " la Politique agricole commune européenne est surproductrice ", ce n'est pas vrai ! C'était vrai il y a vingt ans. Il y a vingt ans, effectivement, on avait des montagnes de beurre et de poudre de lait, tout le monde s'en souvient, mais ça, c'est terminé parce qu'on a de la maîtrise de production. Deuxièmement on dit que la PAC c'est trop cher : en tout cas elle est moins chère que la politique agricole américaine, et en plus, les plafonds de dépenses qui ont été définis sont respectés, on est même en dessous. Donc il y a une sorte de diabolisation de la PAC que je trouve intellectuellement très malhonnête, parce que le plus souvent les critiques qu'on entend étaient vraies il y a vingt ans mais elles ne le sont plus aujourd'hui.
JACQUES PAUGHAM
Donc c'est très idéologique ?
HERVE GAYMARD
Oui, c'est très idéologique, on est sur des sujets très idéologiques.
JACQUES PAUGHAM
Dernière question avant la première pause, Jean-François Bodin ?
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Justement, j'aimerais vous entendre un peu sur ce credo européen parce que s'il y a un sujet éminemment communautaire européen c'est la politique agricole, il n'y a pas de défense commune, il n'y a pas de politique sociale commune, il y a une Politique agricole commune. Et pourtant, quand on voit comme elle s'applique, comme elle se négocie, c'est extrêmement difficile, ça ne donne pas une bonne image de l'Europe.
HERVE GAYMARD
Oui, mais de toute façon, je veux dire, c'est comme dans les familles quand on décide de faire des choses ensemble, ce n'est jamais simple. Soit on a un système soviétique et c'est " marche ou crève ", soit on a un système de négociations et c'est le cas. Mais ce qui est vrai - et ça je ne veux pas vous raconter d'histoires - c'est qu'il y a en Europe un certain nombre de pays, et notamment deux d'entre eux, l'Angleterre et la Suède, qui sont violemment opposé au principe même de la Pollitique agricole commune, donc c'est vrai que quand on lit le Financial Times par exemple, ou The Economist, on en prend plein la figure. Mais bon, ils ont une idée ultra libérale des choses qui n'est pas la nôtre. Ils l'assument. Nous, nous assumons l'inverse avec beaucoup de sérénité et de résolution à la fois.
JACQUES PAUGHAM
Alors nous allons marquer une première pause et nous reprendrons avec les négociations internationales. [...] Nous parlions de la PAC, nous ne pouvons pas parler aujourd'hui de la PAC sans parler des négociations commerciales internationales au sein de l'OMC, or là ça piétine. Théoriquement le 31 mars on devait avoir avancé, on n'a pas avancé, et est-ce que vous n'êtes pas dans une position un peu gênante, en tant que ministre de l'Agriculture, de voir que nos négociations au niveau de l'OMC sont quand même menées pour l'Europe par un commissaire dont on sent qu'il se dit que l'agriculture, qui ne représente que 10 % des échanges à échelle internationale, pourrait peut-être servir de monnaie d'échange avec d'autres grandes parties de discussions sur le plan industriel, sur le plan des services ? En clair, est-ce que Pascal Lamy est le meilleur atout pour vous dans la négociation auprès de l'OMC ?
HERVE GAYMARD
Je répondrai après à cette question. Mais ce que je voudrais quand même dire tout d'abord c'est que la négociation dans l'OMC est quelque chose de politiquement très important. En gros, l'enjeu est le suivant : est-ce que dans le domaine agricole et rural on arrivera à humaniser et à maîtriser la mondialisation ? Ou est-ce que, au contraire, on laissera se faire une mondialisation sauvage comme on l'a vu dans certains autres secteurs de production ? L'enjeu est celui-là. Ça c'est le premier point. Le deuxième point, c'est que le cycle de la négociation s'appelle le " cycle du développement ". Et nous, nous pensons que l'OMC ne doit pas être la chambre de compensation des intérêts commerciaux des grandes puissances exportatrices. Et nous pensons que ce cycle de l'OMC doit être celui qui permettra de mettre sur la table un certain nombre de sujets pour aider les pays en développement. Et c'est pourquoi le président de la République a pris une initiative, qui d'ailleurs a été endossée hier par la Commission de Bruxelles, et il fait des propositions très concrètes sur les subventions aux exportations, sur les préférences commerciales spécifiques pour les pays les plus pauvres, et enfin sur la nécessité de réguler certains grands marchés, on pense notamment au café, au coton et au cacao.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Autrement dit les pays en voie de développement n'ont pas intérêt à une libéralisation maximale ?
HERVE GAYMARD
Non. Non, parce que c'est ce qu'on voit depuis vingt ans.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
C'est ce qu'on lit dans les journaux financiers américains.
HERVE GAYMARD
Mais c'est exactement le contraire, là c'est une désinformation totale, parce que quand vous regardez 20 ans de politique d'ajustement structurel du FMI dans ces pays, 10 ans de libéralisation commerciale agricole depuis les accords de Marrakech, vous constatez que la part des pays..., des grands pays exportateurs, dits du groupe de Cairns, a explosé dans le commerce mondial...
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Brésil, Argentine...
HERVE GAYMARD
Brésil, Canada, Etats-Unis, etc., donc leur part a explosé, la part de l'Europe a diminué, et la part des pays en développement, tenez-vous bien, est passée de 3,4 % - ce qui n'était quand même pas beaucoup - au début des années 1980, à 1,2 %n au début des années 2000. Donc nous, nous pensons, pour résumer d'un trait, que la clause de la nation la plus favorisée favorise toujours les plus favorisés. Et donc il faut des clauses spécifiques pour aider les pays du tiers monde, donc notre slogan, très clairement, ce serait " le Mali, pas l'Australie ". Voilà.
JACQUES PAUGHAM
Matthieu Castagné ?
MATTHIEU CASTAGNE
Justement sur cette question : une partie des ONG, une partie même ici en France des mouvements d'opinion, dit que cette politique de subvention de l'agriculture européenne que vous défendez, écrase les pays pauvres.
HERVE GAYMARD
Oui, mais on ne peut pas dire les choses comme ça. D'ailleurs lesdites ONG que j'airencontréesil n'y a pas longtemps avec François Loos, le ministre du Commerce extérieur qui suit ces questions de très près également, nous ont plutôt dit être favorablement impressionnées par les propositions que la France a faites et qui ont été approuvées hier à Bruxelles. Pour résumer : je ne suis pas sûr que de supprimer des paysans dans le Massif Central, dans le Languedoc ou dans ma Savoie natale, arrange quoi que ce soit les affaires des pays du Sud. Donc c'est pour ça qu'il faut se méfier des traits lapidaires. Moi je crois que sur le développement,il se trouve que j'ai vécu trois ans de ma vie en Afrique de l'Est et au Moyen-Orient, à Madagascar aussi, donc ce sont des questions qui me passionnaient bien avant d'être ministre de l'Agriculture, je crois qu'il faut dire plusieurs choses : d'abord, contrairement à ce que disent les Anglo-Saxons, je ne suis pas d'accord pour dire que le commerce résout tout, il faut continuer à avoir des politiques d'aide au développement en matière agricole ; moi, mes collègues africains, ils me parlent d'irrigation, ils me parlent de chaîne du froid, ils me parlent de commercialisation des produits, et ça ce sont des sujets qu'il faut traiter ; et sur le plan commercial, je le disais, il faut des préférences spécifiques. Et de ce point de vue-là la France et l'Europe disent, en gros, à nos partenaires de l'OMC : " Chiche ! vous voulez parler du développement ? Parlons-en et mettons en place les dispositifs qui permettront aux pays en voie de développement de développer leur agriculture ".
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Et des garanties aussi sur les prix, non ? Des prix minimum, non ?
HERVE GAYMARD
Oui ! Regarder un pays comme l'Ethipie par exemple : un pays comme l'Ethiopie, que je connais un peu, on ne va pas me raconter que c'est à cause de la PAC que l'Ethipie est dans la situation dans laquelle elle est. Il y a deux raisons : la première, c'est évidemment la guerre comme l'on sait ; et la deuxième raison c'est la chute des cours du café, après la dislocation de l'Organisation internationale du café en 1989. Donc il est évident que pour des produits de base exportés, il faut des accords internationaux qui permettent de stabiliser ces recettes pour les pays. N'oubliez pas qu'il y a 3 milliards de paysans dans le monde, et que 80 % d'entre eux souffrent de malnutrition.
JACQUES PAUGHAM
Matthieu Castagné ?
MATTHIEU CASTAGNE
Donc pour vous, on peut avoir et la PAC et le développement de l'Afrique et d'une partie de l'Asie ? On n'écrase pas leurs agricultures en subventionnant nos agriculteurs ?
HERVE GAYMARD
Non. Moi j'en suis vraiment convaincu. Il y a un sujet qui est un talon d'Achille j'allais dire - moi je parle franc, je dis les choses telles que je les pense - dans les politiques agricoles des pays du Nord, notamment la PAC et les Etats-Unis, c'est les subventions à l'exportation. Bon. Ces subventions ont été très importantes il y a quelques années, maintenant elles sont beaucoup moins importantes ; elles sont plus importantes aux Etats-Unis qu'ailleurs, parce que, aux Etats-Unis il y a ce qu'on appelle des " marketings lones " et de la fausse aide alimentaire, donc c'est la raison pour laquelle le président Chirac a dit " sur les subventions à l'exportation, en attendant que les négociations de l'OMC se terminent, mettons en place un moratoire ".
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Et un peu moins de bureaucratie aussi dans les aides ?
HERVE GAYMARD
Oui, mais par rapport à l'Afrique et au Sud, on a à la fois la partie aides - c'est ce que j'ai dit l'autre jour au président de la Banque mondiale que je suis allé rencontrer à Washington et que je vais voir bientôt à Paris - mais il y a aussi la partie commerciale qui est extrêmement importante. Vous savez, il faut arrêter l'hypocrisie ! Et je suis très frappé que dans beaucoup de journaux, ou dans beaucoup de déclarations, par rapport au problème du développement agricole des pays africains, en réalité c'est uniquement une manipulation pour remettre en cause la Politique agricole commune. Donc c'est pour ça que nous, nous sommes très sereins, nous vivons...
JACQUES PAUGHAM
Autrement dit ce sont des sous-marins américains ? C'est ça que vous voulez nous dire ?
HERVE GAYMARD
Je ne suis pas paranoïaque, mais je vous dis simplement que j'en ai un peu ras-le-bol pour tout vous dire, Jacques Paugham, de nous faire donner des leçons sur l'Afrique et le développement du tiers monde, quand c'est l'Europe qui, dans le monde, avec le Japon d'ailleurs, consacre - ce n'est toujours pas assez - mais qui consacre le plus de sa richesse nationale à l'aide au développement ; et deuxièmement - ça vous ne le savez peut-être pas - mais l'Europe importe 6 fois plus de produits agricoles du tiers monde chaque année, que tous les pays du groupe de Cairns réunis. Et ça, ce sont des choses qu'on ne dit jamais ! Donc moi j'en ai ras-le-bol qu'on se laisse diaboliser, c'est la raison pour laquelle le président de la République a pris cette initiative et que nous verrons bien, au bout du bout, qui sont les véritables amis du tiers monde.
JACQUES PAUGHAM
Donc il y a bien un modèle européen de développement ?
HERVE GAYMARD
Oui, et nous pensons que d'ailleurs l'Afrique et les autres pays du tiers monde feraient bien de s'inspirer de notre modèle de développement parce que ce n'est pas le modèle ultra libéral qui réglera leurs problèmes.
JEAN-MARTIN FOLZ
Denis Dumolin ?
DENISE DUMOLIN
Vous évoquiez tout à l'heure, Hervé Gaymard, l'Ethiopie et son café, alors quel est votre point de vue, tant au niveau de votre foi dont vous ne faites pas mystère, que du ministre de l'Agriculture que vous êtes, de tout ce qui est développement solidaire ?
HERVE GAYMARD
Je crois que, effectivement, tout ce qui est développement solidaire et commerce équitable, est quelque chose d'extrêmement important et moi je voudrais saluer ici toutes les associations, toutes les ONG, Max /Avelar/ et beaucoup d'autres, qui font beaucoup de choses en ce domaine. On a aussi une ONG britannique, qui n'est pas toujours sur les mêmes positions que nous, qui fait un gros travail, c'est /Oxfam/ que j'ai rencontré quand je suis allé à Oxford il y a quelques semaines, donc je pense que cette notion du commerce équitable est quelque chose, là aussi, d'extrêmement important, et qu'il faut poursuivre ce partenariat entre le Nord et le Sud. Ça j'en suis convaincu.
JACQUES PAUGHAM
Alors, quatrième thème : la pêche. Jean-François Bodin ?
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Oui, c'est aussi votre domaine de compétences. On sent que les pêcheurs français sont inquiets, notamment des éventuelles mesures qui se préparent au niveau de l'Europe pour la gestion des ressources ; ils ne font pas mystère de cette inquiétude, c'est vrai que la France a une façade maritime sans doute la plus importante d'Europe, peut-être avec l'Italie, il faudrait regarder, mais ce n'est pas sur le même type de mer. Est-ce que les pêcheurs français sont plus mal lotis que les pêcheurs des autres pays ?
HERVE GAYMARD
Je connais évidemment cette inquiétude, j'étais encore à Boulogne il y a quelques semaines, mais je dirai que nous avons tout de même l'année dernière obtenu une belle victoire, juste avant Noël, dans la négociation pour la réforme de la Politique commune de la pêche, puisque nous avons évité que la pêche française et que la pêche communautaire si j'ose dire, soit mise à l'encan. Alors, comment se pose le problème ? Premièrement : il est indispensable qu'il y ait une politique européenne de la pêche. Pourquoi ? Parce qu'en 1982, on a mis en place les zones économiques exclusives à 200 miles marins, ce qui veut dire qu'à l'exception de la Méditerranée qui n'est pas encore concernée par cette Politique commune de la pêche, la plupart des mers européennes sont concernées et donc doivent être gérées communément puisque depuis toujours il y a des pêcheurs de tous les pays qui allaient, à l'époque, pêcher dans des eaux qui n'étaient pas dans les eaux territoriales, ni dans la zone économique exclusive. Donc tout le monde est bien d'accord pour dire qu'il faut une gestion de la ressource au niveau communautaire. Alors, le débat que nous avons eu l'année dernière avait 2 volets : le premier, c'est la gestion de la ressource. Chacun est bien conscient qu'il faut une gestion durable de nos mers, et qu'on ne peut pas surexploiter nos mers ni nos océans, et donc ce que nous sommes arrivés à obtenir de Bruxelles c'est tout d'abord que pour cette année 2003 on ait des quotas de capture équilibrés on va dire, et je crois que chacun en convient aujourd'hui ; et deuxièmement que pour la plupart de nos côtes, et même la totalité de nos côtes, on échappe à un système que voulait mettre en place la Commission européenne, qui s'appelle le " système de l'effort de pêche ".
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Oui, autrement dit on répartit les jours, c'est ça ?
HERVE GAYMARD
Voilà. Ce qui est absurde parce qu'on peut très bien sur-pêcher pendant quelques jours en respectant les jours de fermeture, et que c'est un mauvais instrument de gestion de la ressource ; nous, nous préférons le système où on a des totaux autorisés de capture espèce par espèce, et ensuite des quotas par Etat membre. Donc ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'était les aides à la modernisation de la flotte, parce que là l'Europe voulait, enfin, la Commission, voulait arrêter que l'on puisse moderniser les bateaux...
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Pour quelle raison ?
HERVE GAYMARD
En bien en disant... ce qui est un raisonnement faux d'ailleurs, mais qui médiatiquement passait bien, qui était de dire " il ne faut pas moderniser les bateaux parce qu'on pêche plus de poissons "... Ce qui est faux parce que le volume de poisson pêché est régulé en amont par les totaux de capture autorisée et par les quotas. Mais là, c'était une position aussi très idéologique de la Commission parce que, en plus, ça ne coûte pas grand-chose année après année, pas par rapport au montant de la PAC dont on parle, ça n'a strictement rien à voir.
JACQUES PAUGHAM
D'ailleurs vous avez obtenu le maintien des aides jusqu'en 2006 ?
HERVE GAYMARD
On a obtenu le maintien des aides jusqu'en 2006, 2007, et ça je crois que c'est extrêmement important, parce qu'on a plusieurs dizaines d'essais en mer chaque année - parce que c'est des conditions de travail extrêmement dures - et donc je me suis battu pour ce plan de modernisation de la flotte.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Donc pour vous c'est une question de sécurité et pas une question de surproduction...
HERVE GAYMARD
Non, puisque la question de la production, enfin, des captures, est traitée par la gestion de la ressource. Que le bateau à la limite soit vétuste, ou moderne, il est encadré par les mêmes règles. J'ajoute, dernier point sur la pêche, c'est que dans toutes ces questions il y a une hypocrisie totale, c'est parce qu'on ne parle jamais de...
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Mais dites donc, décidément c'est le domaine de l'hypocrisie, tout ce secteur-là...
HERVE GAYMARD
... on ne parle jamais de la pêche minotière, et donc vous avez certains Etats européens, - dont nous sommes pas, je le précise tout de suite - qui ont des navires usines qui pompent et qui aspirent les océans pour faire de la farine de poisson pour l'aquaculture, et vous savez qu'il faut beaucoup de kilos de poissons pour nourrir un poisson d'élevage, et donc on a aussi une surexploitation des océans à cause de cette pêche minotière et industrielle, et ça on n'en parle jamais !
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Mais c'est très inquiétant ce que vous nous dites, dans la gestion internationale des grands problèmes, parce qu'à vous écouter il y a 2 choses qui prédominent dans ces domaines-là : c'est technocratie, et hypocrisie. Alors avec ça...
HERVE GAYMARD
Et pensée unique. Et pensée unique, ce n'est pas faux.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Pour parler français : on est mal barrés !
HERVE GAYMARD
Aujourd'hui on a un politiquement correct qui est extrêmement efficace sur le plan médiatique parce qu'on assène des vérités, je veux dire : les pêcheurs surexploitent les océans, les paysans sont des pollueurs, la PAC affame le tiers monde, etc., c'est très facile de dire ça, ça prend quelques secondes pour le dire ; mais pour récuser la saillie, si j'ose dire, il faut beaucoup plus de temps. Et c'est vrai que dans le poste dans lequel je suis, on peut estimer que je suis parfois en défensive, mais au contraire, moi j'ai une conception offensive des choses ; c'est pourquoi, que ce soit sur la pêche, sur l'agriculture, au plan communautaire, au plan international vis-à-vis des pays du tiers monde, nous prenons des positions offensives pour proposer que les choses bougent.
JACQUES PAUGHAM
Nous marquons une seconde pause. [...] Cinquième point de cette émission : l'avenir de la ruralité. Première question, Matthieu Castagné.
MATTHIEU CASTAGNE
On a l'impression que dans le monde rural en France, il y a un vrai mal-être, les maires s'inquiètent pour la fermeture des classes dans les écoles, de leur perception, de leur antenne de la Banque de France ; les agriculteurs se sentent les mal-aimés du monde urbain... Comment on peut remédier à cela ?
HERVE GAYMARD
Je crois, effectivement, depuis maintenant 15 ou 20 ans, que le monde rural a été délaissé par les politiques d'aménagement du territoire, et face également au vertige de la mondialisation, on a un monde rural inquiet. Et quand je dis un monde rural, ce n'est pas seulement un monde agricole. Et la volonté politique de notre gouvernement, sous l'impulsion du président de la République et du premier ministre, c'est, au contraire, de mener une action dynamique en faveur du monde rural. Première remarque : le monde rural - je ne sais pas si on peut encore employer cette expression - est très " pluriel "... parce que vous avez...
MATTHIEU CASTAGNE
Vous, vous pouvez l'employer...
HERVE GAYMARD
... un monde rural périurbain, vous un monde rural profond et isolé qui est en déclin démographique, et vous avez un monde rural profond qui, lui, est en bonne santé démographique. Donc on a des mondes ruraux qui sont un peu un archipel éclaté et il faut que nous ayons des politiques actives en la matière. Donc, je suis en train de préparer, avec mes autres collègues membres du gouvernement concernés un programme gouvernemental pour le monde rural - il y aura notamment une loi - et au jour d'aujourd'hui moi je vois - enfin, de ce qui remonte du terrain comme on dit - il y a beaucoup de sujets de préoccupation, il y en a 3 principaux : le premier, c'est la question du foncier, c'est la question foncière, notamment des conflits d'usage entre les urbains et les ruraux, les agriculteurs qui se plaignent d'un mitage trop grand de l'urbanisme et qui souhaiteraient que l'on regarde de manière correcte ce qui doit revenir à l'agriculture, à l'habitat et aux activités économiques ; le deuxième sujet c'est l'attractivité économique des territoires ruraux, donc là il y a des problèmes d'infrastructures mais aussi des problèmes de fiscalité - je pense notamment aux zones de revitalisation rurale qui ont été mises en place en 1995 - ; et puis il y a un troisième sujet qui sont les services publics, mais peut-être plus encore les services au public - je pense, notamment aux médecins de campagne, aux infirmières libérales, aux hôpitaux de proximité, bien sûr aux bureaux de poste dont on parle beaucoup, aux commerces de proximité - donc ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons et sur lesquels nous devons conjuguer nos efforts, d'ailleurs on ne part pas de rien, il y a déjà beaucoup de départements, de communes, qui font beaucoup de choses, mais l'Etat sera au rendez-vous.
JACQUES PAUGHAM
Jean-François Bodin ?
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Une autre piste, c'est le tourisme vert, le développement...
HERVE GAYMARD
Tout à fait.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
... est-ce que ce sont des choses qui sont prises en compte, et est-ce qu'il y a des reconversions réussies dans ce secteur ?
HERVE GAYMARD
On a une grande partie de notre territoire qui s'est déjà beaucoup développé avec le tourisme vert, allié avec ce qu'on appelle - c'est un terme barbare - " la pluriactivité ", c'est-à-dire je pense qu'il faut assouplir et fluidifier les systèmes sociaux également pour qu'une même personne puisse faire plusieurs métiers - étant savoyard je sais de quoi je parle puisque j'ai une circonscription qui depuis un siècle a beaucoup de pluriactifs - donc je pense que c'est cette diversité qu'il faut faire valoir aussi, le tourisme rural, le tourisme vert, de gros problèmes d'habitat aussi en milieu rural, j'en parlais encore ce matin avec Gilles de Robien qui est très convaincu de la nécessité de faire beaucoup de choses en la matière, bref, nous avons du pain sur la planche ! Et je pense qu'on sera prêts... on va dire... au début de l'été.
JACQUES PAUGHAM
Denise Dumolin ?
DENISE DUMOLIN
Est-ce normal et est-ce bien sain, Hervé Gaymard, qu'il y ait aujourd'hui le même nombre de fonctionnaires affectés au monde agricole que lorsque les agriculteurs étaient dix fois plus nombreux ?
HERVE GAYMARD
Je crois que c'est un sujet qu'il faut regarder dans le détail. Non non, moi je ne veux pas éluder la question puisqu'elle se pose évidemment. Je crois que la question ne se pose pas par rapport au nombre d'agriculteurs, mais par rapport aux missions que ces fonctionnaires remplissent. Je pense par exemple à toutes les missions de sécurité sanitaire et alimentaire, qui sont très importantes, et on l'a bien vu avec la fièvre aphteuse et la vache folle, je veux dire que quel que soit le nombre d'agriculteurs, il nous faut un système de sécurité sanitaire qui fonctionne. Donc on est actuellement dans un processus de modernisation de l'Etat ; j'ajoure que dans le secteur agricole il n'y a pas que les services de l'Etat, il y a aussi les Chambres d'agriculture, il y a un certain nombre d'organismes qui maillent aussi le territoire, et moi je souhaite qu'on ait une sorte de cahier des charges pour savoir quelles sont les missions utiles pour les agriculteurs français - et les citoyens et les consommateurs - parce que moi je ne parle pas seulement au nom de 600.000 agriculteurs, je parle aussi au nom de 60 millions de consommateurs, parce que je suis aussi ministre de l'Alimentation, et que la plupart des fonctions des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture concernent 60 millions de Français.
JACQUES PAUGHAM
Mais là vous nous parlez de grands principes, mais Lionel Jospin avait fait une loi, importante, en 1999, sur cette question de la ruralité. En quoi allez-vous changer l'orientation par rapport au contenu de cette loi ?
HERVE GAYMARD
Non, la loi de Lionel Jospin n'était pas une loi sur la ruralité, c'était une loi d'orientation agricole...
JACQUES PAUGHAM
Elle changeait quand même les états d'esprit... qualité, environnement...
HERVE GAYMARD
... qui venait à son heure, oui bien sûr, mais on est tous pour la qualité, l'environnement, on est tous pour le beau temps et pour la bonne santé.
JACQUES PAUGHAM
Oui, mais enfin...
HERVE GAYMARD
Je crois que personne n'est contre.
JACQUES PAUGHAM
Vous considérez que la référence, ce n'est pas cette loi, que ce n'est pas le problème ?
HERVE GAYMARD
Excusez-moi... Ce que je veux dire c'est que moi je ne suis ni pour ni contre cette loi, elle existe et il y a certains de ses aspects qui sont bien, d'autres qui étaient plus contestables... Je crois que ce n'est pas le sujet.
JACQUES PAUGHAM
D'accord.
HERVE GAYMARD
Le sujet c'est de savoir qu'est-ce qu'on veut pour notre agriculture française, en sortant des faux procès et des idées reçues. Aujourd'hui, comme je vous le disais, il y a beaucoup de procès faits à l'agriculture qui sont injustes, et je ne dis pas cela parce que je suis ministre de l'Agriculture, parce que je suis au contact... vous savez, moi je sors beaucoup, je ne suis quasiment pas à Paris, je suis énormément sur le terrain en province, j'ai déjà visité 50 départements, et beaucoup à Bruxelles où j'ai deux tiers de mon budget. Eh bien les paysans en ont vraiment marre, parce que quel métier plus que celui-là a connu autant de modifications et d'adaptations depuis 50 ans ? Je crois qu'il n'y a pas un métier qui a connu autant de mutations forcées si j'ose dire. On leur change les règles du jeu à Bruxelles tous les quatre matins, et donc ça crée aussi de l'anxiété, et ce sont des gens qui font un bon boulot ! Quand on me dit que la politique agricole serait polluante, je ne vois pas en quoi elle est polluante ; c'est vrai que dans certaines régions nous avons des problèmes en matière d'eau, et ça notamment en Bretagne, et pour ça nous prenons le taureau par les cornes sur ces sujets-là, mais je crois que la simplification n'est jamais une bonne chose.
JACQUES PAUGHAM
Jean-François Bodin ?
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Oui, sur le monde rural on comprend les bonnes intentions que vous affichez, ceci dit, l'exode vers les villes continue, est-ce que pour vous l'arrêt de cet exode est un objectif ?
HERVE GAYMARD
Je ne suis pas sûr que l'exode vers les villes continue. Parce que quand vous regardez le dernier recensement de la population, vous vous rendez compte que l'on a, en gros, retrouvé le nombre de Français habitant en milieu rural que l'on connaissait il y a une vingtaine d'années.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
Vous connaissez des nouveaux départs vers le monde rural ?
HERVE GAYMARD
Oui, oui, et je pense que... bon, c'est peut-être un peu une tarte à la crème..., mais je pense notamment à toutes les technologies de l'information et de la communication peuvent permettre de revitaliser certains endroits, alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant. Et si je suis aussi favorable à une politique de développement du monde rural et de l'aménagement du territoire, c'est parce que je suis bien conscient qu'il ne faut pas trop laisser grossir les villes, on l'a trop laissé au cours des 30 dernières années.
JACQUES PAUGHAM
Hervé Gaymard, une question très naïve : vous avez été frappé, comme beaucoup de gens, par la sanction que la Commission de Bruxelles a prise contre la FNSEA, en particulier pour une entente illicite sur la viande en 2001. Est-ce que ces poursuites auraient été possible s'il n'y avait pas eu le soutien de service du gouvernement français à l'époque ?
HERVE GAYMARD
Ah oui, je crois que c'est tout à fait indépendant de ça. Moi j'ai dit ce que m'inspirait cette décision : je trouve cette amende extravagante dans son montant, et contestable dans son principe. Parce que si à l'époque cet accord a été mis en place, c'est parce qu'un certain nombre de mécanismes de gestion du marché avaient été démantelés par la précédente réforme de la Politique agricole commune, qu'on était en face d'une situation de crise liée à la vache folle, et qu'il fallait bien réagir. J'ajoute enfin que je trouve quand même très contestable qu'on condamne ces organisations professionnelles et syndicales comme si c'était des entreprises qui s'étaient enrichies pour une entente illicite, parce qu'elles ne se sont pas mis un euro dans la poche, lesdites organisations. C'était un système de régulation des prix en cas de crise, pour éviter que les éleveurs crèvent la gueule ouverte ! C'est de cela dont il s'agissait.
JEAN-FRANÇOIS BODIN
En attendant il va falloir payer ?
HERVE GAYMARD
On n'en est pas là pour l'instant puisqu'il y a un recours qui est intenté devant la Commission de Bruxelles ; je crois savoir que ce recours n'est pas suspensif, en soi, pour le paiement, donc il y a sûrement une autre procédure à diligenter parallèlement pour la question du paiement, mais je veux dire, comme aurait dit Rabelais " c'est énaurme ! " parce que 17 millions d'euros ça doit être deux fois le budget de la FNSEA, je veux dire ce n'est pas possible !
JACQUES PAUGHAM
C'est énorme, mais ce n'est pas drôle. Alors il nous reste une minute... Matthieu Castagné ?
MATTHIEU CASTAGNE
Vous ne vous sentez pas un peu seul à défendre la FNSEA ? On n'a pas beaucoup entendu le président de la République, grand défenseur du monde rural, le premier ministre, certains de vos collègues... monter au créneau.
HERVE GAYMARD
Le ministre représente le gouvernement dans son ensemble sur les sujets qui le concernent. Non non..., ne croyez pas que le président ou le premier ministre seraient sur une ligne différente du ministre de l'Agriculture, je veux dire que c'est un simple bon sens.
JACQUES PAUGHAM
Comme vous me laissez 30 secondes, une question toute bête : Jean Glavany nous a dit ici, il y a quelque temps que jamais il ne mettrait les pieds - il était ministre de l'Agriculture - que jamais il ne mettrait les pied dans un McDo. Et vous ?
HERVE GAYMARD
Non ! Parce que je dirais d'abord que McDo... je trouve cette diabolisation de McDo stupide, on aime ou on n'aime pas, si on n'aime pas on n'y va pas, si on aime on y va... Bon ! Et je constate, en plus, que McDo, que ce soit la viande ou les patates, achète tout en France ; donc je veux dire... il y a beaucoup de producteurs français de boeufs et de pommes de terre, qui vivent grâce à McDo. Donc je pense qu'il faut arrêter les procès en sorcellerie, personne n'y gagne, moi ce n'est pas ma manière d'être.
JACQUES PAUGHAM
Hervé Gaymard, merci. Ainsi s'achève " Face aux chrétiens ". La semaine prochaine, exceptionnellement pour la première fois depuis 6 ans, il n'y aura pas de " Face aux chrétiens ", mais ceci en raison des offices de la semaine pascale. Merci à toutes et à tous.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 15 avril 2003)