Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères de la coopération et de la francophonie, au Conseil de sécurité des Nations unies, sur le thème "La justice et l'état de droit : le rôle des Nations unies", New York le 24 septembre 2003.

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Circonstance : Intervention de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité des Nations unies, à New York le 24 septembre 2003

Texte intégral

Justice et Etat de droit émergent comme les fondements de la paix et de la démocratie. Ils sont au coeur de l'action des Nations unies. C'est pourquoi je me réjouis que notre débat aujourd'hui se concentre sur ce thème et je remercie le Royaume-Uni de son initiative.
La défense de la justice et la construction de l'Etat de droit sont au coeur de la mission de paix des Nations Unies.
De par sa vocation universelle, l'ONU promeut les multiples facettes de l'Etat de droit. Un constat s'impose : restaurer la paix, ce n'est pas seulement obtenir le silence des armes par le recours à la force ; c'est aussi protéger les minorités persécutées au Timor ou au Kosovo ; assister les victimes humiliées au plus profond de leur chair ; faire respecter les Droits de l'Homme au Liberia et en République démocratique du Congo ; libérer les aspirations démocratiques brimées au Cambodge ; affermir des institutions nationales fragilisées et redonner vie à la citoyenneté démocratique en Haïti ; offrir aux nations affaiblies par la guerre les moyens de recouvrer leur souveraineté politique en mettant en place un processus constitutionnel comme en Afghanistan ; établir en Bosnie-Herzégovine une police et une justice indépendantes et efficaces.
Au service de ces objectifs, le système des Nations unies a su développer un éventail de moyens adaptés à chaque situation : représentants spéciaux, casques bleus, policiers, experts du PNUD, personnels du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme, agents de l'UNICEF, juges internationaux, cadres civils, observateurs électoraux...
A tous, je voudrais rendre un hommage solennel. Je pense tout particulièrement à Sergio Vieira de Mello, à son courage et à son dévouement au service de la paix, du Cambodge à l'Irak. Plus que tous, il savait combien la construction de l'Etat de droit constituait une tâche difficile et pleine de défis.

J'en mentionnerai deux.

Premier défi : concilier, d'une part, la promotion des valeurs universelles de la démocratie et des Droits de l'Homme avec, d'autre part, la nécessaire prise en compte des caractères spécifiques de chaque société, de sa culture, de son identité. L'Etat de droit n'est pas une notion abstraite. Au-delà de la règle juridique, il implique une pratique, un état d'esprit qui s'apprennent et s'approprient pas à pas, en fonction de chaque situation. Un modèle s'apprend, il ne s'impose pas : les Nations unies ne doivent pas se tromper dans la marche à suivre.
Deuxième défi : faire prévaloir l'exigence de justice et les vertus de la paix là où le crime et l'arbitraire ont semé la terreur et la haine. Cette exigence a conduit le Conseil de sécurité à créer les Tribunaux pénaux internationaux. Dans cette recherche constante d'un équilibre difficile, la Cour pénale internationale représente une avancée majeure. La Cour n'est dirigée contre aucun pays. Elle ne représente pas la justice des vainqueurs. Elle est un recours contre les situations de non droit ou de non justice. Elle n'a pas vocation à se substituer aux juridictions nationales. Elle présente l'avantage de la permanence, de l'universalité et de l'étendue de ses compétences. Elle est l'instrument par excellence de la primauté du droit et de la justice.
Au-delà de la force du verdict, les Commissions ''Vérité et réconciliation'' peuvent être un instrument utile pour faire renaître l'espoir d'une coexistence nouvelle entre communautés voisines et aujourd'hui ennemies.
L'Irak cumule ces défis. Après trente ans de dictature baassiste et trois guerres, la stabilisation durable du pays demandera plus que des soldats et de l'argent. Pour les Irakiens, reprendre pleinement leur destin en main, c'est notamment établir chez eux un Etat de droit que leur pays n'a que trop rarement connu. Le devoir de justice constituera une pierre importante de l'édifice : les criminels du régime déchu devront répondre de leurs crimes pour que la page soit définitivement tournée. Mais il est tout aussi impératif de placer le rétablissement de la souveraineté au cur de notre action et de rassembler, autour d'un projet politique mobilisateur, toutes les composantes du peuple irakien. Lui seul pourra trouver les nouveaux équilibres internes dont il a besoin. Mais il doit pouvoir compter pour cela sur la solidarité et l'assistance de la communauté internationale incarnée, au premier chef, par les Nations unies.
L'importance de ces enjeux exige aujourd'hui que nous renforcions notre organisation et ses moyens.
L'action en faveur de l'Etat de droit a de multiples dimensions, juridique et politique bien sûr, mais aussi financière, économique et sociale. Elle appelle la mobilisation et la coordination de nos efforts. Le système des Nations unies tout entier doit jouer un rôle d'avant-garde : améliorons la cohérence des efforts de l'ensemble de ses composantes, notamment l'Assemblée générale. C'est toute la complexité et la richesse du processus démocratique qu'il faut maîtriser.
Déjà, des idées novatrices ont été mises en oeuvre : le Conseil économique et social a mis en place des groupes ad hoc sur la consolidation de la paix au Burundi ou en Guinée Bissau ; le PNUD prend en charge le désarmement et la réinsertion des anciens combattants armés, en Afghanistan notamment.
Il faut aller plus loin, en veillant notamment à assurer sur le terrain une coordination effective de tous les acteurs du système des Nations unies. Nous devons aussi veiller à développer les synergies avec les institutions financières internationales et les organisations régionales qui, comme l'Union européenne, l'OSCE et le Conseil de l'Europe, ont une expertise et des capacités particulières dans ce domaine.
Enfin, le Conseil de sécurité a un rôle essentiel. Cherchons ensemble comment lui permettre d'exercer mieux encore ses responsabilités et de faire respecter les valeurs inscrites dans la Charte. Pour améliorer encore notre action en matière d'Etat de droit : demandons au Secrétariat de faire un bilan plus systématique des leçons apprises ; mettons au point un vivier d'experts, pluraliste et représentatif, dans les domaines liés à la justice et à l'Etat de droit, auquel il pourrait être fait appel dans l'urgence ; prévoyons des mécanismes d'alerte et d'observation pour assurer que les appuis consentis se prolongent dans la durée, avec l'intensité nécessaire.
Les Nations unies disposent à la fois d'une grande capacité d'action et d'une expérience considérables en matière d'Etat de droit. Il nous appartient de les valoriser et de les faire fructifier. Plus que jamais, il est de notre responsabilité collective de veiller à l'efficacité des efforts menés en ce sens et de réfléchir ensemble, avec le Secrétaire général, à des orientations concrètes. La France est disposée à prendre toute sa part dans cette mobilisation. Ensemble, faisons avancer les objectifs de l'Etat de droit partout où la justice et la solidarité requièrent encore nos efforts communs.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2003)