Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, le président de la République vient de dire à Strasbourg que l'Europe ne sera plus tout à fait la même à la fin de l'année. L'ambition n'est-elle pas un peu trop grande ?
R - L'Europe se trouve devant un défi multiple. C'est un fait objectif. Jamais nous n'avons eu à la fois à négocier un élargissement de 15 à 27 membres, un quasi doublement, avec des pays aussi différents et à accomplir une réforme des institutions aussi indispensable, alors même que se développe un grand débat dans toute l'Europe sur l'avenir à long terme de l'Union.
Q - Les Européens, les Français et les Allemands en première ligne, sont engagés dans ce double débat, celui à court terme de la réforme des institutions communes, et celui, au-delà de ces échéances immédiates, du sens et de la finalité de l'Europe. Ce dernier ne risque-t-il pas d'éclipser le premier, d'entraver le travail concret dont vous devrez vous acquitter ?
R - Ce serait une grave erreur. Tous nos partenaires en Europe, à commencer par les Allemands, attendent de nous un succès à Nice. Faute de quoi les réflexions sur l'avenir resteraient de vaines spéculations mais en même temps, il est normal que le débat sur l'avenir de l'Europe qui a été provoqué par la prise de conscience du grand l'élargissement à venir s'amplifie. Il a sa dynamique propre, chacun est libre d'y participer, et il prendra le temps nécessaire ; mais nous devons gérer notre présidence, avec ses objectifs, dans le calendrier qui nous est imposé.
Q - Peut-on craindre que certains Etats membres, agacés par le concours d'idées sur l'avenir de l'Europe, ne soient tentés de freiner les réformes urgentes parce qu'ils se méfient de la direction future ?
R - Ce risque existe : à propos des coopérations renforcées. Nous estimons qu'il est indispensable de donner à l'Europe élargie plus de souplesse, pour permettre à des pays qui voudraient coopérer plus intensément dans des domaines particuliers, ou aller plus loin ensemble, de le faire, car tous n'ont pas la même capacité ou volonté d'avancer du même pas. Certains pays qui sont rétifs à l'engrenage fédéraliste peuvent considérer que les coopérations renforcées sont dangereuses, si elles apparaissent comme destinées à favoriser une intégration accrue.
Q - Cela pourrait exercer aussi une pression positive.
R - C'est vrai, car les pays réticents savent que, faute d'accord, ces coopérations renforcées se développeraient quand même, mais hors traité, mais il vaudrait quand même éviter que le débat sur le long terme complique la négociation immédiate.
Q - Il s'agit d'abord de faire aboutir des décisions sur les trois problèmes institutionnels qui n'ont pas été résolus par la Conférence intergouvernementale. En ce qui concerne la repondération des voix au conseil, comment réduire l'écart actuel avec la réalité démographique?
R - Aujourd'hui, alors qu'il y a un écart de 1 à 200 entre les populations, il n'est que de un à cinq dans les droits de vote - deux pour le Luxembourg, dix pour la France et l'Allemagne par exemple. La sous-représentation des grands pays ne peut que s'aggraver avec l'élargissement. C'est pourquoi si l'on veut plus de votes à la majorité dans l'Union élargie, il faut une repondération substantielle au profit des grands pays.
Q - L'Allemagne devrait-elle recevoir une prépondérance conformément à son poids démographique ?
R - C'est une demande qui n'a pas été faite par les autorités allemandes, bien qu'il y ait en Allemagne des personnes qui militent pour cette idée.
Q - Vous préférez évidemment que les grands pays restent à égalité ?
R - On peut imaginer une repondération par groupes de pays, au sein desquels les droits de vote seraient identiques. L'équilibre entre les Etats européens n'a pas été conçu uniquement sur une base démographique. Il y a aussi les réalités économiques et politiques à prendre en compte.
Q - L'Europe a aussi besoin de prendre plus de décisions à la majorité qualifiée, sinon elle ira vers le blocage. Quels seront les domaines pour lesquels l'unanimité restera néanmoins requise ?
R - Je ne peux pas vous dire quel sera le point d'arrivée, puisque à l'heure actuelle presque tous les pays sont prêts à élargir plus ou moins le champ de la majorité qualifiée, mais pas dans les mêmes domaines. La France est ouverte à l'extension de la majorité qualifiée en matière sociale et en matière fiscale. De toute façon, il restera toujours à l'unanimité tout ce qui implique une ratification par les parlements nationaux.
Q - Le droit de veto en cas d'intérêt vital tel qu'il a été défini par le compromis de Luxembourg devra-t-il subsister ?
R - Cela restera inchangé. C'est un ultime recours. Je ne vois pas comment on pourrait contraindre un pays à y renoncer dans une situation extrême. Mais il ne doit pas être invoqué de façon abusive.
Q - Troisième point : La taille de la Commission européenne. Même si les grands pays renoncent à un de leurs commissaires, la Commission, si chaque pays est représenté, sera composée de plus de 20 commissaires à la fin. Comment la plafonner ?
R - Pour nous, l'idéal serait un vrai plafonnement en dessous de 20, même si cela entraîne une rotation des membres. I1 faut aussi réfléchir à une hiérarchisation.
Q - Avec des adjoints pour les commissaires?
R - Oui, un peu comme des ministres délégués ou des secrétaires d'Etat.
Q - La France souligne toujours qu'il ne faut pas conclure la CIG à n'importe quel prix, au rabais. Où mettez-vous la barre pour déclarer la réussite ?
R - Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui avec une précision mathématique. Nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quoi uniquement pour le plaisir d'avoir un traité de Nice. Un bon résultat, c'est une repondération substantielle, une Commission véritablement réformée ou hiérarchisée, l'élargissement le plus important possible de la majorité qualifiée et un assouplissement important des coopérations renforcées - étant entendu que les quatre sujets sont liés.
Q - Est-ce que vous pouvez dire à l'heure actuelle combien de pays sont à peu près d'accord ou déjà alignés ?
R - Non, parce que les clivages ne sont pas les mêmes selon les sujets.
Q - Est-ce qu'au moins la France et 1'Allemagne ont des positions communes sur tous les sujets ?
R - Très, très proches, si ce n'est identiques. I1 y a en tout cas un accord politique sur le fait d'être d'accord.
Q - Qu'est-ce qui a relancé le moteur franco-allemand après une phase d'une certaine froideur affective ?
R - Cette froideur n'a jamais existé entre Joschka Fischer et moi.
Q - Mais entre le chancelier et les dirigeants français ?
R - Quand le gouvernement Schröder est arrivé, il a du s'installer, assumer sans attendre la présidence européenne du premier semestre 1999, faire face à la question très compliquée de l'Agenda 2000. La question d'une éventuelle relance du moteur franco-allemand n'a eu de pertinence qu'à partir de l'automne 99 et Joschka Fischer et moi en avions préparé les conditions. Ne cherchez pas trop d'explications psychologiques.
Q - Qu'est-ce qui vous séduit en Joschka Fischer ? Le charme d'une certaine rupture de style avec le monde classique de la diplomatie que vous représentez ?
R - Ma vie et ma formation ont été différentes, c'est vrai. Cela ne m'empêche pas, au contraire, d'être séduit par la richesse de sa personnalité qui réunit à la fois une dimension politique, une dimension intellectuelle, un vrai goût pour la culture, pour l'histoire de la France, de l'Allemagne, de l'Europe. Je retrouve en lui-même si c'est à travers un cheminement différent - des choses qui m'importent et que je ressens aussi. Nous avons une réflexion commune sur l'histoire qui nous permet de nous projeter dans le futur, bien que nous l'interprétions chacun à notre façon.
Q - Même si l'Union atteint son but d'être prête à accueillir de nouveaux membres à partir de 2003, l'Europe élargie se verra confrontée au danger de la dilution, donc de l'affaiblissement. Comment faire avancer une Europe à 30 dans l'intégration ?
R - C'est précisément pour conjurer ce risque et répondre à cela que se développe le grand débat sur l'Europe de demain, avec une floraison de solutions et de propositions très différentes.
Q - Vous avez un modèle préféré ?
R - Il y a des pistes qui me semblent impraticables, artificielles ou trop théoriques. Ainsi, je ne crois pas que le schéma fédéral classique puisse s'appliquer à l'Europe. Car la réalité européenne, ce sont des nations anciennes, qui gardent une très forte personnalité.
Q - Et qui ne pourront être dirigées toutes ensemble par un président européen élu au suffrage universel ?
R - Non, je ne crois pas aux propositions de ce genre, faussement audacieuses - qui traduisent une référence obsessionnelle aux Etats-Unis d'Amérique. Les Etats-Unis d'Amérique se sont établis sur une table rase, alors que la caractéristique et la complexité, mais aussi la richesse de l'Europe, c'est son histoire avec ses nations. Un schéma trop théorique nous mènerait dans l'impasse.
Q - Dans tous les projets qui surgissent, on peut détecter l'effort de créer un petit groupe d'avant-garde, en partant de l'idée que l'on n'arrivera pas à faire fonctionner l'ensemble.
R - En effet, et ce petit groupe porte des noms très différents selon les auteurs : il y a eu le noyau dur de Lamers-Schaüble, il y a la fédération d'Etats-nations de Jacques Delors, il y a le centre de gravité de Joschka Fischer, il y a maintenant le groupe-pionnier du président Chirac. En fait, tous ces concepts ne sont pas identiques.
Q - La question centrale est pourtant : peut-on créer un groupe d'avant-garde sans établir définitivement l'Europe à deux vitesses et par conséquent provoquer une nouvelle division?
R - Oui, c'est bien la difficulté que le président de la République a tenté d'éviter dans son discours de Berlin, puisqu'il n'a pas présenté son groupe-pionnier comme découlant d'une sélection arbitraire, mais comme se dégageant petit à petit, " naturellement ", des diverses coopérations renforcées, comme si la composition du groupe n'est pas décidée à l'avance, mais constatée un jour. Les réactions montrent que le risque d'Europe à deux vitesses a été perçu malgré tout par certains.
Q - Une fédération serait autrement contraignante pour ses adhérents ?
R - Définir un groupe à l'avance serait une erreur. Un noyau dur permanent serait inacceptable pour des pays qui estiment jouer aujourd'hui un rôle très important dans l'Europe et qui ne voient pas au nom de quoi tel ou tel autre pourrait les exclure. Parmi ces concepts n'ont de l'avenir que ceux qui présenteront des groupes-moteurs ouverts à des participations volontaires.
Q - Sauf que l'Allemagne et la France y participeraient toujours ?
R - On peut effectivement penser que l'Allemagne et la France en feront toujours partie, sauf peut-être pour des coopérations renforcées concernant des régions géographiques particulières.
Q - Est-ce que vous avez déjà en tête une liste avec les domaines privilégiés au niveau des coopérations renforcées ?
R - La logique des coopérations renforcées est d'empêcher la paralysie de l'Europe. Nous ne sommes pas obligés de fixer tout de suite les domaines d'application, cela entraînerait des discussions sans fin. Peut-être qu'à l'intersection de toutes les coopérations renforcées apparaîtront des secteurs-clés, vraisemblablement avec les mêmes pays. Mais cela ne peut pas être décrété a priori.
Q - Combien de temps faudra-t-il à l'Europe pour trouver sa voie royale à la fin de ce débat ?
R - Ce serait une grosse erreur si nous voulions emprisonner le débat dans un calendrier artificiel ou si nous prétendions le conclure prématurément. Ce débat n'appartient pas aux seuls dirigeants politiques, ni aux experts, ni aux seuls Français, ou Allemands. C'est un débat qui concerne toute l'Europe, non seulement les pays membres, mais aussi les pays candidats.
Q - On ne pourra pas éviter de trancher un jour. Jacques Chirac à proposé d'entamer, immédiatement après Nice, un processus qui aboutirait dans quelques années à une constitution européenne. Pourquoi votre gouvernement a-t-il réagi avec tant de scepticisme ?
R - Le président de la République lui-même a eu l'occasion de redire depuis que cette partie là de son discours était composée de réflexions personnelles. C'est un sujet qu'il faudra examiner de très près avant de s'engager vraiment dans le processus. Le mot de constitution séduit aujourd'hui
Q - et sa signification est ambiguë.
R - Il est séduisant à la fois pour ceux qui disent que l'Europe va trop loin et qu'il faut donner un coup d'arrêt, et pour ceux qui veulent plus d'Europe.
Q - C'est-à-dire délimiter les responsabilités et réduire les compétences de Bruxelles, comme Chirac en faux intégrationniste l'a proposé à Berlin ?
R - Il a surtout évoqué la subsidiarité. Mais pour d'autres, rédiger une constitution c'est créer en Europe un ordre juridique post national, c'est faire un bond irréversible dans le fédéralisme et vers un gouvernement européen. La question n'est donc pas : faut-il une constitution ? Il est évident que l'Union européenne doit avoir des textes fondateurs, un mode d'emploi qui soit clair et compréhensible par tout le monde et que le moment venu, cela peut prendre la forme d'une constitution, ou de traités réécrits. Mais vous ne pouvez pas rédiger une constitution si vous n'avez pas déterminé au préalable les solutions qu'elle met en forme constitutionnelle. Quel pouvoir va-t-on donner à l'Union, à l'éventuelle fédération d'Etats-nations ? Quel pouvoir va-t-on laisser à l'Etat-nation, aux régions ? Est-ce que ce seront des pouvoirs fixes ou évolutifs ? Comment organiser le gouvernement de l'Europe ?
Q - Il faut absolument connaître le point d'arrivée avant de s'élancer ?
R - Pas dans tous les détails. Mais il faut savoir où on veut aller. Sinon on va simplement organiser une cacophonie constitutionnelle devant l'opinion publique européenne ahurie, qui peut durer de très longues années. Ce ne serait pas une bonne chose.
Q - Pour éviter de telles divisions, est-ce que vous auriez conseillé à Joschka Fischer de ne pas introduire la notion de fédéralisme ou de fédération ?
R - Non, chacun de nous en Europe, dans ce débat doit rester libre de son expression. Et le problème n'est pas le mot mais ce qu'il recouvre ou pas. Une opinion publique européenne est en train de se constituer à travers ces prises de position. Mais on ne peut pas se limiter à lancer une idée, et puis attendre de voir qui est pour et qui est contre. C'est un débat trop grave. Il faut clarifier les choses. Quelles compétences resteraient au chancelier allemand et au président français dans une fédération? Jusqu'ici, je n'ai pas eu de réponse véritable à mes questions, ni en Allemagne ni ailleurs, sauf le schéma fédéral classique qui, je crois, ne peut pas marcher.
Q - L'Europe devra-t-elle aussi fixer, après l'élargissement, ses limites géographiques définitives ?
R - Oui, nous devons fixer des limites en partie géographiques, et en partie politiques. Je pense par exemple que la Russie n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne. Cela bouleverserait tout l'esprit de la construction européenne. Je ne crois d'ailleurs pas qu'elle y songe.
La Russie est un partenaire très important, vis-à-vis duquel nous devons adapter une stratégie commune. Donc partenariat oui, carte de membre non.
Q - Qu'est-ce qu'il en est de la Turquie?
R - Si des promesses n'avaient pas été faites à la Turquie depuis 1963, un partenariat stratégique aurait pu être envisagé - comme avec tous nos grands voisins, à l'Est, au Sud-Est et au Sud jusqu'au Maghreb.
Mais le Conseil européen d'Helsinki a tiré les conséquences des engagements antérieurs.
Q - Il faut s arrêter maintenant pour reprendre son souffle ?
R - S'arrêter non, mais d'abord réussir la réforme des institutions et les négociations d'adhésion déjà engagées.
Q - L'afflux est grand, mais l'Union européenne pourrait-elle aussi perdre l'un ou l'autre membre, l'Autriche par exemple ? Un blocage de la réforme à Nice par le gouvernement autrichien, une consultation du peuple avec un résultat hostile - cela pourrait-il provoquer une véritable fissure au sein de l'Europe ?
R - Je ne veux pas sérieusement me placer dans cette hypothèse. Le chancelier Schüssel proteste constamment de ses bonnes intentions européennes. Les initiatives regrettables que prennent les autorités autrichiennes pour gérer leur opinion publique - qu'elles ont influencé dans un sens qui les oblige maintenant à traiter le problème qu'elles ont en partie créé - c'est leur problème.
Q - Si c'était à recommencer, est-ce que vous traiteriez l'Autriche de la même façon ?
R - Nous avons agi comme nous le devions.
Q - Sans la France cela n'aurait pas marché.
R - C'est vous qui dites que sans la France, il n y a pas grande chose qui puisse marcher en Europe ! Mais ce n'était pas la France qui a imposé à tous les autres une attitude vis-à-vis de l'Autriche dont ils n'auraient pas voulue. Les Quatorze se sont trouvés d'accord d'emblée.
La mise en garde exprimée au gouvernement de Vienne, les engagements qu'il a pris lui-même sont importants pour l'évolution de l'Autriche, pour sa modernisation, pour son regard sur elle-même. Au regard du passé et surtout de l'avenir, c'est déjà un résultat.
Q - De l'autre côté vous avez créé des ressentiments anti-européens dans la population.
R - Nous ne l'avons jamais cherché. Chaque fois que nous avons relevé un dérapage chez nous, comme certains boycotts à un moment donné, dans des domaines qui n'avaient rien à voir avec les relations politiques bilatérales, nous les avons fait arrêter tout de suite lorsque c'était en notre pouvoir. Jamais la France n'a pris d'initiative sur ce plan.
Les seules mesures adoptées sont un gel des relations gouvernementales bilatérales. Cela ne concerne en rien non plus le fonctionnement de l'Union européenne.
Q - Pourtant, est-ce qu'il était vraiment équitable de mettre au coin un élève qui était soupçonné d'être turbulent mais qui n'avait pas encore perturbé la classe?
R - Vous avez raison d'insister sur la différence entre les mauvaises intentions éventuelles et les actes. Aux termes du Traité d'Amsterdam, et de ses fameux articles 6 et 7, se sont les violations avérées et persistantes des Droits de l'Homme qui peuvent être sanctionnées. Nous ne sommes pas dans cette situation et ce ne sont pas ces dispositions qui ont été mises en oeuvre. Mais il faut reconnaître aussi que lorsqu'un pays choisit - librement - de rentrer dans l'Union européenne, il souscrit à un certain nombre de principes et de valeurs communs qui sont plus exigeants que ce qui se passe d'habitude dans les relations internationales entre Etats.
Q - Est-ce qu'il faut résoudre ce problème avant le référendum autrichien ?
R - Les 14 partenaires de l'Autriche se sont mis d'accord pour demander un rapport à trois sages, il faut maintenant attendre leur évaluation.
Q - Et ce sera pour quand ?
R - Les sages viennent d'être désignés. Ils vont se mettre au travail. Les Quatorze examineront leur rapport quand il sera prêt.
Q - La poursuite d'une politique étrangère et de sécurité communes supplantera-t-elle un jour la politique étrangère française, britannique ou allemande?
R - Nous n'avons jamais décidé, dans aucun traité, que nous allions faire une politique étrangère et de sécurité unique, mais une Politique étrangère et de sécurité commune. C'est la différence avec l'euro. Pour nous Français c'est très important, et je crois que c'est important aussi pour l'Allemagne, et certainement très important pour la Grande-Bretagne. Nous ne voulons pas renoncer, sans aucun profit pour l'Europe, à des politiques étrangères, à des politiques de défense, à des politiques de sécurité nationales avec leurs traditions, relations établies, solidarités particulières qui représentent beaucoup d'expérience et suscitent beaucoup d'intérêt dans le monde, nous ne voulons pas réduire tout cela à une sorte de plus petit dénominateur commun sur quelques sujets seulement. Nous perdrions énormément et l'Europe ne gagnerait rien. Je défends la thèse que la politique étrangère commune européenne de demain sera forte si les politiques étrangères nationales restent fortes, mais aussi de mieux en mieux coordonnées et complétées par des actions, des stratégies communes.
Q - Le ministre des Affaires étrangères français ne sera pas mis de si tôt au chômage ?
R - Je ne le pense pas.
Q - Monsieur le Ministre, nous vous remercions de cet entretien.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)
R - L'Europe se trouve devant un défi multiple. C'est un fait objectif. Jamais nous n'avons eu à la fois à négocier un élargissement de 15 à 27 membres, un quasi doublement, avec des pays aussi différents et à accomplir une réforme des institutions aussi indispensable, alors même que se développe un grand débat dans toute l'Europe sur l'avenir à long terme de l'Union.
Q - Les Européens, les Français et les Allemands en première ligne, sont engagés dans ce double débat, celui à court terme de la réforme des institutions communes, et celui, au-delà de ces échéances immédiates, du sens et de la finalité de l'Europe. Ce dernier ne risque-t-il pas d'éclipser le premier, d'entraver le travail concret dont vous devrez vous acquitter ?
R - Ce serait une grave erreur. Tous nos partenaires en Europe, à commencer par les Allemands, attendent de nous un succès à Nice. Faute de quoi les réflexions sur l'avenir resteraient de vaines spéculations mais en même temps, il est normal que le débat sur l'avenir de l'Europe qui a été provoqué par la prise de conscience du grand l'élargissement à venir s'amplifie. Il a sa dynamique propre, chacun est libre d'y participer, et il prendra le temps nécessaire ; mais nous devons gérer notre présidence, avec ses objectifs, dans le calendrier qui nous est imposé.
Q - Peut-on craindre que certains Etats membres, agacés par le concours d'idées sur l'avenir de l'Europe, ne soient tentés de freiner les réformes urgentes parce qu'ils se méfient de la direction future ?
R - Ce risque existe : à propos des coopérations renforcées. Nous estimons qu'il est indispensable de donner à l'Europe élargie plus de souplesse, pour permettre à des pays qui voudraient coopérer plus intensément dans des domaines particuliers, ou aller plus loin ensemble, de le faire, car tous n'ont pas la même capacité ou volonté d'avancer du même pas. Certains pays qui sont rétifs à l'engrenage fédéraliste peuvent considérer que les coopérations renforcées sont dangereuses, si elles apparaissent comme destinées à favoriser une intégration accrue.
Q - Cela pourrait exercer aussi une pression positive.
R - C'est vrai, car les pays réticents savent que, faute d'accord, ces coopérations renforcées se développeraient quand même, mais hors traité, mais il vaudrait quand même éviter que le débat sur le long terme complique la négociation immédiate.
Q - Il s'agit d'abord de faire aboutir des décisions sur les trois problèmes institutionnels qui n'ont pas été résolus par la Conférence intergouvernementale. En ce qui concerne la repondération des voix au conseil, comment réduire l'écart actuel avec la réalité démographique?
R - Aujourd'hui, alors qu'il y a un écart de 1 à 200 entre les populations, il n'est que de un à cinq dans les droits de vote - deux pour le Luxembourg, dix pour la France et l'Allemagne par exemple. La sous-représentation des grands pays ne peut que s'aggraver avec l'élargissement. C'est pourquoi si l'on veut plus de votes à la majorité dans l'Union élargie, il faut une repondération substantielle au profit des grands pays.
Q - L'Allemagne devrait-elle recevoir une prépondérance conformément à son poids démographique ?
R - C'est une demande qui n'a pas été faite par les autorités allemandes, bien qu'il y ait en Allemagne des personnes qui militent pour cette idée.
Q - Vous préférez évidemment que les grands pays restent à égalité ?
R - On peut imaginer une repondération par groupes de pays, au sein desquels les droits de vote seraient identiques. L'équilibre entre les Etats européens n'a pas été conçu uniquement sur une base démographique. Il y a aussi les réalités économiques et politiques à prendre en compte.
Q - L'Europe a aussi besoin de prendre plus de décisions à la majorité qualifiée, sinon elle ira vers le blocage. Quels seront les domaines pour lesquels l'unanimité restera néanmoins requise ?
R - Je ne peux pas vous dire quel sera le point d'arrivée, puisque à l'heure actuelle presque tous les pays sont prêts à élargir plus ou moins le champ de la majorité qualifiée, mais pas dans les mêmes domaines. La France est ouverte à l'extension de la majorité qualifiée en matière sociale et en matière fiscale. De toute façon, il restera toujours à l'unanimité tout ce qui implique une ratification par les parlements nationaux.
Q - Le droit de veto en cas d'intérêt vital tel qu'il a été défini par le compromis de Luxembourg devra-t-il subsister ?
R - Cela restera inchangé. C'est un ultime recours. Je ne vois pas comment on pourrait contraindre un pays à y renoncer dans une situation extrême. Mais il ne doit pas être invoqué de façon abusive.
Q - Troisième point : La taille de la Commission européenne. Même si les grands pays renoncent à un de leurs commissaires, la Commission, si chaque pays est représenté, sera composée de plus de 20 commissaires à la fin. Comment la plafonner ?
R - Pour nous, l'idéal serait un vrai plafonnement en dessous de 20, même si cela entraîne une rotation des membres. I1 faut aussi réfléchir à une hiérarchisation.
Q - Avec des adjoints pour les commissaires?
R - Oui, un peu comme des ministres délégués ou des secrétaires d'Etat.
Q - La France souligne toujours qu'il ne faut pas conclure la CIG à n'importe quel prix, au rabais. Où mettez-vous la barre pour déclarer la réussite ?
R - Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui avec une précision mathématique. Nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quoi uniquement pour le plaisir d'avoir un traité de Nice. Un bon résultat, c'est une repondération substantielle, une Commission véritablement réformée ou hiérarchisée, l'élargissement le plus important possible de la majorité qualifiée et un assouplissement important des coopérations renforcées - étant entendu que les quatre sujets sont liés.
Q - Est-ce que vous pouvez dire à l'heure actuelle combien de pays sont à peu près d'accord ou déjà alignés ?
R - Non, parce que les clivages ne sont pas les mêmes selon les sujets.
Q - Est-ce qu'au moins la France et 1'Allemagne ont des positions communes sur tous les sujets ?
R - Très, très proches, si ce n'est identiques. I1 y a en tout cas un accord politique sur le fait d'être d'accord.
Q - Qu'est-ce qui a relancé le moteur franco-allemand après une phase d'une certaine froideur affective ?
R - Cette froideur n'a jamais existé entre Joschka Fischer et moi.
Q - Mais entre le chancelier et les dirigeants français ?
R - Quand le gouvernement Schröder est arrivé, il a du s'installer, assumer sans attendre la présidence européenne du premier semestre 1999, faire face à la question très compliquée de l'Agenda 2000. La question d'une éventuelle relance du moteur franco-allemand n'a eu de pertinence qu'à partir de l'automne 99 et Joschka Fischer et moi en avions préparé les conditions. Ne cherchez pas trop d'explications psychologiques.
Q - Qu'est-ce qui vous séduit en Joschka Fischer ? Le charme d'une certaine rupture de style avec le monde classique de la diplomatie que vous représentez ?
R - Ma vie et ma formation ont été différentes, c'est vrai. Cela ne m'empêche pas, au contraire, d'être séduit par la richesse de sa personnalité qui réunit à la fois une dimension politique, une dimension intellectuelle, un vrai goût pour la culture, pour l'histoire de la France, de l'Allemagne, de l'Europe. Je retrouve en lui-même si c'est à travers un cheminement différent - des choses qui m'importent et que je ressens aussi. Nous avons une réflexion commune sur l'histoire qui nous permet de nous projeter dans le futur, bien que nous l'interprétions chacun à notre façon.
Q - Même si l'Union atteint son but d'être prête à accueillir de nouveaux membres à partir de 2003, l'Europe élargie se verra confrontée au danger de la dilution, donc de l'affaiblissement. Comment faire avancer une Europe à 30 dans l'intégration ?
R - C'est précisément pour conjurer ce risque et répondre à cela que se développe le grand débat sur l'Europe de demain, avec une floraison de solutions et de propositions très différentes.
Q - Vous avez un modèle préféré ?
R - Il y a des pistes qui me semblent impraticables, artificielles ou trop théoriques. Ainsi, je ne crois pas que le schéma fédéral classique puisse s'appliquer à l'Europe. Car la réalité européenne, ce sont des nations anciennes, qui gardent une très forte personnalité.
Q - Et qui ne pourront être dirigées toutes ensemble par un président européen élu au suffrage universel ?
R - Non, je ne crois pas aux propositions de ce genre, faussement audacieuses - qui traduisent une référence obsessionnelle aux Etats-Unis d'Amérique. Les Etats-Unis d'Amérique se sont établis sur une table rase, alors que la caractéristique et la complexité, mais aussi la richesse de l'Europe, c'est son histoire avec ses nations. Un schéma trop théorique nous mènerait dans l'impasse.
Q - Dans tous les projets qui surgissent, on peut détecter l'effort de créer un petit groupe d'avant-garde, en partant de l'idée que l'on n'arrivera pas à faire fonctionner l'ensemble.
R - En effet, et ce petit groupe porte des noms très différents selon les auteurs : il y a eu le noyau dur de Lamers-Schaüble, il y a la fédération d'Etats-nations de Jacques Delors, il y a le centre de gravité de Joschka Fischer, il y a maintenant le groupe-pionnier du président Chirac. En fait, tous ces concepts ne sont pas identiques.
Q - La question centrale est pourtant : peut-on créer un groupe d'avant-garde sans établir définitivement l'Europe à deux vitesses et par conséquent provoquer une nouvelle division?
R - Oui, c'est bien la difficulté que le président de la République a tenté d'éviter dans son discours de Berlin, puisqu'il n'a pas présenté son groupe-pionnier comme découlant d'une sélection arbitraire, mais comme se dégageant petit à petit, " naturellement ", des diverses coopérations renforcées, comme si la composition du groupe n'est pas décidée à l'avance, mais constatée un jour. Les réactions montrent que le risque d'Europe à deux vitesses a été perçu malgré tout par certains.
Q - Une fédération serait autrement contraignante pour ses adhérents ?
R - Définir un groupe à l'avance serait une erreur. Un noyau dur permanent serait inacceptable pour des pays qui estiment jouer aujourd'hui un rôle très important dans l'Europe et qui ne voient pas au nom de quoi tel ou tel autre pourrait les exclure. Parmi ces concepts n'ont de l'avenir que ceux qui présenteront des groupes-moteurs ouverts à des participations volontaires.
Q - Sauf que l'Allemagne et la France y participeraient toujours ?
R - On peut effectivement penser que l'Allemagne et la France en feront toujours partie, sauf peut-être pour des coopérations renforcées concernant des régions géographiques particulières.
Q - Est-ce que vous avez déjà en tête une liste avec les domaines privilégiés au niveau des coopérations renforcées ?
R - La logique des coopérations renforcées est d'empêcher la paralysie de l'Europe. Nous ne sommes pas obligés de fixer tout de suite les domaines d'application, cela entraînerait des discussions sans fin. Peut-être qu'à l'intersection de toutes les coopérations renforcées apparaîtront des secteurs-clés, vraisemblablement avec les mêmes pays. Mais cela ne peut pas être décrété a priori.
Q - Combien de temps faudra-t-il à l'Europe pour trouver sa voie royale à la fin de ce débat ?
R - Ce serait une grosse erreur si nous voulions emprisonner le débat dans un calendrier artificiel ou si nous prétendions le conclure prématurément. Ce débat n'appartient pas aux seuls dirigeants politiques, ni aux experts, ni aux seuls Français, ou Allemands. C'est un débat qui concerne toute l'Europe, non seulement les pays membres, mais aussi les pays candidats.
Q - On ne pourra pas éviter de trancher un jour. Jacques Chirac à proposé d'entamer, immédiatement après Nice, un processus qui aboutirait dans quelques années à une constitution européenne. Pourquoi votre gouvernement a-t-il réagi avec tant de scepticisme ?
R - Le président de la République lui-même a eu l'occasion de redire depuis que cette partie là de son discours était composée de réflexions personnelles. C'est un sujet qu'il faudra examiner de très près avant de s'engager vraiment dans le processus. Le mot de constitution séduit aujourd'hui
Q - et sa signification est ambiguë.
R - Il est séduisant à la fois pour ceux qui disent que l'Europe va trop loin et qu'il faut donner un coup d'arrêt, et pour ceux qui veulent plus d'Europe.
Q - C'est-à-dire délimiter les responsabilités et réduire les compétences de Bruxelles, comme Chirac en faux intégrationniste l'a proposé à Berlin ?
R - Il a surtout évoqué la subsidiarité. Mais pour d'autres, rédiger une constitution c'est créer en Europe un ordre juridique post national, c'est faire un bond irréversible dans le fédéralisme et vers un gouvernement européen. La question n'est donc pas : faut-il une constitution ? Il est évident que l'Union européenne doit avoir des textes fondateurs, un mode d'emploi qui soit clair et compréhensible par tout le monde et que le moment venu, cela peut prendre la forme d'une constitution, ou de traités réécrits. Mais vous ne pouvez pas rédiger une constitution si vous n'avez pas déterminé au préalable les solutions qu'elle met en forme constitutionnelle. Quel pouvoir va-t-on donner à l'Union, à l'éventuelle fédération d'Etats-nations ? Quel pouvoir va-t-on laisser à l'Etat-nation, aux régions ? Est-ce que ce seront des pouvoirs fixes ou évolutifs ? Comment organiser le gouvernement de l'Europe ?
Q - Il faut absolument connaître le point d'arrivée avant de s'élancer ?
R - Pas dans tous les détails. Mais il faut savoir où on veut aller. Sinon on va simplement organiser une cacophonie constitutionnelle devant l'opinion publique européenne ahurie, qui peut durer de très longues années. Ce ne serait pas une bonne chose.
Q - Pour éviter de telles divisions, est-ce que vous auriez conseillé à Joschka Fischer de ne pas introduire la notion de fédéralisme ou de fédération ?
R - Non, chacun de nous en Europe, dans ce débat doit rester libre de son expression. Et le problème n'est pas le mot mais ce qu'il recouvre ou pas. Une opinion publique européenne est en train de se constituer à travers ces prises de position. Mais on ne peut pas se limiter à lancer une idée, et puis attendre de voir qui est pour et qui est contre. C'est un débat trop grave. Il faut clarifier les choses. Quelles compétences resteraient au chancelier allemand et au président français dans une fédération? Jusqu'ici, je n'ai pas eu de réponse véritable à mes questions, ni en Allemagne ni ailleurs, sauf le schéma fédéral classique qui, je crois, ne peut pas marcher.
Q - L'Europe devra-t-elle aussi fixer, après l'élargissement, ses limites géographiques définitives ?
R - Oui, nous devons fixer des limites en partie géographiques, et en partie politiques. Je pense par exemple que la Russie n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne. Cela bouleverserait tout l'esprit de la construction européenne. Je ne crois d'ailleurs pas qu'elle y songe.
La Russie est un partenaire très important, vis-à-vis duquel nous devons adapter une stratégie commune. Donc partenariat oui, carte de membre non.
Q - Qu'est-ce qu'il en est de la Turquie?
R - Si des promesses n'avaient pas été faites à la Turquie depuis 1963, un partenariat stratégique aurait pu être envisagé - comme avec tous nos grands voisins, à l'Est, au Sud-Est et au Sud jusqu'au Maghreb.
Mais le Conseil européen d'Helsinki a tiré les conséquences des engagements antérieurs.
Q - Il faut s arrêter maintenant pour reprendre son souffle ?
R - S'arrêter non, mais d'abord réussir la réforme des institutions et les négociations d'adhésion déjà engagées.
Q - L'afflux est grand, mais l'Union européenne pourrait-elle aussi perdre l'un ou l'autre membre, l'Autriche par exemple ? Un blocage de la réforme à Nice par le gouvernement autrichien, une consultation du peuple avec un résultat hostile - cela pourrait-il provoquer une véritable fissure au sein de l'Europe ?
R - Je ne veux pas sérieusement me placer dans cette hypothèse. Le chancelier Schüssel proteste constamment de ses bonnes intentions européennes. Les initiatives regrettables que prennent les autorités autrichiennes pour gérer leur opinion publique - qu'elles ont influencé dans un sens qui les oblige maintenant à traiter le problème qu'elles ont en partie créé - c'est leur problème.
Q - Si c'était à recommencer, est-ce que vous traiteriez l'Autriche de la même façon ?
R - Nous avons agi comme nous le devions.
Q - Sans la France cela n'aurait pas marché.
R - C'est vous qui dites que sans la France, il n y a pas grande chose qui puisse marcher en Europe ! Mais ce n'était pas la France qui a imposé à tous les autres une attitude vis-à-vis de l'Autriche dont ils n'auraient pas voulue. Les Quatorze se sont trouvés d'accord d'emblée.
La mise en garde exprimée au gouvernement de Vienne, les engagements qu'il a pris lui-même sont importants pour l'évolution de l'Autriche, pour sa modernisation, pour son regard sur elle-même. Au regard du passé et surtout de l'avenir, c'est déjà un résultat.
Q - De l'autre côté vous avez créé des ressentiments anti-européens dans la population.
R - Nous ne l'avons jamais cherché. Chaque fois que nous avons relevé un dérapage chez nous, comme certains boycotts à un moment donné, dans des domaines qui n'avaient rien à voir avec les relations politiques bilatérales, nous les avons fait arrêter tout de suite lorsque c'était en notre pouvoir. Jamais la France n'a pris d'initiative sur ce plan.
Les seules mesures adoptées sont un gel des relations gouvernementales bilatérales. Cela ne concerne en rien non plus le fonctionnement de l'Union européenne.
Q - Pourtant, est-ce qu'il était vraiment équitable de mettre au coin un élève qui était soupçonné d'être turbulent mais qui n'avait pas encore perturbé la classe?
R - Vous avez raison d'insister sur la différence entre les mauvaises intentions éventuelles et les actes. Aux termes du Traité d'Amsterdam, et de ses fameux articles 6 et 7, se sont les violations avérées et persistantes des Droits de l'Homme qui peuvent être sanctionnées. Nous ne sommes pas dans cette situation et ce ne sont pas ces dispositions qui ont été mises en oeuvre. Mais il faut reconnaître aussi que lorsqu'un pays choisit - librement - de rentrer dans l'Union européenne, il souscrit à un certain nombre de principes et de valeurs communs qui sont plus exigeants que ce qui se passe d'habitude dans les relations internationales entre Etats.
Q - Est-ce qu'il faut résoudre ce problème avant le référendum autrichien ?
R - Les 14 partenaires de l'Autriche se sont mis d'accord pour demander un rapport à trois sages, il faut maintenant attendre leur évaluation.
Q - Et ce sera pour quand ?
R - Les sages viennent d'être désignés. Ils vont se mettre au travail. Les Quatorze examineront leur rapport quand il sera prêt.
Q - La poursuite d'une politique étrangère et de sécurité communes supplantera-t-elle un jour la politique étrangère française, britannique ou allemande?
R - Nous n'avons jamais décidé, dans aucun traité, que nous allions faire une politique étrangère et de sécurité unique, mais une Politique étrangère et de sécurité commune. C'est la différence avec l'euro. Pour nous Français c'est très important, et je crois que c'est important aussi pour l'Allemagne, et certainement très important pour la Grande-Bretagne. Nous ne voulons pas renoncer, sans aucun profit pour l'Europe, à des politiques étrangères, à des politiques de défense, à des politiques de sécurité nationales avec leurs traditions, relations établies, solidarités particulières qui représentent beaucoup d'expérience et suscitent beaucoup d'intérêt dans le monde, nous ne voulons pas réduire tout cela à une sorte de plus petit dénominateur commun sur quelques sujets seulement. Nous perdrions énormément et l'Europe ne gagnerait rien. Je défends la thèse que la politique étrangère commune européenne de demain sera forte si les politiques étrangères nationales restent fortes, mais aussi de mieux en mieux coordonnées et complétées par des actions, des stratégies communes.
Q - Le ministre des Affaires étrangères français ne sera pas mis de si tôt au chômage ?
R - Je ne le pense pas.
Q - Monsieur le Ministre, nous vous remercions de cet entretien.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)