Texte intégral
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Sans en être le démiurge ni le régisseur, Ministre en charge de l'Industrie veille à la diffusion des nouvelles technologies. Elles ne sont pas qu'un élément d'un portefeuille ministériel. Elles sont un des fondements de la stratégie du Gouvernement, de sa stratégie de croissance au service du pays. Aux côtés d'autres acteurs, notamment des entreprises, privées ou publiques, mais aussi des universités, des associations, l'Etat participe activement à la construction de la société de l'information.
Au sens strict, la " nouvelle économie " ne désignerait que 6 % du PIB français, même si cette part de la valeur ajoutée progresse quatre fois plus vite que le reste de l'activité. Mais, au sens large, la " société de l'information et de la connaissance " concernera à terme toute l'économie et constitue un enjeu majeur pour la société dans son ensemble. Plus de 15% des Français navigueront sur le réseau avant la fin de l'année. 70% des entreprises industrielles de plus de 20 salariés sont désormais connectées. Cette tendance va d'amplifier : un tiers des entreprises non-encore équipées prévoient de le faire d'ici 2001. En France comme ailleurs, le taux de croissance de l'investissement en produits technologiques est beaucoup plus dynamique que celui de l'investissement en produits traditionnels. Réciproquement, pour s'épanouir, l'économie de l'information exige que les ressources de la croissance y soient associées. Il y a là comme une relation dialectique. Sans un contexte macroéconomique favorable, les TIC ne pourront relever notre potentiel de productivité, ni contribuer au retour du plein emploi. Les excellents résultats économiques de la France sont autant de bonnes nouvelles pour la Net-économie !
Les deux meilleurs indicateurs de l'interdépendance entre la nouvelle économie et la réussite de notre pays restent l'emploi, préoccupation première des Français donc du Gouvernement, et nos excellents résultats à l'étranger. Ces trois dernières années, l'embauche s'est fortement développée dans le secteur des TIC. Plus de 3% des emplois en relèvent désormais, comme l'a montré une étude réalisée par mes services, soit 660 000 personnes. Surtout, le rythme de progression en est 15 fois plus élevé que celui de l'emploi global. Sur le front du commerce extérieur, dans certains domaines phares comme celui de la téléphonie mobile, la France s'est déjà hissée au rang de leader mondial.
Bonne situation française donc, mais aussi développement de nouveaux rapports de force entre les nations. La France, dont le message a toujours une vocation universelle, n'a aucun intérêt à rester muette sur ce sujet. Vous le savez, vous qui êtes les représentants de la France auprès de l'ensemble du monde, mais qui, également, en relayez les espoirs et les attentes vers Paris. Face à la nouvelle économie, les continents et les pays n'ont pas la même histoire. Dans un monde où le temps s'accélère, il ne va pas pour tous au même rythme. Sans même évoquer le fossé technologique qui se creuse entre nos sociétés et les pays en voie de développement que nous devront contribuer à combler.
La France a largement rattrapé son retard. Il correspondait à l'écart qui sépare, à chaque révolution technologique, le pays pionnier, quel qu'il soit, et les autres nations. Ainsi les Etats-Unis conservent la fameux " first mover advantage ", l'avantage du terrain et de l'initiative. Partis avec une décennie de retard environ, les pays européens sont en train de passer de la phase d'apprentissage qui s'opère au détriment de la production et de la consommation immédiates, à la seconde étape où se manifestent les effets de la diffusion macro-économique. Ce fut le schéma du développement de l'électricité au début du siècle.
Désormais, il ne s'agit pas simplement de rattraper un retard, ce que nous avons fait, mais, tout en définissant un modèle européen de société de l'information, de rebattre à notre profit les cartes industrielles et scientifiques. Depuis 1998, le Gouvernement de Lionel Jospin a déjà consacré cinq milliards de francs à la mise en uvre du programme gouvernemental pour la société de l'information. Nous allons continuer encore, dans trois directions notamment.
Avant tout, dans une économie où le savoir est la matière première, le soutien à l'innovation et la banalisation du capital-risque sont un impératif catégorique. Les Etats-Unis ne sont pas précurseurs sans raison, mais parce qu'ils ont su consacrer, sur la période 1992-1998, 2 points de PIB de plus par an que l'Union européenne aux dépenses en TIC. Dans cette perspective, et même si l'essentiel du développement de l'Internet est de la responsabilité du " privé ", l'Etat doit jouer un rôle de facilitateur et de promoteur en favorisant l'équipement des administrations et des entreprises ; en facilitant sur le plan fiscal la levée de fonds au service de l'innovation et l'apparition des " business angels " ; en contribuant à la création de pôles de recherches européens d'excellence. La qualité de notre communauté scientifique permet à la France de faire valoir des atouts considérables dans cette course, en particulier dans l'industrie et les services du multimédia. Un récent voyage au cur de la Silicon Valley m'a permis de le vérifier. Partout dans le monde, le savoir-faire de nos chercheurs, de nos ingénieurs et de nos concepteurs de logiciels fait l'unanimité, au point d'ailleurs de s'exporter sans doute un peu trop bien ! La France et l'Europe enregistrent une augmentation de leurs dépenses de recherche-développement en faveur des nouvelles technologies. Mais le nombre de brevets déposés par leur industrie stagne. Le Gouvernement a conscience que c'est en amont qu'il faut traiter le problème, en développant un climat, des moyens, des compétences. Ici comme ailleurs, tout est question d'éducation et de formation. D'ores et déjà, l'objectif d'augmenter de 50% d'ici à 2005 le nombre de diplômés du groupe des écoles de télécommunication et le nombre d'enseignants-chercheurs a été fixé.
Deuxième champ d'action : la constitution d'un modèle juridique européen visant à sécuriser les réseaux. Instrument de liberté, l'Internet ne saurait violer les droits fondamentaux de ceux qui l'utilisent. Virus, fichage des données personnelles, ventes scabreuses, non-respect de l'être humain, l'actualité récente a nourri ce sentiment. Dès 1998, la France a posé des jalons essentiels, mais la prochaine loi sur la société de l'information complètera notre arsenal juridique et favorisera la régulation du cyberespace. Transparence et loyauté des transactions, respect de la propriété intellectuelle, lutte contre les monopoles et la dérégulation des marchés, protection de la signature électronique, transposition de la directive européenne visant à harmoniser et renforcer le droit des Quinze, mise en uvre des libertés d'usage en matière de cryptologie, telles sont les finalités du projet que je défendrai.
Enfin, et c'est pour le Ministre de l'Economie et des Finances Laurent Fabius et pour moi un chantier essentiel, nous devons nous mobiliser pour éviter que ne se constitue un fossé numérique entre les catégories sociales, entre les territoires, entre les continents. Toute technologie nouvelle porte en elle le risque de créer ou de consolider des inégalités, l'espoir de les vaincre aussi. C'est une question de choix politique. Au total, à l'issue du Comité interministériel pour la société de l'information qui s'est tenu le 10 juillet, le Gouvernement a décidé de mobiliser trois milliards de francs de plus sur trois ans pour réduire ce fossé. Nous agissons pour garantir des conditions tarifaires avantageuses afin d'offrir au plus grand nombre l'accès à Internet à haut débit - c'est l'un des objectifs du dégroupage de la boucle locale -, multiplier les lieux de connexion publics à Internet, assurer des formations au sein du système éducatif et des entreprises ouvertes aux personnes exclues du monde du travail. Réduire les coûts d'accès et garantir une couverture complète du territoire, ce sont bien là nos objectifs. Pour les licences de la troisième génération de téléphonie mobile, nous les avons mis en pratique, écartant les folles enchères comme la braderie d'une ressource rare.
Mesdames et Messieurs, la France est entrée dans un cycle de croissance solide et durable, sa meilleure séquence économique depuis trente ans. Le cap de l'acquisition des techniques nouvelles par les usagers passé, la réduction du coût d'accès aux TIC engagée, le développement des investissements assuré, la France, dans une Europe conquérante qu'elle préside ce semestre, s'apprête à recueillir le supplément de croissance produit pas les secteurs innovants. Faciliter l'initiative et encourager la recherche, mais aussi réguler, sécuriser, " solidariser " les réseaux : c'est en respectant ce programme que nous bâtirons une véritable société de l'information. Notre action doit être mondiale et, pour la relayer, le gouvernement compte sur vous tous !
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 1er septembre 2000).