Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RTL et LCI le 25 mai 2003, sur le soutien de l'UDF au projet de réforme des retraites, le projet de décentralisation de certains personnels de l'éducation nationale, le port du foulard islamique, la laïcité et sur les relations entre l'UDF et l'UMP.

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Texte intégral

Patrick COHEN : Bonsoir à tous, bonsoir François Bayrou. Un demi-million de manifestants dans les rues de Paris contre le plan Fillon de réforme des retraites. Un gouvernement qui multiplie les messages de fermeté. On attend ce soir, François Bayrou, votre diagnostic sur ce qui prend la forme d'une nouvelle crise sociale à l'échelle du pays. Est-ce la méthode Raffarin qui est en cause ? Est-ce une société incapable d'évoluer ? Le Premier ministre peut-il gouverner contre la rue ? Doit-il passer en force ? Jacques Chirac peut-il rester longtemps silencieux ? Voilà quelques questions. On s'attardera aussi, bien sûr, sur le malaise enseignant. Vous avez occupé la fonction, rue de Grenelle, pendant quatre ans. Vous connaissez bien le tandem aujourd'hui en poste, Luc Ferry et Xavier Darcos qui ont été tous deux vos collaborateurs.
Gérard Courtois et Pierre-Luc Séguillon participent à ce Grand Jury diffusé sur RTL et LCI, dont on pourra lire l'essentiel dans le prochain numéro du Monde et l'intégralité sur notre site Internet : rtl.fr.
Je voudrais d'abord, Monsieur Bayrou, qu'on s'arrête sur les leçons de cette journée de mobilisation, mobilisation réussie. Est-ce le signe que le malaise ou le mécontentement est profond et surtout, le gouvernement doit-il en tenir compte ?
FB : Si vous permettez, j'aimerais avoir une pensée, au début de cette émission, pour le drame de nos voisins algériens. Il y a des milliers de femmes, d'enfants, d'hommes qui sont morts et ça nous aidera aussi de penser à eux, qui ont tant de familles en France, à relativiser les problèmes qui sont les nôtres.
Alors, maintenant, qu'est-ce qui est en jeu ? Pour moi, ce qui est en jeu, c'est non seulement le sujet des retraites, mais la question de savoir si la France est réformable ou pas ? Si on peut ou pas faire avancer les choses en France. Et je suis certain que dans ce qui se joue aujourd'hui, il y a ce sujet crucial. Et donc, les réactions que nous pouvons avoir, les réactions du gouvernement et celles des responsables de tous bords, elles doivent aussi être confrontées à ce sujet. Si nous voulons que la France soit réformable, devienne réformable, si j'ose dire, et bien il faut naturellement que cette crise sur les retraites trouve une issue favorable positive.
Et donc, la journée d'aujourd'hui c'est une journée de mobilisation forte. C'est une journée de mobilisation forte qui croise plusieurs inquiétudes : l'inquiétude sur les retraites, l'inquiétude sur l'éducation nationale. Certaines de ces inquiétudes sont justifiées. Je veux dire que sans doute l'explication ou le caractère évasif d'un certain nombre de déclarations du gouvernement y sont pour quelque chose, bien que ça ne soit pas facile naturellement que d'être au gouvernement en des jours comme ceux-ci.
PC : Alors on va détailler dans la première partie de cette émission, d'abord en parlant de l'éducation dans quelques minutes. Ensuite de la réforme des retraites. Mais d'abord sur la méthode et sur le rythme des réformes. Est-ce que c'est ça fondamentalement qui est en cause ?
FB : Est-ce que le gouvernement Raffarin a pêché ou par précipitation ou par manque de négociation, de dialogue, d'écoute avec les partenaires sociaux ? D'où vient le malaise ?
Je pense qu'une chose a manqué essentiellement, c'est d'appuyer la réforme sur le sentiment des citoyens. Vous savez bien que j'avais dit que si j'avais la charge de ce dossier, j'aurai commencé dès septembre ou octobre par un référendum sur le sujet essentiel pour moi, qui concerne la réforme des retraites aujourd'hui, c'est à dire l'égalité de tous les Français devant la retraite. Et faute d'avoir recherché cet appui populaire, et bien on a fait une réforme à moitié. Puisqu'on a cru bon de laisser les régimes spéciaux à l'extérieur de la réforme et que ça n'est pas juste. Comment voulez-vous qu'on ne pose pas la question de savoir quelle légitimité il y a à appliquer la réforme aux instituteurs ou aux infirmières et à laisser de côté la RATP ou la SNCF ou EDF.
PC : Ce qui aurait mis le feu encore davantage sans doute.
FB : Je veux dire, un gouvernement ne doit pas céder à ce genre de craintes ou de menaces. Si la réforme qu'il conduit est juste, cette réforme doit être défendue devant le pays. Et défendue devant le pays, je n'ai aucun doute que sur le problème de l'égalité des Français devant la retraite, la réponse du pays aurait été massive. Et elle aurait servi de fondations, d'appui à la suite de la réforme.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais aujourd'hui, dans la situation telle qu'elle est, avec la manifestation telle qu'on l'a vue aujourd'hui, quelle peut être à votre avis l'attitude d'un gouvernement ? Vous avez dit : " il faut trouver une issue favorable ". Alors, est-ce que l'issue favorable c'est de concéder soit sur les retraites, soit sur l'éducation nationale ? Est-ce que c'est de retirer certains projets ? On se souvient que l'issue favorable à une crise du même type que vous avez connue en 1994, sur la loi Falloux, ça a été un retrait pur et total.
FB : Non en rien. Pardon de faire de l'histoire. Sur la loi Falloux, il y a un spécialiste. Je n'ai rien retiré et le gouvernement n'a rien retiré. C'est le Conseil Constitutionnel qui, la veille de la manifestation, a dit, sur un motif qui d'ailleurs me laisse encore perplexe neuf ans après, qui a dit : " ce n'est pas constitutionnel de permettre aux communes d'aider à réparer ou à construire ".
Gérard COURTOIS : C'était opportun comme décision de la part du Conseil Constitutionnel.
FB : En effet, ça a eu des conséquences. Mais nous n'avons rien retiré.
PLS : J'entends bien. Mais ce que je voulais dire, c'est que deux jours, peu importe l'histoire, deux jours après cette manifestation qui avait réuni près de 600.000 personnes dans les rues, Edouard Balladur qui était le Premier ministre à l'époque, a dit : " on ne cherchera pas à légiférer à nouveau sur ce sujet ". Donc, je repose la question. Aujourd'hui, est-ce qu'il faut reculer, retirer, concéder, qu'est-ce qu'il faut faire ?
FB : Pierre-Luc Seguillon, imaginez ce que serait la situation si le gouvernement annonçait qu'il renonce, qu'il retire sa réforme. On ne pourrait plus jamais faire de réformes en France. Ça crève les yeux. Le texte de la réforme, le texte des retraites, il entraîne bien des commentaires. Et bien des doutes. J'en ai cité un : l'absence de régimes spéciaux donc une certaine absence de justice. Et puis le fait que la réforme, elle n'est pas vraiment financée comme vous savez. Un certain nombre de spécialistes à Bercy disent qu'on atteint à peine 25% du financement. Et puis ça manque de souplesse. Et puis ça ne créé pas, ce que j'aurais cru nécessaire, c'est à dire une vraie démocratie sociale où les partenaires sociaux auraient pris leurs responsabilités. Tel qu'il est, ce texte doit aboutir. Je n'aurais pas souhaité ce même texte mais si la question est de savoir si on peut réformer la France ou si on est condamné à ne pas le faire, alors il faut que ce texte aboutisse.
GC : Vous connaissez beaucoup de gouvernements qui, devant des manifestations et des mobilisations de ce type, n'ont pas retiré les réformes qui étaient mises en jeu ?
FB : Et bien disons que c'est une question qui a trop longtemps paralysé la France et qu'il faut que désormais on la traite.
GC : Donc, il faut passer en force ?
FB : Non, ça n'est pas passer en force que de discuter un texte et de le voter au parlement. Et j'imagine, je ne suis pas dans les secrets, mais j'imagine que dans les jours et les semaines qui viennent, les ministres ne vont pas se mettre du coton dans les oreilles. On dit : " ce n'est pas la rue qui gouverne ". Mais la rue, on l'écoute. Et c'est normal. Ceux qui défilent, ce sont des Français. Citoyens français, ils ont le droit de se faire entendre, donc. J'imagine qu'un certain nombre de portes demeurent ouvertes. Mais au bout du chemin, si la question est : faut-il retirer le texte ou bien faut-il trouver à ce texte l'issue législative qui convient ? Ma réponse est : il faut qu'on vote un texte sur les retraites dans le délai que le gouvernement a choisi.
PLS : Est-ce que ça signifie que lors du débat parlementaire, à partir du 10 juin prochain, le gouvernement peut compter sur un soutien fort et vigoureux de la part de l'UDF ?
FB : L'UDF souhaite la réforme des retraites. Elle déposera les amendements qui conviennent, nécessaires sur les sujets que j'ai indiqués en particulier. Elle fera entendre cette différence mais elle ne manquera pas au contrat de réforme que de nos voeux, nous avons signé.
PC : Quel doit être le rôle de Jacques Chirac dans ce moment ?
FB : Ah, c'est une grande question. Vous savez que depuis longtemps, je me suis interrogé sur cette définition du président de la Vème république qui s'éloigne de l'action. Au contraire, pour moi, un président de la Vème république doit être en première ligne sur l'action, dans l'action. Parce que quand on élit au suffrage universel, à 82,5% un Président de la république, c'est pour qu'il noue un dialogue incessant avec le pays sur les orientations que le pays doit prendre. Et donc j'ai dit : le Président de la république va devoir s'exprimer. Il ne l'a pas fait sur les problèmes du pays depuis un an, et ça ne correspond pas, à mes yeux, aux besoins que le pays a d'avoir en face de lui l'interlocuteur qu'il a choisi et qu'il a choisi à 82,5% et avec lequel il a besoin de nouer un dialogue de tous les instants. Et donc, pour moi, voilà, je suis interrogatif sur cette définition de la fonction présidentielle.
PC : Le Président de la république dispose d'une arme aussi, institutionnelle, qui est celle du référendum. Vous en avez parlé.
FB : Je croyais que vous alliez dire la dissolution.
PC : Il dispose aussi de cette arme là, je ne sais pas si vous la souhaitez ou si vous la préconisez à la majorité actuelle.
GC : Sur le référendum, pourquoi préconisez-vous aujourd'hui le référendum sur les retraites, alors que vous l'aviez écarté très vigoureusement sur l'éducation quand vous étiez au pouvoir ?
FB : Pour une raison très simple et je continuerai à le faire. Pour moi, un référendum ne vaut que si la question est précise et unique. C'est à dire si chacun des citoyens français peut se placer en face de cette question en situation de décideur.
PLS : Et vous imaginez une question précise sur les retraites ?
FB : Oui, je vais vous la dire dans une seconde. En situation de responsable, à l'époque où on voulait m'imposer un référendum sur l'éducation, vous le savez mieux que personne...
PC : C'était en 95-96...
FB : Vous vous êtes occupé de ce grand sujet. A une époque où on voulait m'imposer un référendum sur l'éducation, il s'agissait de faire toute la réforme de l'éducation. Alors, ça représentait au moins 200 décisions différentes et de les soumettre au référendum avec une seule réponse : oui ou non. Ça n'est pas responsable, ça n'est démocratique, et ça entraîne inéluctablement le risque d'un non.
GC : La question simple sur les retraites ?
FB : Bien c'était : " souhaitez-vous que tous les Français soient à égalité de droit et de devoir devant la retraire ? ".
PLS : Tout le monde répond oui. Et c'est ensuite que les difficultés arrivent.
FB : Et si tout le monde répond oui, permettez-moi de vous dire que quelque chose aurait changé et que bien des difficultés devant lesquelles nous nous trouvons n'existeraient pas, parque qu'en disant oui, vous instaurez ce que je crois nécessaire, c'est à dire un régime unique de retraites pour la France et vous ne faites plus ces différences qui nous ont tant coûté entre le public et le privé. Le manoeuvre étant obligé de faire 40 ans et demain peut être plus et un certain nombre de situations plus respectées, et quelques fois protégées, pouvant partir tranquillement à 37 ans et demi. Ce que je considère, pardonnez-moi de le dire parce que tout le monde s'en accommode, y compris ceux qui disent qu'aujourd'hui il est légitime que les régimes spéciaux ne soient touchés ni aujourd'hui ni demain par la retraite, ce qui sont les phrases exactes prononcées par François Fillon. Je suis en désaccord avec ce thème. Si nous étions un pays responsable et sérieux, nous ne ruserions pas ainsi avec la réalité. Pour moi, la réforme des retraites et le régime futur des retraites, il doit placer les Français devant les droits et devant les devoirs.
PC : L'égalité, ça veut dire qu'on ne prend plus en compte la spécificité de chaque métier, leur pénibilité ?
FB : Il y a une chose qu'il faut prendre en compte, c'est la pénibilité. Et pardonnez-moi de le dire. C'est vrai dans la fonction publique aussi. Il y a des professions dans la fonction publique, permettez-moi de penser aux infirmières par exemple. Ce sont des professions lourdes à porter. Et peut être, si on avait adopté un régime plus souple, pourrait-on primer, donner des points supplémentaires à ces professions là pour qu'elles puissent trouver le repos qu'elles méritent au terme de leur vie professionnelle.
PC : Alors, je renouvelle tout simplement ma question : Est-ce que le référendum ou la dissolution, puisque vous l'avez évoqué, est un moyen de sortir de la crise dans laquelle semble plonger le pays aujourd'hui ?
FB : Vous voyez bien que le référendum du début que j'évoque, le référendum par lequel on entre dans la réforme, et un référendum à la fin parce qu'on est bloqué, ça n'est pas la même chose. Le deuxième est beaucoup plus dangereux que le premier. Mais il ne faut rien exclure.
GC : Est-ce que vous craignez un blocage du pays dans les trois ou quatre semaines qui viennent, qui vont être la période de préparation du débat parlementaire ?
FB : Je peux me tromper. Je crois qu'on va avoir des semaines très difficiles.
PLS : Est-ce que vous avez le sentiment que la manifestation d'aujourd'hui, vous avez parlé de l'inquiétude des Français qu'elle manifestait, a été également politisée avec la présence de partis politiques de l'opposition ? Et quel est votre commentaire sur cette présence ?
FB : Oui, elle a été politisée mais disons la vérité. Les partis et même certains syndicats suivent. Ce n'est pas eux qui sont moteur. Ils essaient pour les partis politiques en particulier, le parti socialiste. Ils essaient péniblement de courir après le train pour monter dans le train. Ils ne sont pas du tout à l'origine de cette chose. Le parti socialiste a manqué de courage. Il a manqué de courage le parti socialiste, je vois bien pourquoi. Par crainte de voir se développer une extrême gauche, il a pris la position la plus jusqu'au-boutiste. La position du niet. Ça n'est pas très responsable. Beaucoup d'hommes et de femmes et de gauche imaginaient que le parti socialiste ferait une conversion plus profonde à la réforme et qu'il ne saisirait pas toutes les occasions pour apparaître simplement comme la force qui dit non. D'autant que tout le monde sait bien qu'une grande partie des idées que le gouvernement a reprises, même si je ne suis pas d'accord avec toutes, une partie des idées que le gouvernement a reprises, c'était les idées qui étaient dans les rapports que le parti socialiste avait fait sortir sur ce sujet.
PLS : Etant donné l'enjeu que représente cette réforme, est-ce que vous trouvez également que du côté des partis de la majorité, ils se sont suffisamment mobilisés pour défendre, expliquer et faire la pédagogie de la nécessité de cette réforme que vous évoquiez tout à l'heure.
FB : Je ne crois pas à la partie courroie de transmission. Je pense qu'un parti qu'on définit comme une courroie de transmission, sa vocation est de ne rien transmettre. Je crois aux partis qui font remonter la sensibilité du pays. Et je crois au pluralisme. Si on avait eu non pas une décision unique, dans un lieu unique, avec un parti unique, je crois qu'on aurait entendu plus e choses de ce que le pays demandait. Mais vous le savez, c'est un débat que j'ai avec l'UMP et le gouvernement et même ceux qui décident auprès du Président de la république. Je ne suis pas d'accord avec l'idée qu'ils ont choisie d'organisation de la majorité et je me bats pour en imposer une autre.
PC : Alors on reviendra un peu plus tard sur le détail de la réforme des retraites avec ce qui vous convient et ce qui ne vous plait pas. Mais on va d'abord parler du malaise enseignant. C'est un secteur que vous connaissez bien, on le disait tout à l'heure. Et dans le dernier " démocratie info ", le bulletin de l'UDF, vous écrivez : " de tous les grands pays qui nous comparables, la France a le meilleur système éducatif. Ni la décentralisation à tous crins, ni la marchandisation de l'éducation n'ont pu la faire preuve ou que ce soit de leur efficacité et de leur justice ". On comprend en vous lisant, que ce qui est en train de se passer, de la part du gouvernement et ce qui est craint, redouté, par les enseignants, c'est justement la décentralisation à tous crins et la marchandisation de l'éducation.
FB : J'espère que non mais je suis heureux que vous ayez lu cette phrase. Parce que c'est en effet le centre de la question. Contrairement à ce qu'on raconte, et je pèse mes mots, aucun des grands pays qui nous entourent, n'a un système éducatif de la qualité du système éducatif français. Alors, les présentations sensationnelles et il faut qu'elles le soient, parce que les journalistes choisissent évidemment des présentations qui attirent le lecteur. Et les hommes politiques aussi font souvent penser que ce n'est pas le cas. On se trompe. Et il y a un deuxième aspect de la question. C'est que pour moi, l'éducation doit demeurer nationale. Il y a une grande interrogation depuis longtemps sur ce sujet. Des gens qui disent " mais découpons tout ça ". C'est tellement un mammouth disent les uns, un dinosaure disent les autres, qu'il faut bien qu'on le découpe, on le gouvernera mieux. Je suis en désaccord profond avec cela et je ne leur donnerai pas mon aval. Parce que l'éducation c'est ce qui a fait la France et ce qui fait que la France tient ensemble. Regardez dans un moment où l'Europe, on en parlera j'espère, doit s'imposer ou la gestion de près d'un certain nombre d'équipements est évidente, qu'est-ce qui va rester de l'idée nationale et de cette manière de faire vivre ensemble ces Français et ces communautés si différentes. Une chose en première ligne : l'éducation. Et alors, à force de constamment vouloir insinuer que c'est irréformable, que ça doit être découpé soit en secteurs verticaux, soit régionaux, on fait douter les Français du système éducatif et le système éducatif de lui-même.
PC : Vous ne croyez pas aux décentralisateurs ?
FB : Oui, je suis très décentralisateur sur des tas de sujets mais je ne suis pas décentralisateur par exemple pour la justice. Et bien, je ne suis pas décentralisateur pour l'éducation. Je suis pour la gestion de proximité. Mais pardon de vous dire, comme les spécialistes le savent. Tous les fonctionnaires de l'éducation nationale relèvent d'une gestion de proximité. Sauf, allez 0,01%. Tous les enseignants, quand ils sont du premier degré, d'une gestion départementale et quand ils sont du second degré, d'une gestion régionale. Est-ce que ça peut être amélioré ? Oui.
Est-ce qu'on peut y intéresser les élus ? Sans doute. Mais si vous faites une régionalisation de l'éducation, vous allez vous heurter à un problème massif qui est que les régions riches auront plus de moyens pour leurs enfants que les régions pauvres et ça n'est pas l'égalité que la république demande.
PLS : Mais en l'occurrence. Là, il s'agit d'une chose très précise, si j'ai bien compris. Le ministre de l'éducation nationale propose de décentraliser 110.000, ce qu'on appelle TOS, c'est à dire des techniciens, des ouvriers, des personnels médicaux. Bon. Est-ce que ça, ça vous semble scandaleux ? Et est-ce que vous voyez dans ce transfert, un démantèlement de l'école républicaine ?
FB : Nullement. Ça n'est pas scandaleux. Tout ça on peut en discuter. Mais il faut que vous saisissiez l'inquiétude profonde de cette institution.
PLS : Alors, attendez, je vais poser ma question autrement. Est-ce que vous pensez que pour rassurer le personnel de l'éducation nationale aujourd'hui qui craint ce démantèlement, il faut renoncer à cette mesure ?
FB : ça, le gouvernement verra. J'ai même cru entendre déjà dans des déclarations, il y a quelques heures, qu'il s'interrogeait sur ce sujet. Excusez-moi. Cette mesure n'a été demandée par aucun ministre à l'intérieur du système éducatif. Elle n'a pas été demandée par les régions. Elle a été mise sur la table - on va parler franchement - parce qu'il fallait trouver un contenu aux grands discours de décentralisation du Premier ministre. La veille du jour ou l'avant-veille du jour où il devait prononcer ce discours, il s'est posé la question de savoir ce qu'il y allait avoir dans le contenu du discours. On lui a proposé, j'imagine, un texte et il a découvert à ce moment là, que ce texte ne décentralisait pas beaucoup de fonctionnaires.
PLS : Est-ce que vous êtes en train de nous expliquer que le projet de décentralisation du Premier ministre, c'est une coquille vide ?
FB : Non, je suis en train de vous expliquer que dans l'éducation nationale, ça n'a pas répondu à une réflexion de fond et pas davantage à une demande des élus locaux qui savent que ça va inéluctablement faire monter leurs charges et donc les impôts locaux. Ça a dépendu voilà d'une recherche de mesures qui fassent bien dans un discours. Et je ne le dis pas pour critiquer les uns ou les autres parce que tous les gouvernements en sont arrivés un jour ou l'autre à chercher la mesure qui soit en cohérence et qui corresponde au discours qu'on s'apprêtait à faire. Mais c'est comme ça que la décision a été prise. Et si c'est comme ça que la décision a été prise, alors il revient de s'interroger sur son bien-fondé. On a besoin de se demander non pas s'il faut décentraliser pour correspondre au contenu d'un discours prévu pour telle date, mais si c'est vraiment une condition de fond pour que l'éducation aille mieux. Je vais vous poser une question sans sourire mais elle mériterait que l'on sourie. Est-ce qu'il y a six mois, si on avait interrogé les trois brillants journalistes que vous êtes, ils auraient répondu que le principal problème de l'éducation c'était les TOS ? J'imagine que vous auriez trouvé d'autres sujets : l'illettrisme, l'enseignement professionnel, l'entrée dans l'université, l'échec. Mais sûrement pas les TOS qui n'étaient pas un problème de l'éducation.
PLS : Est-ce que je peux vous renvoyer la question ?
FB : Oui.
PLS : Est-ce que vous, ancien ministre de l'éducation nationale, vous trouvez qu'il est essentiel que le concierge de l'école de Romorentin, dépende de l'école de la rue de Grenelle.
FB : Monsieur Seguillon, vous parlez légèrement des concierges. Vous parlez comme en parle dans le 7ème arrondissement. Et bien, moi je vous dis que dans un établissement scolaire, les concierges, les personnels techniciens et ouvriers, ils ont un rôle modeste peut être mais éducatif. Et je vous assure qu'il y a bien des concierges qui jouent un rôle plus éducatif que quelques fois les enseignants. Parce qu'ils sont au contact de tous les jours.
Alors, je ne dis pas qu'il faille aucune évolution des statuts. Je dis une chose avec certitude : c'est que ces évolutions, on doit les réfléchir longtemps à l'avance, en avertir les personnels, en avertir les personnels et non pas leur faire tomber la mesure par une lettre qu'ils ont reçue le 24 mars sans savoir d'où elle venait. En avertir les personnels et en discuter avec eux. Et à ce moment là, on a des chances de faire évoluer le système parce que, je vais vous confier un secret, la clé de la réforme, c'est la confiance.
GC : Si vous reprenez les vingt dernières années, depuis Alain Savary jusqu'à Luc Ferry, on a l'impression que le choix, au fond, et vous êtes bien placé pour répondre, le choix des ministres de l'éducation nationale, c'est soit la co-gestion prudente, extrêmement prudente, soit l'explosion.
FB : Je ne me reconnais pas du tout dans ce schéma.
GC : Dans la co-gestion prudente ?
FB : Dans la co-gestion, oui. Enfin, je veux dire dans l'effort incessant de faire participer les acteurs du système éducatif à leur réforme. Ça je m'y reconnais. Mais, nous avons fait pendant quatre ans et je vais vous envoyer les unes du Monde un de ces jours, parce que comme ça, ça me permettra...
GC : C'est précisément pourquoi je vous repose la question.
FB : ça me permettra d'être certain qu'on aura les mêmes références, notamment sur la réforme de l'université que j'ai fait adopter à l'unanimité, de l'extrême droite à l'extrême gauche et qui a fait toute la une.
GC : Ce n'est pas le coeur du malaise actuel.
FB : Et bien vous allez voir. Attendons quelques semaines, quelques mois. Je disais donc que ce lien de confiance, ça permet de faire un très grand nombre de choses. Par exemple, la réforme du collège. Vous savez que c'est depuis ma réforme, Claude Allègre le disait encore l'autre jour, qu'il n'y a plus de voie unique au collège en France. Par exemple, la réforme des lycées. Le bac que l'on passe aujourd'hui, le bac L, S, etc., c'est le bac que nous avons mis en place. Par exemple, la réforme de l'entrée à l'université. Le semestre d'orientation, c'est ce que nous avons fait. Dernier point. Tout cela, ça peut se faire dès que le climat de confiance existe. Mais ça a une contrepartie. C'est que quand vous faites cela, vous ne pouvez pas crier victoire en disant : " j'ai tordu le bras des syndicats ". Et donc, ça impose de la part du ministre une certaine humilité, et ça lui impose de ne pas communiquer en chantant comme le coq qui a fait se lever le soleil.
GC : Vous n'êtes pas en train de parler de Luc Ferry ?
FB : Non, non.
PLS : Vous n'auriez pas écrit la lettre à ceux qui aiment l'école par exemple ?
FB : La difficulté dans tout ça, c'est que quand vous gérez et que vous changez les choses avec le lien de confiance, vous ne pouvez pas communiquer triomphalement. Et ça gène la communication, ça c'est vrai.
PC : Le lien de confiance en tous cas, si on vous a bien compris, il n'existe plus aujourd'hui. Cette confiance, elle est brisée. C'est ce que disent les syndicats enseignants. Comment est-ce que Luc Ferry peut se maintenir à son poste et rétablir les liens du dialogue ? A votre avis, vous voyez bien que cette colère enseignante se cristallise.
FB : Si j'avais un conseil à donner au gouvernement. Parce qu'on dit Luc Ferry, mais ce n'est pas la politique de Luc Ferry. C'est la politique du gouvernement. Je dirai trois choses. Un, décidez-vous à accepter l'idée que l'éducation doit être nationale et que ça n'est pas un choix subi, que c'est un choix voulu. En tous cas, c'est pour moi le choix que je soutiens. En France et en république, l'éducation doit être nationale. Deuxièmement, dites par pitié que l'éducation doit être la priorité du gouvernement. Depuis un an, chaque fois que le gouvernement a énoncé ses priorités, il n'y avait jamais l'éducation et la recherche à l'intérieur
PC : Priorités budgétaires, vous voulez dire ?
FB : Oui aussi. Pour moi, l'éducation, c'est la priorité des priorités.
GC : Devant la sécurité ?
FB : Tout commence à l'éducation y compris la sécurité. S'il n'y a pas une bonne politique d'éducation, bien les politiques de sécurité, elles seront des politiques vouées à l'échec un jour ou l'autre. Et troisièmement, dites que votre choix est de faire marcher ce qui existe avant de tout changer. Et notamment, choisissez de fixer des objectifs ambitieux dans le secteur où nous connaissons l'échec le plus grave et le plus douloureux, qui est le fait qu'environ un sur six des enfants demeure sur le bord de la route. C'est à dire qu'on ne réussit pas à leur apprendre à lire. Et bien, ceci, l'école ni la république ne peuvent l'accepter. Et, dans ces domaines là, choisissons de faire marcher ce qui existe. Et puis nous verrons après si des refontes plus générales, une fois le climat apaisé sont souhaitables ou pas. Mais la vraie réforme, c'est de faire marche ce qui existe.
(Source http://www.udf.org, le 27 mai 2003)
PC : François Bayrou, avant de reparler de la réforme des retraites, on poursuit brièvement sur l'éducation avec une question de Pierre-Luc SEGUILLON.
PLS : Oui à la fin de la première partie de notre débat, vous avez dit qu'il y avait trois choses très importantes pour l'éducation nationale, premièrement affirmer que l'éducation nationale est nationale, deuxièmement...
FB : Et y croire !
PLS :Et y croire.
FB : Pas seulement le dire avec des paroles verbales. Y croire !
PLS : Alors sur ce premier point d'abord. Puisque c'est ce que ne cesse de professer le gouvernement, quel peut être le geste concret par lequel il démontrerait aux enseignants aujourd'hui que c'est bien sa conviction ?
FB : Et bien remettre le mot national dans l'intitulé du ministère.
PLS : C'est tout ?
FB : On a... non, vous me demandez un geste symbolique ! On a enlevé, je ne sais pas pour quelle raison, le mot " nationale " de l'intitulé du ministère il y a 2 mois.
PC : C'était dans un décret et çà n'était pas dans la totalité du décret !
FB : C'est jamais çà mais enfin c'est çà quand même !
GC : Vous y voyez un symptôme, une tentation ?
FB : C'est pas moi qui y vois. J'imagine qu'aucun de ceux qui ont fait çà n'avait vraiment l'idée que... mais on gouverne aussi en s'adressant à la sensibilité de ceux dont on a la charge. Il y a une sensibilité très grande dans l'éducation sur ce sujet, pourquoi ne pas remettre l'adjectif " nationale " dans l'intitulé du ministère ? C'est pas tout à fait depuis aujourd'hui ! Vous regarderez le sigle, le symbole, petit dessin par lequel depuis 3 ou 4 ans on désigne le ministère de l'éducation, c'est un " é " majuscule, É comme éducation, le N a disparu. Et bien moi je... çà n'a l'air de rien mais on me demande un geste symbolique et précis, en voilà hein....
GC : Pardon, le geste symbolique ce serait un engagement clair et net du Président de la République sur ce point là.
FB : Que le Président de la République dise ce qu'est forcément aussi notre conviction profonde à tous les responsables français, c'est que l'éducation c'est la colonne vertébrale de la France, c'est ce qui fait que la France tient ensemble, il y a une grande inquiétude sur ce sujet, elle est peut être déplacée pour certains, curieuse mais je crois qu'elle existe et qu'il faut la prendre en compte.
PLS : Et le 2ème point que vous avez évoqué c'est redonner la priorité à l'éducation nationale. Est-ce qu'on ne peut redonner la priorité à l'éducation nationale qu'en donnant davantage et toujours plus de moyens ? Chacun a fait remarquer qu'en 4, 5 ans c'est 12 milliards d'euros supplémentaires qui ont été donnés à l'éducation nationale. Donc donner la priorité c'est toujours plus de budget ?
FB : Moi je ne donne... je ne demanderai pas plus mais je demanderai que l'on garantisse le budget et les moyens de l'éducation nationale. Regardez, on annonce à grands sons de trompes qu'on va ajouter je ne sais combien, 9 000, 10 000, 15 000 fonctionnaires de police, c'est bien. Tant de fonctionnaires de justice et c'est bien. Je vous assure que, enlever des dizaines de milliers de postes à l'éducation, même si ce sont des postes de surveillants et Dieu sait que c'est utile, je suis sûr que c'est se tromper de priorité. Je sais bien que depuis longtemps, pour empêcher qu'on fasse des économies ailleurs, les ordonnateurs du budget imposent toujours à l'éducation de passer devant et de faire des économies à sa mesure, c'est à dire plus grandes que les autres, c'est une erreur. Pour moi, la priorité çà veut dire, garantir les moyens, pas les faire monter, je ne les ai... j'ai garantie les moyens quand j'étais ministre de l'éducation. On peut parfaitement avoir un accord avec le monde éducatif, il comprend très bien qu'on ne peut pas dépenser toujours plus. Au moins garantissons-lui que chaque rentrée ne sera pas le moment d'une guerre de tranchées entre Bercy et l'éducation pour couper x dizaines de milliers de postes. Donc garantie des moyens.
GC : S'il faut faire baisser le nombre de fonctionnaires, ce qui est l'objectif affiché de ce gouvernement, ce n'est sûrement sur l'éducation nationale ?
FB : Non, ça n'est pas sur l'éducation et d'ailleurs on y arrivera pas, ce n'est pas sur les infirmières et d'ailleurs on y arrivera pas...
GC : Donc c'est d'autant plus sur les autres ministères !
FB : Ce n'est pas sur les policiers, ce n'est pas sur la justice, c'est sur que j'appelle l'administration de papiers, c'est à dire tout ce qui est la paperasse, les corps de contrôle, la manière dont la France
PC : Les impôts ?
FB : Oui, par exemple ! Et puis ce n'est pas une insulte que de dire cela. Il y a 2 types de fonctionnaires en France. Le 1er type de fonctionnaires, c'est ceux qui sont sur le terrain au contact de la réalité sociale la plus dure, ceux là il faut les garantir parce que nul ne peut prétendre qu'il y a trop de surveillants en France. Et puis il y a un 2ème type de fonctionnaires qui assurent l'administration de l'état, ceux-là il faut faire un plan sérieux et courageux en disant, on peut faire autant avec moins et peut être on peut faire mieux avec moins. C'est sur ceux-là que doit s'appliquer les économies nécessaires de fonctionnement et pas sur le terrain parce que le terrain est crucial.
PC : Sur la laïcité, la question du voile islamique, question qui a divisé la majorité ces dernières semaines, vous êtes vous-même l'auteur d'une circulaire en 94 qui en fait complétait les dispositions JOSPIN qui... à l'époque vous vous félicitiez qu'on ait pas eu besoin de recourir à la loi. Est-ce que cette loi aujourd'hui est nécessaire pour interdire le port du voile islamique dans les établissements scolaires ?
FB : Lorsque j'ai pris la décision que vous citez il y a 9 ans, nous avons fait en quelques semaines, baisser le nombre des voiles dans les écoles de quelque chose comme 9.000 à quelque chose comme 300. C'est donc qu'une politique énergique peut être efficace, énergie compréhensive et ferme.
PC : Il s'agissait d'adapter les règlements intérieurs des établissements c'est çà !
FB : Non c'était simplement de dire qu'on avait pas sa place à l'école dés l'instant qu'on manifestait par sa tenue vestimentaire, une espèce de séparation d'avec l'école.
Les signes ostentatoires dont vous vous souvenez que j'avais fait mention dans cette circulaire. De toutes sortes mais évidemment, n'ayons pas d'hypocrisie, c'était principalement à la montée en très grand nombre des voiles islamiques qu'on s'adressait. Moi j'ai une question à poser et je la pose au Ministre de l'éducation nationale. Combien y-a-t-il de voiles, aujourd'hui, dans les écoles ? Moi je ne sais pas, je sais très bien que l'instrument avait été mis en place par moi pour suivre au jour le jour l'évolution des voiles. Est-ce que la jurisprudence du Conseil d'Etat a fait remonter le nombre de ces voiles de manière si conséquente qu'il faille à nouveau s'en occuper comme je l'ai fait en 94, ou bien est ce qu'on est avec un petit nombre ? J'ai beaucoup de mal à me former une opinion sur ce sujet.
PC : Vous pensez qu'on dramatise le problème ?
FB : Alors certains... honnêtement je ne sais pas ! Certains veulent faire une commission d'enquête sur ce sujet. Il n'y a pas besoin d'une commission d'enquête, il y a à demander au Ministre de l'éducation nationale de réactiver cet instrument s'il n'est pas activé pour qu'on ait une idée de ce qui se passe mais allons un peu plus loin, il y a des conduites qui ne sont pas acceptables. Par exemple, le fait qu'un certain nombre d'élèves décident de ne pas suivre un certain nombre de cours, les cours d'éducation physique par exemple en faisant des certificats médicaux bidons. Et bien, il suffit aux médecins de l'éducation nationale, de vérifier si le certificat médical est fondé ou ne l'est pas. Je veux dire, on peut arriver à une politique ferme et qui fasse changer les choses. Simplement en effet pour défendre là encore cette idée nationale et républicaine de l'école.
PLS : En toute hypothèse il faut éviter de légiférer ?
FB : Non, je ne dis pas cela...
PLS : Non, je vous pose la question parce vous avez aussi une préoccupation européenne et légiférer ne nous amènerait-il pas à être condamnés par l'Europe ? Les instances européennes ?
FB : J'ai dit souvent que j'étais très inquiet en face de l'annonce tonitruante d'une loi. D'abord parce que le Conseil Constitutionnel... je ne suis pas sûr qu'il considérerait que c'est dans la logique française, juridique française et qu'on a le droit de protéger les droits des individus. Deuxièmement parce qu'en effet il y a la Cour européenne, et je ne suis pas certain non plus que et donc pour moi, j'aborde ce sujet de la loi avec une très grand prudence et je dis, nous avons fait une circulaire en 94, elle a marché au moins pendant un certain temps.
Est-ce qu'on peut pas regarder si on ne pourrait pas l'améliorer ? Sans doute, tout est perfectible mais dans le même esprit, donner aux chefs d'établissements une position ferme sur laquelle ils puissent s'appuyer au lieu de sentir se dérober le sol sous leurs pas. Avoir une position claire de la communauté éducative et essayer ainsi de faire progresser le sujet sans organiser des débats législatifs dont on peut toujours redouter la brutalité.
GC : Est-ce que... juste d'un mot pour prolonger sur ce point, est ce que ce qui était possible il y a 9 ans l'est encore aujourd'hui à vos yeux compte tenu de la crispation communautaire et notamment de la communauté musulmane ? Sur ce sujet ?
FB : Qu'est ce que vous voulez dire ?
GC : Est-ce que la crispation ou la revendication d'identité de cette communauté n'est pas aujourd'hui plus forte qu'elle n'était il y a 9 ans ?
FB : Elle était très forte déjà il y a 9 ans. Elle est sans doute renforcée aujourd'hui. Vous avez raison de le dire parce que l'évolution des choses fait que l'Islam est aujourd'hui en France une religion qui s'affirme très fermement alors que les autres ne le font pas. Et j'ai visité beaucoup de cités pendant la campagne présidentielle, j'ai été frappé en effet par cette évolution là. Et donc, bien sûr les choses sont plus difficiles sans doute aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a 9 ans mais les données du problème sont les mêmes, il y avait déjà 9.000 voiles, je voudrais savoir combien il y en a aujourd'hui.
GC : C'est à l'Islam de s'adapter à la République et non pas l'inverse ?
FB : C'est à l'Islam de s'adapter à la République comme à toutes les religions de s'adapter à la République et non pas l'inverse. La République c'est ce qui nous fait vivre ensemble, l'école c'est ce qui nous faire vivre ensemble, çà nécessite que chacun fasse un pas et notamment ceux dont la culture pourrait les séparer donc il faut aller les chercher et qu'ils fassent un pas en avant.
PC : Alors François Bayrou, on vous écoute depuis le début de cette émission, on pourrait se dire que le gouvernement, la majorité actuelle à dominante UMP, attend dans ces moments difficiles un soutien ferme et déterminé de votre part, on entend plutôt une musique critique qui sort de votre bouche ! Est-ce que vous diriez que ces prises de position que vous formulez, contribuent, peuvent contribuer à la normalisation de vos rapports avec l'UMP ? Dans la perspective d'une échéance électorale l'an prochain, des régionales en mars prochain ?
FB : Je suis... c'est une formulation étrange. L'UDF a, avec l'UMP, des relations normales institutionnellement, nous sommes députés, nous avons un groupe à l'assemblée, un groupe au sénat, une équipe au Parlement européen, tout va bien ! Bien sûr la majorité n'a pas l'équilibre qu'elle devrait avoir. Tout se passe comme si les dirigeants de l'UMP et du gouvernement croyaient qu'ils peuvent faire tout, tout seuls mais le jour où ils auront besoin d'une conversation, d'un conseil ou d'un soutien, nous serons là !
GC : Vous avez le sentiment que cette attitude de l'UMP, telle que vous la décrivez, est une des causes des crispations sociales actuelles ?
PC : Ils sont trop nombreux ?
FB : Je crois que l'idée selon laquelle un parti unique peut sentir un pays, prendre conscience de ses attentes, un lieu de décision unique a toujours raison, je crois que cette idée est une idée enfantine.
GC : C'est le parti unique ou ce parti unique là et la manière dont il fonctionne ?
FB : Tous les partis uniques. Il m'est même arrivé de dire un jour je refuserai le parti unique au pouvoir quand bien même ce serait le mien. Et c'est ce que j'étais allé dire à Toulouse ce fameux jour de la première réunion de l'UMP.
PC : A l'époque c'était l'UEM.
FB : Quand on dit tout le monde pense à la même chose, moi je dis quand on pense la même chose, je l'avais dit ce jour là, c'est qu'on ne pense rien, et la seule manière de sentir un pays c'est d'accepter sa pluralité.
Et la pluralité organisée, çà impose qu'une majorité soit assise sur 2 piliers, ceci est inéluctable.
Ca viendra nécessairement, je ne sais pas quel jour, demain matin, dans 6 mois, dans un an, dans 5 ans mais c'est inéluctable parce que la France est diverse.
GC : Ce n'est pas l'UMP qui peut organiser la pluralité en son propre sein ?
FB : Mais non, vous savez bien qu'on organise jamais la pluralité en son propre sein. La pluralité en son propre sein, c'est le caporalisme, c'est " j'accepte que vous soyez plusieurs à obéir à un seul ou à un seul centre de décision ", çà n'est pas comme çà, çà ne peut pas marcher comme çà, ce n'est pas la France, du moins de toutes mes fibres, je ne le crois pas, et donc je le dis tranquillement, un peu seul au début mais vous vous êtes aperçu j'en suis sûr, que cette solitude est de plus en plus soutenue.
PLS : Mais attendez, on ne comprend pas très bien votre raisonnement parce que finalement la majorité actuelle, elle a un gros pilier, l'UMP, un petit pilier, l'UDF, mais ce petit pilier il est représenté au gouvernement...
FB : Oui il a, combien ? Un ministre sur 39 ! C'est pas ce que j'attends comme représentation !
PC : A l'époque je me souviens qu'on avait présenté Luc Ferry comme peut être sur le contingent de l'UDF. Ca avait été fait à l'époque de la nomination du gouvernement.
Je ne suis pas sûr que ce soit son...
PLS : Est-ce que le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, qu'est ce que vous lui reprochez très exactement ? Il vous consulte pas suffisamment ?
FB : Non, on veut pas faire de... bon... vous posez des questions en sachant très bien les réponses donc...
PLS : Mais non, je ne sais pas les réponses ! Est-ce que vous vous reprochez de ne pas être assez puissant finalement ?
FB : Il n'y a pas...
PLS : Attendez, c'est çà votre reproche !
FB : En rien ! Je ne souscris pas à l'idée selon laquelle la majorité sera plus forte s'il y a un seul mouvement pour la représenter. Je ne souscris pas à cette idée.
Et donc l'idée qu'un gouvernement soit assis sur un seul pilier, ne consulte jamais ses alliés, sur aucun sujet, la seule fois... la seule consultation que nous ayons eu, c'est à l'égal du PC, du PS... et je ne m'en plains pas, je ne réclame rien. Je dis que ce n'est pas de nature à sentir bien la France. Si j'étais chef du gouvernement, je souhaiterais avoir dans mon équipe des sensibilités très différentes. Ou même des organisations différentes de manière à pouvoir sentir la France aussi justement que possible, surtout quand elle ne va pas bien, ce qui est le cas aujourd'hui.
PLS : De ce point de vue, est ce que vous avez le sentiment que les négociations en vue des prochaines régionales sont pas très bien partis ou au contraire que le climat s'améliore ?
FB : Il n'y a pas de négociations.
PC : C'est des consultations ou des négociations ?
FB : Il n'y a pas eu de consultations et pas eu de négociations.
PC : Alain Juppé vous a quand même, en tête-à-tête, demandé de prendre la tête de liste de la région aquitaine.
FB : Ca n'est pas ce que j'appelle des négociations et des consultations. Un jour viendra où il y aura des discussions nationales entre les deux formations. Alors je sais très bien que Alain Juppé n'a pas cette vision des choses mais pour moi j'y suis prêt et je sais que çà aura inéluctablement lieu. En attendant, l'UDF va choisir 22 chefs de file pour bâtir un projet et bâtir une équipe dans leur région, de manière à, là aussi, mieux sentir la réalité régionale de la France et à faire apparaître des personnalités nouvelles et je crois que ce sera utile.
GC : Mais fondamentalement vous souhaitez un accord avec l'UMP, y compris pour que la majorité dans son ensemble remporte un maximum de régions ou bien vous préférez jouer en solo sur les 22 régions ? Au bout du compte ?
FB : On verra dans les mois qui viennent ! S'il y a la prise en compte de cet équilibre, si on a le sentiment que, en effet on écoute le pays, à ce moment là, peut être l'union sera-t-elle la voie préférable.
Et sinon peut être le pluralisme et la diversité.
GC : Vous alliez dire la division ?
FB : On est très loin de l'élection régionale. Honnêtement je ne sais pas du tout ce que sera le climat à la rentrée, en octobre, en novembre, en décembre, on verra. Je sais...
PC : Vous avez commencé déjà à faire vos comptes, vous savez que vous revendiquez 1/3 des régions, à peu près 7 têtes de listes !
FB : Je sais qu'il faut que l'UDF soit présente et forte pour que la majorité soit équilibrée. Je sais qu'il faut une sensibilité différente de l'UMP, pas parce que l'UMP est toujours mal inspirée mais parce que dans la vie, on trouve mieux, on comprend mieux à plusieurs que tout seul. Et on va s'y préparer !
Et d'ailleurs si vous regardez les partielles dimanche dernier encore, vous aurez vu que, par exemple dans le Val-de-Marne, dans une circonscription UMP, un candidat UMP contre un candidat UDF, le candidat UDF a gagné très largement puisqu'il a fait le double des voies de l'UMP. Je dis pas que ce soit le cas partout mais vous sentez bien que le pays veut 2 choses.
Il veut des dirigeants responsables qui assument les réformes, y compris lorsque çà tangue. Qui comprennent et qui écoutent en même temps, qui soient énergiques et qui écoutent en même temps. On écoute mieux quand on a plusieurs, voilà, plusieurs interlocuteurs.
PLS : Est-ce qu'amicalement et non pas officiellement vous avez déjà eu l'occasion d'avoir quelques échanges avec votre ami et voisin et ancien directeur de cabinet Xavier Darcos, pour une région qui vous tient à coeur ?
FB : Je lui parle souvent des problèmes de l'éducation nationale.
PC : Et de l'Aquitaine ?
PLS : Et des régionales ?
FB : De l'Aquitaine aussi mais c'est...
PLS : Et çà donne quoi ?
FB : Ecoutez, on verra, on est loin de tout çà, c'est quelqu'un que j'aime bien, que j'aime beaucoup, humainement, on peut avoir des désaccords...
PLS : Qui ferait un bon président de région ?
FB : On peut avoir des désaccords ou pas sur certains sujets mais c'est homme pour qui j'ai de l'estime.
PC : On va changer de perspective et de dimension. Quel regard portez-vous François Bayrou sur, ce qu'on pourrait appeler, l'épilogue de la crise franco-américaine, le vote par Paris d'une résolution de l'ONU qui entérine la prise de contrôle de l'Irak par les Anglais et les Américains, est ce que vous diriez que la France s'est couchée ou bien est ce qu'il fallait en passer par là pour normaliser là aussi, les relations franco-américaines ?
FB : Ca prouve une chose, c'est qu'un pays tout seul, une diplomatie nationale seule n'a pas les...
PC : La France était seule ?
FB : N'a pas les moyens d'imposer ses vues de faire entendre sa voix dans des débats aussi tendus et aussi lourds que ceux là. Pour moi, la bonne dimension c'est l'Europe. On a vu dans cette crise, mise en scène et portée avec beaucoup de talent, les limites d'une diplomatie seule, d'une diplomatie nationale seule, on aurait été beaucoup plus fort si on avait pu nouer autour de nous une force européenne. On aurait été beaucoup plus fort pour se faire entendre. Alors peut être on aurait eu des positions moins flamboyantes, il aurait fallut chercher quelque chose d'un peu plus équilibré mais je pense que çà aurait été une voix plus... voilà plus forte pour notre avenir.
PLS : Mais c'était une voix d'une diplomatie nationale seule comme vous le dites ou la voix d'une partie d'une Europe qui était divisée puisqu'il y avait tout de même à côté de nous, c'était pas négligeable, l'Allemagne !
FB : Cette division de l'Europe est un malheur et elle n'était pas inéluctable. Elle a été le choix de nos diplomaties et en particulier de la diplomatie française. Moi j'ai, vous le savez, au cours de cette crise, approuvé le sens des positions françaises et regretté que l'on ne recherche pas un accord européen. Peut être n'aurait-il pas été exactement sur notre ligne, et alors ? Notre ligne n'a pas réussi à changer les choses. Et d'ailleurs entre nous, les Britanniques qui pourtant collaient aux américains, n'ont pas, eux aussi, eux non plus, réussie à infléchir la position américaine. Pour l'avenir, ma conviction de fer est que, si nous voulons que nos idées comptent et soient entendues, si nous voulons que notre voix soit prise en compte et change les choses, il faudra bâtir une politique étrangère européenne. Ca ne sera pas toujours les positions françaises qui l'emporteront mais au moins notre voix sera-t-elle entendue autour de la table.
GC : Ce n'est pas la fin des illusions d'une Europe puissance, capable de faire contre-poids aux Etats-Unis ?
FB : Pour moi c'est la preuve absolue, absolue, que si nous voulons compter, il faut une Europe puissance. Je veux dire, si, je parle souvent avec des souverainistes comme on dit, si mes amis souverainistes avaient rêvé d'une situation exemplaire pour montrer la diplomatie nationale, comme on dit la France est de retour, on a dit pendant cette crise, ils pouvaient pas trouver mieux que çà, et au bout du compte qu'est ce qu'on voit ? Quelles sont les conséquences réelles de tout cela ? Quelle a été notre capacité d'infléchissement ? Faible. Et bien moi je rêve du jour où une diplomatie européenne, constituée et forte, aura vraiment la capacité de changer les choses.
PC : Un mot François Bayrou pour finir sur l'affaire Patrice Alègre qui est aussi devenue une affaire Baudis depuis que l'ancien maire de Toulouse a lui-même décidé de révéler que son nom figurait dans le dossier judiciaire, c'était il y a une semaine. Est-ce que vous avez été surpris d'abord par cette démarche ?
FB : Moi j'ai été bouleversé surtout. N'est ce pas, c'est pas de n'importe quelle affaire que l'on parle, c'est d'une horreur, une affaire épouvantable, criminelle, de meurtres et de viols et j'ai compris l'émotion de Dominique Baudis, enfin le... oui, la vague d'émotion qui s'emparait de lui. Et donc, oui en effet j'ai été profondément atteint, comme tous ceux qui je crois, ont vu ces images.
PC : Il y a la présomption d'innocence qui est due à Dominique Baudis, le respect dû à sa personne, il y a aussi l'institution qu'il préside, le conseil supérieur de l'audiovisuel, une haute autorité indépendante, est ce que Monsieur Baudis peut continuer à présider le CSA sans dommages pour l'institution ?
FB : Ecoutez, vous voyez que l'on alimente constamment le pouvoir de la rumeur. Voilà que cet homme n'a même pas été interrogé que je sache, et voilà la question que déjà vous posez. Et donc...
PC : Que vous aviez posée en d'autres temps pour Roland Dumas sur une autre affaire !
FB : Ah non, non, non ! Pas du tout ! Roland Dumasétait en situation très avancée. C'est vrai qu'à cette époque là, quand la preuve a été faite que Roland Dumas allait être directement mis en cause, beaucoup de gens ont dit, et moi aussi, le conseil constitutionnel mais vous voyez que là, on en est pas du tout là. On a des questions à se poser sur l'organisation de la justice, ce lien justice-médias en France. Sur la mise en cause si facile de personnages publics et puis en effet, derrière, le regard sur eux change, on ne les voit plus du tout de la même manière et ces femmes et ces hommes ont des enfants, petits quelquefois, Dominique Baudis a un petit garçon de 6 ans et un autre de 15 ans et une grande fille... Bon, moi je ne veux pas accorder le moindre crédit à la chasse à l'homme et d'un bord ou de l'autre, quand des gens sont mis en cause dans ce genre d'affaires, ils ont le droit à ce que, non seulement on ait une présomption d'innocence vague, mais qu'au moins on leur fasse crédit de ce que... voilà, jusqu'à ce jour, nul n'avait pu avancer contre la moindre chose infamante ou de doutes ou de soupçons, donc, oui voilà je n'aime pas... je n'aime pas ce genre d'histoires du tout.
PC : Merci François Bayrou, c'était votre Grand Jury, bonne soirée à tous, à dimanche prochain.
(Source http://www.udf.org, le 27 mai 2003)