Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la reconnaissance mutuelle des décisions civiles au sein de l'Union européenne, Paris le 3 juillet 2000.

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Voilà trois jours que, pour la onzième fois depuis l'origine de la construction européenne, la France assure la Présidence du Conseil de l'Union européenne.
Cette Présidence coïncide avec de grands enjeux pour l'avenir des Européens. Je pense tout particulièrement à la réforme des institutions, indispensable pour que notre Europe soit plus efficace et puisse accueillir dans les meilleures conditions les treize pays candidats.
Rendre l'Europe plus forte, mais aussi plus humaine, tels sont les défis qui attendent notre Présidence et qui vont constituer ses priorités de travail.
I- Une Europe plus humaine, c'est une Europe véritablement utile aux citoyens et qui développe des politiques apportant des réponses à leurs préoccupations premières.
Après la monnaie unique, la justice doit être le grand projet, le grand chantier de l'Union européenne, car il s'agit de répondre aux attentes très fortes des citoyens européens dans leur vie quotidienne.
Je suis convaincue que nous avons l'impérieux devoir de poursuivre la mise en place d'un véritable espace de sécurité, de liberté et de justice, que nous devons donc construire, rapidement, l'espace judiciaire européen.
Les priorités de la Présidence française dans le domaine de la justice se déclinent toutes par rapport à cette grande ambition politique, en s'appuyant sur les conclusions, très claires, du Conseil européen de Tampere.
Voilà pourquoi, dans le domaine pénal, nous voulons absolument lutter avec plus d'efficacité contre la criminalité organisée et contre le blanchiment de l'argent, accorder une place importante à la lutte contre la délinquance de haute technologie, oeuvrer pour le développement du Réseau judiciaire européen et la création d'Eurojust.
Mais l'espace judiciaire européen ne doit surtout pas se limiter à un espace répressif. C'est la raison pour laquelle j'accorde la plus haute importance à la coopération judiciaire civile et, qu'en ce domaine, nous allons faire des propositions très concrètes.
La France prend l'initiative de déposer un projet de règlement relatif à l'exécution mutuelle des décisions civiles concernant le droit de visite des enfants.
Ce projet, très novateur, doit permettre de faciliter la circulation, dans l'Union, des enfants de couples divorcés. Il met en oeuvre, de façon concrète, le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel vous allez débattre pendant ce Séminaire.
J'ai également l'ambition, avec l'aide de la Commission, de contribuer à la création d'un Réseau judiciaire civil, afin d'améliorer les échanges d'information et les demandes de coopération entre les autorités judiciaires.
Naturellement, un tel Réseau devrait associer et aider les praticiens, dans l'intérêt des citoyens, afin de leur faciliter l'accès à la justice et la reconnaissance de leurs droits.
II- L'une de nos priorités est donc la mise au point, comme en matière pénale, du programme commandé par le Sommet de Tampere pour mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions civiles.
L'organisation de ce Séminaire, dès le premier jour ouvrable de notre Présidence, en est une illustration concrète et éclairante. J'ai souhaité en effet que, dans le domaine de la Justice, la Présidence française commence par cette manifestation, pour bien souligner de façon symbolique ce que sont, tout au long de ce court semestre, nos préoccupations et nos méthodes de travail.
Les conclusions du Conseil européen de Tampere indiquent très clairement que "la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires doit devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire et qu'un programme de mesures, pour mettre en oeuvre ce principe essentiel, doit être préparé avec la Commission, pour être présenté au Conseil européen" de Nice, en décembre prochain.
Il convenait également, sur un sujet aussi fondamental, d'ouvrir un vrai dialogue avec tous les acteurs de ce futur espace judiciaire européen, en ne limitant pas le débat, comme c'est malheureusement trop souvent le cas, entre les seuls experts de Bruxelles.
Voilà pourquoi j'ai particulièrement tenu à ce que ce Séminaire soit ouvert, non seulement aux experts, mais aussi à tous les praticiens du droit, que non seulement les représentants des Etats membres y participent, mais également ceux des pays candidats.
Permettez-moi de me réjouir, aujourd'hui, de vous voir venus si nombreux, et d'horizons si différents, et de vous dire ma satisfaction de pouvoir bénéficier d'une assistance aussi riche pour aborder un dossier si essentiel.
Permettez-moi également de remercier Monsieur le Président du Sénat, qui a très aimablement accepté que cette réunion se tienne dans ce lieu prestigieux.
Je remercie également le Président de l'Association ARPEJE, Monsieur le Président Robert Badinter, en soulignant combien son association oeuvre utilement pour fédérer les nombreuses initiatives françaises du monde judiciaire et juridique dans le domaine de la coopération européenne.
Je voudrais aussi exprimer publiquement toute ma gratitude aux professions du barreau, du notariat, aux huissiers de justice et aux juristes d'entreprises, qui ont accepté d'organiser conjointement avec nous ce Séminaire.
D'éminents représentants de ces professions sont dans cette salle et participent activement aux discussions. Permettez-moi de les saluer en leur demandant d'exprimer, à tous les membres de leur profession, ma reconnaissance pour leur contribution qui a été essentielle et déterminante dans l'organisation de ce Séminaire.
Enfin, avant que Monsieur le Commissaire Antonio Vitorino s'adresse à vous, cet après-midi, je voudrais lui dire combien nous sommes honorés par sa présence, qui manifeste l'importance que la Commission accorde au thème de ces deux journées et à la méthode initiée par la Présidence française.
Non seulement cette manifestation n'aurait pu se tenir sans le soutien financier de la Commission, mais je dois indiquer que ses services ont participé pleinement aux travaux scientifiques préparatoires.
Je puis vous assurer, d'ailleurs, que je veillerai à ce que le Conseil travaille toujours en très étroite liaison avec les services de la Commission, pour élaborer le programme de mesures sur la reconnaissance mutuelle des décisions civiles, qui doit être présenté au Conseil européen de Nice.
III- Il faut en effet cerner au mieux ce que recouvre le concept de reconnaissance mutuelle des décisions civiles.
Dans l'Union, les litiges transnationaux se multiplient et il est de moins en moins toléré et admis, dans un espace qui se veut sans frontières, que les citoyens et les opérateurs économiques se heurtent à des difficultés, parfois inextricables ou vécues comme telles, pour faire exécuter une décision de justice hors du pays dans laquelle elle est rendue.
La reconnaissance mutuelle de ces décisions à l'intérieur de l'Union postule leur libre circulation. Cela signifie :
1- d'une part, la désignation, selon des règles communes, d'une juridiction unique statuant pour l'ensemble de l'Union,
2- d'autre part, l'allégement, mais aussi à terme la suppression du contrôle opéré sur la décision étrangère lors de la procédure d'exequatur.
Pour ma part, et sans vouloir anticiper sur vos débats, j'aurai tendance à penser que de telles évolutions nécessaires ne peuvent être réalisées de façon systématique, immédiate et sur tous les sujets. Tel est d'ailleurs le sens et l'objet des travaux des ateliers I et IV: identifier les domaines où des progrès sont nécessaires et faisables, en déterminer la portée et le rythme.
Pour l'instant, j'indiquerai seulement que la Présidence française, pour procéder à la fixation de ses priorités, a dû, sans pouvoir attendre les conclusions de vos travaux, prendre position dans les deux directions que je viens de décrire pour la reconnaissance mutuelle.
1- En premier lieu, pour la désignation d'une juridiction unique, notre Présidence estime qu'il est urgent de transformer, au sens du Traité, en règlement la Convention de Bruxelles de 1968.
La révision de cette Convention, qui a déjà fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil J.A.I. de mai 1999, permet de simplifier, dans un vaste domaine - celui du droit civil patrimonial et du droit commercial -, la procédure d'exequatur. Ce projet apporte donc une contribution majeure à la mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle.
C'est la raison pour laquelle son adoption, avant la fin de la Présidence française, constitue l'une de ses premières priorités.
En ce qui me concerne, je ne ménagerai pas mes efforts, au niveau de mes collègues du Conseil, pour que cet objectif soit effectivement atteint.
2- En second lieu, pour l'exécution sur l'ensemble du territoire de l'Union, j'ai indiqué, en introduisant cette intervention, que la Présidence dépose un projet de règlement sur la reconnaissance mutuelle des décisions de droit de visite des enfants de couples divorcés.
Cette initiative a été prise parce qu'il m'est clairement apparu que, lors de la séparation des couples binationaux, il y avait à la fois trop d'obstacles, d'incompréhensions et un vide juridique qui étaient préjudiciables à l'intérêt des enfants et à leur droit fondamental de conserver des relations régulières avec leur mère et leur père.
Ce projet préfigure ce qui doit fonder un véritable espace judiciaire européen, puisqu'il institue le principe de la reconnaissance mutuelle de la force exécutoire des décisions civiles. En cette matière, la procédure d'exequatur ne serait plus un préalable à l'exécution de décisions étrangères portant sur ce droit de visite.
IV- Une telle évolution fondamentale doit être progressivement étendue à d'autres domaines. J'en suis personnellement convaincue.
Mais cela ne peut se faire dans n'importe quelles conditions. Ce sera l'objet des ateliers II et III d'apprécier les indispensables rapprochements des procédures nationales.
Ces rapprochements seront nécessaires avant d'instituer ce que l'on a déjà l'habitude d'appeler le titre exécutoire européen.
Sans anticiper sur les conclusions de vos travaux, j'ai en effet l'intuition qu'un titre exécutoire européen pourrait être particulièrement utile pour faciliter le recouvrement des créances commerciales qui ne sont pas contestées. La faisabilité d'un tel instrument ne devrait d'ailleurs pas être insurmontable et devrait même figurer en bonne place du programme d'action qu'il va nous falloir élaborer dans les prochaines semaines.
Pour ma part, je demeure convaincue que l'Europe a aussi besoin de propositions audacieuses pour progresser. Je souhaite sincèrement que celles-ci puissent s'exprimer pendant ce séminaire.
Quoiqu'il en soit, je puis vous assurer que je serai particulièrement attentive aux conclusions de vos travaux. J'en présenterai d'ailleurs les grandes lignes à mes collègues, lors du premier Conseil qui se tiendra à Marseille, les 28 et 29 juillet prochain.
Encore une fois, merci d'être venus si nombreux, bon travail et bon séjour à Paris ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juillet 2000).