Texte intégral
Mesdames les ministres,
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs
Je suis heureux d'ouvrir cette rencontre en vous souhaitant la bienvenue au séminaire international sur la lutte contre les filières d'immigration clandestine.
Les nombreuses hautes personnalités ici présentes et en particulier les responsables politiques en charge des questions de sécurité, de police et du contrôle de l'immigration clandestine et des filières qui l'alimentent, soulignent la préoccupation des Etats à l'égard de ce phénomène de société. J'y vois également une volonté commune d'harmoniser les réglementations, d'améliorer la coopération internationale et de rechercher des solutions à la fois efficaces et humaines.
De même, la Commission européenne apporte une contribution déterminante à cette démarche, notamment au travers de sa participation à ce séminaire financé dans le cadre du programme Odysseus.
Cette rencontre a été réalisée en partenariat avec le Canada, la Grande Bretagne et l'Italie. Mes vifs remerciements vont aux co-organisateurs pour avoir accepté cette entreprise au côté de la France; sans leur aide, elle n'aurait pu aboutir.
Compte tenu des ramifications internationales du phénomène, j'ai estimé souhaitable de faire appel à la collaboration des pays d'Europe centrale et orientale, par les territoires desquels transite une partie des flux migratoires et qui seront bientôt partie intégrante de l'Union européenne.
De plus, la présence des pays qui ont été confrontés ou sont encore confrontés à des problèmes migratoires à grande échelle et qui, de ce fait, disposent d'une riche expérience sur le sujet, m'a semblé utile et nécessaire. Je veux citer les pays transatlantiques(Etats-Unis, Canada, Mexique) mais aussi l'Australie et la Suisse.
INTERPOL et EUROPOL ont été tout naturellement associés à ce séminaire.
Mon exposé comportera deux points:
- le premier sur l'analyse des phénomènes liés à l'immigration clandestine et les réponses politiques susceptibles de lui être apportées.
- le second, sur l'amélioration nécessaire des outils de lutte contre l'immigration illégale, juridiques et opérationnels.
PREMIERE PARTIE : POUR UNE POLITIQUE EQUILIBREE DE MAITRISE DES FLUX MIGRATOIRES
Notre séminaire s'inscrit dans un contexte particulier après le drame de DOUVRES, le 19 juin dernier, qui a profondément choqué les Gouvernements européens et les opinions publiques. Le conseil européen réuni à Santa Maria da Feira les 19 et 20 juin derniers a largement exprimé ce sentiment d'horreur et sa volonté de lutter contre les filières criminelles d'immigration clandestine.
L'Europe est en effet confrontée à un défi considérable. Plusieurs facteurs laissent prévoir une augmentation de la pression migratoire dans les années à venir: accroissement des écarts démographiques mis en valeur par le rapport de l'ONU à l'horizon 2050, aggravation des inégalités de développement et de richesse, extension des zones de non-droit et bien entendu développement de la communication sous toutes ses formes.
Le rapport de la division des populations de l'ONU met en exergue l'importance de l'immigration pour l'Europe. Ce rapport a d'ailleurs été commenté et exploité de manière souvent ambiguë. A partir d'un simple constat démographique, il indique que l'Union européenne devrait faire appel, d'ici à 2050, à 47,5 millions d'immigrés pour maintenir sa population globale stable et 79 millions pour maintenir sa population âgée de 15 à 64 ans. Pour chiffrer le nombre de migrants nécessaires pour assurer le maintien en 2050 du rapport actifs/retraités, la division des populations de l'ONU va même jusqu'à avancer un chiffre de 674 millions d'immigrés à faire venir en Europe. Raisonnement par l'absurde qui ne tient compte ni des paramètres sociaux et culturels, ni des paramètres politiques, et qui souligne ainsi que l'immigration ne saurait être le remède miracle à tous les maux liés au déclin démographique de l'Europe.
La politique européenne de l'immigration ne se conçoit que dans la recherche d'une position équilibrée et réaliste. Il faut écarter d'emblée deux points de vue extrêmes, deux démagogies : d'une part l'idée d'immigration zéro, totalement irréaliste; et d'autre part celle d'une ouverture généralisée des frontières qui ne tiendrait aucun compte des capacités d'intégration de nos Etats sur le plan de l'emploi, du logement, des structures d'accueil sanitaires, éducatives, sociales, et des opinions publiques.
Je suis convaincu que la question migratoire sera l'un des principaux enjeux du XXIème siècle pour l'Europe. L'Europe accueillera vraisemblablement une cinquantaine de millions de migrants dans les cinquante prochaines années. Elle doit donc accepter, selon moi, un certain métissage. Mais elle se doit aussi de maîtriser les flux migratoires dans le respect des lois et du modèle de la citoyenneté égale pour tous auquel nous sommes attachés. Afin d'éclairer cette problématique, j'ai proposé de consacrer une partie du Conseil JAI informel de Marseille, les 28 et 29 juillet, à un échange politique sur les flux migratoires à long terme et l'avenir de la politique européenne de l'immigration.
1. La réalité de l'immigration illégale
Il faut dire très clairement que l'existence de filières organisées ainsi que l'extension du métier méprisable mais hélas rémunérateur de " passeur " jouent un rôle primordial dans l'immigration clandestine.
On sait que la majorité de l'immigration clandestine parvient en Europe de l'Ouest grâce à des passeurs, notamment en provenance de pays lointains comme la Chine par exemple.
Ce point doit être souligné en réponse à une conception trompeuse, selon laquelle ce serait le contrôle de l'immigration qui engendrerait des clandestins. L'aggravation de l'immigration irrégulière résulte au contraire de l'activité croissante des filières d'entrée illégale. Et il est évident que cette activité est favorisée par les insuffisances législatives ou opérationnelles des Etats d'immigration et par tout ce qui permet aux clandestins d'entrer et de se maintenir sur le territoire en violation des lois.
Mais il y a plus encore : derrière les passeurs, on trouve de plus en plus les mafias. Les responsables policiers ont identifié une mafia russe exploitant Sri lankais et Chinois, une mafia turque prenant en charge des kurdes, des Afghans et des Iraniens. On sait aussi que les clandestins des Balkans sont pris en main par les mafias albanaises. La concentration à Calais, point de passage vers l'Angleterre d'un grand nombre de ces clandestins (plus de 10000 interpellés depuis août 99) a démontré le rôle particulièrement actif des passeurs dont près de 400 ont, depuis la même date, été arrêtés.
Ainsi il convient de ne plus se dissimuler le fait que l'immigration illégale est devenue l'objet d'un véritable trafic d'êtres humains qui, comme tel, entre dans la criminalité voire la grande criminalité organisée. Plus facile, plus rémunérateur, moins risqué que le trafic de drogue par exemple, le trafic des entrées illégales devient un enjeu majeur de l'action et de la coopération policière et judiciaire.
Les filières sont généralement liées à d'autres formes de criminalité. Ainsi, la police et la justice françaises viennent de démanteler un réseau de blanchiment d'argent lié à la diaspora chinoise en France dont le bénéfice sur 18 mois dépasse les 1,6 milliards de francs, correspondant à des montants recyclés d'importations et de travaux clandestins.
A ce niveau d'organisation, nous ne sommes plus seulement dans la lutte contre l'immigration illégale. Nous sommes bel et bien dans la lutte contre la criminalité. Les vrais coupables sont bien les organisateurs d'entrées clandestines dont les aspirants à l'immigration ne sont que les jouets. C'est donc bien contre eux en tout premier lieu qu'il convient de lutter.
La démagogie qui consiste à revendiquer une réouverture massive de l'immigration du travail ou le droit automatique au séjour pour tout immigrant ne fait qu'alimenter "le rêve d'Europe" et contribue à jeter des centaines de milliers de personnes chaque année entre les griffes des filières d'immigration clandestine.
2. Pour une politique équilibrée de l'asile et de l'immigration
1) L'approche européenne de TAMPERE
Les Conclusions du Conseil européen de TAMPERE d'octobre 1999 ont permis de poser les bases de la politique européenne de l'immigration axée sur une solidarité entre des Etats responsables avec trois grandes priorités:
a) premier point, le co-développement.
La prise en compte des pays sources est un point essentiel de notre sujet: Comment nos Etats peuvent contribuer au maintien dans leur pays des populations des Etats du Sud et les dissuader ainsi de mettre leur sort entre les mains des filières criminelles.
Les travaux de la présidence française sur le codéveloppement ont donné lieu à un séminaire les 6 et 7 juillet à Paris auxquels participaient plusieurs ministres de l'Union européenne et M VITORINO.
Face à l'aggravation insupportable de la misère et des inégalités, au développement de zones de non droit en Afrique centrale et au Moyen-Orient, l'Europe a le devoir d'apporter une réponse politique claire. Nous ne pouvons pas accepter la diminution globale des crédits de l'aide au développement et la montée de l'indifférence devant le sort d'une grande partie de l'humanité ravagée par les guerres, la famine, la maladie, et je pense bien entendu à l'Afrique noire.
A terme, il faut tout mettre en uvre pour favoriser la maîtrise des flux grâce au développement économique et à la stabilisation des Etats.
C'est toute une approche diplomatique qui est à revoir comme le montrent les exemples de l'Irak, du Kurdistan, de l'Afghanistan, de l'Afrique des grands lacs ou des Balkans depuis 1991. C'est l'adéquation des moyens aux fins qui est à revoir.
Nous y avons réfléchi à un niveau plus modeste lors de notre séminaire des 6 et 7 juillet à Paris et différents modes d'action ont été envisagés:
- soutien aux initiatives des migrants en Europe pour le développement de leur région d'origine;
- développement d'une immigration alternante permettant à des jeunes des pays en développement de venir travailler en Europe pour se perfectionner avant de retourner dans leur pays;
- utilisation de nos moyens de formation en faveur du Sud;
- circulation facilitée pour les migrants engagés dans des actions de co-développement
- propositions aux migrants permettant de mobiliser leur épargne en faveur du développement de leur pays d'origine
b) La maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration irrégulière
Deuxième point fort de TAMPERE, la maîtrise des flux et la lutte contre l'immigration illégale sont au cur des priorités de la présidence française de l'Union européenne.
Les événements de DOUVRES ont souligné l'urgence d'une action résolue dans ce domaine
C'est pourquoi le Conseil européen de FEIRA a lancé un nouvel appel à une action rapide de l'Union européenne en condamnant "les actes criminels perpétrés par ceux qui tirent profit de la traite des êtres humains".
La présidence française a déjà déposé plusieurs propositions au Conseil des ministres sur lesquelles je reviendrai.
c) Troisième point, l'intégration des étrangers
Elle passe par une politique résolue en faveur de l'égalité des droits économiques et sociaux et une lutte déterminée contre toute forme de discrimination notamment par rapport à l'emploi. La présidence française organise un autre séminaire en octobre sur ce thème et son intention est de présenter au Conseil un projet de texte sur l'harmonisation des titres de long séjour, instrument juridique essentiel de l'intégration.
L'accès à la nationalité des Etats membres, grâce à la généralisation du droit du sol, représente un autre aspect fondamental de l'intégration des étrangers en Europe .
Ces trois axes majeurs doivent bien entendu être mis en uvre dans le respect du droit d'asile dont l'harmonisation en Europe est également un outil important de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Les demandes d'asile sont en forte hausse dans la plupart des pays de l'Union européenne. Ainsi, elles sont passées en France de 22000 en 1998 à 30000 en 1999 et sont en 2000 sur la pente de 50000 ; au Royaume Uni de 48000 à 71000. Elles se maintiennent aux alentours de 100000 en Allemagne et de 50000 aux Pays Bas. Cette tendance reflète la hausse des entrées irrégulières.
La grande difficulté de notre tâche tient à la nécessité de concilier le respect scrupuleux de la Convention de Genève et la lutte contre la fraude. L'asile ne doit plus être utilisé par les filières comme un outil juridique pour favoriser l'entrée et le séjour des clandestins.
Il doit être clair que l'intention de la présidence française est ainsi de tout mettre en uvre pour progresser dans la voie de l'harmonisation des procédures d'asile.
2) Au delà de l'Union européenne, pour une vision globale de la maîtrise des flux
Nous devons organiser la lutte contre l'immigration irrégulière non seulement au niveau européen, mais aussi au niveau mondial.
La mobilisation d'un grand nombre d'acteurs est indispensable et seule de nature à permettre d'atteindre les objectifs à l'échelle planétaire.
Il s'agit d'abord des autorités des pays d'origine, sources d'immigration. Il y a une responsabilité des Etats à affirmer vis-à-vis de leurs ressortissants. Je ne reviendrai pas sur le thème du co-développement mais il est clair que la présidence française apportera tout son soutien à la mise en uvre des cinq plans d'action de l'Union européenne en faveur des pays source de l'immigration, notamment le Maroc et le Sri Lanka.
La mobilisation commune des services concernés des différents Etats, qu'il s'agisse de la police, mais aussi de la justice, doit être parallèlement recherchée, afin que les organisateurs de ces trafics ne trouvent aucun refuge nulle part.
La mobilisation des transporteurs aériens, maritimes, ferroviaires et routiers, qui servent, malgré eux, de support aux flux d'immigration clandestine, doit être organisée.
Des efforts considérables ont déjà été réalisés.
Je citerai les mesures actuellement engagées dans le cadre de l'ONU. Les négociations menées à Vienne par le Comité spécial chargé d'élaborer une convention contre la criminalité transnationale visent notamment, par l'adoption de deux protocoles additionnels à cette convention, à prévenir et à incriminer le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains.
Ces négociations, qui doivent s'achever à la fin de l'année, devraient déboucher sur des instruments juridiques internationaux aux fins de combattre les filières de l'immigration en coopération avec les pays d'origine des migrants.
DEUXIEME PARTIE : LES METHODES DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRREGULIERE.
Je développerai deux aspects de la lutte contre l'immigration illégale:
- Le premier juridique: renforcer les législations et réglementations en faveur de la lutte contre les filières, notamment en matière de sanctions contre les passeurs ou de pénalités contre les transporteurs ;
- Le second opérationnel: améliorer la coopération policière dans le démantèlement des filières et la lutte contre l'exploitation des êtres humains victimes de ces organisations criminelles.
1. Aspects juridiques de la lutte contre les filières
Le gouvernement français déposera prochainement un projet de loi relevant les amendes infligées aux entreprises de transports aérien, maritime et routier. Le montant de 10000 F de l'amende, par personne transportée, actuellement en vigueur, sera porté à 30000 F.
Cette mesure devrait accroître l'effet dissuasif de notre législation en pénalisant les entreprises concernées d'une amende suffisamment importante pour les inciter à effectuer des contrôles efficaces à l'embarquement de leurs passagers.
L'harmonisation européenne de la responsabilité des transporteurs et des sanctions contre les passeurs s'avère aujourd'hui indispensable. Comment lutter efficacement contre cette forme de criminalité si les Etats membres appliquent des politiques différentes? D'où les propositions de la présidence française en la matière.
- Un projet de directive instituant des pénalités à l'encontre des transporteurs acheminant des passagers en situation irrégulière: il impose aux transporteurs l'obligation de contrôler les documents de voyage des ressortissants d'Etats tiers et prévoit des sanctions en cas de non respect de cette obligation (le montant minimal de sanction proposé est de 2000 euros).
- un projet de décision cadre visant à renforcer la répression pénale de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers : l'objectif est de tendre à l'harmonisation des législations nationales en ce qui concerne la définition des infractions et la détermination des sanctions.
- un projet de directive sur la coopération européenne en matière d'éloignement dont l'objectif sera de faciliter la mise en uvre d'une mesure d'éloignement, prononcée par un Etat membre, par tout autre Etat membre ayant interpellé l'intéressé sur son territoire.
2. Comment mettre en uvre une coopération policière plus étroite et donc plus efficace ?
S'accorder sur les modalités d'une coopération opérationnelle plus étroite constitue le grand objectif de notre réunion.
1) Proposition de la présidence française.
La présidence française de l'Union européenne a ainsi déposé une "note d'orientation" visant à améliorer la gestion des flux migratoires, incluant l'amélioration des échanges d'informations dans le cadre du groupe de travail CIREFI, la mise au point d'une procédure d'alerte rapide, d'un réseau européen des officiers de liaison en matière d'immigration.
Ce document s'inspire de pratiques déjà en vigueur, qu'il vise à rationaliser et à pousser plus en avant.
2) La coopération policière
a) une réalité
La coopération policière internationale en matière de lutte contre les filières d'immigration est déjà une réalité, car de nombreux pays de l'espace SCHENGEN ont pris conscience de la nécessité d'une lutte concertée contre les réseaux d'immigration irrégulière.
Cette coopération pragmatique et concrète se traduit par:
- un nombre croissant de visites et d'échanges entre les pays ;
- la mise en place d'une coopération policière en amont.
Celle-ci se manifeste, notamment, par le biais d'actions de coopération policière renforcées visant à stopper les mouvements migratoires illégaux avant qu'ils ne parviennent jusqu'aux Etats de destination. Les Etats membres tentent ainsi depuis plusieurs années de renforcer leurs interventions en amont, dans les pays d'origine ou de transit de l'immigration irrégulière, et plus particulièrement vis-à-vis de celle utilisant la voie aérienne.
Ces actions se sont concrétisées :
- par des formations ponctuelles dans le domaine de la lutte contre la fraude documentaire au bénéfice des personnels de consulats, de compagnies aériennes, et de policiers locaux ;
- par une implantation d'officiers de liaison immigration et l'installation d'officiers de liaison auprès des compagnies aériennes ;
- par un accroissement considérable du nombre et de la qualité des informations opérationnelles échangées ;
- par un développement des instances d'EUROPOL à LA HAYE avec la mise en place, pour la première fois cette année, d'une équipe d'enquête commune, dans une affaire de démantèlement d'une importante filière internationale chinoise.
b) Comment renforcer, améliorer, rendre plus efficace cette coopération policière?
Pour ma part, je pense que ces améliorations peuvent être mises en uvre en faisant porter une réflexion approfondie sur trois points :
La lutte contre les faux documents :
Quatre actions peuvent être proposées :
- l'accroissement de la sécurisation de la chaîne documentaire par la participation des services spécialisés à la conception des documents ;
- une spécialisation plus grande des personnels chargés de la délivrance de documents, sur le territoire national, comme dans les postes diplomatiques et consulaires à l'étranger ;
- une sensibilisation accrue et une formation effective et spécialisée des personnels chargés du contrôle de ces documents de voyage ;
- la mise en place de structures chargées d'améliorer la coordination de la lutte contre la falsification et la contrefaçon des documents, avec par exemple la mise en uvre de bases de données informatisées largement partagées. La police aux frontières française a élaboré une application SINDBAD (Système d'INformation de Documents en BAse de Données) qu'elle tiendra à la disposition de tous les Etats membres et qu'elle propose de relier au système européen harmonisé d'archivage d'images (FADO).
La lutte contre les filieres
Ces filières sont internationales, très bien structurées, très attentives aux tactiques et techniques policières utilisées. Elles sont, en conséquence, très réactives et défient l'organisation structurelle de nos services de police. Elles requièrent donc une réponse et des capacités d'adaptation anticipées de notre part, qu'il nous appartient de rechercher ensemble, à l'occasion de forums de réflexion tels que celui-ci.
Les filières n'ont plus que rarement un aspect "artisanal" ; elles sont désormais, pour la plupart, entre les mains des mafias, qui y trouvent un champ d'action en pleine expansion, d'autant qu'elles n'encourent que des risques faibles sans commune mesure avec les peines applicables à d'autres trafics tels que ceux de stupéfiants, de fausses monnaies, etc
Ces filières enfin disposent d'une importante logistique qui leur permet :
- d'allonger les circuits,
- de multiplier le nombre des pays traversés, afin naturellement de brouiller les pistes,
- de placer "en attente", si l'on peut s'exprimer ainsi, et d'une manière quasi systématique dans des conditions indignes, les clandestins, afin d'améliorer les chances de passage sans risques.
Nous sommes confrontés à ces filières plus ou moins sophistiquées, qui concernent soit des communautés fuyant un pays en crise, comme les Kurdes ou les Kosovars, soit des communautés fuyant la pauvreté et recherchant une vie moins ingrate dans les pays d'Europe (Sri-Lankais, Indo-Pakistanais), quelquefois utilisés comme pays de rebond vers le Canada ou les Etats-Unis (comme les Nord-Africains, les Africains ou les Chinois).
Nous sommes également, depuis quelques mois, confrontés à une augmentation sans précédent de l'immigration chinoise. Les chiffres de chacun des Etats ici représentés sont en constante augmentation, quelle que soit la province d'origine de ces candidats à l'immigration.
l'harmonisation des methodes de travail
Enfin, et dans le même esprit, nous devons contribuer à l'harmonisation des méthodes de travail, en intensifiant, accélérant et facilitant la communication par un meilleur échange des informations, qui devront être à la fois analytiques et opérationnelles.
Il faut à cet égard que les nouvelles technologies ne soient pas l'apanage des réseaux de délinquants.
Parmi les thèmes de réflexion qui vous sont proposés, l'optimisation du réseau des officiers de liaison doit figurer en bonne place. Leur rôle comme relais d'information et comme interface, entre services compétents d'Etats dont les législations et les méthodes diffèrent, en fait des "facilitateurs" privilégiés.
Il nous faut aussi améliorer l'organisation et les structures.
Des projets de coordination de ces actions ou de mise en commun des moyens et ressources ont été envisagés à plusieurs reprises lors de présidences successives récentes de l'Union européenne, et c'est ainsi qu'ont pu être menées:
- la mise en place de bureaux communs de conseillers en matière documentaire, sous l'impulsion de l'Allemagne ;
- des opérations concertées d'envoi en missions de courte durée de conseillers documentaires formateurs, grâce à des financements européens de type ODYSSEUS ;
- une première expérience ODYSSEUS qui a pris place en 1999-2000 conjointement entre l'Allemagne, les Pays-Bas, la France, l'Espagne, le Portugal dans différents Etats de l'Afrique subsaharienne : la Côte-d'Ivoire, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et le Togo.
Les Etats scandinaves ont, quant à eux, amorcé ce qui pourrait être la préfiguration du partage à l'échelle de l'Europe d'un réseau d'officiers par la création entre eux d'un réseau commun d'officiers de liaison généralistes ayant entre autres en charge les questions d'immigration.
La présidence portugaise du Conseil de l'Union a déjà effectué un travail important de recensement du réseau actuel des officiers des Etats membres en poste dans les pays sources ou de transit ; il convient de poursuivre cette réflexion, toujours dans le cadre de CIREFI, en la traduisant en objectifs concrets opérationnels.
Il s'agit aujourd'hui de rechercher de nouvelles synergies de nature à développer plus largement ce réseau et à favoriser la mise en commun progressive des moyens, par exemple en rationalisant l'implantation d'officiers des Etats membres, en évitant les présences redondantes ou les absences pénalisantes.
Tout ce travail en commun suppose l'existence préalable de "dénominateurs convergents" de volonté, de législation, d'organisation mais aussi de méthodes de travail.
Nous savons déjà que la volonté existe. Dans leurs grandes lignes, les méthodes de travail sont globalement partagées et les législations doivent faire l'objet d'un développement et d'un rapprochement ultérieur.
Reste l'organisation, dont nous savons qu'elle ne peut être partout identique, mais qui doit tendre à se rapprocher dans l'esprit et aussi dans les structures. Comment envisager, en effet, une coopération efficace si les services sont structurés de manière très différente et ont des compétences territoriales, un rôle, des missions et des moyens qui divergent ?
Compte tenu de l'extrême mobilité des malfaiteurs, et de la technicité requise pour s'opposer à eux, la France a choisi de créer, en 1996, un organe spécialisé et centralisé, l'OCRIEST, dont j'ai déjà mentionné l'existence.
Ce choix résulte de l'intérêt qu'il y a à pouvoir disposer, d'une manière permanente et au sein d'un service unique à compétence nationale spécialement structuré dans cet objectif, d'une équipe d'experts qualifiés pour lutter contre le crime organisé, quel que soit le domaine où il s'exerce, (grand banditisme, trafic de stupéfiants, trafic d'uvres d'art, grande délinquance financière).
L'OCRIEST a été progressivement renforcé et compte aujourd'hui près de 70 policiers. J'ai décidé de porter ce nombre à 85, tant ce service me paraît être le moyen le plus approprié pour la lutte contre les filières.
Ses résultats en attestent : 65 filières démantelées en 5 ans ainsi qu'une centaine d'ateliers clandestins qui utilisaient, souvent dans des conditions épouvantables, des étrangers sans titre ; près de 2200 personnes interpellées, dont plus de 300 ont été placées sous mandat de dépôt.
Ces succès sont autant de preuves de l'efficacité, dans le système judiciaire et policier français, d'équipes spécialisées.
C'est pourquoi il vous est proposé une réflexion sur l'opportunité de la création de services dédiés à la lutte contre l'immigration clandestine ou, pour le moins, une réflexion sur l'identification d'un service référent dans chaque Etat.
La coopération internationale serait sans aucun doute améliorée par ce réseau d'organes professionnels spécialisés qui devraient constituer des relais efficaces avec l'ensemble des autres services nationaux ou locaux qui pourraient ainsi devenir des interlocuteurs directs privilégiés en matière de recherches, d'enquête et d'intervention opérationnelle.
CONCLUSION
Je souhaite que ce séminaire soit l'occasion d'échanges les plus francs et les plus riches. Je souhaite aussi qu'ayant défini nos points d'accord, nous puissions, ensemble, les explorer et les exploiter à leur maximum.
Dans ce domaine plus que dans tout autre, la coopération internationale est indispensable à une action efficace et pratique.
Organisée sur deux journées, cette rencontre se déroulera sous la forme de séances plénières et d'ateliers.
Les séances plénières seront consacrées à deux thèmes :
- la première, à l'échange des points de vue sur le dispositif d'accueil des étrangers et de l'asile à partir de l'exposé de la délégation canadienne et des commentaires apportés par les délégations, australienne, espagnole, polonaise, américaine et estonienne, suivi d'une intervention de la commission européenne ;
- la seconde, à partir de l'exposé des délégations italienne et du Royaume-Uni sur la réalité des filières de l'immigration aux commentaires des délégations bulgare et hongroise.
Quant aux ateliers, ils seront consacrés à quatre thèmes:
- Les transporteurs et les passeurs
- La réalité des filières
- Les faux documents
- Les aspects opérationnels de la lutte contre les filières
Je forme des vux pour que les constats et les propositions que vous serez amenés à faire nous permettent, ensemble, de lutter contre ce véritable trafic d'êtres humains, et nous confortent dans notre devoir de vigilance, sans toutefois nous faire oublier notre responsabilité politique. Celle-ci consiste à lutter pour un monde plus juste où chaque peuple pourra trouver la voie de son développement, dans le cadre d'Etats de droit offrant à chaque citoyen la sécurité et la liberté auxquels il aspire. Cela prendra du temps : raison de plus pour y contribuer dès maintenant. Et nous pouvons le faire aussi par la coopération internationale avec les pays-sources en matière de police, de justice, et d'administration..
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 juillet 2000)
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs
Je suis heureux d'ouvrir cette rencontre en vous souhaitant la bienvenue au séminaire international sur la lutte contre les filières d'immigration clandestine.
Les nombreuses hautes personnalités ici présentes et en particulier les responsables politiques en charge des questions de sécurité, de police et du contrôle de l'immigration clandestine et des filières qui l'alimentent, soulignent la préoccupation des Etats à l'égard de ce phénomène de société. J'y vois également une volonté commune d'harmoniser les réglementations, d'améliorer la coopération internationale et de rechercher des solutions à la fois efficaces et humaines.
De même, la Commission européenne apporte une contribution déterminante à cette démarche, notamment au travers de sa participation à ce séminaire financé dans le cadre du programme Odysseus.
Cette rencontre a été réalisée en partenariat avec le Canada, la Grande Bretagne et l'Italie. Mes vifs remerciements vont aux co-organisateurs pour avoir accepté cette entreprise au côté de la France; sans leur aide, elle n'aurait pu aboutir.
Compte tenu des ramifications internationales du phénomène, j'ai estimé souhaitable de faire appel à la collaboration des pays d'Europe centrale et orientale, par les territoires desquels transite une partie des flux migratoires et qui seront bientôt partie intégrante de l'Union européenne.
De plus, la présence des pays qui ont été confrontés ou sont encore confrontés à des problèmes migratoires à grande échelle et qui, de ce fait, disposent d'une riche expérience sur le sujet, m'a semblé utile et nécessaire. Je veux citer les pays transatlantiques(Etats-Unis, Canada, Mexique) mais aussi l'Australie et la Suisse.
INTERPOL et EUROPOL ont été tout naturellement associés à ce séminaire.
Mon exposé comportera deux points:
- le premier sur l'analyse des phénomènes liés à l'immigration clandestine et les réponses politiques susceptibles de lui être apportées.
- le second, sur l'amélioration nécessaire des outils de lutte contre l'immigration illégale, juridiques et opérationnels.
PREMIERE PARTIE : POUR UNE POLITIQUE EQUILIBREE DE MAITRISE DES FLUX MIGRATOIRES
Notre séminaire s'inscrit dans un contexte particulier après le drame de DOUVRES, le 19 juin dernier, qui a profondément choqué les Gouvernements européens et les opinions publiques. Le conseil européen réuni à Santa Maria da Feira les 19 et 20 juin derniers a largement exprimé ce sentiment d'horreur et sa volonté de lutter contre les filières criminelles d'immigration clandestine.
L'Europe est en effet confrontée à un défi considérable. Plusieurs facteurs laissent prévoir une augmentation de la pression migratoire dans les années à venir: accroissement des écarts démographiques mis en valeur par le rapport de l'ONU à l'horizon 2050, aggravation des inégalités de développement et de richesse, extension des zones de non-droit et bien entendu développement de la communication sous toutes ses formes.
Le rapport de la division des populations de l'ONU met en exergue l'importance de l'immigration pour l'Europe. Ce rapport a d'ailleurs été commenté et exploité de manière souvent ambiguë. A partir d'un simple constat démographique, il indique que l'Union européenne devrait faire appel, d'ici à 2050, à 47,5 millions d'immigrés pour maintenir sa population globale stable et 79 millions pour maintenir sa population âgée de 15 à 64 ans. Pour chiffrer le nombre de migrants nécessaires pour assurer le maintien en 2050 du rapport actifs/retraités, la division des populations de l'ONU va même jusqu'à avancer un chiffre de 674 millions d'immigrés à faire venir en Europe. Raisonnement par l'absurde qui ne tient compte ni des paramètres sociaux et culturels, ni des paramètres politiques, et qui souligne ainsi que l'immigration ne saurait être le remède miracle à tous les maux liés au déclin démographique de l'Europe.
La politique européenne de l'immigration ne se conçoit que dans la recherche d'une position équilibrée et réaliste. Il faut écarter d'emblée deux points de vue extrêmes, deux démagogies : d'une part l'idée d'immigration zéro, totalement irréaliste; et d'autre part celle d'une ouverture généralisée des frontières qui ne tiendrait aucun compte des capacités d'intégration de nos Etats sur le plan de l'emploi, du logement, des structures d'accueil sanitaires, éducatives, sociales, et des opinions publiques.
Je suis convaincu que la question migratoire sera l'un des principaux enjeux du XXIème siècle pour l'Europe. L'Europe accueillera vraisemblablement une cinquantaine de millions de migrants dans les cinquante prochaines années. Elle doit donc accepter, selon moi, un certain métissage. Mais elle se doit aussi de maîtriser les flux migratoires dans le respect des lois et du modèle de la citoyenneté égale pour tous auquel nous sommes attachés. Afin d'éclairer cette problématique, j'ai proposé de consacrer une partie du Conseil JAI informel de Marseille, les 28 et 29 juillet, à un échange politique sur les flux migratoires à long terme et l'avenir de la politique européenne de l'immigration.
1. La réalité de l'immigration illégale
Il faut dire très clairement que l'existence de filières organisées ainsi que l'extension du métier méprisable mais hélas rémunérateur de " passeur " jouent un rôle primordial dans l'immigration clandestine.
On sait que la majorité de l'immigration clandestine parvient en Europe de l'Ouest grâce à des passeurs, notamment en provenance de pays lointains comme la Chine par exemple.
Ce point doit être souligné en réponse à une conception trompeuse, selon laquelle ce serait le contrôle de l'immigration qui engendrerait des clandestins. L'aggravation de l'immigration irrégulière résulte au contraire de l'activité croissante des filières d'entrée illégale. Et il est évident que cette activité est favorisée par les insuffisances législatives ou opérationnelles des Etats d'immigration et par tout ce qui permet aux clandestins d'entrer et de se maintenir sur le territoire en violation des lois.
Mais il y a plus encore : derrière les passeurs, on trouve de plus en plus les mafias. Les responsables policiers ont identifié une mafia russe exploitant Sri lankais et Chinois, une mafia turque prenant en charge des kurdes, des Afghans et des Iraniens. On sait aussi que les clandestins des Balkans sont pris en main par les mafias albanaises. La concentration à Calais, point de passage vers l'Angleterre d'un grand nombre de ces clandestins (plus de 10000 interpellés depuis août 99) a démontré le rôle particulièrement actif des passeurs dont près de 400 ont, depuis la même date, été arrêtés.
Ainsi il convient de ne plus se dissimuler le fait que l'immigration illégale est devenue l'objet d'un véritable trafic d'êtres humains qui, comme tel, entre dans la criminalité voire la grande criminalité organisée. Plus facile, plus rémunérateur, moins risqué que le trafic de drogue par exemple, le trafic des entrées illégales devient un enjeu majeur de l'action et de la coopération policière et judiciaire.
Les filières sont généralement liées à d'autres formes de criminalité. Ainsi, la police et la justice françaises viennent de démanteler un réseau de blanchiment d'argent lié à la diaspora chinoise en France dont le bénéfice sur 18 mois dépasse les 1,6 milliards de francs, correspondant à des montants recyclés d'importations et de travaux clandestins.
A ce niveau d'organisation, nous ne sommes plus seulement dans la lutte contre l'immigration illégale. Nous sommes bel et bien dans la lutte contre la criminalité. Les vrais coupables sont bien les organisateurs d'entrées clandestines dont les aspirants à l'immigration ne sont que les jouets. C'est donc bien contre eux en tout premier lieu qu'il convient de lutter.
La démagogie qui consiste à revendiquer une réouverture massive de l'immigration du travail ou le droit automatique au séjour pour tout immigrant ne fait qu'alimenter "le rêve d'Europe" et contribue à jeter des centaines de milliers de personnes chaque année entre les griffes des filières d'immigration clandestine.
2. Pour une politique équilibrée de l'asile et de l'immigration
1) L'approche européenne de TAMPERE
Les Conclusions du Conseil européen de TAMPERE d'octobre 1999 ont permis de poser les bases de la politique européenne de l'immigration axée sur une solidarité entre des Etats responsables avec trois grandes priorités:
a) premier point, le co-développement.
La prise en compte des pays sources est un point essentiel de notre sujet: Comment nos Etats peuvent contribuer au maintien dans leur pays des populations des Etats du Sud et les dissuader ainsi de mettre leur sort entre les mains des filières criminelles.
Les travaux de la présidence française sur le codéveloppement ont donné lieu à un séminaire les 6 et 7 juillet à Paris auxquels participaient plusieurs ministres de l'Union européenne et M VITORINO.
Face à l'aggravation insupportable de la misère et des inégalités, au développement de zones de non droit en Afrique centrale et au Moyen-Orient, l'Europe a le devoir d'apporter une réponse politique claire. Nous ne pouvons pas accepter la diminution globale des crédits de l'aide au développement et la montée de l'indifférence devant le sort d'une grande partie de l'humanité ravagée par les guerres, la famine, la maladie, et je pense bien entendu à l'Afrique noire.
A terme, il faut tout mettre en uvre pour favoriser la maîtrise des flux grâce au développement économique et à la stabilisation des Etats.
C'est toute une approche diplomatique qui est à revoir comme le montrent les exemples de l'Irak, du Kurdistan, de l'Afghanistan, de l'Afrique des grands lacs ou des Balkans depuis 1991. C'est l'adéquation des moyens aux fins qui est à revoir.
Nous y avons réfléchi à un niveau plus modeste lors de notre séminaire des 6 et 7 juillet à Paris et différents modes d'action ont été envisagés:
- soutien aux initiatives des migrants en Europe pour le développement de leur région d'origine;
- développement d'une immigration alternante permettant à des jeunes des pays en développement de venir travailler en Europe pour se perfectionner avant de retourner dans leur pays;
- utilisation de nos moyens de formation en faveur du Sud;
- circulation facilitée pour les migrants engagés dans des actions de co-développement
- propositions aux migrants permettant de mobiliser leur épargne en faveur du développement de leur pays d'origine
b) La maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration irrégulière
Deuxième point fort de TAMPERE, la maîtrise des flux et la lutte contre l'immigration illégale sont au cur des priorités de la présidence française de l'Union européenne.
Les événements de DOUVRES ont souligné l'urgence d'une action résolue dans ce domaine
C'est pourquoi le Conseil européen de FEIRA a lancé un nouvel appel à une action rapide de l'Union européenne en condamnant "les actes criminels perpétrés par ceux qui tirent profit de la traite des êtres humains".
La présidence française a déjà déposé plusieurs propositions au Conseil des ministres sur lesquelles je reviendrai.
c) Troisième point, l'intégration des étrangers
Elle passe par une politique résolue en faveur de l'égalité des droits économiques et sociaux et une lutte déterminée contre toute forme de discrimination notamment par rapport à l'emploi. La présidence française organise un autre séminaire en octobre sur ce thème et son intention est de présenter au Conseil un projet de texte sur l'harmonisation des titres de long séjour, instrument juridique essentiel de l'intégration.
L'accès à la nationalité des Etats membres, grâce à la généralisation du droit du sol, représente un autre aspect fondamental de l'intégration des étrangers en Europe .
Ces trois axes majeurs doivent bien entendu être mis en uvre dans le respect du droit d'asile dont l'harmonisation en Europe est également un outil important de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Les demandes d'asile sont en forte hausse dans la plupart des pays de l'Union européenne. Ainsi, elles sont passées en France de 22000 en 1998 à 30000 en 1999 et sont en 2000 sur la pente de 50000 ; au Royaume Uni de 48000 à 71000. Elles se maintiennent aux alentours de 100000 en Allemagne et de 50000 aux Pays Bas. Cette tendance reflète la hausse des entrées irrégulières.
La grande difficulté de notre tâche tient à la nécessité de concilier le respect scrupuleux de la Convention de Genève et la lutte contre la fraude. L'asile ne doit plus être utilisé par les filières comme un outil juridique pour favoriser l'entrée et le séjour des clandestins.
Il doit être clair que l'intention de la présidence française est ainsi de tout mettre en uvre pour progresser dans la voie de l'harmonisation des procédures d'asile.
2) Au delà de l'Union européenne, pour une vision globale de la maîtrise des flux
Nous devons organiser la lutte contre l'immigration irrégulière non seulement au niveau européen, mais aussi au niveau mondial.
La mobilisation d'un grand nombre d'acteurs est indispensable et seule de nature à permettre d'atteindre les objectifs à l'échelle planétaire.
Il s'agit d'abord des autorités des pays d'origine, sources d'immigration. Il y a une responsabilité des Etats à affirmer vis-à-vis de leurs ressortissants. Je ne reviendrai pas sur le thème du co-développement mais il est clair que la présidence française apportera tout son soutien à la mise en uvre des cinq plans d'action de l'Union européenne en faveur des pays source de l'immigration, notamment le Maroc et le Sri Lanka.
La mobilisation commune des services concernés des différents Etats, qu'il s'agisse de la police, mais aussi de la justice, doit être parallèlement recherchée, afin que les organisateurs de ces trafics ne trouvent aucun refuge nulle part.
La mobilisation des transporteurs aériens, maritimes, ferroviaires et routiers, qui servent, malgré eux, de support aux flux d'immigration clandestine, doit être organisée.
Des efforts considérables ont déjà été réalisés.
Je citerai les mesures actuellement engagées dans le cadre de l'ONU. Les négociations menées à Vienne par le Comité spécial chargé d'élaborer une convention contre la criminalité transnationale visent notamment, par l'adoption de deux protocoles additionnels à cette convention, à prévenir et à incriminer le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains.
Ces négociations, qui doivent s'achever à la fin de l'année, devraient déboucher sur des instruments juridiques internationaux aux fins de combattre les filières de l'immigration en coopération avec les pays d'origine des migrants.
DEUXIEME PARTIE : LES METHODES DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRREGULIERE.
Je développerai deux aspects de la lutte contre l'immigration illégale:
- Le premier juridique: renforcer les législations et réglementations en faveur de la lutte contre les filières, notamment en matière de sanctions contre les passeurs ou de pénalités contre les transporteurs ;
- Le second opérationnel: améliorer la coopération policière dans le démantèlement des filières et la lutte contre l'exploitation des êtres humains victimes de ces organisations criminelles.
1. Aspects juridiques de la lutte contre les filières
Le gouvernement français déposera prochainement un projet de loi relevant les amendes infligées aux entreprises de transports aérien, maritime et routier. Le montant de 10000 F de l'amende, par personne transportée, actuellement en vigueur, sera porté à 30000 F.
Cette mesure devrait accroître l'effet dissuasif de notre législation en pénalisant les entreprises concernées d'une amende suffisamment importante pour les inciter à effectuer des contrôles efficaces à l'embarquement de leurs passagers.
L'harmonisation européenne de la responsabilité des transporteurs et des sanctions contre les passeurs s'avère aujourd'hui indispensable. Comment lutter efficacement contre cette forme de criminalité si les Etats membres appliquent des politiques différentes? D'où les propositions de la présidence française en la matière.
- Un projet de directive instituant des pénalités à l'encontre des transporteurs acheminant des passagers en situation irrégulière: il impose aux transporteurs l'obligation de contrôler les documents de voyage des ressortissants d'Etats tiers et prévoit des sanctions en cas de non respect de cette obligation (le montant minimal de sanction proposé est de 2000 euros).
- un projet de décision cadre visant à renforcer la répression pénale de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers : l'objectif est de tendre à l'harmonisation des législations nationales en ce qui concerne la définition des infractions et la détermination des sanctions.
- un projet de directive sur la coopération européenne en matière d'éloignement dont l'objectif sera de faciliter la mise en uvre d'une mesure d'éloignement, prononcée par un Etat membre, par tout autre Etat membre ayant interpellé l'intéressé sur son territoire.
2. Comment mettre en uvre une coopération policière plus étroite et donc plus efficace ?
S'accorder sur les modalités d'une coopération opérationnelle plus étroite constitue le grand objectif de notre réunion.
1) Proposition de la présidence française.
La présidence française de l'Union européenne a ainsi déposé une "note d'orientation" visant à améliorer la gestion des flux migratoires, incluant l'amélioration des échanges d'informations dans le cadre du groupe de travail CIREFI, la mise au point d'une procédure d'alerte rapide, d'un réseau européen des officiers de liaison en matière d'immigration.
Ce document s'inspire de pratiques déjà en vigueur, qu'il vise à rationaliser et à pousser plus en avant.
2) La coopération policière
a) une réalité
La coopération policière internationale en matière de lutte contre les filières d'immigration est déjà une réalité, car de nombreux pays de l'espace SCHENGEN ont pris conscience de la nécessité d'une lutte concertée contre les réseaux d'immigration irrégulière.
Cette coopération pragmatique et concrète se traduit par:
- un nombre croissant de visites et d'échanges entre les pays ;
- la mise en place d'une coopération policière en amont.
Celle-ci se manifeste, notamment, par le biais d'actions de coopération policière renforcées visant à stopper les mouvements migratoires illégaux avant qu'ils ne parviennent jusqu'aux Etats de destination. Les Etats membres tentent ainsi depuis plusieurs années de renforcer leurs interventions en amont, dans les pays d'origine ou de transit de l'immigration irrégulière, et plus particulièrement vis-à-vis de celle utilisant la voie aérienne.
Ces actions se sont concrétisées :
- par des formations ponctuelles dans le domaine de la lutte contre la fraude documentaire au bénéfice des personnels de consulats, de compagnies aériennes, et de policiers locaux ;
- par une implantation d'officiers de liaison immigration et l'installation d'officiers de liaison auprès des compagnies aériennes ;
- par un accroissement considérable du nombre et de la qualité des informations opérationnelles échangées ;
- par un développement des instances d'EUROPOL à LA HAYE avec la mise en place, pour la première fois cette année, d'une équipe d'enquête commune, dans une affaire de démantèlement d'une importante filière internationale chinoise.
b) Comment renforcer, améliorer, rendre plus efficace cette coopération policière?
Pour ma part, je pense que ces améliorations peuvent être mises en uvre en faisant porter une réflexion approfondie sur trois points :
La lutte contre les faux documents :
Quatre actions peuvent être proposées :
- l'accroissement de la sécurisation de la chaîne documentaire par la participation des services spécialisés à la conception des documents ;
- une spécialisation plus grande des personnels chargés de la délivrance de documents, sur le territoire national, comme dans les postes diplomatiques et consulaires à l'étranger ;
- une sensibilisation accrue et une formation effective et spécialisée des personnels chargés du contrôle de ces documents de voyage ;
- la mise en place de structures chargées d'améliorer la coordination de la lutte contre la falsification et la contrefaçon des documents, avec par exemple la mise en uvre de bases de données informatisées largement partagées. La police aux frontières française a élaboré une application SINDBAD (Système d'INformation de Documents en BAse de Données) qu'elle tiendra à la disposition de tous les Etats membres et qu'elle propose de relier au système européen harmonisé d'archivage d'images (FADO).
La lutte contre les filieres
Ces filières sont internationales, très bien structurées, très attentives aux tactiques et techniques policières utilisées. Elles sont, en conséquence, très réactives et défient l'organisation structurelle de nos services de police. Elles requièrent donc une réponse et des capacités d'adaptation anticipées de notre part, qu'il nous appartient de rechercher ensemble, à l'occasion de forums de réflexion tels que celui-ci.
Les filières n'ont plus que rarement un aspect "artisanal" ; elles sont désormais, pour la plupart, entre les mains des mafias, qui y trouvent un champ d'action en pleine expansion, d'autant qu'elles n'encourent que des risques faibles sans commune mesure avec les peines applicables à d'autres trafics tels que ceux de stupéfiants, de fausses monnaies, etc
Ces filières enfin disposent d'une importante logistique qui leur permet :
- d'allonger les circuits,
- de multiplier le nombre des pays traversés, afin naturellement de brouiller les pistes,
- de placer "en attente", si l'on peut s'exprimer ainsi, et d'une manière quasi systématique dans des conditions indignes, les clandestins, afin d'améliorer les chances de passage sans risques.
Nous sommes confrontés à ces filières plus ou moins sophistiquées, qui concernent soit des communautés fuyant un pays en crise, comme les Kurdes ou les Kosovars, soit des communautés fuyant la pauvreté et recherchant une vie moins ingrate dans les pays d'Europe (Sri-Lankais, Indo-Pakistanais), quelquefois utilisés comme pays de rebond vers le Canada ou les Etats-Unis (comme les Nord-Africains, les Africains ou les Chinois).
Nous sommes également, depuis quelques mois, confrontés à une augmentation sans précédent de l'immigration chinoise. Les chiffres de chacun des Etats ici représentés sont en constante augmentation, quelle que soit la province d'origine de ces candidats à l'immigration.
l'harmonisation des methodes de travail
Enfin, et dans le même esprit, nous devons contribuer à l'harmonisation des méthodes de travail, en intensifiant, accélérant et facilitant la communication par un meilleur échange des informations, qui devront être à la fois analytiques et opérationnelles.
Il faut à cet égard que les nouvelles technologies ne soient pas l'apanage des réseaux de délinquants.
Parmi les thèmes de réflexion qui vous sont proposés, l'optimisation du réseau des officiers de liaison doit figurer en bonne place. Leur rôle comme relais d'information et comme interface, entre services compétents d'Etats dont les législations et les méthodes diffèrent, en fait des "facilitateurs" privilégiés.
Il nous faut aussi améliorer l'organisation et les structures.
Des projets de coordination de ces actions ou de mise en commun des moyens et ressources ont été envisagés à plusieurs reprises lors de présidences successives récentes de l'Union européenne, et c'est ainsi qu'ont pu être menées:
- la mise en place de bureaux communs de conseillers en matière documentaire, sous l'impulsion de l'Allemagne ;
- des opérations concertées d'envoi en missions de courte durée de conseillers documentaires formateurs, grâce à des financements européens de type ODYSSEUS ;
- une première expérience ODYSSEUS qui a pris place en 1999-2000 conjointement entre l'Allemagne, les Pays-Bas, la France, l'Espagne, le Portugal dans différents Etats de l'Afrique subsaharienne : la Côte-d'Ivoire, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et le Togo.
Les Etats scandinaves ont, quant à eux, amorcé ce qui pourrait être la préfiguration du partage à l'échelle de l'Europe d'un réseau d'officiers par la création entre eux d'un réseau commun d'officiers de liaison généralistes ayant entre autres en charge les questions d'immigration.
La présidence portugaise du Conseil de l'Union a déjà effectué un travail important de recensement du réseau actuel des officiers des Etats membres en poste dans les pays sources ou de transit ; il convient de poursuivre cette réflexion, toujours dans le cadre de CIREFI, en la traduisant en objectifs concrets opérationnels.
Il s'agit aujourd'hui de rechercher de nouvelles synergies de nature à développer plus largement ce réseau et à favoriser la mise en commun progressive des moyens, par exemple en rationalisant l'implantation d'officiers des Etats membres, en évitant les présences redondantes ou les absences pénalisantes.
Tout ce travail en commun suppose l'existence préalable de "dénominateurs convergents" de volonté, de législation, d'organisation mais aussi de méthodes de travail.
Nous savons déjà que la volonté existe. Dans leurs grandes lignes, les méthodes de travail sont globalement partagées et les législations doivent faire l'objet d'un développement et d'un rapprochement ultérieur.
Reste l'organisation, dont nous savons qu'elle ne peut être partout identique, mais qui doit tendre à se rapprocher dans l'esprit et aussi dans les structures. Comment envisager, en effet, une coopération efficace si les services sont structurés de manière très différente et ont des compétences territoriales, un rôle, des missions et des moyens qui divergent ?
Compte tenu de l'extrême mobilité des malfaiteurs, et de la technicité requise pour s'opposer à eux, la France a choisi de créer, en 1996, un organe spécialisé et centralisé, l'OCRIEST, dont j'ai déjà mentionné l'existence.
Ce choix résulte de l'intérêt qu'il y a à pouvoir disposer, d'une manière permanente et au sein d'un service unique à compétence nationale spécialement structuré dans cet objectif, d'une équipe d'experts qualifiés pour lutter contre le crime organisé, quel que soit le domaine où il s'exerce, (grand banditisme, trafic de stupéfiants, trafic d'uvres d'art, grande délinquance financière).
L'OCRIEST a été progressivement renforcé et compte aujourd'hui près de 70 policiers. J'ai décidé de porter ce nombre à 85, tant ce service me paraît être le moyen le plus approprié pour la lutte contre les filières.
Ses résultats en attestent : 65 filières démantelées en 5 ans ainsi qu'une centaine d'ateliers clandestins qui utilisaient, souvent dans des conditions épouvantables, des étrangers sans titre ; près de 2200 personnes interpellées, dont plus de 300 ont été placées sous mandat de dépôt.
Ces succès sont autant de preuves de l'efficacité, dans le système judiciaire et policier français, d'équipes spécialisées.
C'est pourquoi il vous est proposé une réflexion sur l'opportunité de la création de services dédiés à la lutte contre l'immigration clandestine ou, pour le moins, une réflexion sur l'identification d'un service référent dans chaque Etat.
La coopération internationale serait sans aucun doute améliorée par ce réseau d'organes professionnels spécialisés qui devraient constituer des relais efficaces avec l'ensemble des autres services nationaux ou locaux qui pourraient ainsi devenir des interlocuteurs directs privilégiés en matière de recherches, d'enquête et d'intervention opérationnelle.
CONCLUSION
Je souhaite que ce séminaire soit l'occasion d'échanges les plus francs et les plus riches. Je souhaite aussi qu'ayant défini nos points d'accord, nous puissions, ensemble, les explorer et les exploiter à leur maximum.
Dans ce domaine plus que dans tout autre, la coopération internationale est indispensable à une action efficace et pratique.
Organisée sur deux journées, cette rencontre se déroulera sous la forme de séances plénières et d'ateliers.
Les séances plénières seront consacrées à deux thèmes :
- la première, à l'échange des points de vue sur le dispositif d'accueil des étrangers et de l'asile à partir de l'exposé de la délégation canadienne et des commentaires apportés par les délégations, australienne, espagnole, polonaise, américaine et estonienne, suivi d'une intervention de la commission européenne ;
- la seconde, à partir de l'exposé des délégations italienne et du Royaume-Uni sur la réalité des filières de l'immigration aux commentaires des délégations bulgare et hongroise.
Quant aux ateliers, ils seront consacrés à quatre thèmes:
- Les transporteurs et les passeurs
- La réalité des filières
- Les faux documents
- Les aspects opérationnels de la lutte contre les filières
Je forme des vux pour que les constats et les propositions que vous serez amenés à faire nous permettent, ensemble, de lutter contre ce véritable trafic d'êtres humains, et nous confortent dans notre devoir de vigilance, sans toutefois nous faire oublier notre responsabilité politique. Celle-ci consiste à lutter pour un monde plus juste où chaque peuple pourra trouver la voie de son développement, dans le cadre d'Etats de droit offrant à chaque citoyen la sécurité et la liberté auxquels il aspire. Cela prendra du temps : raison de plus pour y contribuer dès maintenant. Et nous pouvons le faire aussi par la coopération internationale avec les pays-sources en matière de police, de justice, et d'administration..
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 juillet 2000)