Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'apport de l'Europe aux biotechnologies, Paris, le 5 juin 2003.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Bio-entrepreneurs et bio-incubateurs en santé humaine", le 5 juin 2003 à Paris, Hôpital Cochin

Texte intégral

Je suis particulièrement heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour ouvrir votre colloque sur un thème essentiel et qui m'est cher, les biotechnologies.
Comme vous le savez, j'avais remis lors de mon entrée en fonction il y a un an à mon collègue Francis Mer, ministre de l'Economie et des Finances, un rapport que je venais d'établir à la demande de son prédécesseur, intitulé "relever le défi des biotechnologies". Il se fondait essentiellement sur les nécessités d'une politique volontariste dans la droite ligne de la loi sur l'innovation.
Aujourd'hui, en tant que ministre déléguée aux Affaires européennes, j'ai la conviction que le défi des biotechnologies ne pourra être remporté que par une action résolue au plan européen. La révolution biotechnologique que nous vivons offre des perspectives considérables dans les domaines les plus divers : santé, alimentation, lutte contre la pollution, énergie Quel peut être l'apport de l'Europe aux biotechnologies ?
Trois idées forces me semblent importantes à rappeler au début de cette journée de réflexion :
- D'une part, il existe une véritable dynamique européenne de la recherche dans le domaine des biotechnologies, et ce dans tous ses aspects, qu'ils soient organisationnels, financiers ou juridiques ;
- D'autre part, ces synergies européennes que nous souhaitons, ne doivent pas nous faire perdre de vue la dimension globale des enjeux des biotechnologies ;
- Enfin, leur développement au plan mondial nous rappelle que les biotechnologies ne sauraient se développer sans valeurs, sans un cadre éthique adéquat.
La dynamique européenne de la recherche en matière de biotechnologies.
Relever le défi des biotechnologies, c'est d'abord valoriser notre potentiel et l'associer au grand dessein de l'Europe des biotechnologies. Ce qui m'amène à ma première idée force, sur les moyens de relever le défi européen des biotechnologies.
L'Europe, comme vous le savez, s'est donné pour objectif de devenir en 2010 l'économie la plus compétitive du monde. Le développement de la recherche et de l'innovation est une des clés, voire la clé, pour atteindre cet objectif ambitieux.
Les sciences de la vie et les biotechnologies constituent, à cet égard, une priorité. Nul en Europe ne peut contester que les biotechnologies ont et auront des conséquences majeures sur de nombreuses activités économiques et sur la vie de chaque individu. Or dans ce domaine, l'Europe accuse du retard par rapport aux Etats-Unis : il y a 61 000 personnes employées en Europe dans ce secteur, contre 162 000 aux Etats-Unis.
Pour réussir à développer un espace commun de recherche et d'innovation, nous devons réunir trois conditions essentielles : l'organisation rationnelle de cet espace européen, des moyens financiers et humains et un cadre juridique approprié.
1. Il faut d'abord organiser de façon rationnelle l'espace européen de la recherche, tout particulièrement dans le domaine des biotechnologies, en créant des pôles d'excellence et en diminuant les doublons. Il faudra mobiliser et conjuguer les talents du public et du privé, mais aussi simplifier et harmoniser les soutiens au niveau européen. La feuille de route est ambitieuse mais les atouts de l'Europe dans ce domaine n'ont pas encore été suffisamment valorisés.
Les idées ne naissent pas dans le désert, elles ont besoin d'un contact étroit entre universités, laboratoires et entreprises, d'une certaine masse critique de moyens et de chercheurs ; elles ont besoin de se développer dans ce qu'on appelle, en anglais, des "clusters".
Lors d'une rencontre récente dans le cadre du "Triangle de Weimar", nous avons décidé, avec mes collègues ministres des affaires européennes allemand et polonais, d'engager une coopération dans le domaine des biotechnologies, notamment sous leurs aspects bioéthiques. Cette dimension nous est apparue essentielle, car si elles laissent entrevoir l'espoir de nouveaux traitements médicaux, elles touchent également au mystère de la vie. En ce sens, le "Triangle de Weimar" contribuera à l'Europe de l'intelligence, en encourageant notamment la constitution de pôles d'excellence européens, dont l'un des intérêts - et non des moindres - sera de retenir en Europe les talents scientifiques que recèlent les futurs Etats membres, et qui cèdent parfois, comme nos chercheurs, aux sirènes d'outre-Atlantique.
Déjà, la France et l'Allemagne ont décidé la constitution d'un Comité de coordination pour les Centres de Ressources biologiques, qui regroupera les collections d'organismes (cellules microbiennes, végétales, animales et humaines) et leurs composants. Ces centres sont cruciaux pour l'avancée maîtrisée des biotechnologies au cours de la prochaine décennie. Je suis convaincue qu'une coopération avec la Pologne revêtirait un intérêt majeur pour développer des positions communes, afin notamment d'assurer le risque biotechnologique lié aux OGM.
Par ailleurs, pour "relever le défi des biotechnologies" dans l'espace commun de recherche, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser le couple public - privé, en contractualisant ce partenariat, en partageant les équipes, les expertises et les savoir-faire transnationaux. L'enjeu est de trouver des formules d'association plus dynamiques entre des laboratoires académiques et des structures privées en Europe.
Chacun comprendra l'importance d'une telle coopération en milieu hospitalier où le brassage des talents scientifiques, médicaux ou autres, facilitera les migrations entre les carrières et permettra la diffusion des compétences. Au plan européen, il faudra soutenir et reconnaître, comme un véritable avantage concurrentiel, les associations de laboratoires qui valorisent leurs découvertes au-delà de la proximité géographique et les entreprises qui, adoptant un statut de droit européen, parient sur l'avenir.
Pour cela, il est urgent de simplifier les modes de financement de la recherche en rapprochant les principaux acteurs publics et les fondations - dont le statut doit évidemment prendre en compte la dimension européenne - dès lors que de grandes causes sont en jeu. Ce dispositif doit aussi être à même de reconnaître et de faciliter l'émergence de nos meilleures équipes de recherches académiques et industrielles. Pour cela, il faut renforcer et harmoniser les politiques de valorisation des organismes de recherche en France et en Europe.
La mise en uvre du nouveau Programme-cadre de Recherche et de Développement de l'Union européenne, le PCRD sera l'occasion de procéder à cette organisation de l'espace européen de la recherche et de soutenir le développement de ces "pôles d'excellence". Ceci m'amène naturellement à évoquer la question cruciale des besoins de financement de la recherche.
2. Car, pour réussir, il faut des moyens. Le 6ème Programme-cadre mobilisera 2,2 milliards d'euros pour les biotechnologies, sur une enveloppe totale 17,5 Mds d'euros, pour la période 2003-2006.
Mais il faut aller au-delà, et mobiliser les financements privés, si nous souhaitons atteindre l'objectif de 3% du PIB consacré à la R D en 2010, contre 2,2 % actuellement. L'écart de financement de la recherche entre l'Union européenne et les Etats-Unis dépasse 120 milliards d'euros en 2000.
Or, il faut savoir que 80% de cet écart est imputable aux entreprises. Dans cette optique, toutes les pistes doivent être examinées, telles les mesures fiscales coordonnées pour les jeunes entreprises innovantes, concept consacré par le Plan innovation dont parlera Claudie Haigneré, les fonds d'amorçage européens ou encore un accès facilité des PME innovantes aux marchés publics dans les secteurs liés aux nouvelles technologies A cet égard, notre pays est favorable au benchmarking des initiatives nationales (mesures de soutien direct, incitations fiscales, mécanismes de garantie, soutien public au capital-investissement) et à l'instauration de la méthode ouverte de coordination entre les Etats membres pour atteindre le seuil des 3 %.
3. Enfin, il faut un cadre juridique approprié pour la recherche en biotechnologie et la propriété intellectuelle.
Dans le Traité tout d'abord.
Le projet de future constitution européenne place, avec le soutien du commissaire Busquin et de la France, la recherche et le développement technologique parmi les compétences partagées de l'Union. L'Europe sera ainsi en mesure de mieux coordonner les efforts de recherche entrepris par les Etats membres.
En matière de propriété intellectuelle ensuite.
Un cadre réglementaire favorable à la protection et à la valorisation de l'innovation dans le domaine des biotechnologies doit être clairement affirmé. Vous n'ignorez pas que la directive européenne de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques est effective dans notre pays. Il est vrai que des questions demeurent imparfaitement résolues mais, en tant que ministre des Affaires européennes, je mettrai en uvre tous les moyens à ma disposition afin de favoriser une transposition adéquate de ce texte européen. Je suis en effet convaincue qu'une conciliation est possible entre cette brevetabilité sans laquelle les financements nécessaires à la recherche ne seraient pas assurés, et les principes éthiques du respect de la dignité humaine.
Je me félicite que récemment, les pays européens se soient enfin mis d'accord sur le futur règlement sur le brevet communautaire. Cet accord rend crédible la "Stratégie de Lisbonne" pour une plus grande compétitivité de l'Union. Ce compromis permettra en effet une unification du contentieux des brevets à l'horizon 2010. Ce brevet communautaire, délivré par l'Office européen des brevets, sera moins coûteux pour les entreprises innovantes que l'actuel brevet européen, et aura une portée juridique supérieure, puisqu'il sera automatiquement valable dans l'ensemble des pays de l'Union. Il favorisera, n'en doutons pas, l'innovation des entreprises européennes de biotechnologies.
Les pays de l'Europe de 2004 doivent donc s'organiser et travailler ensemble au plus vite. Je préconise au plan européen de mieux identifier les chantiers fédérateurs en matière de biotechnologies, de faciliter la diffusion des politiques nationales d'incitation, d'accompagner et d'animer les politiques d'investissement et enfin de faire connaître les expériences réussies. Nous devons être capables d'initier des programmes et des actions d'envergure sur les biotechnologies et construire de nouvelles synergies dans une Europe qui s'élargit.
Ceci, sans toutefois occulter que les biotechnologies seront au cur du rééquilibrage des rapports entre le Nord et le Sud dans les domaines de la santé et de la lutte contre la faim.
Ce qui m'amène à ma deuxième idée force, l'intégration des enjeux des biotechnologies dans une dimension globale.
Ces dernières années ont été celles de la reconnaissance des biotechnologies en tant que domaine économique et industriel à part entière, lié aux nouvelles possibilités offertes par le traitement massif des données du vivant.
Les pays industrialisés ont pris la mesure de l'impact espéré des biotechnologies sur la vie de l'homme, la santé, la nutrition et la protection de l'environnement. La croissance des pays développés ne peut perdurer que si elle se montre capable d'intégrer dans son équation les paramètres de cette globalisation de l'économie, du développement durable et la biodiversité. Plusieurs pays du Sud comme l'Inde ou la Chine se sont investis dans ces domaines, mais cela ne saurait occulter l'écart grandissant entre le Nord et le Sud en matière de santé humaine et d'alimentation.
La France occupe une position particulière : elle a conservé un réseau mondial de laboratoire de recherche, fondé sur les biotechnologies (l'Institut Pasteur, le Cirad, l'IRD, l'Ifremer..), mais également sur des centres cliniques de veille sanitaire, d'expertise agroalimentaire, de biodiversité ou de ressources biologiques.
Il nous faut construire une politique équitable de brevet, de licence et de marque dans les sciences de la vie, pour ouvrir de nouveaux accès, par les pays du Sud, aux technologies avancées. Nous devrons soutenir à l'avenir des initiatives comparables à celle prise par l'Union européenne en matière de licences obligatoires dans les négociations à l'OMC. Au premier rang de ses préoccupations figurent notamment, la brevetabilité du vivant, les négociations sur le protocole de Carthagène, les OGM et les principes de précaution, la mise en place des cohortes et collections d'échantillons biologiques, leur condition d'accès, de traçabilité et de sécurité ; ceci sans oublier les règles d'éthique qui engagent les scientifiques pour leur valorisation... Cette question me conduit naturellement à ma troisième idée force sur la nécessité pour les biotechnologies de se doter d'un cadre éthique équilibré.
La question de l'éthique et les biotechnologies.
Vous seriez en effet surpris si, compte tenu de mes sujets de prédilection, je n'achève pas mon propos en vous faisant part de ma conviction profonde sur la question de l'éthique et les biotechnologies. J'ai dit tout à l'heure que pour réussir cet espace européen de la recherche, il fallait rassembler des énergies et des moyens financiers ou juridiques, mais je n'oublie pas qu'il faut aussi une démarche éthique. Il n'y a en effet pas de recherche durable sans le consentement de la société sur ces implications éthiques.
La volonté affichée et médiatisée de médecins ou d'autres scientifiques de peupler le monde de clones humains, doit nous conduire à nous opposer fermement à toute utilisation qui pourrait être faite demain des prédispositions génétiques des individus. Comme l'a rappelé le président de la République, la France considère qu'il est temps de bannir au niveau international le clonage reproductif, en adoptant à cet effet une Convention des Nations unies. Les négociations sur ce projet de Convention, qui résulte d'une initiative franco-allemande, semblent marquer actuellement le pas. Mais je suis déterminée avec mon homologue, la ministre allemande chargée de ce dossier, à avancer. Tout espoir n'est pas perdu, mais nous avons besoin de l'appui de la communauté scientifique à laquelle je m'adresse par votre intermédiaire.
La recherche sur l'embryon, notamment celle dont l'intérêt vient d'être mis en lumière à propos des récentes découvertes sur les cellules souches, constitue un autre sujet majeur de réflexion.
La démarche éthique suppose enfin, d'expliquer au citoyen l'enjeu des biotechnologies. En effet, un engagement fort de l'Etat et des collectivités locales en faveur des biotechnologies n'a un sens que s'il est expliqué au citoyen. Cet effort de pédagogie est nécessaire pour que les biotechnologies ne soient pas uniquement synonymes d'OGM ou de clonage mais également synonymes de méthode de diagnostic et de dépistage dans la lutte pour les maladies. Dans un souci de vérité, il ne faut pas cacher que les promesses de la science sont ambitieuses, mais qu'en matière la recherche, les coûts peuvent être élevés pour des résultats parfois aléatoires.
C'est pourquoi l'optimisation des résultats de la recherche passe nécessairement par une évaluation rigoureuse et par la qualité des choix des projets et des hommes. Cette évaluation conditionne la crédibilité des équipes ainsi que l'action de l'Etat et des collectivités. Dans ce cadre, chacun comprendra qu'il ne serait pas sain de se limiter à une évaluation franco-française. L'espace européen de la recherche se construit pas à pas en rendant fonctionnels et accessibles les talents de chacun dans tous les champs disciplinaires. Ici également, organiser une évaluation européenne des projets et des acteurs de la biotechnologie, créateurs d'idée et de richesse pour l'espace européen, représente un impératif nécessaire. Cela passe notamment par la mise en place de banques de données communes, largement ouvertes, accessibles et renouvelées.
Le travail de cette journée sera riche comme j'ai déjà pu le constater l'an dernier. Cela témoigne du rôle clé du bio-incubateur dans la valorisation de la recherche à l'hôpital et, Paris Biotech est un modèle du genre grâce aux hommes et aux femmes qui l'animent et accomplissent pour l'Europe un travail de pionnier. Je les en remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2003)