Déclarations de Mme Arlette Laguiller, porte parole de LO, sur le plan gouvernemental de réforme des retraites et les réactions des travailleurs (manifestations et grèves), sur la situation internationale notamment la guerre en Irak et la crise au Moyen Orient et sur les conflits armés en Afrique, Presles les 7 et 9 juin 2003.

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Circonstance : Fête de Lutte Ouvrière à Presles du 7 au 9 juin 2003

Texte intégral

Dimanche 7 juin
Travailleuses, travailleurs, amis et camarades,
Je vous souhaite à toutes et à tous bienvenue à notre fête.
Mais je suis particulièrement heureuse de vous accueillir dans cette période où l'importance et la diversité des mouvements sociaux sont déjà une réponse majeure au gouvernement.
Comme toutes les fois où le patronat et ses larbins politiques sont confrontés à des réactions populaires qu'ils n'avaient pas imaginées dans leurs cerveaux bornés, ils y voient l'intervention d'agitateurs manipulant les masses populaires qui, par nature, seraient sans cela, selon eux, soumises, obéissantes et prêtes à tout accepter.
Eh bien non ! Les masses populaires ne sont pas si bêtes, et en tout cas, le sont moins que les hommes politiques. Pas besoin d'agitateurs, leurs propres sentiments leur suffisent.
Et alors, que ce soit sur la décentralisation ou sur les retraites, des centaines de milliers de travailleurs ont réagi.
Et, depuis des dizaines de milliers d'autres vont peut-être réagir sur la privatisation de la Sécurité sociale, d'EDG-GDF et d'Air France. Et même si le gouvernement, aidé par certains médias complaisants, cherche systématiquement à minimiser la mobilisation, les grèves et les manifestations continuent. Elles continuent parmi le personnel de l'Education nationale, en lutte depuis bientôt deux mois. Et, après la journée de manifestations du 3 juin, massivement suivie, les grèves continuent à la SNCF, sur différentes lignes de la RATP, dans les transports publics d'un certain nombre de grandes villes, parmi les postiers, les travailleurs de France Télécom, d'EDF-GDF et de l'Equipement ou les chauffeurs-routiers salariés, parmi les éboueurs, et j'en oublie forcément, tellement il y a de réactions de mécontentement aussi bien dans le privé que dans le public. Le mouvement suit son cours, à des rythmes différents suivant les villes et les régions, mais on peut dire que tout le pays est touché. Le Premier ministre ne peut pas se rendre en Normandie, dans un cimetière canadien de la Première Guerre mondiale sans trouver des manifestants sur son chemin.
Le mouvement ne s'est pas, ou pas encore, étendu à toutes les entreprises privées, mais la participation des travailleurs d'entreprises privées aux manifestations du 3 juin témoigne du soutien de ceux du secteur privé à l'égard du mouvement. Et de multiples réactions, à petite échelle encore, indiquent cependant que le climat de mécontentement persiste, et les réactions aussi.
En effet, ceux qui sont en lutte expriment les inquiétudes, le mécontentement et les exigences de l'écrasante majorité des salariés. Et ceux qui sont en lutte pour empêcher le gouvernement de reculer l'âge de la retraite et de diminuer les pensions représentent bien plus les millions de travailleurs de ce pays que la coterie politique au service des privilégiés qui soutiennent le projet gouvernemental.
Ceux qui nous gouvernent peuvent se méfier parce que leurs attaques contre les grévistes traités de minorité finiront par convaincre un nombre croissant de travailleurs qu'il faut rejoindre ceux qui font grève ou qui manifestent.
Voilà ce qui inquiète le gouvernement, même si les ministres jouent les matamores. Voilà pourquoi il a commencé par reporter le projet de loi sur l'autonomie des universités. Voilà pourquoi il fait mine de reculer sur la décentralisation pour certaines catégories de personnel de l'Education nationale, en promettant des négociations aux syndicats dans l'espoir de provoquer la division.
Il sait par expérience, ne serait-ce que celle du gouvernement Juppé, que si le mouvement de protestation dure, il peut l'obliger à annuler complètement ses projets.
Nous n'appelons pas à la grève générale car, avec nos seules forces, ce serait illusoire. Mais nous militons, à la base, pour la généralisation du mouvement qui est la seule voie pour gagner. Et cette voie est ouverte car, contrairement à la propagande gouvernementale, il ne s'agit pas de réactions corporatistes. Il s'agit d'un combat vital pour l'ensemble du monde du travail.
Beaucoup de ceux qui sont ici, à cette fête, ont participé aux manifestations successives qui ont jalonné la mobilisation... Et nombreux sont aujourd'hui, sur cette pelouse, les enseignants, les postiers, les cheminots, les travailleurs de la RATP qui sont en grève, et je les salue particulièrement.
Ils savent tous que la réforme Raffarin-Fillon est une infamie. Ceux qui nous gouvernent osent nous dire que les réformes sont indispensables. Mais, quand ils prononcent le mot "réforme", il s'agit toujours de sacrifices supplémentaires pour les travailleurs, et pour eux seulement.
Le gouvernement prétend que son projet est inévitable pour combler le déficit des caisses de retraite. Mais c'est un mensonge grossier. Les caisses de retraite ne sont pas en déficit. Même d'après les prévisions gouvernementales, qui valent ce que valent celles des cartomanciennes, il n'y aura de déficit que dans dix, voire vingt ans.
Mais quand bien même cela arriverait, si cela arrive, il n'y aurait aucune raison que, pour épargner les revenus du capital, on impose aux salariés de cotiser plus longtemps, et cela pour toucher dans tous les cas une pension plus faible. Si les cotisations des salariés en activité ne suffisent plus pour payer la retraite des anciens, c'est à cause du chômage, des licenciements collectifs dont les seuls responsables sont les patrons ! C'est à cause des salaires insuffisants, à cause de la précarité, dont les travailleurs sont les victimes, et pas les responsables !
Alors, c'est aux patrons de payer ! A commencer par une augmentation des cotisations patronales ! Et qu'on ne nous dise pas qu'il ne faut pas charger les entreprises pour ne pas aggraver la situation de l'emploi ! Ce ne sont pas les charges sociales, c'est-à-dire du salaire différé, qui sont la cause des difficultés, réelles ou inventées, des entreprises, mais la concurrence, la spéculation, la stupidité de l'économie de marché !
Et puis, les entreprises, c'est une chose, leurs actionnaires, cela en est une autre. Les revenus privés tirés de l'exploitation, les dividendes, les revenus financiers ne servent en rien les entreprises. Il serait infiniment plus juste sur le plan humain et infiniment plus judicieux même sur le plan économique qu'une partie de cet argent serve à financer les retraites plutôt que d'être gaspillés en produits de luxe ou encore de servir à la spéculation.
Aujourd'hui, les marchés boursiers sont tels que, si une entreprise fait moins de 20 % de profit, elle risque de disparaître.
Alors, ceux qui nous gouvernent préfèrent qu'une partie des travailleurs âgés crèvent au travail et qu'une autre partie, ceux qui sont trop usés pour que leurs patrons les gardent jusqu'à 65 ans, terminent leur vie active comme chômeurs et soient réduits à toucher une retraite de misère.
L'écrasante majorité des travailleurs, même ceux qui ne sont pas ou pas encore en lutte ressentent le projet Raffarin-Fillon comme une agression. Malgré sa bêtise, le gouvernement est en train de s'en rendre compte.
Evoquer seulement l'évolution démographique en invoquant le nombre croissant de gens âgés par rapport au nombre d'actifs est une manipulation statistique grossière et réactionnaire car elle ne tient aucunement compte de l'évolution de la productivité et de l'accès aux résultats de cette augmentation.
Un nombre plus limité d'actifs devrait assurer le financement d'un nombre plus élevé de retraités ? Et alors ?
Pendant le demi-siècle passé, le nombre de paysans a été divisé par six. C'est-à-dire que, sur cent paysans en 1950, il en reste 16 ou 17 aujourd'hui ! Mais, non seulement ceux qui restent nourrissent aujourd'hui toute la population qui, pourtant, s'est considérablement accrue, mais il y a même une surproduction agricole.
Et il en va ainsi, et plus encore, dans la production industrielle où le même nombre d'ouvriers fabriquent cinq fois, dix fois plus d'automobiles, de réfrigérateurs, d'articles ménagers, d'objets de toutes sortes, qu'il y a un demi-siècle.
Alors, comment oser prétendre qu'un nombre plus faible d'actifs ne pourraient pas assurer une retraite convenable à un nombre plus grand de retraités ?
Les progrès de la productivité devraient améliorer la vie de tous, ceux qui travaillent comme ceux qui doivent profiter d'un repos mérité. Ils devraient se traduire par l'augmentation des salaires et pensions ! Mais, dans cette organisation sociale, ils aboutissent seulement à enrichir toujours plus une minorité déjà richissime. Pourquoi l'augmentation de la productivité ne servirait-elle pas à augmenter le niveau et les conditions de vie de tous ?
Qu'est-ce que ces ministres, ces vulgaires laquais du grand patronat, qui, du haut de leurs postes, décrètent qu'un ouvrier sur chaîne, une caissière, un enseignant se consacrant à ses élèves, peuvent et doivent travailler pendant 40 ans, 42 ans de leur vie, jusqu'à 65 ans, et au-delà ?
Et puis ils nous offrent des moyennes d'espérance de vie. Mais, est-ce que l'espérance de vie est la même pour un ouvrier du bâtiment ou de Citroën que celle des collègues du baron Seillière ? Ces derniers peuvent parfois se crasher dans un avion privé, mais le risque en est plus faible que pour les travailleurs des industries classées Seveso de mourir dans une explosion.
Le gouvernement de droite, qui dirige ce pays depuis un an a reçu le soutien d'un certain nombre de dignitaires du Parti socialiste, de Rocard à Charasse, en passant par Delors. Ils affirment qu'ils voteraient sans hésitation le projet Raffarin-Fillon. Mais ils ne font que dire tout haut ce que la direction du Parti socialiste pense tout bas. Cette dernière ne fait mine de s'opposer au projet que pour redorer un peu le blason de son parti qui, pendant les cinq ans qu'il a été au gouvernement, a servi obséquieusement les intérêts du grand patronat. D'ailleurs, pendant les cinq ans que le Parti socialiste a dirigé le gouvernement, il n'est pas revenu sur les lois Balladur qui avaient imposé les 40 ans de cotisation aux travailleurs du privé, au lieu des 37 ans et demi qui étaient en vigueur. Et rappelons aussi que le projet sur les retraites que Raffarin et Fillon sont en train d'appliquer a été préparé par les ministères de Jospin et sous sa responsabilité.
Qu'il soit de gauche ou de droite, le monde de ces gens-là, c'est le monde du patronat, le monde des riches, le monde des privilégiés. Ils sont à mille lieues de ce que ressent, de ce que souhaite la majorité laborieuse de la population.
Tous ces gens-là ne sont sensibles aux besoins du monde du travail que lorsque le mécontentement parmi les travailleurs s'exprime à travers les grèves et les manifestations.
Alors, ce qui inquiète le plus le gouvernement, c'est que le mouvement a tendance à se généraliser et surtout qu'il a tendance à réunir les travailleurs de différentes catégories et de différents statuts, ceux du public et ceux du privé, dans un seul mouvement de protestation.
Un des aspects les plus prometteurs du mouvement, pour les luttes en cours comme pour les luttes futures, est que les postiers, les cheminots, les enseignants essaient de convaincre non seulement les travailleurs de leurs propres catégories mais aussi ceux des autres, de se joindre au mouvement.
Oui, c'est une bonne chose que des postiers en grève aillent vers les travailleurs d'une entreprise privée ou que des enseignants aillent vers les cheminots ou vers les agents de la RATP. Oui, c'est une bonne chose que se tissent ainsi des liens entre les uns et les autres et que, progressivement, se forge la conscience commune que les travailleurs ont tous les mêmes intérêts.
Pour empêcher cette conscience commune de prendre corps, le gouvernement utilise tous les stratagèmes visant à dresser les travailleurs les uns contre les autres. Il essaie de présenter les travailleurs du secteur public comme des privilégiés simplement parce qu'ils bénéficient de la retraite après 37 ans et demi de cotisation. Mais ils oublient de rappeler que c'est Balladur qui a introduit cette inégalité. Il suffit d'annuler les mesures Balladur pour qu'il n'y ait plus de privilèges, chaque travailleur ayant le droit de partir à la retraite après 37 ans et demi de cotisation.
Les ministres font mine de s'étonner que les travailleurs de la SNCF ou de la RATP, qui ne sont pas concernés aujourd'hui par le plan Raffarin-Fillon, réagissent quand même. Comme s'il n'était pas évident que, si le gouvernement parvient à imposer de force son plan, tout le monde sera victime, tôt ou tard ! Et, de plus, n'en déplaise à tous ces ministres qui prennent les travailleurs pour des imbéciles, un cheminot ou un travailleur de la RATP a un conjoint ou des enfants qui travaillent dans d'autres secteurs, et les coups que ceux-ci reçoivent, frappent toute la famille !
Eh bien, c'est précisément ce qui inquiète le gouvernement qui doit nous encourager à continuer et à renforcer le mouvement. La tentative de nous diviser entre travailleurs du public et travailleurs du privé doit nous conforter dans la conviction que c'est en réagissant en tant que travailleurs, tous ensemble, que nous avons une chance réelle de le faire reculer.
Et le faire reculer, ce n'est pas seulement, comme le proposent les directions syndicales, d'obtenir des négociations ou une moins mauvaise réforme. On a vu, avec l'exemple des dirigeants de la CFDT, ce que donnent les négociations entre le gouvernement et des chefs syndicalistes tout prêts à s'aplatir.
Faire reculer le gouvernement, c'est imposer qu'il retire purement et simplement son projet. Les cheminots en grève l'avaient imposé à Juppé en 1995. Il faut qu'on l'impose aujourd'hui à Chirac et à Raffarin !
Et c'est d'autant plus nécessaire que, derrière cette attaque grave contre les retraites, se profilent d'autres attaques, contre la Sécurité sociale notamment. On entend déjà les trusts de l'assurance anticiper sur les attaques gouvernementales pour proposer de prendre en charge tout ou partie des activités de la Sécurité sociale !
Le gouvernement prétend qu'il appartient maintenant à l'Assemblée nationale de décider et que c'est l'Assemblée qui représente la volonté légitime du pays. Oh oui, à la Chambre, le gouvernement dispose d'une majorité écrasante. D'autant plus écrasante qu'elle a été élue dans la foulée de l'élection de Chirac qui a été plébiscité non seulement avec les votes de la droite mais aussi avec ceux du Parti socialiste et du Parti communiste. Mais ce n'est certainement pas parce que les dirigeants des grands partis de la gauche se sont couchés que cela donne à Chirac et à Raffarin le droit de décider de mesures qui vont à l'encontre de l'écrasante majorité de ceux qui sont concernés, c'est-à-dire des salariés de ce pays.
D'abord, dès mardi, il faut être nombreux à la manifestation, appelée par un certain nombre de syndicats et dont la destination est précisément l'Assemblée nationale. Mais il faut, au-delà de cette date, continuer à oeuvrer pour l'extension du mouvement et de la grève jusqu'à ce que le gouvernement recule.
Ces gens-là osent traiter d'égoïstes ceux qui refusent les projets anti-ouvriers du gouvernement.
Vous ne les entendez jamais traiter d'égoïstes ces patrons qui décident, dans le secret de conseils d'administrations composés de quelques individus, de fermer une entreprise ou de la délocaliser simplement parce que cela leur rapporter un peu plus, même lorsque cela se traduit par des drames pour des centaines d'ouvriers et par une catastrophe pour toute une région.
Jamais vous ne les entendez traiter d'égoïstes ces gros actionnaires, ces grands bourgeois qui gagnent en une heure le salaire mensuel d'un smicard, sans rien faire de leurs dix doigts.
Vous ne les avez pas entendus traiter d'égoïste Seillière lorsqu'il a retiré ses capitaux d'Air Liberté provoquant ainsi la faillite de cette compagnie !
Non, pour ces gens-là, les égoïstes, ce sont toujours les ouvriers exploités, opprimés, les salariés mal payés, lorsqu'ils osent se défendre !
Eh bien, même s'ils déversent à la télévision et à la radio des tombereaux d'injures sur les grévistes, ce sont ceux qui luttent qui représentent la légitimité. La légitimité de ceux qui travaillent, de ceux qui créent les richesses, de ceux qui font vivre ce pays !
Et leur combat, notre combat, est légitime parce qu'il va dans le sens des intérêts des millions de travailleurs de ce pays.
Alors, travailleuses, travailleurs, camarades,
Bonne fête pendant tout ce week-end ! Et, mardi, nous retrouverons nos camarades de travail et nous ferons en sorte qu'ils deviennent tous des camarades de lutte. Ensemble, les travailleurs ont la force de faire reculer Raffarin, comme ils ont fait reculer Juppé. Eh bien, faisons en sorte que la grève continue et s'étende largement ! Et vive la grève !
Dimanche 8 juin 2003
Travailleuses, travailleurs, amis et camarades,
Eh bien oui, quoi qu'en dise la propagande gouvernementale, les grèves continuent !
Ce n'est pas une grève générale, une réaction collective de l'ensemble du monde du travail. Mais une multitude de catégories se mobilisent au travers de multiples mouvements, chacun limité mais dont l'ensemble atteint tout le pays.
De toute évidence, le gouvernement ne s'attendait pas à la réaction que ses mesures ont provoquée. Il ne s'attendait pas à la ténacité du personnel de l'Education nationale. Il ne s'attendait pas à ce que les journées nationales successives, appelées par les syndicats soient massivement suivies.
Il ne s'attendait pas à ce que, entre deux journées nationales de grèves et de manifestations, continuent à l'Education nationale mais aussi parmi nombre croissant de travailleurs d'autres services publics.
Malgré les annonces répétées des directions de la SNCF, de la RATP et du ministre des transports sur le rétablissement complet du service, à Paris, sur plusieurs lignes il n'y a pas ou il y a peu de métros, dans le pays bien des trains ne circulent pas. Et, dans beaucoup de villes, les transports urbains sont complètement paralysés. Et la mobilisation touche des catégories variées de travailleurs, du personnel hospitalier aux postiers, des travailleurs d'EDF-GDF à ceux des collectivités territoriales, des agents des Impôts et de l'Equipement aux intermittents du spectacle. Et, même en ce week-end, le mouvement touche les régions, chacune à son rythme.
Le gouvernement se faisait sans doute une raison par avance d'une ou deux journées nationales comme baroud d'honneur. Il ne s'attendait pas à de telles grèves. Il s'y est brûlé les doigts, et c'est déjà un succès du mouvement.
Eh bien oui, par l'intermédiaire de ceux qui se sont mis en mouvement, le monde du travail envoie un cinglant désaveu au gouvernement qui ose prétendre vouloir sauver les retraites alors qu'il fait le contraire. Et je dis bien, le monde du travail dans son ensemble parce que, si la grève ne touche pas, ou pas encore, l'ensemble du secteur public et si les travailleurs des entreprises privées hésitent encore à se lancer dans le mouvement, les grévistes bénéficient de la sympathie de tous les salariés.
Mais comment cela pourrait-il en être autrement, tant l'attitude du gouvernement est provocante ? Et tant il apparaît scandaleusement injuste que plus la productivité augmente, moins ceux qui en sont les artisans en bénéficient. C'est tout de même scandaleux qu'en 2003, ce qui était possible il y a vingt ans ne le soit plus aujourd'hui. C'est tout de même scandaleux qu'on veuille obliger les travailleurs à rester en activité plus de 40 ans, et même 42 ans et que, lorsque usés par le travail, ils aspirent à une retraite méritée, on leur offre l'avenir d'une pension en diminution !
Et comment croire les arguments des ministres lorsqu'ils disent que, dans quelques années, il n'y aura plus d'argent pour les retraites alors qu'on voit valser des milliards et qu'un des procureurs du procès Elf déclare qu'il a été effaré par "les sommes démesurées" qui valsaient entre les mains les dirigeants de la société pour finir par être détournée. Pourtant, il s'agissait tellement de miettes par rapport aux profits de ce trust, par rapport à ces profits que les actionnaires empochent discrètement et tout à fait légalement qu'ils ne s'en apercevraient même pas.
Alors, bien sûr, de l'argent, il y en a. Ce qui est en cause, c'est l'usage qu'on en fait. Car le prétendu problème des retraites, comme celui du prétendu déficit de la Sécurité sociale, exprime seulement le fait que, par toutes sortes de mécanismes, on prélève sur les salariés des parts de la richesse sociale pour les détourner vers la classe capitaliste.
C'est pour les mêmes raisons fondamentales que les gouvernements qui se succèdent diminuent parfois relativement, et souvent dans l'absolu, les crédits accordés aux services publics.
Les hôpitaux manquent scandaleusement d'effectifs et de moyens. Dans l'Education nationale, on se débarrasse du personnel non enseignant, comme les surveillants, les médecins scolaires ou les assistantes sociales, dont la présence est pourtant indispensable au bon fonctionnement de l'enseignement. La Poste supprime des bureaux dans un nombre croissant de petites villes et de villages, et à Paris, on diminue la distribution quotidienne au strict minimum, et il faut des attentes interminables pour envoyer un mandat ou retirer une lettre recommandée. Quand on ne ferme pas des maternités et des hôpitaux de proximité, on ferme des services indispensables définitivement ou par rotation. Tout cette régression sociale pour ne pas perdre une miette des profits des puissances financières.
Là encore, bien que la richesse nationale soit en croissance, les services publics, c'est-à-dire les services qui sont utiles à toute la population, sont en recul. Cela n'affecte que peu les riches qui peuvent se faire soigner dans des cliniques privées, envoyer leurs enfants dans des écoles privées coûteuses, faire appel à des services postaux privés. Mais cela affecte les conditions d'existence des classes populaires.
Et, pendant qu'on fait des économies sur les services publics, les sommes représentées dans le budget national par les dégrèvements d'impôts, les diminutions de charges patronales, les subventions directes ou indirectes au grand patronat sont en augmentation.
Au bout du compte, les mesures prises par les gouvernements successifs, au-delà de leur contenu politique, ont une chose en commun : elles visent toutes à augmenter la part du patronat et de la bourgeoisie dans le revenu national, au détriment des salariés.
Voilà pourquoi, si l'objectif des luttes actuelles doit être d'obliger le gouvernement à retirer le projet Raffarin-Fillon sur la retraite et le projet Ferry sur l'Education nationale, leur signification va bien au-delà. Le monde du travail a montré déjà qu'il n'accepte pas et peut-être n'acceptera plus les attaques contre ses conditions d'existence.
Les ministres qui se relaient sur les antennes accusent les grévistes de paralyser le pays. Eh oui, ceux qui peuvent paralyser le pays, ce sont précisément ceux qui le font marcher ! Et ces messieurs les ministres, comme les patrons, ne s'aperçoivent que, lorsque les travailleurs décident de s'arrêter, que les métros et les trains ne roulent pas tout seuls, que les usines ne tournent pas sans ouvriers, que l'enseignement ne se fait pas sans le personnel de l'Education nationale, que le courrier n'est pas distribué sans postiers !
Et l'on entend les ministres répéter que les grévistes prennent les usagers en otages. Mais, si attendre longtemps un train ou ne pas avoir de métro est sûrement désagréable, travailler deux ans, cinq ans de plus, est certainement infiniment plus dur. C'est le gouvernement qui, pour plaire aux milieux financiers, prend toute la population laborieuse en otage, pas les travailleurs qui se défendent !
La grève est encore loin d'avoir touché les gros bataillons du monde du travail. Mais cela montre seulement qu'elle a d'immenses champs pour se développer. Et rien que le fait que le mouvement dure depuis plusieurs semaines montre que les arguments du gouvernement et de ses serviteurs ne prennent pas.
La propagande gouvernementale veut voir aussi derrière le mouvement des chefs d'orchestre ou des agitateurs clandestins. C'est un argument bien utilisé depuis des décennies, mais bien usé aussi. Mais si le mouvement se développe, si des centaines de milliers de travailleurs répondent aux appels à manifester, si, entre deux journées de manifestation, les arrêts de travail continuent et des secteurs nouveaux basculent dans la grève, c'est parce que c'est l'écrasante majorité des salariés qui refuse le projet gouvernemental.
Et, en réalité, ce qui inquiète le gouvernement, c'est justement qu'il sait qu'il n'y a pas de chefs d'orchestre, ni clandestins ni ouverts. Si le mouvement répondait seulement au choix de certaines confédérations syndicales, le gouvernement pourrait espérer pouvoir satisfaire leurs directions syndicales par des promesses de négociations assorties de quelques concessions secondaires. On a vu avec quelle facilité la direction de la CFDT, qui avait appelé à manifester le 13 mai, s'est, en quelques heures, couchée devant le gouvernement et comment Chérèque est devenu le porte-parole attitré de Raffarin parmi les salariés. Et le fait que les autres directions syndicales, tout en ayant une attitude et un langage plus radicaux, ne revendiquent pas le retrait pur et simple du projet Raffarin-Fillon, mais seulement d'autres négociations, est sûrement le dernier espoir du gouvernement.
Mais la grève a bien d'autres voies devant elle pour se développer et pour se généraliser. Et ces moyens, ce sont les grévistes eux-mêmes, ces dizaines de milliers de grévistes de l'Enseignement, de La Poste, d'EDF-GDF, de la SNCF, qui représentent une force considérable, insuffisante encore pour gagner contre le gouvernement mais assez puissante pour propager la grève d'une entreprise à une autre, d'une catégorie de travailleurs à une autre.
Sans doute, ces groupes d'enseignants qui rendent visite aux dépôts RATP pour entraîner des chauffeurs de bus dans la grève, ces postiers qui vont vers une entreprise privée pour expliquer en quoi le mouvement concerne tous les travailleurs, ne représentent pour le moment qu'une forme embryonnaire dans le mouvement. Mais cela montre la voie à suivre.
Parce que le mouvement en cours n'est pas le mouvement des seuls enseignants ou d'un seul secteur public. Par ses objectifs, c'est-à-dire l'annulation des projets gouvernementaux, le mouvement concerne absolument tous les travailleurs. C'est le gouvernement lui-même qui a eu l'outrecuidance de dire clairement que son intention n'est pas seulement d'obliger les travailleurs du service public à cotiser 40 ans au lieu de 37 ans et demi, mais qu'ensuite, il veut faire cotiser tout le monde 41, puis 42 ans et peut-être plus dans l'avenir.
Eh bien, rejeter ce plan est l'intérêt évident de tous les travailleurs, qu'ils soient du secteur public ou des entreprises privées. Contrairement à la propagande gouvernementale, ce n'est pas une catégorie qui veut défendre ses privilèges, ce sont des grévistes qui sont en première ligne pour un combat qui concerne l'ensemble du monde du travail. Voilà pourquoi il est facile pour les travailleurs grévistes d'une catégorie de se faire entendre des travailleurs d'une autre catégorie. Encore faut-il en avoir le désir et la volonté ! Mais, justement, c'est une des richesses du mouvement qu'un nombre encore faible mais croissant de travailleurs aient cette volonté.
Et c'est une richesse formidable. On peut en juger même simplement dans les manifestations où les cortèges du personnel de l'Education nationale et, plus généralement, de secteurs déjà en grève, sont non seulement plus dynamiques mais témoignent d'une infinité d'initiatives dans leurs mots d'ordre, leurs banderoles, leurs slogans.
C'est qu'un mouvement social qui mobilise réellement des dizaines ou des centaines de milliers de travailleurs a un dynamisme, une créativité et une imagination qu'aucun chef d'orchestre, clandestin ou pas, ne peut artificiellement susciter.
Et, en réalité, ce n'est pas encore l'ampleur du mouvement qui inquiète le gouvernement. Ce qui l'inquiète, c'est sa durée et son évolution. Parce qu'un mouvement propagé par les travailleurs eux-mêmes est incontrôlable au sens où le gouvernement l'entend. Il n'y a pas de chef avec qui faire des tractations, il n'y a pas d'appareil avec qui négocier.
Alors oui, il faut que le mouvement se généralise, et se généralise de cette façon-là, avec des assemblées générales démocratiques, à la base, avec des contacts entre travailleurs de différents secteurs, en gardant son caractère non corporatiste. Car c'est comme cela que se développera la conscience que tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et la conscience qu'uni dans la lutte, le monde du travail, représente une force à laquelle la petite cohorte gouvernementale, ignorant tout de la réalité sociale, ne sera pas capable de résister.
Et, encore une fois, s'il est important de faire revenir le gouvernement sur les retraites et la décentralisation. C'est tout aussi important sur le reste. Si le gouvernement a eu la bêtise d'essayer de faire passer un ensemble de mesures contre les salariés d'un seul coup, c'est qu'il pensait du haut des 82 % des suffrages pour Chirac et de sa victoire dans la foulée aux législatives, qu'il pourrait faire n'importe quoi et qu'il n'y aurait pas de réaction de la part des travailleurs.
Il croyait peut-être que le pays était à l'image du Parlement, c'est-à-dire à sa botte. Mais, contrairement aux affirmations de Raffarin et des siens, la rue peut défaire ce que le plébiscite de Chirac a fait. Et, si les politiciens de gauche ne se sont pas encore remis du désaveu infligé à Jospin, cela n'a pas démoralisé les travailleurs. Ils attribuent, à juste titre, bien moins d'importance aux simagrées électorales dont on présente le résultat comme décisif.
Au début du mouvement, Raffarin avait annoncé, avec suffisance : "ce n'est pas la rue qui gouverne". Mais il sait, lui, que ce ne sont pas les urnes non plus. Non ! C'est l'argent et ceux qui en possèdent qui gouvernent. C'est le grand patronat qui gouverne le gouvernement.
Eh bien, la rue, la force des travailleurs, peut faire reculer le pouvoir de l'argent. Elle peut faire ravaler leur morgue aux pantins qui croient qu'ils gouvernent alors qu'ils ne font qu'exécuter les basses oeuvres des possédants.
Alors, camarades, contrairement à hier, le ciel n'est pas avec nous, soit. Mais le soleil est dans nos coeurs. Donc, amusons-nous, discutons de tout et du reste en refaisant le monde !
Parce que, dès mardi, nous devons faire en sorte que la journée des grèves et de manifestations à laquelle appellent plusieurs centrales syndicales soit un succès. Et, les jours qui viennent, nous devons continuer à oeuvrer pour que les grèves continuent et que, portées par les travailleurs eux-mêmes, elles se transforment de grèves limitées, en une grève de l'ensemble du monde du travail.
Alors camarades, je vous souhaite une bonne et joyeuse fête pendant deux jours !
Vive la fête, vive la grève !
Lundi 9 juin 2003
Travailleuses, travailleurs, amis et camarades,
Traditionnellement, dans notre fête, l'intervention du lundi est consacrée à la situation internationale, et je n'y manquerai pas !
La guerre contre l'Irak, l'événement international majeur de l'année, a illustré comment le pouvoir de l'argent sait s'appuyer sur le pouvoir des armes. Les grands groupes capitalistes qui enserrent le monde de leurs tentacules financières se servent des Etats, de leurs dirigeants politiques et de leurs armées pour imposer leurs lois. La guerre, avec ses horreurs, ses tueries, ses ruines, n'est qu'un des instruments de l'impérialisme pour dominer le monde. C'est pourquoi l'idée que le monde dominé par l'impérialisme peut exister sans guerre est un leurre et une imposture.
Si l'on veut la paix, il faut mettre fin à la domination de l'impérialisme, c'est-à-dire à l'organisation capitaliste de la société. Il n'y a pas d'autre moyen.
On ne peut qu'être révolté par le cynisme avec lequel certains dirigeants américains reconnaissent aujourd'hui que ces armes de destruction massive, dont l'existence en Irak était censée justifier la guerre, n'existaient pas. Tout cela n'était qu'un mensonge de la part des dirigeants américains et anglais pour avant tout tromper leurs propres peuples.
Mais le mensonge comme système de gouvernement n'est pas une spécialité américaine.
Même s'il y a évidemment une différence d'échelle dans les conséquences, Raffarin est aussi peu sincère en affirmant qu'il veut sauver les retraites, alors qu'il les démantèle, que l'était Bush lorsqu'il affirmait que l'Irak possédait des armes de destruction massive alors que seuls les USA, la France, la Grande-Bretagne et la Russie en possèdent vraiment.
Aujourd'hui, les dirigeants américains affirment que leur intervention avait pour but d'apporter à l'Irak la démocratie et la prospérité.
Mais on voit qu'en guise de démocratie, les troupes impérialistes offrent aux Irakiens un protectorat anglo-américain dirigé par des gouverneurs imposés par l'armée d'occupation. Quant à la prospérité, l'Irak n'en prend certainement pas le chemin. Pendant que les trusts du pétrole se disputent le contrôle des gisements parmi les plus riches du monde, l'eau potable manque dans les quartiers populaires, même des grandes villes, et, au pied des immeubles climatisés des états-majors des troupes d'occupation, on commence à mourir du choléra.
Les mêmes grandes puissances qui ont été capables de déployer des milliers de tonnes de matériel de guerre ultraperfectionné, ne sont pas capables de rétablir ce qu'ils ont détruit, l'eau, l'électricité, un système de santé, c'est-à-dire les infrastructures les plus élémentaires nécessaires à la population. La survie de la population, sa nourriture ne sont pas le problème des occupants.
Même si ces deux grandes puissances ont rapidement gagné la guerre, il n'est pas dit qu'elles l'emporteront au paradis des trusts pétroliers. Car l'occupation d'un pays dans le seul et unique but de le piller finit toujours par susciter des réactions de colère et de résistance.
La France est restée en dehors de la guerre d'agression.
Cependant, il suffit de constater la rapidité avec laquelle sa diplomatie s'est alignée sur celle des Etats-Unis dès la fin de la guerre pour vérifier que le gouvernement français n'est pas plus du côté du peuple irakien que le gouvernement américain. Chirac et son gouvernement ont fait le calcul, à tort ou à raison, qu'il n'était pas de l'intérêt des trusts français de participer à cette guerre. Mais Chirac est tout autant au service des groupes financiers français que Bush au service des groupes financiers américains. Et les trusts des deux puissances impérialistes, par delà leur concurrence et leurs rivalités pour les marchés, sont intimement liées contre les peuples.
En renversant le pouvoir de Saddam Hussein, les dirigeants américains ont également affirmé qu'ils allaient remodeler l'ensemble du Moyen-Orient dans un sens plus démocratique. Grossier mensonge encore de la part de la première puissance impérialiste du monde qui, avec ses compères anglais et français, soutient quelques-uns des régimes les plus rétrogrades et les plus dictatoriaux de la région, à commencer par l'Arabie saoudite et les émirats pétroliers dirigés par une poignée de princes milliardaires, où l'on considère les femmes comme des êtres inférieurs.
Faut-il croire au moins qu'après avoir soutenu contre vents et marées le régime israélien, les Etats-Unis vont utiliser leur poids pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien ? C'est ce que prétendent les dirigeants américains avec la fameuse "feuille de route" de Bush, destinée, nous dit-on, à obtenir du Premier ministre israélien Sharon et du nouveau Premier ministre palestinien Abbas des concessions réciproques amorçant une évolution vers la paix.
On pourrait se dire naïvement que toute tentative d'obtenir la paix entre deux peuples en guerre depuis si longtemps ouvre au moins un espoir. Mais déjà au départ, les concessions réciproques ne sont pas équivalentes. Sharon a promis de démanteler les colonies israéliennes illégales en territoire palestinien, alors qu'Abbas a dû promettre de mettre fin à l'Intifada comme aux attentats terroristes. Mais il est bien plus facile de démonter quelques baraquements préfabriqués que de mettre fin à l'Intifada, c'est-à-dire à la révolte de la jeunesse de tout un peuple. Parce que l'Intifada n'est pas née de rien, mais de l'oppression de l'Etat d'Israël sur le peuple palestinien. L'Etat d'Israël a fait des régions palestiniennes un immense camp de concentration, morcelé de surcroît, avec les territoires coupés les uns des autres par des barbelés et par des contrôles aussi avilissant pour les soldats israéliens qui les exercent que pour la population palestinienne qui en est victime. Des territoires marqués surtout par une immense misère. Aucun peuple ne peut supporter de vivre dans de telles conditions d'oppression, d'humiliation permanente et de pauvreté.
Et si les dirigeants américains peuvent toujours trouver des dirigeants palestiniens prêts à accepter n'importe quelle compromission avec les dirigeants d'Israël, cela ne peut pas suffire et cela ne suffira pas pour mettre fin à la révolte du peuple palestinien. Pour y mettre fin, il faudra non seulement permettre au peuple palestinien de disposer d'un Etat qui ne soit pas un simple bantoustan, mais il faudra aussi permettre à la population de travailler et de vivre.
Ce n'est pas impossible. Les Etats-Unis auraient les moyens financiers pour tout cela : ne serait-ce qu'en consacrant à la future Palestine qu'ils promettent le même soutien financier qu'ils accordent à l'Etat d'Israël. Mais ils ne le feront pas. Ils consacreront peut-être des moyens supérieurs à former et à dresser un appareil de répression palestinien qui soit le moins sensible possible aux aspirations de la population palestinienne et qui puisse servir de supplétif efficace à l'armée israélienne.
Non, l'impérialisme n'apportera pas la paix au Moyen-Orient. Pour le faire, il faudra consacrer les immenses richesses, notamment pétrolières, aux peuples au lieu d'en laisser tout le bénéfice aux trusts du pétrole.
Et il n'apportera pas la paix encore, pour une autre raison : si les tensions, les conflits dans la région peuvent, à certains moments, devenir gênant pour l'impérialisme, sur le fond, les divisions entre les peuples de la région, les tensions entre les Etats, le servent. Dresser les peuples les uns contre les autres sont de tout temps un des moyens de domination de l'impérialisme.
Mais le Moyen-Orient, dont tant de peuples sont maintenus dans la pauvreté et ploient sous différentes oppressions alors même que la région est riche, est un concentré de la situation de l'ensemble de la planète.
C'est tout le système impérialiste qui fonctionne comme un immense mécanisme qui appauvrit sans cesse l'immense majorité de la population de la planète pour drainer les richesses vers la grande bourgeoisie d'une douzaine de pays impérialistes développés.
Le système impérialiste, c'est l'exploitation pour des salaires dérisoires aux quatre coins de la planète, la faim pour des millions d'hommes, c'est le pillage sauvage des richesses naturelles au profit d'un nombre restreint d'individus qui accumulent des fortunes privées extravagantes.
Si le système impérialiste n'est pas directement responsable de tous les maux de l'humanité, il est en tout cas l'obstacle absolu empêchant l'humanité de trouver des solutions. Le spéculateur George Soros avait formulé, il y a quelque temps, avec un brutal cynisme : c'est le système le plus parfait qui soit pour l'enrichissement personnel de quelques-uns, mais il n'est pas fait pour résoudre les grands problèmes de l'humanité. Et je dirais, il les aggrave.
Le continent africain est sans doute le continent qui porte le plus les stigmates du capitalisme. Pas seulement dans son passé fait de chasses à l 'homme pour le commerce des esclaves, du pillage systématique de la colonisation. Mais aussi dans son présent. L'impérialisme a cette propriété de pouvoir tirer du profit même des plus pauvres en aggravant encore leur pauvreté. Et plus les pays d'Afrique ont de richesses naturelles, plus leurs peuples sont pauvres parce que plus les pays sont pillés. Et, aux conséquences directes de l'impérialisme s'ajoutent les conséquences indirectes, la montée des comportements réactionnaires, le rétablissement de la lapidation des femmes au Nigéria, les guerres ethniques du Libéria au Congo, en passant par la Côte-d'Ivoire.
Les puissances impérialistes, parmi lesquelles la France qui a un rôle majeur en Afrique, jouent parfois les pompiers incendiaires. Il y a quelques jours, les troupes françaises ont débarqué dans une région du Congo où sévit une guerre ethnique féroce. A ce qu'il paraît, à leur arrivée, les soldats français ont été applaudis. Cela se comprend car les populations déchirées entre bandes armées ethnistes mettent leur espoir dans tout ce qui promet de les sortir du désespoir.
Mais, quelques jours après leur arrivée, la guerre a repris de plus belle. Et des troupes françaises dans un pays déchiré par des conflits ethniques, c'est le Congo certes, mais c'est aussi la Côte-d'Ivoire où la présence des troupes françaises est d'autant moins susceptible de mettre fin aux tensions ethniques que, même si c'est le prétexte de leur présence, elles ne sont pas là pour ça. Elles sont là pour préserver les investissements français dans ce pays et les intérêts des groupes financiers qui se sont appropriés des secteurs entiers de l'économie.
Et puis, l'armée française présente dans un pays déchiré par des conflits ethniques, c'était le Rwanda où non seulement l'armée française n'a rien empêché, mais où elle a aggravé la situation en soutenant un des camps et en facilitant le génocide de l'autre camp.
Oui, l'impérialisme, c'est aussi la résurgence de conflits d'un autre âge.
On pourrait se réjouir à certains égards que surgissent dans les pays impérialistes des mouvements de protestation contre telle ou telle conséquence catastrophique du système impérialiste comme la faim dans le monde, le monopole des trusts pharmaceutiques sur les soins, les dégâts écologiques. Ces mouvements attribuent ces dégâts à la mondialisation. Et, même si ce n'est pas le terme mais les problèmes réels qu'il recouvre qui poussent nombre de jeunes sincères à rejoindre ce type de mouvement, l'utilisation du mot "mondialisation" est trompeuse. Car le responsable du pillage de la planète n'est pas la mondialisation, c'est-à-dire les monnaies comme l'euro ou la création d'espaces sans frontières comme l'Europe, mais l'impérialisme et l'organisation capitaliste de l'économie.
C'est l'impérialisme, c'est l'organisation capitaliste de la société à l'échelle du monde qui reproduit sans cesse et approfondit les inégalités entre pays et les inégalités entre classes exploitées et classe exploiteuse de chaque pays. C'est le système impérialiste qui chasse de leurs pays des millions de personnes qui, pour survivre, essaient d'atteindre les pays impérialistes dans l'espoir d'y trouver un travail et des moyens de survivre. Mais, en réalité, ceux qui ont réussi à traverser les frontières et les barbelés qui entourent les pays dits riches comme l'Europe ou le nord de l'Amérique n'y trouvent que les conditions d'existence d'un sous-prolétariat. Et les gouvernements occidentaux, celui de la France en particulier, s'acharnent à aggraver leur sort en les privant de toute existence légale, en les transformant en sans-papiers destinés à être des gibiers pour la police, livrés aux marchands de sommeil et désarmés face aux patrons qui les exploitent.
Alors, je tiens à exprimer ma solidarité avec les sans-papiers en lutte avec beaucoup de ténacité pour la régularisation de leur situation et pour le droit d'asile. Mais, en même temps, ce combat est un combat sans fin car, même lorsqu'une génération de sans-papiers est régularisée, d'autres viennent inévitablement.
Et l'avenir de l'humanité ne peut pas être un océan de misères à l'échelle de toute la planète, avec quelques barques sur lesquelles on essaie de grimper désespérément pour survivre.
Non, l'avenir de l'humanité, c'est de mettre fin à tout ce système !
Non pas mettre fin à la mondialisation, ce qui serait une utopie réactionnaire. C'est précisément la mondialisation, les liens économiques créés entre différentes régions du monde, l'interconnexion des productions à l'échelle de la planète. Et cela ouvre la possibilité de mettre en commun la créativité et la capacité de produire de l'humanité qui permettront à la société de franchir le palier qui la conduira de la société d'exploitation, le passé de l'humanité, vers l'avenir : une société égalitaire, une société communiste.
Construire une organisation sociale où l'exploitation de l'homme par l'homme disparaîtrait, où la pauvreté serait bannie, est matériellement possible depuis longtemps.
Mais, pour changer l'organisation sociale, il faut une révolution, une révolution des exploités contre les exploiteurs, la révolution du monde du travail contre les parasites qui vivent des revenus du capital.
Notre raison d'être fondamentale à nous, Lutte ouvrière, c'est de militer dans cette perspective, en particulier dans la classe ouvrière, c'est-à-dire dans la classe de tous ceux qui font un travail utile pour la société et qui constitue la seule force sociale susceptible de réaliser cette transformation fondamentale. C'est de militer sur le terrain de l'internationalisme, ce qui signifie que l'on considère que les travailleurs de tous les pays constituent une seule classe ouvrière et que c'est la classe ouvrière qui ouvrira devant l'humanité la perspective d'une nouvelle forme sociale, celle qui représentera l'avenir de l'homme, après le long passé de la barbarie de l'exploitation.
Alors, pour l'avenir, je dis "vive l'internationalisme, vive le communisme".
Mais, pour l'avenir immédiat, pour les jours qui viennent, je réitère ce que j'ai dit hier et avant-hier, la journée de mobilisation, que les manifestations de demain, 10 juin, doivent être un succès. Il faut tout autant et plus encore que les grèves continuent le lendemain et s'élargissent jusqu'à ce que le gouvernement Chirac-Raffarin soit contraint de retirer son projet aussi bien sur les retraites que sur la décentralisation du personnel de l'Education nationale.
Il faut que, dans nos entreprises, dans nos usines, dans nos bureaux, dans nos écoles, nous agissions pour que de plus en plus de travailleurs participent au mouvement afin de changer le rapport de force entre le monde du travail et le gouvernement et le patronat. C'est essentiel non seulement pour faire retirer le projet sur les retraites mais aussi pour empêcher le gouvernement de multiplier les attaques contre les travailleurs et leurs conditions d'existence.
Nous ne savons pas et nous ne pouvons pas savoir jusqu'où le mouvement actuel peut aller. Mais le monde du travail qui, depuis des années, reçoit coup après coup de la part du patronat et de la part du gouvernement, commence à relever la tête et à se défendre. Cela représente un immense espoir.
Alors, amis et camarades, bon courage pour les jours qui viennent !

(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 30 juin 2003)