Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, à "La Chaîne Info" le 6 juin 2003 sur la réforme des retraites et les grèves qui ont suivi, et sur la décentralisation des personnels techniques de l'Education nationale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


A. Hausser-. Lutte Ouvrière tient sa fête ce week-end, dans un contexte social agité : il y a la réforme des retraites qui passe mal, le mouvement de grève faiblit mais se durcit. Quand vous avez vu les images du siège du Medef de la Rochelle incendié, ce sont des actions que vous comprenez ou que vous condamnez ?
- "Je suis pour les actions collectives, je ne suis pas pour ce genre d'acte, mais je crois que c'est une violence mineure par rapport à toute la violence du patronat contre les travailleurs. Vous savez, ça fait des mois qu'il y a des plans de licenciement, que le patronat fabrique des chômeurs, ruine des régions entières, et je peux comprendre justement la colère de certains travailleurs face à cette situation et face au blocage aujourd'hui du Gouvernement qui ne veut pas entendre les millions de travailleurs qui ont cessé le travail depuis des semaines, qui ne veut pas entendre l'écho des manifestations et qui reste sur ses positions."
Vous parlez de millions de travailleurs qui ont cessé le travail, mais justement, c'est là où il y a contestation : c'est qu'actuellement, ce sont des minorités qui durcissent le mouvement.
- "Cela dépend des secteurs d'abord. Dans certains secteurs, si la grève est revotée, c'est parce qu'elle est majoritaire, donc on peut dire qu'il y a une grève dispersée. Mais quand je parle de millions de travailleurs, c'est parce que le mouvement ne date pas de ces jours-ci. Cela fait des semaines qu'il y a des journées d'action, qu'il y a des grèves bien suivies, on l'a vu le 13 mai. Et je crois que le Gouvernement va avoir, en ce qui le concerne, des mauvaises surprises mardi pour la nouvelle journée d'action."
C'est-à-dire ? Qu'est-ce que vous nous promettez ?
- "Des mauvaises surprises dans le sens que la grève va être suivie mardi 10, à la rentrée de ce week-end de la Pentecôte."
Quand F. Fillon dit que le Gouvernement ne reculera pas, vous pensez qu'il ne pourra pas tenir ?
- "Le gouvernement reculera si la mobilisation continue, oui effectivement, je pense qu'à ce moment-là, il sera obligé de reculer. D'ailleurs, on voit déjà quelques signes de sa part concernant les enseignants, qui eux, sont en mouvement et en grève pour certains depuis plusieurs semaines. Et le Gouvernement commence seulement à avancer quelques pistes. Et je crois qu'il va être obligé d'entendre la population qui est contre cette réforme des retraites."
Vous avez effectivement parlé de premier recul lundi, quand il y a eu les premières négociations entre L. Ferry, N. Sarkozy et les syndicats. Le fait que les personnels techniques soient décentralisés, et qu'ils puissent choisir dorénavant entre leur appartenance à l'Education nationale ou à la région, pour vous, c'est un premier recul ?
- "De toute façon, c'était plus ou moins prévu... Non, ce que je crois, c'est que le Gouvernement est obligé maintenant de discuter avec les syndicats d'enseignants, mais je ne crois pas que les enseignants et que le personnel technique, les médecins scolaires ou les infirmières ou les assistantes sociales vont se contenter de cela. Je crois que leur revendication est claire : ils ne veulent pas de cette décentralisation du personnel."
Mais les enseignants ne sont pas concernés !
- "Non, mais les enseignants, bien évidemment, sont solidaires de ceux qui font partie pour le moment de l'Education nationale, et qui sont absolument indispensables en réalité au fonctionnement des lycées, des collèges et des écoles."
Vous imaginez que le Bac ne puisse pas avoir lieu ?
- "Ecoutez, ça, je n'en sais rien. Si le Gouvernement veut que les examens se passent dans de bonnes conditions, non seulement le Bac mais tous les examens, il n'a qu'à reculer. Cette réforme des retraites est repoussée par la majorité de la population, les sondages le disent, et en tout cas, quand on voit dans le milieu salarié, évidemment majoritairement, même quand ils ne font pas grève, beaucoup de travailleurs sont contre, sont contre qu'on augmente leur temps de cotisation pour des retraites qui seront moindres. Vous savez, aujourd'hui, on se moque des travailleurs. Il y a une véritable intoxication. D'abord, les caisses de retraite sont pleines aujourd'hui. D'autre part, on nous parle de la démographie, du Baby Boom etc, mais c'est une blague ! La productivité a considérablement augmenté. Il y a un demi-siècle, il y avait six fois moins [sic] de paysans. Eh bien, avec six fois moins de paysans aujourd'hui, non seulement on nourrit toute la population, mais on fait même des excédents. Il y a un demi-siècle, un ouvrier produisait dix fois moins de voitures dans l'automobile qu'aujourd'hui, alors il serait temps que les gains de productivité profitent aux salaires et aux retraites des travailleurs. Et s'il n'y a pas assez d'argent, qu'on augmente les cotisations patronales, qui n'ont pas augmenté depuis des années en matière de retraites."
Mais les charges sont à saturation en France. C'est-à-dire qu'on ne peut plus aller au-delà. C'est pour cela que les entreprises se délocalisent, donc c'est un cercle vicieux.
- "Les bénéfices ne sont pas à saturation, et de l'argent dans les caisses du patronat, comme le disent les manifestants, il y en a. Si toutefois il devait y avoir des problèmes dans dix ans ou dans vingt ans, parce qu'actuellement, il n'y en a pas dans les caisses de retraite, s'il devait y en avoir, qu'on prenne sur les profits pour maintenir des taux de pension corrects... On nous parle d'équité, mais qu'on revienne à ce qu'il y avait avant la réforme Balladur ! La vraie équité, c'est 37,5 ans pour tout le monde, et qu'on tienne compte, je le répète, des gains de productivité, pour que tous les travailleurs puissent avoir une retraite décente."
La productivité a quand même des limites là aussi, on ne peut pas aller au-delà d'un certain rythme de travail...
- "C'est sûr que les gains de productivité ont été faits sur des cadences augmentées dans les entreprises, en particulier dans les usines. Il serait temps que les travailleurs en ramassent les fruits. Et tout ça, ça va faire l'objet de discussions, de débats à notre fête pendant trois jours, parce qu'effectivement, comme vous l'avez dit, elle est marquée par cette situation."
Et vous pensez que cela va vous amener plus de monde ?
- "Je ne sais pas, je l'espère, j'espère qu'il y aura beaucoup de monde, qu'il y aura, comme d'habitude d'ailleurs, des dizaines de milliers de personnes qui participeront à cette fête, qu'il y aura beaucoup de débats politiques mais qui est aussi une grande fête populaire, avec des jeux, avec des spectacles, et que, comme d'habitude, les travailleurs et tous nos amis seront heureux de se retrouver."
Je reviens un instant aux retraites. Vous dites qu'il faut revenir aux 37,5 ans", mais partout en Europe, on allonge la durée du temps de travail, de cotisation...
- "Oui et partout en Europe, il y a des grèves. L'Autriche a connu ces jours-ci la plus grande grève de son histoire depuis cinquante ans, une grève très importante contre justement l'augmentation du temps de cotisation et le recul de l'âge de la retraite. Il y aura sûrement des mouvements en Allemagne face au plan du gouvernement... Il y en a eu en Grèce... Et il va y avoir des mouvements en Italie. On fait n'importe quoi sur les comparaisons. Je suis députée européenne, je regarde ça d'un peu près. .Récemment j'ai entendu M. Fillon dire que les enseignants français étaient beaucoup mieux traités que partout en Europe, concernant les salaires, par exemple : ce n'est pas vrai. Et le Portugal, l'Allemagne et bien d'autres pays sont bien au-dessus des salaires qui sont donnés aux enseignants en France."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 juin 2003)