Tribune de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Libération" du 1er février 2000, sur la menace du MEDEF de quitter l'ensemble des organismes paritaires, intitulé "Rénover le paritarisme des organismes sociaux".

Prononcé le 1er février 2000

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

En menacant de quitter l'ensemble des organismes paritaires " tels qu'ils sont actuellement organisés " d'ici le 31 décembre 2000, le MEDEF fait, certes, monter la pression mais il offre dans le même temps une vraie chance de refondation du dialogue social et du paritartisme.
Il est vrai qu'on ne pouvait pas continuer longtemps comme cela et qu'il était devenu nécessaire de moderniser et même de refonder le dialogue social dans notre pays.
Cette refondation est d'abord l'affaire des partenaires sociaux. Mais elle est aussi une question politique. Car cette crise qui couvait depuis longtemps a clairement pour origine un excès de l'intervention de l'Etat tant dans le fonctionnement de nos institutions sociales que dans la politique contractuelle.
Le MEDEF n'a pas tort lorsqu'il dit que le gouvernement a porté un mauvais coup à la politique contractuelle quand, en 1997, il a choisi de faire confiance à la loi plutôt qu'aux partenaires sociaux pour réduire le temps de travail et quand, un peu plus tard, il a tenté de faire financer cette loi par les ressources des régimes de protection sociale.
Marc Blondel n'a pas tort lorsqu'il dit que le CNPF aurait du refuser en 1995 une réforme qui renforçait la mainmise de l'Etat sur l'assurance maladie, qui dès lors n'était plus la propriété des salariés qui la finançaient par des cotisations faisant partie d'un salaire indirect mais la propriété de l'Etat largement financée par un quasi impôt, la CSG, sous la responsabilité du Parlement.

L'étatisme chasse le paritarisme. L'intervention législative étouffe le contrat. La refondation s'impose, mais l'opération n'est pas sans risques.
Un départ définitif du MEDEF des organismes paritaires au 31 décembre prochain entrainerait l'effondrement du modèle social français en déligitimant les partenaires sociaux restant. Ce départ consoliderait l'Etatisation de l'assurance maladie qui évoluerait inéluctablement vers une assurance d'Etat remboursant de moins en moins et renvoyant toujours davantage les Français vers des assurances ou des mutuelles complémentaires, selon le schéma d'une assurance maladie à deux vitesses que j'ai toujours combattue.
Le dialogue social se replierait sur l'entreprise.
Or, le modèle social français, qui est d'ailleurs aussi le modèle continental européen, est fondée sur une certaine conception des relations sociales qui confie aux partenaires sociaux le soin d'organiser le marché du travail au niveau national, et plus encore dans les professions, et qui les laisse libre de définir les règles essentielles qui constituent en quelque sorte la loi des parties; le législateur n'ayant qu'un rôle subsidiaire par rapport à ce qu'il est convenu d'appeler cette démocratie sociale.
Mettre fin au paritarisme et confiner l'essentiel du dialogue social au sein de l'entreprise ce serait faire la politique du pire. Le terrain déserté serait occupé par l'Etat.

Voici donc chacun placé devant ses responsabilités.
L'opposition pour sa part, ne saurait rester spectatrice de cette tentative de refondation. Ayant le devoir de préparer l'alternance, elle doit faire le choix clair de confiance dans les relations contractuelles et paritaire, rompre tant avec les pratiques actuelles que celles des années antérieures et prendre l'engagement de désétatiser les relations sociales.
C'est là un choix de société. Le choix d'une société moderne qui ne s'en remet pas pour tout à l'Etat ou à la loi, qui fait d'abord confiance à la responsabilité des individus et des partenaires sociaux et qui considère le contrat comme une vraie source de droit.
Rénover le paritarisme, restaurer une vraie liberté contractuelle, ouvrir de nouveaux domaines à l'intervention des partenaires sociaux, voilà les trois piliers d'un nouveau contrat social.
1 Un paritarisme de responsabilités
Il faut sauver le paritarisme. Dans les domaines de la retraite complémentaire, de l'assurance chômage et des accidents du travail, il a montré son efficacité. Et il pourrait assurément encore mieux fonctionner si on faisait davantage confiance aux partenaires sociaux.
Sauver le paritarisme de notre système d'assurance maladie, retrouver l'esprit de responsabilité à l'origine de nos assurances sociales et de nos mutualités ouvrières suppose aujourd'hui le retrait de l'Etat et une définition plus claire des responsabilités des partenaires sociaux.

Un système de gestion et de responsabilisation sociales à " l'allemande " m'a toujours paru préférable à une étatisation à " l'anglaise "
Ce nouveau paritarisme recentré sur un nombre plus restreints d'organismes nécessitant moins d'administrateurs pourrait être inspiré du modèle des entreprises à conseils de surveillance où l'on distingue les orientations, les décisions générales d'une part, et la gestion quotidienne d'autre part.
Responsables des grands équilibres et des principes de solidarité, ces nouveaux conseils pourraient procéder à des délégations de gestion à des assurances ou à des mutuelles selon un cahier des charges précis et en veillant au respect des principes fondamentaux de notre sécurité sociale.
2 une vraie politique contractuelle
La nouvelle croissance qui permet d'espérer le retour du plein-emploi passe par de nouvelles formes de travail et d'emplois. Elle a besoin de capacité d'adaptation et de souplesse.
Or, nous avons accumulé dans la législation, la réglementation et les conventions collectives toutes sortes de dispositions qui constituent aujourd'hui autant de rigidités et qui finissent par se retourner contre ceux que l'on voulait protéger.
Il y a là un espace de liberté et d'innovation contractuelles pour inventer de nouvelles formes de contrat de travail, lutter contre la précarité en offrant davantage de sécurité en contrepartie de davantage de souplesse.


Le contrat collectif d'entreprise, librement négocié, devrait permettre d'assouplir les réglementations et les contraintes en fonction des réalités économiques et des intérêts communs tout en respectant les grandes règles d'ordre public du droit du travail.
Ce qui n'exclut pas, au contraire, si on veut éviter le corporatisme d'entreprise et retrouver la fonction syndicale authentique, le dialogue social au niveau des branches professionnelles et au niveau interprofessionnel.
Ajoutons qu'il est nécessaire de donner à l'entreprise à taille humaine un statut spécifique pour la représentation sociale et un droit du travail adapté.
3. de nouveaux espaces contractuels
Les transformations profondes de l'organisation du travail offrent de nouveaux champs à la politique contractuelle.
C'est bien sûr le cas des fonds de pensions qu'il nous faudra bien mettre en place. C'est le cas aussi du développement de l'intéressement et de l'épargne salariale. C'est encore et peut-être surtout celui de la formation professionnelle qui, avec la révolution éducative aujourd'hui en marche, doit devenir une vraie formation tout au long de la vie, offrant à chacun un droit individuel à la formation, transférable et garanti collectivement.
On, le voit, le nouveau dialogue social ne manque pas de " grain à moudre " !La refondation commence. Souhaitons lui-bonne chance.
(source http://www.demlib.com, le 2 février 2000)