Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Laissez-moi, tout d'abord, vous dire que c'est avec un très grand plaisir que je réponds à l'invitation que vous m'avez faite de venir prononcer l'allocution de clôture des travaux de cette journée.
Je voudrais, pour commencer, féliciter la section française du Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP) et des entreprises d'intérêt économique général, à la fois pour son action générale, et plus particulièrement pour l'organisation de ce colloque sur "la logique d'entreprise et l'intérêt général".
Le rôle du CEEP est en effet très important, pour promouvoir, aux côtés de l'UNICE d'une part, de la CES d'autre part, le dialogue social dont l'Europe a besoin, comme vous venez de le souligner à l'instant, Monsieur le Président. Vous savez que c'est une des préoccupations du gouvernement que je m'emploie moi même à tenter de développer. J'ai confié pour cela, il y a quelques mois, une mission de réflexion à M. Philippe Herzog : son rapport et ses propositions seront rendu publics dans les prochains jours, au tout début du mois de juin.
Dans ce dialogue social, le CEEP peut, à mon sens, avoir un apport très précieux, du fait même de sa composition. Il peut être, plus facilement que d'autres, un lieu d'échanges, un centre d'élaboration d'idées nouvelles et de compromis tout à la fois.
En son sein, il est tout à fait évident que la section française a une place primordiale à tenir, grâce au poids de la France en Europe, bien sûr, c'est un point éminent, on ne le répète jamais assez, même s'il est parfois injustement contesté, mais aussi grâce de la place du service public dans notre pays.
Je sais que le président Bailly est décidé à faire jouer à la section française tout son rôle, et je voudrais l'encourager.
Le thème du colloque qui nous réuni aujourd'hui me parait particulièrement bien choisi. Dans une Europe et dans un monde qui bougent, on ne peut se contenter de répéter des schémas anciens : nous devons nous interroger sur la façon dont les entreprises, quel que soit leur statut, j'insiste, public ou privé, peuvent continuer à assumer au mieux, lorsqu'elles en ont, leurs missions d'intérêt général. Il y a des entreprises privées qui ont des missions d'intérêt général, bien sûr. C'est important si nous voulons construire, au sein de l'Union européenne, une société équilibrée et cela doit être notre but à tous. Je sais que vos travaux, dont j'ai été tenu informé au cours de cette journée et que le président Bailly vient de résumer, ont permis d'avancer dans cette réflexion, de favoriser les échanges d'expériences.
Vous me permettrez pour ma part, comme le président Bailly vient d'ailleurs de m'inciter à le faire, de centrer mon propos sur les services d'intérêt général, et sur leur évolution en Europe.
Ces services d'intérêt général, c'est à dire, pour nous, les services publics "à la française", constituent un élément essentiel du lien social. C'est donc non seulement leur sauvegarde, mais leur développement que nous devons avoir comme objectif pour la France.
Mais, parce que l'Europe avance chaque jour, il est inévitable que se pose la question de la relation, à construire, déjà en train de se construire mais parfois de façon anarchique, entre l'Europe et les services publics. Or, vous l'avez souligné, la pente naturelle d'un certain nombre d'acteurs sur ce sujet - certains de nos partenaires, la Commission européenne à l'occasion, parfois la Cour de Justice de Luxembourg - est plutôt de mettre en avant la notion de concurrence là où il reste pourtant plus que jamais nécessaire de développer aussi - même si je suis d'accord qu'il n'y a pas contradiction - l'aspect social et l'approche citoyenne.
Je crois donc que c'est en rééquilibrant globalement la construction européenne que nous défendrons les services publics. C'est ce que le gouvernement auquel j'appartiens s'est attaché à faire dès son arrivée.
Nous avons, lors du Conseil européen d'Amsterdam, rappelé que l'Europe ne peut avancer correctement que si elle s'appuie sur ses deux pieds, l'économie d'un côté, le social et l'emploi de l'autre.
Il y a eu, vous le savez, sur proposition de la France, une résolution de la France à Amsterdam sur la croissance et l'emploi, puis la réunion d'un Conseil européen extraordinaire à Luxembourg en novembre, également entièrement consacré à l'emploi. C'était une première absolue dans l'histoire de l'Union européenne. Ses conclusions, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, ont été très positives, puisqu'elle ont permis à la fois de dégager des objectifs, pour l'emploi en Europe, contre le chômage des jeunes, contre le chômage de longue durée, pour le développement de la formation pour les chômeurs notamment, mais aussi une méthode, avec la confrontation des plans nationaux d'actions pour l'emploi, qui seront présentés dans quelques jours à Cardiff, puis l'évaluation annuelle de ces plans nationaux.
C'est fondamental, il y aura chaque année un sommet consacré, pas exclusivement, mais principalement à cette question de l'emploi. C'est très important et ça permet d'avoir là une vision d'ensemble qui marque bien que l'Europe a repris comme objectif la croissance et l'emploi, objectif qui ne figurait pas explicitement parmi les siens.
Mais au-delà de cette action à caractère général, nous devons assurer un avenir à nos services publics et cela nécessite aussi de les défendre de façon spécifique.
De ce point de vue également, nous ne sommes pas restés inertes depuis un an.
Nous avons, tout d'abord, achevé la négociation sur l'inclusion d'un nouvel article dans le Traité d'Amsterdam, l'article 7D. Cet article constitue en quelque sorte l'aboutissement d'une prise de conscience de l'importance au plan européen de la question des services publics.
Il n'a pas été simple à négocier, et il n'est pas inutile de rappeler ici le long combat qui a été mené notamment au sein du Parlement européen pour cela, mais en même temps, l'issue en valait la peine.
Cet article représente une avancée, en ce qu'il place ces services publics, les services d'intérêt général, parmi les valeurs communes de l'Union : l'article 7D reconnaît ainsi leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Europe.
Si sa portée juridique reste modeste, son grand mérite est de conforter la légitimité politique, au plan européen, de notre action, et donc, si juridiquement, c'est modeste, symboliquement, c'est absolument majeur, et politiquement fondamental.
Cette légitimité politique, nous l'avons déjà utilisée ces derniers mois, au sujet de la directive sur la Poste, puis pour la directive sur le marché intérieur du gaz, dont nombre des dispositions initiales nous posaient problème, et sur lesquelles nous avons obtenu satisfaction. En Europe, on n'obtient jamais complètement satisfaction, toute décision est un compromis, mais ce sont des compromis que nous considérons comme satisfaisant.
Avec ces directives "Gaz" et "Postes" s'achève un cycle de négociations communautaires sur tous les grands services publics. La période qui s'ouvre, où le cadre réglementaire applicable est connu, est propice à la fois pour tirer un bilan et tracer des perspectives.
Le bilan, je le crois, est clair. L'essentiel est préservé, rien n'est compromis, mais rien n'est définitivement assuré ou acquis non plus.
L'essentiel est préservé : c'est le cas dans le domaine des télécommunications, qui sont entrées, au premier janvier 1998, dans une ère nouvelle, concurrentielle, mais en même temps, une ère concurrentielle où s'est imposée la notion de service universel. C'est le cas aussi de la Poste, de l'électricité, du gaz, des chemins de fer, où l'introduction de la concurrence est plus restreinte, où nous avons conservé ce qui est au coeur du service public ; nous avons pu aussi maintenir des entreprises publiques de service public, qui font la force de ce pays, le nôtre, là où certains pensaient que les directives en discussion aboutiraient à un vaste mouvement de privatisation. Nous avons préservé en quelque sorte l'équilibre.
Nous allons ainsi pouvoir, dans les mois qui viennent, transposer la directive électricité, conclue par le précédent gouvernement et que nous prenons donc telle que nous la trouvons. Ce sera ensuite le tour de la directive "Poste", puis de la directive "Gaz" qui a été définitivement adoptée il y a quelques jours, sans que cela n'entraîne de bouleversements majeurs, ni pour les entreprises concernées, ni pour leurs personnels.
Pour autant, je le disais, rien n'est acquis. Les directives sur l'électricité et sur le gaz comportent, c'est clair, des "clauses de rendez-vous". Des possibilités d'évolution sont prévues pour la Poste à partir de 2003. Puis pour les Télécommunications, le cadre issu de la libéralisation ayant pris effet en début d'année, sera réexaminé dès l'année prochaine. Enfin, pour les chemins de fer, la Commission souhaite aller plus loin dans la voie de la libéralisation du trafic.
Mais quelle que soit la position que nous prendrons, qui ne doit pas être idéologique, une chose est claire : nous n'échapperons pas à ces discussions, et, compte tenu des positions de nombre de nos partenaires au sein de l'Union, elles ne seront pas faciles.
Or, il ne faut jamais oublier que ces textes sont négociés, à Quinze, à la majorité qualifiée. Cela veut dire qu'il est essentiel, dans notre façon de nous préparer à ces clauses de rendez-vous de regarder comment nos partenaires évoluent eux-mêmes sur ces sujets.
Depuis un an, une des choses principales que j'ai apprises, les deux principales, c'est qu'en Europe, les choses vont assez lentement, d'une part, et d'autre part, qu'on n'est pas tout seul, et donc, il faut tenir compte de ce que pensent les autres dans des pays à la fois étrangers, voisins, et amis.
Etudions comment ils transposent, pour commencer, les directives déjà adoptées, et notamment voyons dans quel sens ils utilisent les marges de manoeuvre qu'elles comportent : dans le domaine des télécommunications, par exemple, il est clair que beaucoup d'Etats membres ne font pas la même utilisation concrète que nous de la notion de service universel, et cela doit attirer notre vigilance. Autre exemple, certains pays ont décidé d'aller au delà des exigences de la directive sur le marché intérieur de l'électricité.
Cette connaissance de notre environnement est essentielle, non pas pour l'accepter tel quel, non pas seulement pour s'y adapter, moins encore pour s'y soumettre, mais, au contraire, pour le faire évoluer, en ajustant, si besoin est, nos propres arguments, sans nous tromper sur les objectifs à atteindre sur le fond : ce que nous cherchons, ce n'est pas la défense par principe, et partout, du statu quo, mais le maintien de la satisfaction dans les meilleures conditions de l'ensemble des usagers.
Il me paraît indispensable, dans ce contexte, que l'article 7 D ne reste pas sans suite plus concrète. Entre les principes généraux qu'il énonce au plan européen, et, à l'autre extrémité, le principe de subsidiarité, qui devra, en toute hypothèse, permettre à notre pays de conserver au moins certaines de ses spécificités, il nous faut maintenant, je le crois, construire un corps de règles et de définitions, donnant des points de référence incontestables dans l'élaboration des futures directives, afin d'éviter de nouvelles tentatives de remises en cause, sujet par sujet.
Ces principes de bon sens devront donc être valables pour tous les grands services publics, qu'ils soient assurés, en France et en Europe, par des entreprises privées - je pense par exemple au service de l'eau - ou par des entreprises publiques, comme c'est le cas pour la plupart des services d'intérêt général en France.
Bref, il s'agit, et c'est ce que je propose, d'élaborer, pragmatiquement, mais rapidement, parce que les échéances européennes ne sont pas si lointaines, une sorte de "Charte des services d'intérêt général en Europe".
Cette charte-là, qui mieux que le CEEP pourrait contribuer, aux côtés des pouvoirs publics, à en jeter les bases, en susciter la discussion au plan européen ? J'ai compris des propos du président Bailly qu'il était, pour ce qui concerne la section française, disposé à travailler en ce sens, dans l'intérêt de nos services publics. Je crois que c'est une très heureuse initiative.
L'Europe, je le redis pour conclure, nous la voulons plus proche des gens, plus populaire, c'est un objectif que, je crois, tout le monde doit partager - si l'Europe n'est pas aimée, si l'Europe en plus ne sert pas effectivement le plus grand nombre d'usagers, elle peut être tout à fait rejetée et c'est à ce moment-là que la plupart des amalgames, des simplifications, des accusations vraiment restrictives et globalisantes arrivent et finissent par détruire son image. Nous voulons donc une Europe plus proche des gens, c'est à dire aussi respectueuse aussi de l'identité de chacun, et tout aussi soucieuse de développement social que de profit économique.
C'est aussi comme cela, avec le respect de cet équilibre entre profit économique et développement social, que nous permettrons à l'ensemble de la construction européenne, chaque jour plus complexe, confrontée dans les années qui viennent à des enjeux majeurs, non seulement l'avènement, l'achèvement de l'euro, mais aussi l'élargissement de l'Union européenne et la mise en oeuvre des perspectives financières, cette Europe plus complexe, plus achevée, ne progressera que si nous respectons l'équilibre que j'évoquais, sans heurt, sans recul, dans l'intérêt de tous. C'est le sens de l'action du gouvernement qui va un peu dans le sens de votre mission. Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)