Tribune conjointe de M. Dominique Perben, ministre de la justice, et de Mme Brigitte Zypres, ministre allemande de la justice, dans "Le Figaro" du 14 mai 2004, sur la coopération judiciaire dans l'Union européenne, notamment entre la France et l'Allemagne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le troisième Conseil des ministres franco-allemand s'est tenu hier à Paris. Ce moment fort de la relation franco-allemande, sous l'impulsion conjointe du président de la République et du chancelier fédéral, nous a permis de définir ensemble une feuille de route énonçant des engagements précis afin de renforcer la coopération entre nos deux pays. Quarante ans tout juste après la signature du traité de l'Elysée, la déclaration commune de janvier 2003 avait fixé les termes d'une vision partagée en faveur d'une Union élargie, approfondie et efficace, au bénéfice de tous les citoyens européens.
C'est ainsi que la France et l'Allemagne ont décidé d'avancer ensemble et de façon volontariste sur le chemin de la construction d'une Europe de la Justice. Le dynamisme de nos deux nations dans ce domaine essentiel pour la vie quotidienne de nos concitoyens aura, bien sûr, un effet d'entraînement.
Cette action pour l'Europe, nous la conduisons en semble. Les progrès substantiels de la construction européenne ont toujours été le point de rencontres importantes entre des femmes et des hommes qui avaient la volonté de dépasser leurs différences pour nourrir un projet commun.
Depuis janvier 2003, nous avons donné corps à ce projet commun : ainsi, en novembre de la même année, un règlement communautaire sur le droit matrimonial et l'autorité parentale a été adopté. Sur la question sensible du déplacement illicite d'enfants, nous disposons dorénavant de règles claires concernant la compétence des tribunaux et la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
S'agissant des conflits portant sur la garde d'enfants au sein de couples binationaux, des progrès remarquables ont été accomplis et des cas douloureux ont enfin pu être résolus. Nous avons décidé de renforcer la commission de médiation en charge de ces dossiers en lui adjoignant désormais des médiateurs professionnels. En fonction des résultats de cette expérience nouvelle, nous pourrons examiner, en accord avec nos collègues européens, si nous pouvons aider efficacement les parents en conflit par l'élaboration de méthodes ou même de normes communes de médiation.
Toujours dans le domaine du droit civil, notre prochain travail commun concernera le lancement d'une étroite concertation sur la réforme de nos droits des tutelles pour les personnes majeures. En effet, en France comme en Allemagne, les tribunaux sont saturés par le nombre croissant de ce type de mesures judiciaires (600 000 en France et plus de 1 million en Allemagne). Nos deux pays se proposent de réformer ce droit avec un objectif commun : celui de sortir du "tout judiciaire". Nous avons donc décidé d'échanger nos réflexions sur ce sujet très en amont de la procédure législative, afin de déterminer si des dispositions similaires peuvent être adoptées dans nos projets de lois respectifs. Les experts se sont déjà réunis à ce propos. Le processus est maintenant bien engagé pour les tutelles, mais aussi dans bien d'autres domaines.
Face au développement préoccupant de la criminalité organisée, il est naturellement tout aussi nécessaire de renforcer notre coopération dans le domaine du droit pénal. Cette coopération nous semble être, en effet, une condition essentielle de la construction d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice auquel nos concitoyens aspirent légitimement. En France comme en Allemagne, les ministères de la Justice ont été fortement impliqués dans le travail d'adaptation de nos législations, afin d'y intégrer les nouveaux outils élaborés à Quinze. Dans le même sens, le Parlement vient de doter la France des instruments juridiques indispensables pour mieux lutter contre la criminalité organisée et transnationale.
Une réflexion a en outre été entreprise en vue de la création à terme d'un casier judiciaire européen. La France et l'Allemagne ont pris l'initiative de constituer un groupe de travail sur ce sujet auquel l'Espagne s'est associée afin de définir les moyens d'améliorer et de faciliter les échanges d'informations entre les casiers judiciaires nationaux dans la perspective de la création d'un casier judiciaire européen. Le Conseil européen du 26 mars dernier, convoqué au lendemain des attentats de Madrid, a par ailleurs clairement souligné la nécessité d'envisager la création d'un registre recensant toutes les condamnations et les interdictions.
Nos experts ont identifié les so lutions techniques qui pour raient faciliter les échanges de renseignements ayant trait aux antécédents judiciaires des personnes pour suivies. Sous réserve d'une expertise complémentaire des services de la Commission, nous allons pouvoir procéder à des premiers essais avant la fin de l'année. L'horizon d'une interconnexion électronique entre nos trois casiers judiciaires dans le courant de l'année prochaine est tout à fait à notre portée.
Enfin, nos efforts ont bien évidemment porté sur le renforcement de la coopération judiciaire bilatérale dans la lutte contre le terrorisme. Dans ce domaine, nos deux pays entretiennent une relation ancienne, nourrie en permanence par les contacts privilégiés de nos magistrats de liaison respectifs auprès de nos deux ministères de la Justice. Récemment, nous avons approuvé le principe de la création d'un groupe de travail chargé d'évaluer l'efficacité de nos procédures et de nos méthodes de travail afin de trouver, le cas échéant, des solutions à d'éventuels dysfonctionnements qui pourraient provenir des différences entre nos deux législations. Ce groupe de travail réfléchit également à la mise en oeuvre de nouveaux outils de coopération judiciaire au niveau européen, tels que les équipes communes d'enquête ou les opérations d'infiltration transfrontalières.
Il va de soi que les objectifs qui figurent actuellement dans notre programme de travail seront réactualisés et renouvelés à chaque sommet franco-allemand en fonction des résultats obtenus. Ainsi, la feuille de route s'imposera comme un outil indispensable nous permettant de procéder à des évaluations régulières de notre coopération tout en réaffirmant notre volonté politique de progresser ensemble sur le chemin de la construction d'un espace judiciaire européen ambitieux.

(source http://www.u-m-p.org, le 21 mai 2004)