Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Le Monde" du 30 octobre 2003, sur la promotion de la citoyenneté européenne.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Faut-il organiser un référendum pour ratifier la nouvelle Constitution européenne ?
R - La voie référendaire et la ratification par la représentation nationale réunie en Congrès sont toutes deux prévues par la Constitution française et ont la même légitimité démocratique. C'est une décision qui relève du président de la République. Je constate simplement aujourd'hui que, parmi ceux qui sont pour un référendum, un certain nombre sont contre l'Europe. Et que comme les nouveaux pays qui entrent dans l'Union, nous devons aussi mener un long travail de pédagogie.
Q - Le référendum ne constituerait-il pas l'occasion de faire ce travail de pédagogie ?
R - Quel que soit le mode de ratification choisi, notre travail pour transformer le citoyen en acteur de l'Europe sera une oeuvre de longue haleine. Les Français se sentent en effet non pas insuffisamment, mais mal informés sur l'Europe, alors même que la France en est l'un des membres fondateurs et qu'elle a façonné la construction européenne. Il reste malgré tout un déficit de compréhension et d'adhésion à l'Europe auquel il nous faut remédier.
Q - Les élections européennes du 13 juin ne seront-elles pas l'occasion de relancer le débat démocratique ?
R - La modification du mode de scrutin en France, avec sa régionalisation, permettra de donner une signification beaucoup plus concrète aux politiques européennes. La rencontre entre les régions françaises et les Länder allemands qui vient de se tenir à Poitiers, le développement de la coopération internationale décentralisée illustrent cette nouvelle dimension de la construction de l'Europe. Je vais proposer un statut de la coopération transfrontalière, peut-être même une loi européenne pour la création de collectivités bi ou trinationales.
Je souhaite également que nous convainquions le million de ressortissants communautaires résidant en France de s'inscrire sur les listes électorales. Seuls 170.000 d'entre eux l'étaient aux dernières élections municipales.
Q - L'Europe inquiète les Français. Ils ont souvent l'impression d'en être exclus et, parfois, que la construction européenne joue contre leurs intérêts.
R - Les Français sont à la fois interrogatifs mais aussi profondément européens. Les pères fondateurs considéraient, sans doute à juste titre, qu'on ne pouvait pas brutalement faire l'Europe sur le plan politique. On a commencé par le libre marché, la libre circulation des personnes, poursuivi avec la création d'une monnaie commune. Mais cette transformation gigantesque doit s'accompagner d'une véritable pédagogie vers le citoyen.
Q - Est-ce mieux avec l'élargissement à 25 ?
R - Le projet de Constitution, en cours de validation par la conférence intergouvernementale, avance clairement dans le sens d'une Europe politique, avec une prise de conscience de l'identité de notre continent par rapport au reste du monde et de son rôle dans la gestion des affaires et des crises internationales. Compte tenu de cette nouvelle étape, on ne peut plus éluder la question de la démocratie et de la place des citoyens. C'est pour cette raison que j'ai proposé, mercredi 29 octobre, en Conseil des ministres, un ensemble de mesures visant à réinstaller les citoyens au cur de l'Europe.
Q - Que proposez-vous pour faire naître la conscience d'une citoyenneté européenne ?
R - Il faut commencer par l'école. Je vais proposer l'enseignement d'une langue étrangère et de l'histoire de l'Europe dès l'école primaire. Nous généraliserons les symboles, en affichant dans les salles de classe des cartes de l'Europe et un résumé de la Constitution.
Nous allons systématiser les sections européennes, y compris dans l'enseignement professionnel.
Nous mettrons en place des sites Internet à l'intention des 8-12 ans, qui sont des vecteurs privilégiés de l'information pour leurs parents, et, pour les étudiants, des sites qui recenseront les stages et les bourses d'études en Europe.
Je propose aussi l'instauration d'un livret du citoyen européen. Il ne constituera pas, comme le passeport européen à couverture bordeaux, une pièce d'identité, mais on pourrait imaginer qu'il puisse devenir à terme un document officiel permettant de s'inscrire comme citoyen européen sur les listes électorales. Ancien juge constitutionnel, je plaide pour une instruction civique européenne.
Q - Quels seront les moyens concrets de l'expression politique de ces nouveaux citoyens ?
R - Outre les élections européennes et municipales, ouvertes à tous les citoyens de l'Union, il est prévu de créer un statut des partis politiques européens. Il faudra être représenté dans un quart des pays pour obtenir ce statut et bénéficier d'aides financières.
La nouvelle Constitution européenne prévoit par ailleurs l'instauration d'un droit d'initiative citoyenne. Il suffira de rassembler un million de signatures en Europe pour obliger la Commission à entamer une procédure législative. C'est une disposition dont la portée peut se révéler essentielle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2003)