Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse conjoint avec M. Javier Solana, secrétaire général de l'Union européenne, Haut-représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, sur le projet de Constitution et la défense européenne, le projet de résolution anglo-américain à l'ONU concernant l'Irak, le rôle et l'action de l'Union européenne dans le règlement du conflit israélo-palestinien, Paris le 25 mai 2004.

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Circonstance : Entetien avec M. Javier Solana, Secrétaire général du Conseil de l'Union européenne, Haut représentant pour la PESC, à Paris le 25 mai 2004

Texte intégral

Bonjour, merci d'être là pour quelques minutes. Je voudrais vous dire le très grand plaisir que j'ai eu de retrouver Javier Solana - d'une autre manière puisque voilà maintenant quelques années que nous nous connaissons, que nous sommes amis, que nous travaillons ensemble - dans sa fonction de Secrétaire général du Conseil et Haut-Représentant. Je lui rappelais d'ailleurs que cette fonction de Haut-Représentant a toujours été pour moi très importante : j'y ai beaucoup travaillé au moment où elle n'existait pas - c'était dans le cadre de la préparation du Traité d'Amsterdam - parce que j'ai toujours cru à la nécessité pour l'Europe d'avoir une politique étrangère commune, non pas unique mais commune, d'avoir une politique de défense commune ; et notamment sur ces sujets, dans la préparation du projet de traité établissant une Constitution, j'ai eu beaucoup d'occasions de travailler de manière constructive et amicale avec Javier Solana. Vous vous souvenez que j'ai eu la chance de présider le groupe de travail de la Convention sur la défense européenne et donc c'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé.
J'ai eu donc l'occasion de dire à Javier Solana, les remerciements de la France pour le rôle qu'il joue, pour la place qu'il tient dans cette politique étrangère et de sécurité commune, notamment dans les crises ou les difficultés que nous vivons tout autour de nous. La crédibilité de l'Europe doit beaucoup à son travail dans les Balkans en même temps qu'à celui qu'il accomplit en bonne intelligence avec la Commission et notamment le commissaire Chris Patten. L'unité de l'Europe qui est pour moi un point très important dans le conflit israélo-palestinien, unité qui a été très clairement réaffirmée début mai à Dublin par les vingt-cinq ministres des Affaires étrangères et qui a pu porter avec beaucoup de force à l'occasion de la réunion du Quartet.
Nous avons également évoqué la crise irakienne, l'action de l'Europe dans des difficultés importantes auxquelles nous voulons aider à remédier aux côtés des Africains, dans la région des Grands Lacs ou au Darfour.
Voilà un certain nombre de sujets que nous avons évoqués au cours de cet entretien qui est le premier pour moi, officiellement, en accueillant ici, au Quai d'Orsay, Javier Solana, mais je vous promets que ce ne sera pas le dernier entre nous dans les temps qui viennent.
Q - Vous avez eu le projet de résolution anglo-américain concernant l'Irak, je voudrais connaître vos réserves, sur quels points n'êtes-vous pas en accord avec ce projet ?
R - Comme je l'ai dit, notre état d'esprit est de regarder devant nous, d'être constructifs, d'être également francs avec nos amis américains et nos partenaires britanniques. Je n'ai donc pas envie de dire que nous ne sommes pas d'accord avec tel ou tel point, j'ai plutôt envie de dire, de manière plus constructive, que cette résolution, que ce projet doit être amélioré sur un certain nombre de sujets. C'est une autre manière de dire les choses mais je veux les dire ainsi pour que vous compreniez bien l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons.
Le problème n'est pas de nous opposer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, c'est très clair ; notre souci est d'être utiles pour sortir de cette tragédie et de dire notre conviction, nos idées pour en sortir et espérer que l'on nous écoute, cette fois-ci, compte tenu de ce que nous savons de cette région, compte tenu de l'Histoire que nous y avons, avec d'autres, de nos amitiés, de nos informations.
Je ne vais pas entrer dans les détails aujourd'hui puisque nous travaillons sur ce projet de résolution, dans l'état d'esprit que je viens de décrire, pour l'améliorer et pour que ce soit une vraie résolution crédible, crédible pour les Nations unies qui s'engagent. Le texte ne doit donc pas être artificiel, il doit être crédible pour les Américains, crédible pour les Irakiens et pour la communauté internationale en général.
Nous voulons donc travailler à la crédibilité de cette résolution et le vrai problème pour nous, c'est que le transfert de compétences et de souveraineté doit être, comme je l'ai dit, sincère, clair, complet, qu'il ne soit pas artificiel, qu'il y ait une vraie rupture. Je ne rentrerai pas dans le détail, nous travaillons sur ce sujet, dans l'esprit que je vous ai décrit mais il faut qu'il y ait une vraie rupture et il faut que le transfert de souveraineté au nouveau gouvernement irakien, naturellement le 1er juillet et pour préparer l'échéance très importante des élections démocratiques du début de l'année prochaine, soit un vrai transfert de souveraineté.
Q - Quand il s'agit du retrait israélien de la bande de Gaza, la France souhaite une force d'interposition, Monsieur le Secrétaire général, vous pensez que c'est presque impossible. Vous parlez d'envoyer des vérificateurs européens, mais avez-vous pu rapprocher vos points de vues sur le rôle que l'Europe pourrait jouer à Gaza ?
R - Nous ne sommes pas sur des lignes très différentes, je pense que nos points de vues sont complémentaires et qu'ils se confortent l'un l'autre. Nous pensons, nous aussi, que le retrait de Gaza doit être total, qu'il doit être sincère, qu'il doit être viable, cela veut dire que l'on n'aura pas détruit Gaza avant de s'en retirer. Les conditions de la réussite de ce retrait de Gaza annoncé par le Premier ministre, M. Sharon, et qui doit être confirmé ou précisé dans les jours qui viennent, les conditions de cette réussite sont importantes. Je veux ajouter, pour que les choses soient claires, que le retrait de Gaza est pour nous un élément positif et important, mais il n'est pas le seul. La Feuille de route ne se résume pas au retrait de Gaza, il y a un plan d'ensemble qui doit être mis en uvre dans sa totalité de manière progressive, de manière résolue, de manière tenace. C'est la Feuille de route qui a été réaffirmée, consolidée, lors de la réunion du Quartet mi-mai.
La méthode, enfin, reste importante. Il faut davantage de respect, davantage d'écoute vis-à-vis des Palestiniens.
Mais, s'agissant de la présence internationale, le Secrétaire général vous a dit quelles étaient les premières idées, nous pensons en effet qu'il faudra aller plus loin mais, le moment venu, prenons les choses dans l'ordre.
Q - Concernant la résolution de l'ONU, la France, dans l'état actuel de cette résolution pourrait-elle voter de manière positive ? Si votre réponse est négative, quels sont les sujets précisément sur lesquels vous êtes réticent ?
R - N'ai-je pas été suffisamment clair dans ma première réponse ? Le projet qui a été transmis hier et dont Colin Powell m'avait prévenu n'est pas à prendre ou à laisser ; ce n'est pas l'état d'esprit du Conseil de sécurité ni l'état d'esprit des Américains ou des Britanniques. C'est un projet, il doit donc être discuté et il doit être amélioré sur un certain nombre de points qui touchent principalement à la sincérité, à la réalité, à la crédibilité du processus de transfert de souveraineté.
Nous allons travailler sur ces points précisément, mais ne me demandez pas aujourd'hui de vous dire publiquement les sujets sur lesquels nous discutons avec non seulement les Américains et les Anglais, mais les autres membres du Conseil de sécurité, de la même manière.
Q - Concernant la conférence intergouvernementale, apparemment, les travaux ont enfin abouti à un compromis. Je voudrais savoir si l'idée d'un noyau dur de l'Europe autour de la politique européenne de sécurité et de défense fait partie de ce compromis ?
R - Premièrement, comme l'a dit le Secrétaire général, nous travaillons pour obtenir, sous l'autorité des chefs d'Etat et de gouvernement le 18 juin, un accord définitif sur ce projet de Constitution qui, je le rappelle est en chantier depuis près de deux ans. Ce n'est pas un texte improvisé, nous sommes dans les derniers mètres de la dernière ligne droite et l'acquis de la négociation au sein de la Convention, au sein de la conférence intergouvernementale, sous la présidence italienne, puis sous la présidence irlandaise dont je répète qu'elle fait un travail très intelligent et très actif, cet acquis est considérable. L'essentiel de la Constitution est maintenant accepté par tout le monde, n'oubliez pas cela et c'est un gros travail qui a été réalisé. Il reste quelques points liés au pouvoir, à la mécanique, des points qui sont importants pour nous et nous souhaitons garder la dynamique de ce texte, sa force, tel qu'il est issu de la Convention. Pour être plus précis, le texte de Naples était pour moi le dernier texte de référence sur lequel nous nous sommes à peu près mis tous d'accord.
Dans cette Constitution, il y a, en effet, un chapitre très important sur la défense européenne et sur la politique de défense sur lequel j'ai beaucoup travaillé puisque j'ai eu l'honneur de présider le groupe de travail sur la défense.
Comme l'a dit Javier Solana, avant même que le projet de Constitution ne soit approuvé, parce qu'il y a urgence et parce qu'il y a un besoin d'aller vers cette Europe politique, des éléments nous permettent d'avancer. Il a parlé de la future Agence de l'Armement et de la clause de solidarité que j'avais proposée dans le cas d'une attaque terroriste à l'intérieur du continent européen et du territoire ; cette clause a été approuvée, notamment après la tragédie de Madrid qui nous a tous touchés puisqu'elle a touché la démocratie européenne et pas seulement la démocratie espagnole ; ces idées-là sont dans la Constitution mais elles seront prises non pas à travers un noyau dur, mais avec ceux qui le voudront et qui peuvent le faire dans le cadre institutionnel ; il est en effet prévu notamment des coopérations structurées pour ceux qui veulent avancer. Mais, nous ne dirons pas qui doit ou qui ne doit pas, la porte est ouverte à ceux qui veulent sincèrement avancer ensemble pour donner une crédibilité à cette politique de défense.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2004)