Texte intégral
- Que répondez-vous à tous ceux qui estiment que le référendum en Corse amorce un abandon progressif de l'île aux mains des indépendantistes ?
- Jean-Pierre Raffarin - C'est tout le contraire : la décentralisation, c'est l'inverse de l'indépendance. Pour nous, ce 6 juillet est la première étape d'un nouveau projet de la Corse dans la République et de la République. J'ai proposé une réforme de la Constitution votée par le Congrès pour que nous ayons une organisation décentralisée. Je tends la main à la Corse pour qu'elle soit la première région dans la République à disposer d'une vraie initiative de décentralisation. Demain d'autres régions suivront, d'autres régions qui n'ont ni revendications nationalistes ni histoires tragiques comme celles qu'a pu connaître la Corse. Ce référendum peut être le lancement de la nouvelle organisation décentralisée de la République française.
- Il est aussi l'occasion pour vous de relancer le débat sur la décentralisation qui semble s'enliser...
- La décentralisation est une mutation de longue haleine. La Constitution a déjà été modifiée. Il n'y a donc pas à " relancer " le débat. Au total cinq textes législatifs définiront notre nouvelle architecture républicaine. Mais les leviers du changement sont désormais en place : la péréquation financière et l'expression populaire constituent le socle de ce nouveau droit de l'expression des territoires et de la diversité de la France unie dans la République. Nous sommes pour la Corse dans l'application stricte de la réforme constitutionnelle.
- Pourtant, la tradition jacobine persiste en France.
- Je ne suis pas du tout étonné. Il a suffi de voir combien ma nomination au poste de Premier ministre -un élu territorial!- était pour beaucoup une "nouveauté". C'était la preuve que le jacobinisme et le centralisme sont encore très présents dans le fonctionnement des pouvoirs en France. C'est là une faiblesse. Nos organisations sont congestionnées dans les hauteurs. La solution est de responsabiliser nos territoires. En ce sens, la Corse a tout à gagner en étant dans la République, avec les droits de la République mais aussi avec les initiatives nouvelles de la décentralisation.
- Si le non l'emportait, que signifierait ce rejet ?
- Ce serait le refus à une main tendue. Pour la première fois, on donne la parole aux Corses pour qu'ils répondent à l'offre de la République. Ils peuvent dire oui, ils peuvent dire non, c'est leur responsabilité. Ainsi proposé au vote des citoyens, nul ne pourra dire que ce dispositif a été négocié entre quarante personnes dans un bureau de Matignon. Ce sont les citoyens qui légitimeront ce projet qui, encore une fois, consiste à créer une relation nouvelle entre l'Etat et l'île de Beauté. Je compte sur les Républicains pour faire le choix de l'avenir.
- Le débat parlementaire sur la réforme des retraites s'est éternisé. A juste titre ?
- Le gouvernement n'a pas à juger la qualité du débat parlementaire. Ce texte sur les retraites est un texte majeur avec lequel nous allons vivre durablement. Je ne souhaite pas qu'il soit entaché par un passage en force. Nous avons pris le temps de la discussion. Nous avons mis six mois pour élaborer des propositions qui ont été soumises pendant trois mois aux partenaires sociaux. Je me souviens de très nombreux conseilleurs qui disaient : "Il faut y aller beaucoup plus vite!", de tous ceux qui ont évoqué la théorie absurde des cent jours, de tous ceux qui ne croient pas que la politique c'est la science du temps... Eh bien nous avons fait ce que nous avions dit au moment où nous l'avions dit. Voilà trente ans que la France est face à un problème démographique majeur et voilà trente ans que nous pratiquons la stratégie de l'autruche en feignant de ne pas voir que, nos générations ne se renouvelant pas, nous aurions des problèmes importants pour nos retraites, mais aussi pour l'emploi et pour la santé. L'important aujourd'hui est d'avoir une vision d'une France à l'aise dans le XXIe siècle. Il faut donc regarder les difficultés sereinement et avec lucidité. Pour la France le chemin du bonheur, c'est le courage. Et le courage c'est d'engager les mutations au cour de la société française.
- L'opposition vous reproche à nouveau de pratiquer l'insulte et de "mettre de la tension en politique"...
- Un humaniste ne cherche pas les tensions. Je pratique le dialogue social et je respecte profondément la personne chez mon adversaire, même si je m'oppose à ses idées. Je n'ai pas de complexe sur mon aptitude naturelle à l'ouverture mais j'ai aussi du caractère, un langage direct, non technocratique, et je dois assurer ma mission avec détermination.
- Comment jugez-vous le comportement actuel de la gauche ?
- Elle est décevante. Je pense, comme le disent certains socialistes, qu'elle n'assume pas son éthique des responsabilités. Le PS a une certaine agilité pour oublier la culture de gouvernement et choisir l'agitation. Il cherche à profiter du mécontentement. A mon avis, c'est une erreur et un manque de discernement politique. J'ai envie de rappeler aux socialistes cette réflexion que Valéry Giscard d'Estaing m'a confiée récemment : "Les Français hésitent toujours sur les réformes, mais ils condamnent les responsables de l'immobilisme."
- Quand la réforme de la Sécurité sociale sera-t-elle engagée ?
- Le but n'est pas de réformer la Sécurité sociale mais de la protéger. La santé fait partie du bonheur et de la sécurité des Français. Autant pour la réforme des retraites, les sujets étaient clairement identifiés, autant pour la réforme de la santé c'est un ensemble d'analyses et d'orientations qu'il convient de discuter avec tous les partenaires. Qu'il s'agisse des questions de l'hôpital, des médicaments, de la vieillesse, du handicap... Nous avons besoin de temps.
- N'est-ce pas aussi que les conditions du débat sur les retraites vous ont échaudé ?
- Cela nous a plutôt confortés. Je vous rappelle que, pour la Sécurité sociale, il ne s'agit pas d'une réforme mais d'une adaptation aux mutations sociétales. Sur deux petites filles qui naissent aujourd'hui, l'une d'elles vivra jusqu'à 100 ans. Chaque étape de la vie va changer. Dans cette réflexion nationale, il faudra tenir compte des acquis mais aussi des nouveaux comportements. Notre approche doit être très réfléchie, très partagée.
- Pourquoi la réforme est-elle, en France, toujours associée à la gauche ?
- Je conteste cela. Je vous rappelle que la loi sur le divorce, la majorité à 18 ans, la fin de la conscription par exemple, ont été des réformes que nous avons menées. Depuis 1981 et jusqu'à 2002, les gouvernements de droite n'ont jamais duré plus de deux ans. Or, pour réformer, il faut deux conditions : du temps, et être dégagé des jeux personnels. Nous avons aujourd'hui une sorte de carré magique. Je l'appelle le carré de la confiance : Président, gouvernement, parlement, parti. Et puis nous sommes dans une logique où les jeux personnels ne dominent pas l'action gouvernementale.
- Vraiment ?
- Il peut y avoir des ambitions, mais nous ne sommes pas dans une situation où le quotidien est dominé par le jeu des perspectives personnelles. Chacun, à sa place, assume son rôle.
- Parce que Jacques Chirac sera candidat à un troisième mandat en 2007 ?
- Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. De toute façon, pour un Premier ministre la fin de la semaine c'est déjà une éternité. Alors, des prévisions pour 2007...
- Pourquoi semble-t-il impossible en France d'engager des réformes dans les secteurs de l'éducation ou de la culture comme le montre le conflit avec les intermittents du spectacle ?
- Pour les intermittents du spectacle, il s'agit d'une profession particulièrement fragile. La culture et la sécurité sont souvent distantes l'une de l'autre. Il nous faut cependant corriger l'insécurité sociale des créateurs malgré les terribles déficits de leur régime. On ne peut pas ne pas tenir compte de l'importance de ces métiers dans la vie culturelle et économique de notre pays. Pour l'éducation, j'ai mesuré ce printemps l'ampleur du malaise. Prendre l'école comme une structure simple et d'un bloc, c'est une erreur. Dans les mois qui viennent, je voudrais que nous ayons un grand débat national qui débouche sur un pacte national pour l'école dans la nation. Quand nous aurons fait ce travail de diagnostic républicain, avec justice et sans accusation, nous serons en mesure de réviser la loi d'orientation de 1989.
- Avec le même ministre ?
- Oui. Mais je pense aux élèves, à leurs parents, aux syndicats, aux collectivités locales. C'est à partir du terrain qu'on peut établir le diagnostic lucide en faveur d'une réforme sur des bases vraiment partagées et non partiales. Il y a trop de langages. Quand vous parlez des difficultés de l'éducation, vous donnez parfois l'impression d'agresser ceux qui font très bien leur travail en plaçant l'école au cour du pacte républicain. L'école doit faire l'objet d'une grande réconciliation nationale - là est la source des évolutions du futur.
- Ce pacte républicain est-il aujourd'hui plus assuré qu'il ne l'était il y a un an ?
- Oui. Qu'est-ce que le pacte républicain ? Des valeurs communes, des responsabilités identifiées et une capacité de faire appel à la démocratie pour garder les responsables élus ou bien en changer. La cohabitation a vraiment posé des problèmes majeurs en rendant les responsabilités opaques et en paralysant leur mise en ouvre. Le pacte républicain, ce n'est pas l'ambiguïté permanente, ce n'est pas l'incapacité publique. La République, il ne suffit pas de l'invoquer, il faut la pratiquer.
- Que répondez-vous à la gauche quand elle vous accuse de "faire du Thatcher" ?
- Quand vous pilotez une action ou quand vous négociez des passages difficiles, il ne faut pas flancher. Il faut écouter, il faut aussi décider.
- C'est le cas dans "l'affaire" José Bové ?
- M. Bové a défié la justice. Un Etat de droit doit faire respecter la justice et M. Bové doit assumer les conséquences de ses actions. C'est simple. Il faut remettre les idées à l'endroit en France.
- Qu'est-ce qui les a mises à l'envers ?
- La démagogie. On a négligé le travail et l'effort, on a mésestimé les réalités, on a méprisé le contribuable, on a oublié le respect des institutions, on a abandonné un certain nombre de valeurs qui sont dans le pacte social. Eh bien, respecter la justice, c'est respecter les valeurs fondamentales. De la simplicité et du bons sens : je pense que les Français sont prêts à cela.
- Et gracier Bové, ce serait du bon sens ?
- C'est une prérogative du président de la République.
- Qu'avez-vous pensé des manifestations de soutien à vos réformes ?
- Elles sont l'expression d'un profond ras-le-bol de la France silencieuse. De très nombreux Français ne se sentent pas représentés par ce qu'ils entendent, lisent ou voient. C'est ce que j'ai ressenti quand j'ai parlé de la France d'en bas. Cela dit, nous n'avons pas voulu promouvoir ou accompagner ce genre de manifestations par souci d'éviter des heurts et des affrontements. Mais je ne veux pas être comme le curé de Cucugnan qui grogne contre ceux qui sont à la messe pour ceux qui n'y sont pas. Je sais qu'il y a aujourd'hui un grand nombre de gens qui veulent faire entendre leurs voix et qui expriment l'envie, la demande et le besoin qu'on tienne bon sur la réforme des retraites. Dans la rue les gens m'arrêtent et me disent : "Tenez bon!" Je les remercie.
- Et l'UMP : vous a-t-elle soutenu ?
- Oui, énormément dans l'élaboration comme dans l'explication -Alain Juppé et la direction de l'UMP ont été très actifs. J'ai été admiratif de la patience et de l'assiduité de nos parlementaires.
- Où en sont les réflexions du gouvernement sur le service minimum ?
- D'abord il y a une difficulté de définition. Le service minimum n'est pas le même à La Poste, à la SNCF ou à la RATP. Cela demande des discussions entreprise par entreprise. Le gouvernement est vraiment déterminé à éviter qu'une minorité puisse, dans une démocratie, bloquer une majorité. Le principe général, c'est : oui au droit de grève et à une démocratie sociale vivante, mais non à la loi imposée par une minorité.
- L'horizon économique est gris. La France est-elle condamnée à la rigueur ?
- Je me méfie des experts, et surtout des faux. Les plus grands d'entre eux n'ont-ils pas, en quatre mois, divisé par deux leurs prévisions de croissance ? Je préfère écouter les entrepreneurs et les acteurs de terrain. Nous pensons que, entre septembre et mars, nous pouvons retrouver un rythme de croissance proche de 2,5%. Il faut que l'économie soit alors en mesure de prendre les vents favorables. Donc nous ne souhaitons pas aujourd'hui avoir une politique de rigueur, c'est-à-dire faire appel à l'impôt ou à l'augmentation des charges parce que cela tuerait la dynamique de la croissance.
- Mais elle s'est encore affaiblie en mai.
- Vous savez les ponts et les grèves, ce n'est pas idéal pour la croissance. Le mois de mai est un mois de consommation "alternée". Je pense que les soldes vont bien relancer la consommation. L'augmentation du Smic au 1er juillet et les allègements de charges corollaires devraient participer au soutien de l'économie pour les mois à venir. En fait, les indicateurs du retour de la croissance sont crédibles et je ne souhaite pas nous mettre dans une situation d'austérité qui nous empêcherait de prendre la croissance quand elle reviendra. Je rappelle qu'un point de croissance c'est 150 000 emplois. Notre pays a tous les atouts de la réussite. Les Françaises et les Français doivent avoir confiance en eux-mêmes.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 juillet 2003)
- Jean-Pierre Raffarin - C'est tout le contraire : la décentralisation, c'est l'inverse de l'indépendance. Pour nous, ce 6 juillet est la première étape d'un nouveau projet de la Corse dans la République et de la République. J'ai proposé une réforme de la Constitution votée par le Congrès pour que nous ayons une organisation décentralisée. Je tends la main à la Corse pour qu'elle soit la première région dans la République à disposer d'une vraie initiative de décentralisation. Demain d'autres régions suivront, d'autres régions qui n'ont ni revendications nationalistes ni histoires tragiques comme celles qu'a pu connaître la Corse. Ce référendum peut être le lancement de la nouvelle organisation décentralisée de la République française.
- Il est aussi l'occasion pour vous de relancer le débat sur la décentralisation qui semble s'enliser...
- La décentralisation est une mutation de longue haleine. La Constitution a déjà été modifiée. Il n'y a donc pas à " relancer " le débat. Au total cinq textes législatifs définiront notre nouvelle architecture républicaine. Mais les leviers du changement sont désormais en place : la péréquation financière et l'expression populaire constituent le socle de ce nouveau droit de l'expression des territoires et de la diversité de la France unie dans la République. Nous sommes pour la Corse dans l'application stricte de la réforme constitutionnelle.
- Pourtant, la tradition jacobine persiste en France.
- Je ne suis pas du tout étonné. Il a suffi de voir combien ma nomination au poste de Premier ministre -un élu territorial!- était pour beaucoup une "nouveauté". C'était la preuve que le jacobinisme et le centralisme sont encore très présents dans le fonctionnement des pouvoirs en France. C'est là une faiblesse. Nos organisations sont congestionnées dans les hauteurs. La solution est de responsabiliser nos territoires. En ce sens, la Corse a tout à gagner en étant dans la République, avec les droits de la République mais aussi avec les initiatives nouvelles de la décentralisation.
- Si le non l'emportait, que signifierait ce rejet ?
- Ce serait le refus à une main tendue. Pour la première fois, on donne la parole aux Corses pour qu'ils répondent à l'offre de la République. Ils peuvent dire oui, ils peuvent dire non, c'est leur responsabilité. Ainsi proposé au vote des citoyens, nul ne pourra dire que ce dispositif a été négocié entre quarante personnes dans un bureau de Matignon. Ce sont les citoyens qui légitimeront ce projet qui, encore une fois, consiste à créer une relation nouvelle entre l'Etat et l'île de Beauté. Je compte sur les Républicains pour faire le choix de l'avenir.
- Le débat parlementaire sur la réforme des retraites s'est éternisé. A juste titre ?
- Le gouvernement n'a pas à juger la qualité du débat parlementaire. Ce texte sur les retraites est un texte majeur avec lequel nous allons vivre durablement. Je ne souhaite pas qu'il soit entaché par un passage en force. Nous avons pris le temps de la discussion. Nous avons mis six mois pour élaborer des propositions qui ont été soumises pendant trois mois aux partenaires sociaux. Je me souviens de très nombreux conseilleurs qui disaient : "Il faut y aller beaucoup plus vite!", de tous ceux qui ont évoqué la théorie absurde des cent jours, de tous ceux qui ne croient pas que la politique c'est la science du temps... Eh bien nous avons fait ce que nous avions dit au moment où nous l'avions dit. Voilà trente ans que la France est face à un problème démographique majeur et voilà trente ans que nous pratiquons la stratégie de l'autruche en feignant de ne pas voir que, nos générations ne se renouvelant pas, nous aurions des problèmes importants pour nos retraites, mais aussi pour l'emploi et pour la santé. L'important aujourd'hui est d'avoir une vision d'une France à l'aise dans le XXIe siècle. Il faut donc regarder les difficultés sereinement et avec lucidité. Pour la France le chemin du bonheur, c'est le courage. Et le courage c'est d'engager les mutations au cour de la société française.
- L'opposition vous reproche à nouveau de pratiquer l'insulte et de "mettre de la tension en politique"...
- Un humaniste ne cherche pas les tensions. Je pratique le dialogue social et je respecte profondément la personne chez mon adversaire, même si je m'oppose à ses idées. Je n'ai pas de complexe sur mon aptitude naturelle à l'ouverture mais j'ai aussi du caractère, un langage direct, non technocratique, et je dois assurer ma mission avec détermination.
- Comment jugez-vous le comportement actuel de la gauche ?
- Elle est décevante. Je pense, comme le disent certains socialistes, qu'elle n'assume pas son éthique des responsabilités. Le PS a une certaine agilité pour oublier la culture de gouvernement et choisir l'agitation. Il cherche à profiter du mécontentement. A mon avis, c'est une erreur et un manque de discernement politique. J'ai envie de rappeler aux socialistes cette réflexion que Valéry Giscard d'Estaing m'a confiée récemment : "Les Français hésitent toujours sur les réformes, mais ils condamnent les responsables de l'immobilisme."
- Quand la réforme de la Sécurité sociale sera-t-elle engagée ?
- Le but n'est pas de réformer la Sécurité sociale mais de la protéger. La santé fait partie du bonheur et de la sécurité des Français. Autant pour la réforme des retraites, les sujets étaient clairement identifiés, autant pour la réforme de la santé c'est un ensemble d'analyses et d'orientations qu'il convient de discuter avec tous les partenaires. Qu'il s'agisse des questions de l'hôpital, des médicaments, de la vieillesse, du handicap... Nous avons besoin de temps.
- N'est-ce pas aussi que les conditions du débat sur les retraites vous ont échaudé ?
- Cela nous a plutôt confortés. Je vous rappelle que, pour la Sécurité sociale, il ne s'agit pas d'une réforme mais d'une adaptation aux mutations sociétales. Sur deux petites filles qui naissent aujourd'hui, l'une d'elles vivra jusqu'à 100 ans. Chaque étape de la vie va changer. Dans cette réflexion nationale, il faudra tenir compte des acquis mais aussi des nouveaux comportements. Notre approche doit être très réfléchie, très partagée.
- Pourquoi la réforme est-elle, en France, toujours associée à la gauche ?
- Je conteste cela. Je vous rappelle que la loi sur le divorce, la majorité à 18 ans, la fin de la conscription par exemple, ont été des réformes que nous avons menées. Depuis 1981 et jusqu'à 2002, les gouvernements de droite n'ont jamais duré plus de deux ans. Or, pour réformer, il faut deux conditions : du temps, et être dégagé des jeux personnels. Nous avons aujourd'hui une sorte de carré magique. Je l'appelle le carré de la confiance : Président, gouvernement, parlement, parti. Et puis nous sommes dans une logique où les jeux personnels ne dominent pas l'action gouvernementale.
- Vraiment ?
- Il peut y avoir des ambitions, mais nous ne sommes pas dans une situation où le quotidien est dominé par le jeu des perspectives personnelles. Chacun, à sa place, assume son rôle.
- Parce que Jacques Chirac sera candidat à un troisième mandat en 2007 ?
- Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. De toute façon, pour un Premier ministre la fin de la semaine c'est déjà une éternité. Alors, des prévisions pour 2007...
- Pourquoi semble-t-il impossible en France d'engager des réformes dans les secteurs de l'éducation ou de la culture comme le montre le conflit avec les intermittents du spectacle ?
- Pour les intermittents du spectacle, il s'agit d'une profession particulièrement fragile. La culture et la sécurité sont souvent distantes l'une de l'autre. Il nous faut cependant corriger l'insécurité sociale des créateurs malgré les terribles déficits de leur régime. On ne peut pas ne pas tenir compte de l'importance de ces métiers dans la vie culturelle et économique de notre pays. Pour l'éducation, j'ai mesuré ce printemps l'ampleur du malaise. Prendre l'école comme une structure simple et d'un bloc, c'est une erreur. Dans les mois qui viennent, je voudrais que nous ayons un grand débat national qui débouche sur un pacte national pour l'école dans la nation. Quand nous aurons fait ce travail de diagnostic républicain, avec justice et sans accusation, nous serons en mesure de réviser la loi d'orientation de 1989.
- Avec le même ministre ?
- Oui. Mais je pense aux élèves, à leurs parents, aux syndicats, aux collectivités locales. C'est à partir du terrain qu'on peut établir le diagnostic lucide en faveur d'une réforme sur des bases vraiment partagées et non partiales. Il y a trop de langages. Quand vous parlez des difficultés de l'éducation, vous donnez parfois l'impression d'agresser ceux qui font très bien leur travail en plaçant l'école au cour du pacte républicain. L'école doit faire l'objet d'une grande réconciliation nationale - là est la source des évolutions du futur.
- Ce pacte républicain est-il aujourd'hui plus assuré qu'il ne l'était il y a un an ?
- Oui. Qu'est-ce que le pacte républicain ? Des valeurs communes, des responsabilités identifiées et une capacité de faire appel à la démocratie pour garder les responsables élus ou bien en changer. La cohabitation a vraiment posé des problèmes majeurs en rendant les responsabilités opaques et en paralysant leur mise en ouvre. Le pacte républicain, ce n'est pas l'ambiguïté permanente, ce n'est pas l'incapacité publique. La République, il ne suffit pas de l'invoquer, il faut la pratiquer.
- Que répondez-vous à la gauche quand elle vous accuse de "faire du Thatcher" ?
- Quand vous pilotez une action ou quand vous négociez des passages difficiles, il ne faut pas flancher. Il faut écouter, il faut aussi décider.
- C'est le cas dans "l'affaire" José Bové ?
- M. Bové a défié la justice. Un Etat de droit doit faire respecter la justice et M. Bové doit assumer les conséquences de ses actions. C'est simple. Il faut remettre les idées à l'endroit en France.
- Qu'est-ce qui les a mises à l'envers ?
- La démagogie. On a négligé le travail et l'effort, on a mésestimé les réalités, on a méprisé le contribuable, on a oublié le respect des institutions, on a abandonné un certain nombre de valeurs qui sont dans le pacte social. Eh bien, respecter la justice, c'est respecter les valeurs fondamentales. De la simplicité et du bons sens : je pense que les Français sont prêts à cela.
- Et gracier Bové, ce serait du bon sens ?
- C'est une prérogative du président de la République.
- Qu'avez-vous pensé des manifestations de soutien à vos réformes ?
- Elles sont l'expression d'un profond ras-le-bol de la France silencieuse. De très nombreux Français ne se sentent pas représentés par ce qu'ils entendent, lisent ou voient. C'est ce que j'ai ressenti quand j'ai parlé de la France d'en bas. Cela dit, nous n'avons pas voulu promouvoir ou accompagner ce genre de manifestations par souci d'éviter des heurts et des affrontements. Mais je ne veux pas être comme le curé de Cucugnan qui grogne contre ceux qui sont à la messe pour ceux qui n'y sont pas. Je sais qu'il y a aujourd'hui un grand nombre de gens qui veulent faire entendre leurs voix et qui expriment l'envie, la demande et le besoin qu'on tienne bon sur la réforme des retraites. Dans la rue les gens m'arrêtent et me disent : "Tenez bon!" Je les remercie.
- Et l'UMP : vous a-t-elle soutenu ?
- Oui, énormément dans l'élaboration comme dans l'explication -Alain Juppé et la direction de l'UMP ont été très actifs. J'ai été admiratif de la patience et de l'assiduité de nos parlementaires.
- Où en sont les réflexions du gouvernement sur le service minimum ?
- D'abord il y a une difficulté de définition. Le service minimum n'est pas le même à La Poste, à la SNCF ou à la RATP. Cela demande des discussions entreprise par entreprise. Le gouvernement est vraiment déterminé à éviter qu'une minorité puisse, dans une démocratie, bloquer une majorité. Le principe général, c'est : oui au droit de grève et à une démocratie sociale vivante, mais non à la loi imposée par une minorité.
- L'horizon économique est gris. La France est-elle condamnée à la rigueur ?
- Je me méfie des experts, et surtout des faux. Les plus grands d'entre eux n'ont-ils pas, en quatre mois, divisé par deux leurs prévisions de croissance ? Je préfère écouter les entrepreneurs et les acteurs de terrain. Nous pensons que, entre septembre et mars, nous pouvons retrouver un rythme de croissance proche de 2,5%. Il faut que l'économie soit alors en mesure de prendre les vents favorables. Donc nous ne souhaitons pas aujourd'hui avoir une politique de rigueur, c'est-à-dire faire appel à l'impôt ou à l'augmentation des charges parce que cela tuerait la dynamique de la croissance.
- Mais elle s'est encore affaiblie en mai.
- Vous savez les ponts et les grèves, ce n'est pas idéal pour la croissance. Le mois de mai est un mois de consommation "alternée". Je pense que les soldes vont bien relancer la consommation. L'augmentation du Smic au 1er juillet et les allègements de charges corollaires devraient participer au soutien de l'économie pour les mois à venir. En fait, les indicateurs du retour de la croissance sont crédibles et je ne souhaite pas nous mettre dans une situation d'austérité qui nous empêcherait de prendre la croissance quand elle reviendra. Je rappelle qu'un point de croissance c'est 150 000 emplois. Notre pays a tous les atouts de la réussite. Les Françaises et les Français doivent avoir confiance en eux-mêmes.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 juillet 2003)