Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur la gestion des zones humides et leur importance pour la politique de l'eau, Bourges le 4 décembre 2003.

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Circonstance : Signature du contrat environnemental à Bourges (Cher) le 4 décembre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Me voici aujourd'hui, à l'invitation de Serge Lepeltier, dans une ville qui se dote d'un contrat environnemental exemplaire, élaboré en fonction des attentes exprimées par les uns et les autres à l'égard de leur ville : propreté, sécurité, équilibre et participation sont ressortis clairement des analyses qui ont été proposées.
Je suis heureuse d'être ici pour la présentation officielle de ce contrat qui illustre à bien des égards ce que je souhaite promouvoir en matière d'écologie urbaine. " Etre bien dans sa ville ", je vous soumets cette maxime qui en résume bien les enjeux. La stratégie nationale de développement durable laisse une place importante à ces questions urbaines et je m'emploie personnellement, au travers d'actions concrètes, à lui donner une réalité quotidienne, dans le respect des compétences des collectivités territoriales. Ainsi, j'ai lancé récemment un plan de lutte contre les nuisances sonores, qui sont parmi les principales sources de mal-être des Français. J'ai aussi engagé une nouvelle étape dans le domaine de la qualité de l'air le mois dernier avec un plan sur l'air qui intègre les nouvelles orientations communautaires sur ce point. Mais le plus important, c'est la relation permanente que les premiers élus de la République, les maires, doivent entretenir avec les habitants. Ce n'est qu'en construisant collectivement une vision partagée du développement durable, du respect de l'environnement, qui doit commencer par le respect de ses voisins, que nous répondrons aux exigences de cette devise que je viens d'énoncer.
Concrètement, votre territoire s'enorgueillit d'une gestion durable par l'ensemble des acteurs locaux d'un très bel espace : les marais de l'Yèvre et de la Voiselle, vaste ensemble jardiné, agencé par un système hydraulique ancien mêlant terre et eau, d'environ 130 hectares. Chacun sait ici qu'on les appelle les " marais de Bourges ". En effet, leur mise en valeur illustre à l'envi le souci de valoriser les ressources naturelles et un patrimoine remarquable, dans le cadre d'un partenariat local très large. Ce patrimoine connaît aujourd'hui une juste reconnaissance de son intérêt " national ", de son originalité mêlant la richesse écologique à celle du paysage et à un héritage culturel fort : le classement au titre de la loi sur les sites de 1930 qui vient d'être prononcé en est le témoignage.
Je salue également aujourd'hui la qualité du travail qui a conduit à l'élaboration d'une excellente charte de l'environnement du département. Ce sont là autant d'illustrations de la possibilité de faire converger des politiques diverses au services de la gestion décentralisée et maîtrisée d'espaces exceptionnels.
En l'espèce, en effet, vous pouvez constater la synergie de ma politique des sites et paysages avec la politique de l'eau Parlons plus précisément des zones humides, je suis attachée à démontrer combien les orientations que je développe, qui se placent dans une perspective de développement durable, constitueront un gain économique réel pour ces territoires.
Si j'ai évoqué les marais de l'Yèvre et de la Voiselle, c'est que leur classement, qui constitue une protection rare (1,4 % du territoire national), s'inscrit dans une perspective d'avenir : leur pérennité est liée au maintien du maraîchage, à l'entretien des ouvrages et canaux et à une gestion raisonnée de la ressource en eau. C'est là une illustration de mon propos : une zone humide, vous le savez, est d'abord remarquable par sa beauté, à laquelle chacun est sensible, espace pittoresque entre ciel et eau, mais c'est aussi un espace naturel utile à bien des égards
Utile ? Tout d'abord, et vous ne m'en voudrez pas de commencer par cet aspect, parce que c'est un espace d'expansion des crues qui protège naturellement contre les inondations nos zones humides se substituent ainsi naturellement et gratuitement à des ouvrages coûteux de régulation des débits hydrauliques.
Les marais, tourbières, prairies humides, mangrove d'outre-mer, qui constituent encore trop souvent dans l'imaginaire collectif des espaces hostiles, présentent aussi un très grand intérêt en matière de préservation et de gestion équilibrée de la ressource en eau : elles contribuent au soutien d'étiage, ce que nous savons également très précieux en période de sécheresse, et constituent des dispositifs naturels d'auto-épuration des eaux.
Utiles, elles le sont en effet On en néglige bien trop souvent la traduction économique : en tant que zones d'auto-épuration des eaux, elles assument avec discrétion des fonctions hydrauliques qui ne sont pas toujours bien connues.
A ce propos, je voudrais saluer les bons résultats du programme national de recherche sur les zones humides, qui s'est inscrit dans une dynamique d'action interministérielle lancée en 1995 par le Gouvernement.
Dans le cadre d'une coopération d'experts appartenant à des domaines très divers, sciences du vivant ou sciences humaines, ce programme a permis de mieux cerner la complexité des phénomènes en jeu en matière de conséquence des flux d'eau sur les zones humides je ne résiste pas au plaisir de faire un peu de publicité pour un ouvrage de référence que mon ministère vient de publier dans ce domaine, paru en août 2003 : Les zones humides et l'eau Ce fascicule est le premier tome d'une trilogie qui devrait être achevée à la fin de l'année 2004. Vous le voyez, je désire toujours commencer par développer la connaissance et le retour d'expérience.
C'est précisément ce souci qui a guidé mon action dans l'élaboration du titre consacré aux zones humides dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux : j'ai voulu, tout d'abord, résoudre la question encore trop floue de l'identification des zones humides afin de pouvoir développer ensuite des outils juridiques puissants au service des enjeux de leur préservation. Pour énoncer des droits spécifiques, des devoirs ou des règles de gestion sur un territoire, il faut d'abord pouvoir en cerner le périmètre.
Bien souvent, le zones humides constituaient historiquement des terres très productives que les aides publiques ne visaient pas à préserver. Le rapport du préfet Paul BERNARD, publié en 1994, a fait prendre conscience de l'ampleur de leur régression au cours des dernières décennies : il démontre en effet que plus de la moitié des zones humides a disparu entre 1940 et 1990, essentiellement du fait de politiques publiques sectorielles Pour inverser la tendance à la dégradation, et au-delà du plan national de 1995, il s'agit maintenant pour le Gouvernement de créer dans le projet de loi les conditions pour un équilibre économique de ces espaces, dans une perspective de développement durable, et notamment d'aider à la structuration de projets visant à leur valorisation, et par là même à leur préservation.
Si vous le désirez, vous pourrez lire avec attention le projet de loi : l'éventail des mesures qu'il associe est varié. Il combine toutes sortes de mesures permettant une bonne gestion des zones humides, en privilégiant la concertation locale d'abord, mais aussi en se dotant d'outils potentiellement plus contraignants lorsque c'est vraiment nécessaire : par exemple, nous allons rendre possible l'instauration, à la demande de collectivités concernées, de servitudes destinées à protéger les zones humides stratégiques pour la gestion de l'eau, notamment pour l'approvisionnement en eau potable. Ce dispositif s'inscrira dans le cadre de missions élargies des SAGE, afin de garantir une concertation locale préalable Je tiens à le souligner, de telles obligations ne verront le jour qu'en cas de besoin avéré et elles ouvriront bien sûr droit à indemnités pour les propriétaires et occupants. Dans ces zones, les communes ou établissements publics de coopération pourront instaurer un droit de préemption urbain.
D'autres mesures ont une fonction plus directement économique : il convient de corriger un effet pervers de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les prairies et landes des zones humides, qui constituent environ 40% des zones humides : très productives, les zones humides étaient autrefois des zones lourdement taxables Ce qui n'est plus vrai, loin s'en faut, aujourd'hui. Elles bénéficieront désormais d'une exonération, conditionnée par un engagement du propriétaire en faveur de la préservation qui supposera le maintien de la nature de la culture et une gestion appropriée de la zone humide. Cette exonération pourra être partielle (50 %), voire totale dans le cas de terrains relevant du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, des parcs nationaux, des réserves naturelles, des parcs naturels régionaux, des sites inscrits et classés (on revient aux marais de Bourges), des arrêtés de biotope, des sites du réseau Natura 2000 et des zones humides d'intérêt environnemental particulier. Ainsi, tous les espaces en zone humide dont la valeur patrimoniale est telle qu'ils font l'objet de protections réglementaires seront éligibles à une exonération totale
En somme, les zones humides sont à la croisée de plusieurs chemins et sont des objets d'intérêt particulier pour mon ministère : on y retrouve les politiques de l'eau, de prévention des risques naturels, de préservation de la biodiversité et de gestion de la faune sauvage ainsi que de développement d'un tourisme durable C'est en effet justement parce que l'eau y est présente, et souvent divagante, qu'elles sont aussi des réservoirs de biodiversité et constituent un patrimoine naturel d'exception : elles accueillent des activités particulières, au plus près de la nature, comme l'élevage, la pisciculture, le maraîchage, la pêche, ou encore la chasse, qui ne peuvent perdurer qu'en inventant des modalités concertées de gestion de la ressource. La pérennité de ces espaces ne sera garantie qu'en leur reconnaissant un très fort intérêt économique, social et paysager, voire culturel Au moment où je fais de la stratégie nationale de biodiversité un de mes objectifs majeurs pour l'année 2004, je tiens à vous dire combien cette symbiose entre un milieu naturel particulièrement riche et les activités économiques qui s'y développent illustre ce que j'entends promouvoir.
La route à parcourir est encore longue : l'observatoire national des zones humides doit poursuivre ses réflexions méthodologiques et conforter son dispositif de veille, afin de permettre la mise en place d'un réseau cohérent de zones humides protégées, dont la gestion durable sera assurée. Dans cette perspective, les collectivités territoriales ont un rôle capital à jouer sur l'ensemble du processus en articulation avec les services déconcentrés de l'Etat. En particulier, elles devront contribuer à organiser des maîtrises d'ouvrage efficaces et adaptées aux contextes locaux
Ce faisant, elles fourniront une illustration de l'article 6 du projet de loi constitutionnelle portant Charte de l'environnement dont j'ai eu l'honneur de conduire l'élaboration :
les pouvoirs publics ont le devoir de promouvoir le développement durable.
Je vous remercie de votre attention.



(source http://www.environnement.gouv.fr, le 5 décembre 2003)