Texte intégral
Charente département pilote dans l'accès aux services publics
CL : Qu'est-ce que vous attendez de l'expérience pilote menée en Charente sur la proximité des services publics?
J.P.R. L'objectif d'une opération pilote est de définir une dynamique de service et pas de structures. Il faut penser le service au citoyen, à l'usager comme étant l'objectif premier de la réforme de l'Etat. Au fond, c'est une réforme de l'Etat qui commence par le terrain et qui consiste à dire, regardons les services publics : qu'est-ce qui fonctionne? Il y a tout un volet sur lequel beaucoup de choses ont avancé: c'est l'information. Il faut être capable de donner des réponses précises à des questions spécifiques. C'est un point très important sur lequel, je crois, la préfecture de Charente travaille bien. Il faut faire des propositions opérationnelles à toutes les demandes, que ce soit les prestations sociales ou le permis de conduire. Avec un service intranet et une capacité d'intervention humaine à chaque question. Le deuxième sujet sur lequel il est très important de bien avancer, c'est le dispositif d'accueil et de réponses aux usagers.
Il y a d'autre part la production sur le terrain d'un service public opérationnel, c'est-à-dire comment doivent évoluer par exemple les services de la poste, les différents services publics en milieu rural, et donc comment rassembler des pôles administratifs polyvalents pour mailler le territoire. C'est cela que nous voulons expérimenter et dont nous voulons apprécier la capacité et la qualité, avec un meilleur service public.
CL : C'est une espèce de guichet unique en campagne ?
JPR : Non, c'est une entrée unique dans un guichet ouvert. Vous entrez quelque part pour venir chercher une information qui peut concerner aussi bien vos impôts locaux que votre permis de construire ou vos droits sociaux. C'est une entrée unique tout de suite ouverte sur un service très large.
CL : les maisons de service public imaginées il y a quelques années n'ont pas marché: qu'est-ce qui a coincé ? Le corporatisme de chaque administration voulant garder ses pouvoirs ?
JPR : Dans le passé le système est resté cloisonné. Aujourd'hui, avec le numérique, on a la possibilité d'avoir une expression pluraliste de l'information, exprimé de manière simplifiée aux citoyens. Précédemment on était obligé systématiquement d'avoir affaire à des personnes qui se parlaient peu, à des fichiers qui n'étaient pas compatibles. La technologie doit nous aider à humaniser les services au public.
CL: Et du côté des agents?
JPR: De plus en plus de personnes sont maintenant capables d'avoir une multi-compétence. Par exemple : regrouper autour du préfet des pôles de compétences de manière à pouvoir traiter tout ce qui est développement économique, tout ce qui est protection sociale, tout ce qui est aménagement du territoire. Il faut arriver à limiter la dispersion de l'action de l'Etat pour avoir des agents qui soient pluralistes dans leur compétence.
CL : Concrètement, après le rapport du préfet, il y aura une expérimentation. Dans ce cadre verra-t-on par exemple, dans le même bureau la Poste et la douane ?
JPR : Absolument. Je souhaite vraiment que l'on puisse mettre en expérimentation ce que le préfet aura jugé possible. Le représentant de l'Etat en Charente est le mieux placé pour améliorer l'animation des services et la motivation des personnes.
CL : le grand ordonnateur ça va être le grand ordinateur. Est-ce que l'informaticien ne va pas être remplacer le fonctionnaire ?
-JPR: Le numérique ne fait que traiter de l'information humaine. Ce qui est très important aujourd'hui c'est qu'il y ait de l'humain en amont, de l'humain en aval, mais au milieu tout le traitement de l'information peut être en effet numérique. C'est l'homme qui doit percevoir la problématique et concevoir les systèmes de données ; entre les deux, on peut avoir une économie d'information numérique.
CL: Le dernier commerce rural, la dernier rempart contre l'exode est souvent le bar-tabac. Or avec les hausses des taxes sur les cigarettes, beaucoup annoncent qu'ils vont disparaître. N'y a-t-il pas là une contradiction dans votre action?
- JPR: Non. Nous allons traiter le problème des buralistes, nous avons mis d'ailleurs un programme d'aides sur la table pour travailler avec eux. Mais il faut surtout lutter contre le tabac: c'est un choix que nous avons fait. Comme nous voulons lutter contre l'insécurité routière. Lutter contre le cancer, pour les personnes handicapées et pour la sécurité routière, ce sont les trois chantiers prioritaires que le Président a fixé au Gouvernement. Nous devons aider les professionnels qui sont concernés par ces actions.
CL : Vous soulignez l'importance du numérique dans votre politique des territoires. Encore faudrait-il que le numérique arrive partout en milieu rural, ce qui est loin d'être le cas... Est-ce que les départements pilote seront également pilote en matière numérique?
-JPR: Nous nous donnerons les moyens lors de ces expérimentations d'optimiser l'accès non seulement au téléphone mobile, mais également au haut débit. D'ores et déjà nous avons prévu des investissements numériques pour ces départements. Il faut du haut débit pour pouvoir remplir ces différentes missions. Je suis donc très heureux que la Charente participe à cette dynamique.
CL: Est ce que c'est le moyen pour vous de dire: voilà la décentralisation, c¹est du concret, ça démarre par des expériences, et ensuite on généralise.
-JPR: La grande réforme de la décentralisation est en cours. Nous avons fait la réforme constitutionnelle, elle a déjà changé beaucoup de choses. Les gens ne perçoivent pas encore cette réforme. Maintenant le Conseil constitutionnel va examiner tous les textes au rythme de la réforme. L'Etat ne pourra pas transférer sans financer, comme cela a été le cas dans le passé récent. On sera obligé de demander aux Régions leur avis sur un certain nombre de sujets.
Le Conseil Constitutionnel a maintenant les moyens de valider des initiatives décentralisatrices afin qu'elles soient conformes au droit. La vertu décentralisatrice est dans la Constitution. Désormais, dès qu'il y aura un texte, le Conseil constitutionnel demandera: où est la dimension décentralisée de cette fonction? La décentralisation va intégrer notre droit.
CL: Est-ce que les hommes, eux, vont l'intégrer?
-JPR: Les grandes heures de la décentralisation sont derrière nous. On ne pourra pas remettre en cause un certain nombre de compétences décentralisées aux collectivités territoriales, comme par exemple les transferts de routes. Toute la formation professionnelle sera affectée aux régions. Au delà de ses compétences propres, l'Etat ne pourra plus décider sans le dispositif territorial. Un texte aujourd'hui qui oublierait la compétence départementale ou qui ne financerait pas un transfert, comme ce fut le cas de l'APA par exemple, serait inconstitutionnel.
CL: Parce qu'il n'est pas financé ?
-JPR: Absolument. La décentralisation a franchi des étapes irréversibles. Il y a cinq textes qui vont changer beaucoup de choses. L'illustration en est par exemple le haut débit sur la Charente: son financement met l'Etat sous une vraie pression territoriale.
Fiscalité
CL: L'impôt sur le revenu a baissé de 10% mais dans le même temps, on enregistre depuis lundi + 20% sur les cigarettes avant + 20% à nouveau en janvier, plus une hausse de 3 cts du gazole: on prend dans une poche pour remettre dans une autre ?
-JPR: l'usager et le contribuable ce n'est pas pareil. Si vous allez dans les pompes à essence de Charente, vous vous apercevrez qu'il y a plus de 3 centimes de différence entre deux pompes. Et d'autre part l'évolution du dollar fait que cela devrait être peu coûteux à la pompe. Mais je le sais, il n'y a pas d'augmentation sympathique. Problème de lisibilité dit-on? La baisse de l'impôt sur le revenu, de 10% en 18 mois, est lisible. Les augmentations de taxes sont toujours difficiles. Il fallait dans ce budget faire un certain nombre d'efforts. Il fallait montrer à l'Europe que nous sommes capables de faire des efforts. D'autre part, la hausse de la taxe sur le gazole était prévue déjà par nos prédécesseurs parce qu'il y a un écart important entre la fiscalité essence et la fiscalité gazole. L'écart reste avantageux pour le gazole. Si j'avais trouvé les finances publiques en meilleur état, et s'il n'y avait pas eu un certain nombre de décisions prises mais non financées par nos prédécesseurs, nous aurions pu nous en passer. Dois-je rappeler que l'on ne fait pas les prélèvements par plaisir ? Il est important que l'impôt sur le revenu s'inscrive durablement dans une baisse. Il faut valoriser le travail, les revenus du travail doivent être supérieurs, plus motivants que les revenus de l'assistance, même s'il ne faut pas oublier les revenus de l'assistance, c'est pour ça qu'on fait la baisse des impôts.
La baisse des impôts est quelque chose de durable alors que l'augmentation du gazole reste quelque chose d'occasionnel. L'augmentation du Smic s'inscrit dans la durée : l'équivalent d'un 13ème mois en 3 ans. La croissance revient en 2004, nous voulons donc préserver une politique sociale audacieuse et attentive vis-à-vis de nos concitoyens les plus fragiles et les plus faibles.
CL : Dans la perception générale, la baisse des impôts sur le revenu est annulée par la montée des impôts locaux. N'est-ce pas la réalité ?
- J.P.R. : L'augmentation des impôts locaux a été décidée avant la décentralisation, partout en France. Il faut une mauvaise foi et un esprit partisan pour ne pas l'admettre ; ceux qui avec P. Mauroy étaient décentralisateurs sont devenus des centralisateurs avec Raffarin ! C'est un mensonge politique de dire que la hausse des impôts locaux est due à la décentralisation : elle ne sera pas mise en uvre avant 2005 ! En revanche, on a demandé aux départements de financer l'APA, de financer les 35 heures. Avec la réforme décentralisatrice, ce ne serait plus possible. L'impôt local aujourd'hui est un impôt socialiste.
CL : Comment convaincre, comment croire aujourd'hui que l'Etat va compenser alors que vous êtes dans une situation budgétaire difficile, que les contribuables ont la conviction que l¹augmentation continuera au niveau local ?
- J.P.R. : Il faut une sincérité de l'information. D'une part les impôts locaux ont été décidés avant 2002, d'autre part, j'ai fait inscrire dans la Constitution que tout transfert serait financé. Je suis le premier Premier ministre à avoir donné aux collectivités territoriales de vraies sécurités. Il n'y a pas de meilleure sécurité juridique que la Constitution. Nous avons réuni un Congrès qui a voté cette garantie constitutionnelle : pas de transferts de compétences sans transfert de financement.
CL : En clair vous assurer que la décentralisation coûte zéro augmentation ?
- J.P.R. : Absolument. Avec les lois Deferre, la décentralisation donnait des responsabilités aux élus locaux tout en laissant l'Etat exercer des missions, c'est à dire que l'on doublait les financements. Et la dépense. Nous avons fait voter un acte constitutionnel majeur . La décentralisation n'est pas source d'augmentation de fiscalité locale. Je comprends le scepticisme parce que j'ai suffisamment vu l'Etat, dans le passé, ne pas respecter sa signature. Désormais nous avons la protection de la Constitution.
CL : Estimez-vous ou non qu'il y a nécessité de réformes fiscales globales maintenant ?
J.P.R. : Je pense qu'il y a nécessité de réforme. Nous avons un programme de réforme chargé.
Réforme de la santé et emploi
CL : Reprenant votre exemple sur qui doit couvrir l'assurance de l'accident de ski, doit-on comprendre qu'on se dirige vers un système de santé partagé entre sécu et assurance privée?
J.P.R. : Je n'ai fait que poser des questions. J'ai confié à un Haut conseil de l'assurance maladie présidé par une personnalité incontestable, M. Fragonard, le soin de nous faire une proposition comme le COR (ndlr: conseil d'orientation des retraites) l'a fait pour les retraites. Nous avons simplement lancé des débats : éviter la privatisation et l'étatisation, pour plus de responsabilisation. Il ne sert à rien d'accuser les uns ou les autres. Il faut que l'ensemble des partenaires soit des agents de responsabilité. Jusqu'à Noël: le diagnostic; jusqu'à Pâques: le dialogue; puis la décision, avant l'été. Ce sera l'établissement d'un calendrier bien défini. Je n'ai pas d'idée préconçue, je ne suis pas favorable à la remise en cause des acquis de la sécurité sociale.
CL : Les Allemands ont imposé au consommateur une part payante sur chaque médicament? Est-ce que cela vous paraît une piste ou pas?
J.P.R. : L'idée de la franchise qui est développée par les Allemands, par les Pays Bas ne me parait pas une idée adaptée à notre problème. La franchise, ça voudrait dire 250 euros ou 300 euros, par exemple, que chacun paie par an. Au-delà, on retombe dans le système précédent : il n'y a pas la vertu de la responsabilisation. Or, c'est cette vertu que j'appelle de mes voeux. Les propositions allemandes ne sont pas inscrites dans l'histoire de la sécurité sociale française.
CL : Toutes ces réformes sont d'autant plus difficiles à mettre en oeuvre que vous êtes dans une phase où la croissance n'est pas au rendez-vous?
J.P.R. : Nous avons le plus difficile derrière nous. Au premier semestre 2003, nous avions une croissance négative, et nous devions faire des réformes. D'après la banque de France, d'après l'INSEE nous repartons avec une croissance de 0,2 au troisième trimestre, de 0,4 ou de 0,5 au quatrième.
Le deuxième semestre s'annonce à + 0,5. Si ces chiffres sont exacts, nous sommes repartis sur une période de croissance. Nous avons tout lieu de penser que le premier trimestre 2004 sera un trimestre avec de bons effets sur l'emploi.
CL : Est-ce vous en attendez un effet sur la consommation des ménages et sur l'emploi?
J.P.R. : La consommation des ménages vient de repartir en septembre. Ainsi, en ce moment, avec la prime pour l'emploi, nous injectons 2,2 milliards d'euros dans l'économie. Ajoutez la prime de rentrée scolaire, l'augmentation du SMIC, plus la baisse des impôts, tout ceci fait, je pense, que la demande intérieure sera à la hausse, pour peu que la croissance internationale reprenne. Si je me fie aux chiffres de la Banque de France, nous devrions être sur un rythme de croissance de 1,5% à 2% en 2004, c'est un rythme à partir duquel on commence à créer des emplois. Nous aurons aussi une démographie qui dès le premier trimestre 2004, va être positive pour l'emploi.
Elections régionales
CL :Vous avez, dès votre arrivée à Matignon, dit votre souci de rapprocher le citoyen des gouvernants. La prochain scrutin des régionales a les allures d'une usine à gaz, ménageant région et départements. Vous satisfait-il?
JPR : Si on veut que les gens votent, il faut rester dans cette logique-là. On aura une tête de liste régionale et des listes départementales. Cette formule donnera une véritable assise au président de région alors que, dans le mode de scrutin précédent, il n'était porté que par un seul des départements de sa région. D'autre part, je pense que ce n'est pas mal que nous conservions un enracinement départemental. Je ne suis pas un belliqueux. Il faut éviter la bataille département/région. Ils doivent travailler ensemble. La qualité d'un élu aujourd'hui c'est de rassembler. Tout le monde a la possibilité de gripper les machines de l'action. Pour que l'action soit efficace, il faut que les communes, les départements et les régions puissent travailler ensemble et se comprendre. De ce point de vue, une liste régionale additionnée d'une répartition départementale est une bonne chose. A défaut vous risqueriez que le plus gros département ou le plus politique l'emporte sur les autres, que l'urbain l'emporte sur le rural. Là, on est à peu près sûr d'avoir une bonne représentativité des populations et des territoires. Je ne crois pas, comme vous le dites, que ce soit une usine à gaz. C'était également compliqué dans les scrutins précédents. Je pense en revanche que les débats seront plus clairs parce qu'ils seront portés par les têtes de liste au niveau régional et départemental. C'est ça l'important.
CL : Six ministres vont s'engager comme tête de liste. Cette situation apporte de l'eau au moulin de ceux qui feront de ce scrutin un test national de votre politique?
JPR : Je suis suffisamment régionaliste pour souhaiter que les sujets régionaux l'emportent sur les sujets nationaux. Les ministres qui vont se présenter comme têtes de liste participent au renouvellement des équipes. Dans cette bataille et cette action que nous menons et que nous mènerons en mars, nous tentons de mettre en place non pas des professionnels de la politique mais des gens qui peuvent porter le renouveau. Je pense que Renaud Muselier face à Le Pen en Provence Alpes Côte d'Azur c'est un souffle d'air pur. Il faut des gens authentiques, Jean-François Copé par exemple, en Ile de France, est quelqu'un d'authentique. Nous sommes dans la situation de M. Aznar en Espagne. Nous avons créé une nouvelle famille politique. Nous voulons faire monter des gens nouveaux sur la scène nationale ou régionale. Ce sont des candidats du renouveau, comme ceux que j'ai cités plus haut. Comme Elisabeth Morin en Poitou-Charentes qui est une excellente candidate.
CL : Serez-vous sur sa liste, au moins symboliquement?
JPR : Rien n'est décidé à ce jour. Quoi qu'il arrive, je serai avec elle très activement, et pas seulement de façon symbolique. Je souhaite qu'elle puisse composer une liste comme elle, de gens qui travaillent, de gens authentiques et enracinés.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2003)
CL : Qu'est-ce que vous attendez de l'expérience pilote menée en Charente sur la proximité des services publics?
J.P.R. L'objectif d'une opération pilote est de définir une dynamique de service et pas de structures. Il faut penser le service au citoyen, à l'usager comme étant l'objectif premier de la réforme de l'Etat. Au fond, c'est une réforme de l'Etat qui commence par le terrain et qui consiste à dire, regardons les services publics : qu'est-ce qui fonctionne? Il y a tout un volet sur lequel beaucoup de choses ont avancé: c'est l'information. Il faut être capable de donner des réponses précises à des questions spécifiques. C'est un point très important sur lequel, je crois, la préfecture de Charente travaille bien. Il faut faire des propositions opérationnelles à toutes les demandes, que ce soit les prestations sociales ou le permis de conduire. Avec un service intranet et une capacité d'intervention humaine à chaque question. Le deuxième sujet sur lequel il est très important de bien avancer, c'est le dispositif d'accueil et de réponses aux usagers.
Il y a d'autre part la production sur le terrain d'un service public opérationnel, c'est-à-dire comment doivent évoluer par exemple les services de la poste, les différents services publics en milieu rural, et donc comment rassembler des pôles administratifs polyvalents pour mailler le territoire. C'est cela que nous voulons expérimenter et dont nous voulons apprécier la capacité et la qualité, avec un meilleur service public.
CL : C'est une espèce de guichet unique en campagne ?
JPR : Non, c'est une entrée unique dans un guichet ouvert. Vous entrez quelque part pour venir chercher une information qui peut concerner aussi bien vos impôts locaux que votre permis de construire ou vos droits sociaux. C'est une entrée unique tout de suite ouverte sur un service très large.
CL : les maisons de service public imaginées il y a quelques années n'ont pas marché: qu'est-ce qui a coincé ? Le corporatisme de chaque administration voulant garder ses pouvoirs ?
JPR : Dans le passé le système est resté cloisonné. Aujourd'hui, avec le numérique, on a la possibilité d'avoir une expression pluraliste de l'information, exprimé de manière simplifiée aux citoyens. Précédemment on était obligé systématiquement d'avoir affaire à des personnes qui se parlaient peu, à des fichiers qui n'étaient pas compatibles. La technologie doit nous aider à humaniser les services au public.
CL: Et du côté des agents?
JPR: De plus en plus de personnes sont maintenant capables d'avoir une multi-compétence. Par exemple : regrouper autour du préfet des pôles de compétences de manière à pouvoir traiter tout ce qui est développement économique, tout ce qui est protection sociale, tout ce qui est aménagement du territoire. Il faut arriver à limiter la dispersion de l'action de l'Etat pour avoir des agents qui soient pluralistes dans leur compétence.
CL : Concrètement, après le rapport du préfet, il y aura une expérimentation. Dans ce cadre verra-t-on par exemple, dans le même bureau la Poste et la douane ?
JPR : Absolument. Je souhaite vraiment que l'on puisse mettre en expérimentation ce que le préfet aura jugé possible. Le représentant de l'Etat en Charente est le mieux placé pour améliorer l'animation des services et la motivation des personnes.
CL : le grand ordonnateur ça va être le grand ordinateur. Est-ce que l'informaticien ne va pas être remplacer le fonctionnaire ?
-JPR: Le numérique ne fait que traiter de l'information humaine. Ce qui est très important aujourd'hui c'est qu'il y ait de l'humain en amont, de l'humain en aval, mais au milieu tout le traitement de l'information peut être en effet numérique. C'est l'homme qui doit percevoir la problématique et concevoir les systèmes de données ; entre les deux, on peut avoir une économie d'information numérique.
CL: Le dernier commerce rural, la dernier rempart contre l'exode est souvent le bar-tabac. Or avec les hausses des taxes sur les cigarettes, beaucoup annoncent qu'ils vont disparaître. N'y a-t-il pas là une contradiction dans votre action?
- JPR: Non. Nous allons traiter le problème des buralistes, nous avons mis d'ailleurs un programme d'aides sur la table pour travailler avec eux. Mais il faut surtout lutter contre le tabac: c'est un choix que nous avons fait. Comme nous voulons lutter contre l'insécurité routière. Lutter contre le cancer, pour les personnes handicapées et pour la sécurité routière, ce sont les trois chantiers prioritaires que le Président a fixé au Gouvernement. Nous devons aider les professionnels qui sont concernés par ces actions.
CL : Vous soulignez l'importance du numérique dans votre politique des territoires. Encore faudrait-il que le numérique arrive partout en milieu rural, ce qui est loin d'être le cas... Est-ce que les départements pilote seront également pilote en matière numérique?
-JPR: Nous nous donnerons les moyens lors de ces expérimentations d'optimiser l'accès non seulement au téléphone mobile, mais également au haut débit. D'ores et déjà nous avons prévu des investissements numériques pour ces départements. Il faut du haut débit pour pouvoir remplir ces différentes missions. Je suis donc très heureux que la Charente participe à cette dynamique.
CL: Est ce que c'est le moyen pour vous de dire: voilà la décentralisation, c¹est du concret, ça démarre par des expériences, et ensuite on généralise.
-JPR: La grande réforme de la décentralisation est en cours. Nous avons fait la réforme constitutionnelle, elle a déjà changé beaucoup de choses. Les gens ne perçoivent pas encore cette réforme. Maintenant le Conseil constitutionnel va examiner tous les textes au rythme de la réforme. L'Etat ne pourra pas transférer sans financer, comme cela a été le cas dans le passé récent. On sera obligé de demander aux Régions leur avis sur un certain nombre de sujets.
Le Conseil Constitutionnel a maintenant les moyens de valider des initiatives décentralisatrices afin qu'elles soient conformes au droit. La vertu décentralisatrice est dans la Constitution. Désormais, dès qu'il y aura un texte, le Conseil constitutionnel demandera: où est la dimension décentralisée de cette fonction? La décentralisation va intégrer notre droit.
CL: Est-ce que les hommes, eux, vont l'intégrer?
-JPR: Les grandes heures de la décentralisation sont derrière nous. On ne pourra pas remettre en cause un certain nombre de compétences décentralisées aux collectivités territoriales, comme par exemple les transferts de routes. Toute la formation professionnelle sera affectée aux régions. Au delà de ses compétences propres, l'Etat ne pourra plus décider sans le dispositif territorial. Un texte aujourd'hui qui oublierait la compétence départementale ou qui ne financerait pas un transfert, comme ce fut le cas de l'APA par exemple, serait inconstitutionnel.
CL: Parce qu'il n'est pas financé ?
-JPR: Absolument. La décentralisation a franchi des étapes irréversibles. Il y a cinq textes qui vont changer beaucoup de choses. L'illustration en est par exemple le haut débit sur la Charente: son financement met l'Etat sous une vraie pression territoriale.
Fiscalité
CL: L'impôt sur le revenu a baissé de 10% mais dans le même temps, on enregistre depuis lundi + 20% sur les cigarettes avant + 20% à nouveau en janvier, plus une hausse de 3 cts du gazole: on prend dans une poche pour remettre dans une autre ?
-JPR: l'usager et le contribuable ce n'est pas pareil. Si vous allez dans les pompes à essence de Charente, vous vous apercevrez qu'il y a plus de 3 centimes de différence entre deux pompes. Et d'autre part l'évolution du dollar fait que cela devrait être peu coûteux à la pompe. Mais je le sais, il n'y a pas d'augmentation sympathique. Problème de lisibilité dit-on? La baisse de l'impôt sur le revenu, de 10% en 18 mois, est lisible. Les augmentations de taxes sont toujours difficiles. Il fallait dans ce budget faire un certain nombre d'efforts. Il fallait montrer à l'Europe que nous sommes capables de faire des efforts. D'autre part, la hausse de la taxe sur le gazole était prévue déjà par nos prédécesseurs parce qu'il y a un écart important entre la fiscalité essence et la fiscalité gazole. L'écart reste avantageux pour le gazole. Si j'avais trouvé les finances publiques en meilleur état, et s'il n'y avait pas eu un certain nombre de décisions prises mais non financées par nos prédécesseurs, nous aurions pu nous en passer. Dois-je rappeler que l'on ne fait pas les prélèvements par plaisir ? Il est important que l'impôt sur le revenu s'inscrive durablement dans une baisse. Il faut valoriser le travail, les revenus du travail doivent être supérieurs, plus motivants que les revenus de l'assistance, même s'il ne faut pas oublier les revenus de l'assistance, c'est pour ça qu'on fait la baisse des impôts.
La baisse des impôts est quelque chose de durable alors que l'augmentation du gazole reste quelque chose d'occasionnel. L'augmentation du Smic s'inscrit dans la durée : l'équivalent d'un 13ème mois en 3 ans. La croissance revient en 2004, nous voulons donc préserver une politique sociale audacieuse et attentive vis-à-vis de nos concitoyens les plus fragiles et les plus faibles.
CL : Dans la perception générale, la baisse des impôts sur le revenu est annulée par la montée des impôts locaux. N'est-ce pas la réalité ?
- J.P.R. : L'augmentation des impôts locaux a été décidée avant la décentralisation, partout en France. Il faut une mauvaise foi et un esprit partisan pour ne pas l'admettre ; ceux qui avec P. Mauroy étaient décentralisateurs sont devenus des centralisateurs avec Raffarin ! C'est un mensonge politique de dire que la hausse des impôts locaux est due à la décentralisation : elle ne sera pas mise en uvre avant 2005 ! En revanche, on a demandé aux départements de financer l'APA, de financer les 35 heures. Avec la réforme décentralisatrice, ce ne serait plus possible. L'impôt local aujourd'hui est un impôt socialiste.
CL : Comment convaincre, comment croire aujourd'hui que l'Etat va compenser alors que vous êtes dans une situation budgétaire difficile, que les contribuables ont la conviction que l¹augmentation continuera au niveau local ?
- J.P.R. : Il faut une sincérité de l'information. D'une part les impôts locaux ont été décidés avant 2002, d'autre part, j'ai fait inscrire dans la Constitution que tout transfert serait financé. Je suis le premier Premier ministre à avoir donné aux collectivités territoriales de vraies sécurités. Il n'y a pas de meilleure sécurité juridique que la Constitution. Nous avons réuni un Congrès qui a voté cette garantie constitutionnelle : pas de transferts de compétences sans transfert de financement.
CL : En clair vous assurer que la décentralisation coûte zéro augmentation ?
- J.P.R. : Absolument. Avec les lois Deferre, la décentralisation donnait des responsabilités aux élus locaux tout en laissant l'Etat exercer des missions, c'est à dire que l'on doublait les financements. Et la dépense. Nous avons fait voter un acte constitutionnel majeur . La décentralisation n'est pas source d'augmentation de fiscalité locale. Je comprends le scepticisme parce que j'ai suffisamment vu l'Etat, dans le passé, ne pas respecter sa signature. Désormais nous avons la protection de la Constitution.
CL : Estimez-vous ou non qu'il y a nécessité de réformes fiscales globales maintenant ?
J.P.R. : Je pense qu'il y a nécessité de réforme. Nous avons un programme de réforme chargé.
Réforme de la santé et emploi
CL : Reprenant votre exemple sur qui doit couvrir l'assurance de l'accident de ski, doit-on comprendre qu'on se dirige vers un système de santé partagé entre sécu et assurance privée?
J.P.R. : Je n'ai fait que poser des questions. J'ai confié à un Haut conseil de l'assurance maladie présidé par une personnalité incontestable, M. Fragonard, le soin de nous faire une proposition comme le COR (ndlr: conseil d'orientation des retraites) l'a fait pour les retraites. Nous avons simplement lancé des débats : éviter la privatisation et l'étatisation, pour plus de responsabilisation. Il ne sert à rien d'accuser les uns ou les autres. Il faut que l'ensemble des partenaires soit des agents de responsabilité. Jusqu'à Noël: le diagnostic; jusqu'à Pâques: le dialogue; puis la décision, avant l'été. Ce sera l'établissement d'un calendrier bien défini. Je n'ai pas d'idée préconçue, je ne suis pas favorable à la remise en cause des acquis de la sécurité sociale.
CL : Les Allemands ont imposé au consommateur une part payante sur chaque médicament? Est-ce que cela vous paraît une piste ou pas?
J.P.R. : L'idée de la franchise qui est développée par les Allemands, par les Pays Bas ne me parait pas une idée adaptée à notre problème. La franchise, ça voudrait dire 250 euros ou 300 euros, par exemple, que chacun paie par an. Au-delà, on retombe dans le système précédent : il n'y a pas la vertu de la responsabilisation. Or, c'est cette vertu que j'appelle de mes voeux. Les propositions allemandes ne sont pas inscrites dans l'histoire de la sécurité sociale française.
CL : Toutes ces réformes sont d'autant plus difficiles à mettre en oeuvre que vous êtes dans une phase où la croissance n'est pas au rendez-vous?
J.P.R. : Nous avons le plus difficile derrière nous. Au premier semestre 2003, nous avions une croissance négative, et nous devions faire des réformes. D'après la banque de France, d'après l'INSEE nous repartons avec une croissance de 0,2 au troisième trimestre, de 0,4 ou de 0,5 au quatrième.
Le deuxième semestre s'annonce à + 0,5. Si ces chiffres sont exacts, nous sommes repartis sur une période de croissance. Nous avons tout lieu de penser que le premier trimestre 2004 sera un trimestre avec de bons effets sur l'emploi.
CL : Est-ce vous en attendez un effet sur la consommation des ménages et sur l'emploi?
J.P.R. : La consommation des ménages vient de repartir en septembre. Ainsi, en ce moment, avec la prime pour l'emploi, nous injectons 2,2 milliards d'euros dans l'économie. Ajoutez la prime de rentrée scolaire, l'augmentation du SMIC, plus la baisse des impôts, tout ceci fait, je pense, que la demande intérieure sera à la hausse, pour peu que la croissance internationale reprenne. Si je me fie aux chiffres de la Banque de France, nous devrions être sur un rythme de croissance de 1,5% à 2% en 2004, c'est un rythme à partir duquel on commence à créer des emplois. Nous aurons aussi une démographie qui dès le premier trimestre 2004, va être positive pour l'emploi.
Elections régionales
CL :Vous avez, dès votre arrivée à Matignon, dit votre souci de rapprocher le citoyen des gouvernants. La prochain scrutin des régionales a les allures d'une usine à gaz, ménageant région et départements. Vous satisfait-il?
JPR : Si on veut que les gens votent, il faut rester dans cette logique-là. On aura une tête de liste régionale et des listes départementales. Cette formule donnera une véritable assise au président de région alors que, dans le mode de scrutin précédent, il n'était porté que par un seul des départements de sa région. D'autre part, je pense que ce n'est pas mal que nous conservions un enracinement départemental. Je ne suis pas un belliqueux. Il faut éviter la bataille département/région. Ils doivent travailler ensemble. La qualité d'un élu aujourd'hui c'est de rassembler. Tout le monde a la possibilité de gripper les machines de l'action. Pour que l'action soit efficace, il faut que les communes, les départements et les régions puissent travailler ensemble et se comprendre. De ce point de vue, une liste régionale additionnée d'une répartition départementale est une bonne chose. A défaut vous risqueriez que le plus gros département ou le plus politique l'emporte sur les autres, que l'urbain l'emporte sur le rural. Là, on est à peu près sûr d'avoir une bonne représentativité des populations et des territoires. Je ne crois pas, comme vous le dites, que ce soit une usine à gaz. C'était également compliqué dans les scrutins précédents. Je pense en revanche que les débats seront plus clairs parce qu'ils seront portés par les têtes de liste au niveau régional et départemental. C'est ça l'important.
CL : Six ministres vont s'engager comme tête de liste. Cette situation apporte de l'eau au moulin de ceux qui feront de ce scrutin un test national de votre politique?
JPR : Je suis suffisamment régionaliste pour souhaiter que les sujets régionaux l'emportent sur les sujets nationaux. Les ministres qui vont se présenter comme têtes de liste participent au renouvellement des équipes. Dans cette bataille et cette action que nous menons et que nous mènerons en mars, nous tentons de mettre en place non pas des professionnels de la politique mais des gens qui peuvent porter le renouveau. Je pense que Renaud Muselier face à Le Pen en Provence Alpes Côte d'Azur c'est un souffle d'air pur. Il faut des gens authentiques, Jean-François Copé par exemple, en Ile de France, est quelqu'un d'authentique. Nous sommes dans la situation de M. Aznar en Espagne. Nous avons créé une nouvelle famille politique. Nous voulons faire monter des gens nouveaux sur la scène nationale ou régionale. Ce sont des candidats du renouveau, comme ceux que j'ai cités plus haut. Comme Elisabeth Morin en Poitou-Charentes qui est une excellente candidate.
CL : Serez-vous sur sa liste, au moins symboliquement?
JPR : Rien n'est décidé à ce jour. Quoi qu'il arrive, je serai avec elle très activement, et pas seulement de façon symbolique. Je souhaite qu'elle puisse composer une liste comme elle, de gens qui travaillent, de gens authentiques et enracinés.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2003)