Texte intégral
Q - Bonjour Noëlle Lenoir. Vous avez été nommée hier Secrétaire général à la Coopération franco-allemande. En quoi consiste cette mission ?
R - C'est une mission qui s'inscrit dans le travail qui a été effectué depuis un an par mon homologue allemand et moi au niveau de la coopération franco-allemande, qui, comme vous le savez, est un grand axe de notre politique européenne. Et M. Bury, qui est donc le ministre
Q - Votre homologue allemand.
R - Mon homologue allemand et moi-même, devons coordonner cette coopération au niveau des ministères. Il ne s'agit pas du tout d'un super ministre, il s'agit d'un coordinateur de part et d'autre. Je serai assistée par un Allemand, il sera assisté par un diplomate français. Et nous devons veiller à ce que l'on appelle la "feuille de route", c'est-à-dire les missions qui ont été confiées par le Conseil des ministres franco-allemand aux différents ministres des deux gouvernements soient bien mises en uvre en temps voulu.
Q - Quelle est la mission première ? C'est la politique agricole commune ?
R - Il y a les grands dossiers qui sont en discussion au niveau européen, comme la politique agricole commune. Mon collègue Hervé Gaymard a rencontré la ministre allemande de l'Agriculture hier après-midi. Il y a des négociations en cours, notamment, en vue de l'Organisation mondiale du commerce, qui doit se réunir à Cancun en septembre prochain. Et ça fait partie
Q - Qui sont très dépendantes de l'accord sur la PAC d'ailleurs ?
R - Qui sont dépendantes de l'accord sur la PAC. Ce que nous voulons, ce que nous avons d'ailleurs déjà décidé en "franco-allemand" et ce qui a été adopté ensuite par l'ensemble des pays de l'Europe, c'est maintenir cette politique commune qui est une politique qui a porté ses fruits, sans jeu de mots et surtout qui est fondatrice de l'Europe. On ne pourrait pas imaginer que l'Europe n'ait pas un secteur agricole qui lui assure son autonomie et aussi un poids commercial important. Donc c'est de ça qu'il s'agit. C'est un des grands dossiers en "franco-allemand".
Q - Alors le chancelier Schröder et Jacques Chirac se sont rencontrés hier à Berlin. Une fois de plus, ils ont affiché leur bonne entente et les spécialistes nous expliquent, les politologues disent, "mais tout cela n'est que façade, finalement les divergences sont très profondes". Qui croire ?
R - Les divergences ne sont pas profondes, au contraire c'est parce que l'Allemagne et la France, traditionnellement depuis les débuts de l'Europe, ont une forte identité et souvent des positions qui ne sont pas exactement les mêmes, que les compromis
Q - Divergentes ?
R - Divergentes non, parce que regardez la Convention
Q - On va y venir à la Convention.
R - Il y a parfois effectivement des approches différentes, mais à chaque fois, vous observerez - cela a été vrai de la PAC, il y a encore un an, ça a été vrai du problème du coût, du paquet financier, pour financer l'élargissement de l'Europe à vingt-cinq, ça a été vrai de l'euro en son temps, ça a été vrai aussi de la culture avec la création d'Arte - à chaque fois, on fait des pas en "franco-allemand" qui sont ensuite utiles à l'Europe, à partir, vous avez raison de le dire, d'identités nationales qui sont très différentes. C'est d'ailleurs pour ça que cette coopération nous y est si chère.
Q - Vous devez regarder avec envie ce qui se passe en Allemagne où le chancelier Schröder a réussi à faire accepter l'idée d'allonger la durée du travail de 65 à 67 ans, alors qu'en France on est toujours à 60 ans ?
R - Ecoutez, nous allons y arriver à cette réforme, sur les retraites, la France sera la dernière. Puisque tous les pays européens ont déjà
Q - La dernière en Europe.
R - ... La dernière en Europe. Tous les pays européens y compris les entrants - la Pologne, la Hongrie - ont tenu compte de l'allongement de l'espérance de vie, qui pose le problème de la pérennité des régimes de retraites et de leur financement. Donc effectivement les Allemands ont pris le problème à bras-le-corps, mais nous-mêmes comme vous le savez, on en parle assez, il y a aussi une réforme qui va être examinée au Parlement.
()
Q - J'en viens au projet de Constitution européenne que Valéry Giscard d'Estaing va proposer, va présenter la semaine prochaine au sommet européenne de Thessalonique. Il y est beaucoup question de Dieu. La Pologne qui vient de voter son adhésion à l'Union, réclame une référence aux valeurs chrétiennes, les pays laïcs y sont opposés. Qu'est-ce qui va se passer ? Je dirais : Et Dieu dans tout cela ?
R - Dieu dans tout cela ? Nous, Français, sommes porteurs d'une valeur qui est celle de l'égalité entre toutes les religions, qui s'appelle la laïcité. Nous considérons que chacun doit vivre sa religion comme il l'entend, s'exprimer comme il l'entend, mais qu'en revanche, il faut qu'il y ait une coexistence totale entre toutes les religions, sans pouvoir donner la priorité à l'une d'entre elle, même s'il est vrai que l'Europe a connu certaines influences culturelles parmi d'autres. C'est notre position, qui est très claire. Il y aura des discussions et, de toute façon, la Constitution ne sera pas plus polonaise qu'elle sera entièrement française ou allemande ou espagnole. Nous continuons de porter ces valeurs et nous avons l'intention de le dire et de le redire.
Q - La laïcité avant tout ?
R - Oui la laïcité comme valeur de partage.
Q - L'Italie va prendre la présidence du Conseil européen. On lui prête l'intention de présenter un plan de relance de l'économie européenne. Il avait été beaucoup question de croissance au Sommet du G8. Est-ce que ça signifierait qu'on va reparler de grands travaux et que finalement on va se lancer dans les investissements au détriment du pacte de stabilité qui aurait gelé l'économie ?
R - Il y a dans tous les pays un ralentissement de la croissance qui est du très largement à la crise internationale. Et il y a au cur des politiques européennes, ce qu'on appelle la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire développer la compétitivité de l'Europe et faire de l'Europe - c'est l'objectif pour 2010 -, le pôle économique le plus compétitif au monde. Alors ça exige, évidemment, non seulement d'harmoniser encore le marché sur certains aspects ; il y a beaucoup de textes qui sont destinés à harmoniser le marché financier, c'est-à-dire faciliter les investissements dans tout le marché européen. Et puis, il y a toujours ce projet d'emprunt européen qui n'a pas encore prospéré, mais surtout le projet de relancer l'investissement au niveau européen. Je suis pour ma part très favorable à ce que la politique des transports et notamment des réseaux transeuropéens de transports, qui figure parmi les politiques communes depuis le début, depuis 1957, le Traité de Rome, devienne enfin une grande politique européenne. Parce qu'il faut désenclaver les régions européennes si on veut précisément tirer profit de ce grand espace.
Q - Et désenclaver Strasbourg ?
R - Et désenclaver Strasbourg qui est notre capitale européenne française. Ca c'est une de mes tâches.
Q - Qui est très attaquée ?
R - Qui est très attaquée, parce qu'il y a un problème d'accessibilité. Strasbourg doit être une ville attractive, ce qu'elle est, mais aussi une ville accessible et d'autant plus que maintenant
Q - Ce qu'elle n'est pas ?
R - Ce qu'elle n'est pas suffisamment. Et le comité que je préside et que je vais présider d'ailleurs avec mon homologue allemand, le ministre allemand des Affaires européennes, le Comité de l'euro-district, va proposer de constituer une grande collectivité territoriale européenne et binationale entre la région de Strasbourg et la région de Kiel, ce qui représente un million d'habitants, afin que ce soit vraiment une des grandes capitales accessibles de l'Europe. Ca c'est une des tâches du Secrétariat général franco-allemand.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2003)