Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur les nouveaux enjeux du monde rural, sur la volonté gouvernementale de promouvoir une agriculture respectueuse de l'environnement, et sur la mise en oeuvre de la réforme de la PAC, Paris le 15 octobre 2003.

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Circonstance : Colloque "Agriculture et développement durable" organisé par la Ligue pour la Protection des oiseaux" à Paris le 15 octobre 2003

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Alain BOUGRAIN-DUBOURG,
Mesdames, Messieurs,
L'année dernière, vous m'aviez invité à intervenir devant votre colloque annuel. Hélas, un engagement auquel je ne pouvais me soustraire m'en avait empêché. C'est donc avec un plaisir tout particulier que je viens aujourd'hui conclure vos travaux, même si c'est là un exercice difficile dans la mesure où je n'ai pu en suivre l'intégralité.
En vérité, je tenais à répondre à votre invitation pour au moins trois raisons :
- Le monde rural, tout d'abord, est riche de sa diversité et vous en êtes, par vos actions quotidiennes, une composante essentielle.
- L'agriculture a magnifiquement répondu à la demande sociale du siècle dernier. Il doit en être de même pour le siècle qui s'ouvre, et vous pouvez l'y aider.
- Enfin, je crois profondément qu'en toute circonstance, le dialogue est une source d'enrichissement personnel, pour autant que l'on soit prêt à écouter l'autre, et j'y suis - comme vous - disposé.
Le département ministériel dont j'ai la charge est désormais, outre celui de l'agriculture, de plus en plus celui de la " ruralité ". Il prend ainsi en compte les nouveaux visages de notre monde rural. Si l'agriculture reste un élément essentiel et structurant des territoires, d'autres acteurs participent aussi, et de façon croissante, à la vie du monde rural. D'ailleurs, c'est plutôt des agricultures qu'il nous faut parler, avec toutes leurs spécificités qui font l'originalité et le caractère des territoires français.
La création de la Direction Générale de la Forêt et des Affaires Rurales (DGFAR) au début de cette année 2003, l'adoption récente en Conseil des ministres du projet de loi en faveur du développement des territoires ruraux et de ses mesures d'accompagnement à l'occasion de la réunion du CIADT le 3 septembre dernier, témoignent de cette évolution. Parallèlement à la réforme de la PAC et aux négociations internationales conduites dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, le projet de loi et les mesures décidées par le CIADT dessinent les axes de l'action que nous voulons poursuivre, afin de répondre aux différents enjeux du monde rural :
- le développement économique des territoires, garant d'une agriculture vivante et active ;
- l'aménagement équilibré des territoires, soucieux d'une répartition harmonieuse des populations entre les villes et les campagnes et d'un usage équilibré des territoires ;
- la prise en compte des besoins spécifiques à la montagne ;
- le renforcement de l'attractivité des territoires, et la garantie d'accès aux services essentiels qui en est le corollaire ;
- le développement et la protection des espaces sensibles et des espèces qu'ils abritent, un sujet qui a été au coeur de vos débats aujourd'hui, et dont je sais combien il vous est cher.
A Johannesburg, le Président de la République a su toucher le coeur des habitants du monde quand il a déclaré : " que nous regardons ailleurs, alors que notre maison brûle ". Pour répondre à cette exigence du développement durable, j'entends que l'ensemble des politiques mises en oeuvre par mon Ministère prenne en compte cette dimension et associe tous les acteurs qui y concourent. C'est dans cet esprit que j'entends établir une relation positive entre les différents usagers de l'espace rural, et poursuivre avec eux un dialogue confiant.
J'entends ainsi renforcer nos relations avec les représentants des associations de protection de la nature et plus largement avec les réseaux de gestionnaires des espaces naturels. Mon expérience d'élu local en Savoie m'a permis d'apprécier la pertinence de leurs actions. Je vous remercie, à cet égard, des liens de coopération que vous avez su nouer avec les agriculteurs et les autres acteurs du monde rural, comme les chasseurs. Je vous remercie de la part que vous prendrez à ce dialogue que j'appelle de mes voeux.
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, des initiatives de contractualisation exemplaires dans le domaine agri-environnemental. Je voudrais saluer, à cet égard, le travail remarquable de concertation accompli par la LPO. En nouant un partenariat avec les agriculteurs, votre association a permis de nombreuses avancées, comme la préservation de l'habitat de l'outarde dans des zones de céréaliculture intensive.
Je sais combien les mesures agri-environnementales ont constitué depuis maintenant plus de 15 ans, un puissant levier pour faire évoluer les pratiques agricoles et mieux prendre en compte l'environnement. Sachez que je suis résolu à poursuivre ces actions ; elles sont pour moi une priorité.
Car, avec l'éveil à la conscience environnementale des jeunes générations d'agriculteurs, ces transferts de connaissance viennent conforter les partenariats mis en oeuvre par des réseaux de gestionnaires de l'espace naturel : les parcs nationaux, les réserves naturelles, les conservatoires d'espaces naturels, sans oublier les associations de protection de l'environnement et des espèces.
Je souhaite qu'à l'avenir ces efforts puissent être amplifiés, de façon à favoriser la biodiversité.
En permettant un meilleur taux de cofinancement des aides agri-environnementales, la réforme du second pilier correspond au souci d'un développement rural simple, efficace et adapté aux réalités du monde agricole.
- Prenant la suite des Contrats Territoriaux d'Exploitation (CTE), les Contrats d'Agriculture Durable (CAD), sont recentrés sur les mesures agri-environnementales les plus efficaces du point de vue de l'environnement et les plus pertinentes au niveau des territoires. Ils rendent également aux acteurs locaux - les élus, les agriculteurs, les associations - une capacité de décision renforcée. Ils permettent, enfin, de mieux cibler l'action agri-environnementale au niveau d'un secteur. En accord avec le Ministère de l'Ecologie et du Développement durable, les CAD servent, désormais, pour les agriculteurs de support au contrat Natura 2000. J'ai signé l'arrêté et la circulaire permettant sa mise en oeuvre du CAD. Ils sont actuellement en contreseing du Ministre du Budget.
- La Prime Herbagère Agri-Environnementale (PHAE) qui a remplacé en 2003 l'ancienne formule de " prime à l'herbe ", constitue également un outil essentiel pour la gestion extensive des prairies et le maintien de l'ouverture des espaces à gestion extensive. 55 000 contrats environ seront honorés en 2004. J'ai tenu, par ailleurs, à ce que son montant soit largement revalorisé. Enfin, les critères retenus pour sa mise en oeuvre - le chargement à l'hectare et l'usage limité d'intrants - devraient préserver les prairies et restaurer leur diversité.
Au total, le budget français consacré en 2004 aux CAD et aux diverses mesures agri-environnementales s'élèvera à près de 400 millions d'euros, auxquels nous devons ajouter un même montant correspondant à leur contrepartie européenne.
Plus largement, le visage de notre agriculture dépend de façon croissante des discussions communautaires et des négociations internationales conduites dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce ou de la diplomatie déclamatoire du développement durable.
L'accord conclu le 26 juin à l'occasion du Conseil des ministres européens de l'Agriculture réuni à Luxembourg, a tracé des perspectives pour les 14 millions d'agriculteurs européens jusqu'en 2013. Au terme d'une année de négociations souvent difficiles, il a consacré la volonté commune des États-membres de réformer la PAC, au service de l'agriculture européenne, du développement rural, de l'environnement, et de la santé humaine, animale et végétale.
Durant cette journée, vous avez largement débattu du contenu de cet accord. C'est pourquoi je me contenterai d'en rappeler ici les points fondamentaux.
. le découplage, la conditionnalité des aides, et l'institution d'une réserve :
Cette réforme de la PAC repose, tout d'abord, sur un paiement unique aux exploitations, découplé de la production, mais " couplé ", pourrait-on dire, au respect de l'environnement. C'est le sens de la conditionnalité des aides du premier pilier.
Cette conditionnalité, dont les modalités précises devront être arrêtées avant le mois de juin 2004, doit favoriser :
- le respect, tout d'abord, des 18 directives et règlements européens relatifs à l'environnement, la santé animale et végétale, et le bien-être animal, dressés à l'annexe III du règlement horizontal ;
- le respect ensuite de " bonnes conditions agricoles et environnementales ", défini au niveau national ou régional, sur la base du cadre fixé à l'annexe IV du règlement horizontal ;
- le maintien, enfin, des surfaces en prairies permanentes à la date du 31 mai 2003.
Le Conseil a finalement adopté la possibilité d'un découplage partiel de certaines aides, défendue par la France durant cette négociation, afin de maintenir une occupation équilibrée du territoire et en favoriser l'entretien. Le règlement laisse également aux Etats-membres le choix de la date de mise en oeuvre du découplage : 2005 ou 2006 pour la France. Notez enfin - et c'est important - que les Etats-membres pourront calculer les droits au paiement découplé attribués à chaque exploitation, soit sur la base de références historiques individuelles, soit en fonction de moyennes nationales ou régionales.
Une réserve nationale de droits, représentant au maximum 3 % des aides, sera instituée pour octroyer des droits :
- aux agriculteurs installés après la période de référence de 2000 à 2002 ;
- à ceux également qui, pendant cette période, étaient confrontés à des circonstances particulières ;
- enfin, aux producteurs situés dans des zones soumises à des programmes de restructuration ou de développement, pour éviter l'abandon de terres agricoles ou compenser des handicaps spécifiques.
. la modulation obligatoire :
La modulation, rendue obligatoire, portera à terme sur 5 % des aides directes, sous réserve des 5000 premiers euros d'aides qui en resteront exemptés. Cette modulation permettra d'abonder les fonds disponibles pour le développement rural et les mesures agri-environnementales du second pilier. Dès 2006, ce sont en France, 100 millions d'euros supplémentaires qui seront ainsi consacrés au développement rural, une part appelée, de surcroît, à augmenter régulièrement jusqu'en 2009.
le conseil agricole :
Le nouveau règlement instaure également un système de conseil agricole aux agriculteurs, que la France a voulu volontaire, afin d'en faire non une contrainte supplémentaire, mais un outil pédagogique au service d'une agriculture plus durable, plus respectueuse de l'environnement et répondant mieux aux nouvelles attentes des citoyens.
Je veillerai à ce que ce dispositif soit, en France, articulé aux différentes démarches existantes, et notamment l'agriculture raisonnée. Le dispositif se met progressivement en place et devrait être opérationnel en région au 1er semestre 2004.
. l'enveloppe de flexibilité :
Introduit dans les négociations à la dernière minute, l'article 69 du règlement accorde aux Etats-membres la possibilité de créer une enveloppe de flexibilité, pour soutenir des " types particuliers d'agriculture, qui sont importants pour la protection ou l'amélioration de l'environnement ou pour l'amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles ".
L'accord de Luxembourg - vous l'aurez compris - comporte un certain nombre de dispositions favorables à une meilleure protection de l'environnement et des espèces.
Dorénavant, le règlement laisse aux Etats-membres une certaine marge de manoeuvre pour fixer les modalités pratiques d'application de ces différents dispositifs. En octobre ou en novembre, la Commission réunira les Etats-membres en Comité de gestion pour préparer le règlement précisant les modalités d'application de la réforme. Celui-ci devrait être publié au printemps 2004.
En dépit de ce délai forcément limité, je souhaite organiser la concertation la plus large. Je vous invite à y prendre toute votre part, et tiendrai - je peux vous l'assurer -le plus grand compte des observations que vous voudrez bien m'adresser.
Le concept de diversité biologique connaît depuis quelques années un rayonnement que l'adoption de plusieurs textes internationaux est venue conforter, je pense à la Convention sur la biodiversité ou à la directive " Habitats ".
Respecter l'équilibre des écosystèmes et mieux prendre en compte la gestion de la biodiversité dans nos politiques agricoles ne tient pas seulement pour notre pays à l'obligation d'honorer les engagements internationaux qu'il a souscris, mais aussi et surtout à la nécessité impérieuse d'un développement plus durable. L'adoption de notre Stratégie nationale de développement durable en juin dernier témoigne bien de notre résolution à agir en ce sens.
Pour ma part, je souhaite arrêter, dans les prochains mois, une stratégie de développement durable pour l'agriculture française. Un travail de réflexion et de pédagogie en ce sens a, d'ores et déjà, été engagé. Au sein de notre Ministère, il doit nous permettre de partager une vision cohérente des différentes directives. Au sein du monde agricole, il doit conduire chacun des partenaires à mieux prendre en compte cette démarche de développement durable. Des Chartes d'engagement pourraient être signées avec chacun d'entre eux. Ce travail est conduit par Jacques MORDANT, Ingénieur Général du Génie Rural des Eaux et des Forêts. Une commission du Développement Durable pourrait être mise en place dans les prochaines semaines.
Parallèlement à la réforme de la politique de l'eau, que nous suivons de très près, ma collègue Roselyne BACHELOT-NARQUIN a récemment présenté en Conseil des ministres un projet de loi relatif au patrimoine naturel. Mon Ministère contribuera activement à ces travaux, afin d'aboutir à la mise en oeuvre, dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité, d'un plan sectoriel pour l'agriculture, d'ici fin 2004.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Ma conviction est claire : l'agriculture a un rôle essentiel à jouer dans la protection de la biodiversité. Cette exigence, nous ne réussirons pas à l'imposer contre la volonté des agriculteurs. C'est, au contraire, à force d'ardeur et de pédagogie, que nous promouvrons le plus efficacement ces nouvelles pratiques.
L'agriculture du demi-siècle qui vient de s'achever a su répondre à la principale attente de la société d'alors : nourrir ses enfants. Avec tous ses partenaires, l'agriculture du demi-siècle qui s'engage, relèvera - j'en suis sûr - ce nouveau défi d'une agriculture qui soit à la fois " économiquement forte et écologiquement responsable ". Le Gouvernement prendra part à cet effort, et je peux, à titre personnel, vous confirmer ma volonté d'agir, avec votre concours, en ce sens.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 17 octobre 2003)