Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "OutreMag" d'octobre 2003, sur le statut des Régions Ultra-périphériques (RUP) et de Mayotte dans la future Union européenne élargie, la situation financière des mairies de Guyane, l'attribution des subventions communautaires aux DOM et la question du développement durable dans les DOM.

Prononcé le 1er octobre 2003

Intervenant(s) : 

Média : OutreMag

Texte intégral

OUTREmag : Les départements d'outre mer sont inquiets de l'élargissement de l'Union Européenne à 25. Quelles sont les démarches entreprises pour préserver les acquis des régions ultra-périphériques auprès de Bruxelles ?
Brigitte Girardin : La meilleure façon de préserver les acquis des RUP dans la future Union Européenne élargie est de bien veiller à ce que le Traité constitutionnel qui devra être rédigé à l'issue de la Conférence Intergouvernementale qui se tiendra à partir du 4 octobre à Rome, reprenne bien le texte de l'actuel article 299-2, base juridique de la spécificité reconnue des RUP par rapport aux règles générales régissant l'Union Européenne. Nous avons tout lieu d'être optimiste sur ce point après les travaux menés par la Convention sur l'Avenir de l'Europe.
Mais il ne s'agit pas seulement de préserver des acquis. Il faut aussi aboutir à un approfondissement de la mise en oeuvre de l'article 299-2. Nous nous sommes employés à cela avec l'ensemble des RUP et avec les deux Etats membres concernés, Espagne et Portugal, en rédigeant un mémorandum commun que nous avons remis au Commissaire BARNIER le 2 juin dernier. La Commission fera, à partir de cela, des propositions au Conseil Européen de la fin de l'année.
OUTREmag : La demande de Mayotte pour être intégrée aux Régions ultra périphériques a-t-elle toutes les chances d'être acceptée ? Quelles seront les conséquences de ce changement de statut pour l'outre mer français en terme d'image, mais aussi en terme d'aide financière : les sommes allouées aux DOM dans le cadre des contrats de plan Etat-Région vont-elles être divisées en 5 ?
Brigitte Girardin :Grâce au soutien du Président de la République et du gouvernement, l'intégration de Mayotte dans les RUP est un dossier qui progresse bien. Il en a encore été question lors du dernier Conseil des Ministres commun franco-allemand le 18 septembre dernier où le Président de la République a obtenu le soutien de l'Allemagne sur ce point. La délégation française à la Conférence Intergouvernementale insistera sur la reprise de l'article 299-2 dans le futur Traité européen en demandant néanmoins une modification de la rédaction de l'article en vue d'énumérer désormais les RUP françaises jusque là évoquées par le terme générique de " départements d'outre-mer français " et en y ajoutant " Mayotte ".
Du côté de Mayotte, un important travail d'intégration de l'acquis communautaire dans le droit localement applicable est à mener. Le ministère de l'outre-mer s'est d'ores et déjà mobilisé sur ce sujet ainsi que les différentes administrations concernées. Il est prévu dans la demande française qu'une période transitoire de deux ans après l'entrée en vigueur du nouveau Traité (soit probablement jusqu'en 2007) soit laissée à Mayotte pour lui laisser justement le temps d'intégrer l'acquis communautaire. L'entrée de Mayotte dans les RUP n'altérera pas ainsi les allocations de fonds structurels aux autres RUP dans le cadre des actuels DOCUP qui arrivent à expiration en 2006.
OUTREmag : L'associations des maires de Guyane vous a demandé "une remise à niveau des budgets de fonctionnement des communes de Guyane" par lettre du 28 août 2003, arguant du fait que les communes n'ont pas les moyens de faire fonctionner les investissements réalisés grâce aux fonds structurels de l'UE et de l'Etat. Une telle intervention vous parait-elle possible ? Souhaitable ?
Brigitte Girardin :La situation des communes en Guyane est effectivement difficile. Le poids des dépenses de fonctionnement dans leur budget est tel qu'il ne leur permet pas de dégager des marges suffisantes pour financer des dépenses d'investissement à la hauteur des besoins. C'est particulièrement vrai pour les communes dites de l'intérieur. Je suis donc favorable à une remise à plat de la situation financière des communes. La loi de programme pour l'outre-mer a posé le principe d'une redéfinition des critères et des modalités de calcul des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales afin de les adapter aux réalités ultramarines. Nous y travaillons en liaison avec la direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur. Par ailleurs, localement, le Préfet, le TPG et la Région travaillent ensemble pour mettre en place un dispositif qui permettrait d'alléger la trésorerie des communes et dégager des capacités de financement.
Concernant plus particulièrement la mobilisation des fonds européens, dès mon arrivée en juin 2002, j'ai mis en place un dispositif de préfinancement de ces fonds par l'AFD afin de prendre en compte les difficultés des communes. Les communes de Guyane ont d'ailleurs été parmi les premières à en bénéficier. Ce dispositif spécifique à l'outre-mer de préfinancement des fonds européens a été en outre assoupli à la fin du mois de juin.
OUTREmag : Les communes d'outre mer sont démunies face à la grande machine qu'est l'Union Européenne pour monter leurs projets et demandes de financement. Certains fonds ne sont pas consommés et retournent à Bruxelles depuis la règle du dégagement d'office. Quelles sont les initiatives impulsées pour aider les communes ? Avez-vous de nouveaux projets en cours d'élaboration ?
Brigitte Girardin :La France bénéficie pour la période 2000-2006 de plus de 16 milliards d'euros de subventions communautaires dans le cadre de la politique régionale cofinancée par les fonds structurels européens, dont 3,3 milliards d'euros au bénéfice des seuls départements d'outre-mer. Cet apport financier a un impact conséquent sur le développement régional pour autant que les programmes s'exécutent à un rythme satisfaisant. Or, au milieu de l'année 2002, le gouvernement a constaté que le rythme de programmation et de réalisation des investissements bénéficiant de ces financements européens était insuffisant, tant en métropole que dans les DOM, y faisant planer le risque de dégagement d'office, c'est-à-dire d'annulation des crédits.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a présenté au second semestre 2002 une série de mesures destinées à alléger et à accélérer les procédures de gestion des fonds structurels, à renforcer l'appui aux projets existant dans ce domaine et à associer plus étroitement les collectivités locales à la gestion des programmes.
Pour répondre de façon plus spécifique aux difficultés rencontrés par les collectivités d'outre-mer dans la mobilisation rapide des fonds européens, le ministère de l'outre-mer a en outre apporté, en juin dernier, plusieurs améliorations au dispositif de préfinancement des subventions européennes mis en place par l'AFD, en concertation avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ces améliorations se traduisent notamment par l'extension de l'éligibilité des prêts de préfinancement à l'ensemble des communes, départements, régions et établissements publics locaux, et par le relèvement du montant maximum de préfinancement de la subvention européenne attendue (de 65 % à 80, voire 100 %).
L'évaluation à mi-parcours des DOCUP, d'ici la fin de l'année, apportera l'éclairage nécessaire à la mise en place éventuelle de nouvelles actions.
OUTREmag : Les territoires d'Outre-Mer avec l'ensemble des PTOM de l'Union Européenne essaient d'obtenir un Fond Européen de Développement spécifique dont les règles ne soient pas calquées sur celles des pays ACP, et mieux doté. Quel est votre soutien à cette demande à un an de la révision à mi-parcours de la décision d'association PTOM/UE ?
Brigitte Girardin :J'ai tout à fait conscience du fait que les PTOM estiment que le Fonds Européen de Développement, créé principalement pour répondre aux besoins des Etats ACP, ne correspond pas, ni dans ses modalités de mise en uvre ni dans les moyens qu'il met à leur disposition, à leurs attentes.
J'ai réuni le 6 octobre les parlementaires et les exécutifs locaux de nos PTOM pour réfléchir sur les propositions à faire en commun avec les autres PTOM et les Etats membres concernés (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark) à la Commission, lors du prochain forum UE-PTOM qui se tiendra début décembre à Bruxelles. Nous sommes en train d'y travailler afin d'obtenir des correctifs au système actuel, dès la revue à mi-parcours, de la décision d'association l'an prochain.
OUTREmag : Les départements et territoires d'outre-mer ont un atout en matière de ressources naturelles et touristiques, hélas trop souvent abîmé par les industries et équipements financés par l'Etat et l'Union Européenne. Le développement durable peut-il être un axe de développement privilégié de l'outre-mer, associant élus et populations ? Le prochain contrat de plan Etat-Région va-t-il y faire référence, maintenant qu'un comité interministériel pour le développement durable a été mis en place ?
Brigitte Girardin :Nous souhaitons que le concept de développement durable soit inscrit dans le préambule de la Constitution. Les politiques publiques de l'Etat s'exercent désormais dans le cadre des orientations arrêtées au titre de la stratégie nationale du développement durable, adoptée par le Gouvernement le 3 juin 2003. Cette priorité environnementale, aujourd'hui affirmée, doit donc guider l'ensemble de notre action, celle de l'Etat comme celle des collectivités d'outre-mer, en particulier lorsqu'il s'agit d'aménagement, en accordant une place plus grande à la qualité et au respect de notre patrimoine naturel.
C'est dans cet esprit que la loi de programme pour l'outre-mer a retenu le " développement durable " comme critère d'éligibilité à la défiscalisation des investissements réalisés outre-mer.
Les collectivités d'outre-mer disposent de ressources naturelles exceptionnelles mais fragiles : il faut donc veiller à les protéger. Lorsque je vois par exemple des collectivités en Guadeloupe ou à la Réunion se mobiliser sur les énergies renouvelables avec des résultats de tout premier plan, lorsque les projets de parc national progressent comme en Guyane, je crois que l'on participe au développement durable, en conciliant création d'emplois et de richesses et respect de l'environnement.
Les collectivités locales ainsi que la société civile, ont été associées à l'élaboration de la stratégie nationale du développement durable à l'occasion des travaux conduits dans le cadre du Conseil national du développement durable. Cette concertation a vocation à se poursuivre dans la mise en oeuvre de cette stratégie. Les négociations à venir pour les futurs exercices contractualisés que sont les contrats de plan ou de développement à signer entre l'Etat et les collectivités d'outre-mer, comporteront probablement un volet " développement durable ", comme dans le cas des conventions de développement mis en place à Mayotte et à Wallis-et-Futuna en fin d'année dernière.
Interviewée par Lisa Telfizian

(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 1 décembre 2003)