Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur l'impact du développement des technologies de l'information et des communications dans les relations entre l'Etat et le citoyen, Issy-les-Moulineaux le 30 septembre 2004.

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Circonstance : Forum de la "e-démocratie" d'Issy-les-Moulineaux le 30 septembre 2004

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs,
C'est avec grand plaisir que je me trouve parmi vous à l'occasion de ce Forum mondial de la " e-Démocratie " consacré à l'impact du développement des technologies de l'information et des communications sur la démocratie et sur les relations entre les citoyens et l'Etat.
Les technologies de l'information et des communications participent d'une nouvelle révolution industrielle.
Leur diffusion dans la société qui remonte à une vingtaine d'années, avec une accélération depuis l'avènement d'Internet, a dans un premier temps, transformé la sphère économique. Mais tous les autres domaines ont également vocation à en tirer les bénéfices, y compris naturellement la politique et les relations entre l'Etat et les citoyens.
Il est néanmoins encore difficile d'apprécier toutes les conséquences de l'émergence de ce nouveau média. C'est pourquoi je voudrais remercier les organisateurs du colloque d'aujourd'hui, et en particulier André Santini, de nous donner une opportunité de développer notre réflexion collective sur ce sujet majeur. Si la télévision a incontestablement changé la politique, prenons conscience qu'Internet nous apporte une valeur ajoutée supplémentaire : l'interactivité.
Mais développer l'e-démocratie suppose que les citoyens aient accès à Internet dans un cadre juridique sûr. Avant de revenir plus particulièrement sur le sujet qui vous réunit aujourd'hui (III), je voudrais donc dresser rapidement un état des lieux du développement numérique de la France (I) et rappeler les évolutions récentes du cadre juridique qui régit ce domaine (II).
I. Le développement des TIC en France mérite d'être souligné
1. La France a aujourd'hui la plus forte croissance en Europe dans l'Internet Haut Débit
Il y avait 700 000 abonnés en mai 2002, il y en a environ 5 millions aujourd'hui, et les opérateurs en anticipent 6 millions pour la fin de l'année ! L'objectif de 10 millions d'abonnés à haut débit en 2007, qui avait été fixé en 2002, sera probablement dépassé !
La baisse de tarifs engagée depuis 2002, a dynamisé la situation concurrentielle et donne à la France une croissance " fulgurante ", la plus forte d'Europe. Un journal économique anglo-saxon considérait récemment la politique menée en France comme une référence.
L'accès à Internet haut débit est un service attractif pour un très grand nombre de foyers, ce qui induit un cercle vertueux pour l'ensemble des acteurs de l'économie numérique. En particulier, la perception de l'utilité du micro-ordinateur ayant été considérablement renforcée, le taux d'équipement des ménages augmente et se rapproche des 50 % de la population.
L'essor d'Internet à haut débit a dopé aussi fortement le commerce électronique qui croît à un rythme annuel de 60 % pour la troisième année consécutive. La Fédération de la Vente à Distance vient d'indiquer que, selon ses estimations, environ 6 G euros seront achetés à distance cette année, et qu'un Français sur 4 aura fait un achat sur Internet en 2004.
Cette année, plus de 1,25 million de foyers ont fait leur déclaration d'impôts par Internet. Ce chiffre était de 600 000 en 2003 et de 120 000 en 2002, soit un décuplement en 2 ans. Pour 2005, l'objectif qui vient d'être revu à la hausse, est de dépasser les deux millions de télédéclarations.
Le Gouvernement encourage fortement ce développement de la France numérique. C'est ainsi qu'à la fin de l'année 2003, une campagne de communication gouvernementale associant plusieurs industriels a été lancée en faveur de l'équipement informatique. Cette campagne a permis de renforcer les ventes traditionnelles du commerce de fin d'année.
Je terminerai cet état des lieux en mentionnant que le développement rapide des infrastructures ADSL a incité certains acteurs à proposer une offre de services audiovisuels tels que la télévision sur ADSL.
Le prochain défi important qu'il faut relever avec succès est certainement celui de la mobilité avec le lancement à grande échelle de l'UMTS.
La France est donc bien engagée dans une dynamique numérique puissante mariant équipements et services.
2. Naturellement, cela n'est pas sans conséquence sur l'Etat qui est concerné au premier chef à travers le " e government " ou administration électronique
Au cours des dernières années, le secteur public a été l'un des rares à accroître son niveau d'investissement dans les TIC. C'est naturel car beaucoup reste à faire en matière de téléservices.
Le Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie s'y emploie activement.
Vous le savez, dans le domaine fiscal, dans le cadre du programme Copernic, nous venons d'annoncer la mise en place du compte fiscal global par Internet pour les entreprises et pour les particuliers, grâce auquel il est possible de gérer tous les principaux impôts, c'est à dire effectuer les déclarations, consulter les avis d'imposition et faire les paiements.
S'agissant de la TVA, depuis 2001 la télédéclaration a été rendue obligatoire pour les sociétés réalisant plus de 15 Millions d'euros de chiffre d'affaires, les autres entreprises y compris les plus petites disposant aussi si elles le souhaitent de la faculté de télédéclaration. Cette procédure est utilisée par 50 000 entreprises pour collecter 50 % du montant de la TVA, c'est-à-dire 5 milliards d'euros par mois.
S'agissant de la commande publique, qui représente 110 milliards d'euros par an, soit 7 % du PIB, les acheteurs publics, en particulier ceux du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, doivent d'après le nouveau code des marchés publics accepter les candidatures et les offres électroniques à compter du 1er janvier 2005. Pour les achats, depuis 2004, une information sur tous les achats du ministère soumis à la procédure d'appel d'offres a été rendue disponible sur le site ministériel.
II. La diffusion croissante des TIC dans la société exigeait aussi une refonte complète du cadre légal à laquelle le Gouvernement s'est employé. C'est chose faite car, comme vous le savez, une partie importante du travail législatif entrepris depuis deux ans dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, vient de s'achever avec l'adoption récente de la loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique, du paquets télécoms et de la révision de la loi Informatique et Libertés.
Dans ces domaines à la fois complexes et très évolutifs, les textes demandent à être évalués très régulièrement et certainement à être révisés avec le temps, en fonction des futures directives communautaires et des nombreux problèmes qui ne manqueront pas de surgir.
1. Permettez-moi tout d'abord de rappeler que la loi pour la confiance dans l'économie numérique est le premier texte français d'ensemble sur Internet
Son adoption clarifie les règles du jeu pour les fournisseurs, protège plus efficacement les utilisateurs.
L'une des grandes avancées du texte, qui a fait l'objet de débats passionnés au cours des différentes lectures parlementaires, est l'introduction dans notre droit d'une définition globale de la communication au public par voie électronique.
Dans cette définition, s'insèrent la communication publique en ligne, qui relèvera de la loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique, et la communication audiovisuelle, laquelle continuera de relever de la loi de 1986. Sont ainsi conciliées la défense de l'exception culturelle française et la création d'un texte réellement fondateur pour l'Internet.
De plus, et cela concerne de nombreux élus, plusieurs dispositions concernant les télécommunications ont été intégrées au texte.
L'intervention des collectivités territoriales dans les télécoms est consacrée et sécurisée sur le plan juridique. Les collectivités territoriales peuvent désormais contribuer efficacement à la réduction de la fracture numérique dont le Gouvernement a fait une priorité, en veillant naturellement à ne pas se lancer dans des projets hasardeux.
2. Plusieurs questions importantes pour la démocratie ont par ailleurs retenu l'attention au cours du débat. Je crois utile d'y revenir brièvement dans le cadre de ce colloque consacré à l'e démocratie.
a) La responsabilité des hébergeurs reposera sur des bases clairement identifiées
Au cours des débats, certains ont accusé le régime de responsabilité des hébergeurs de les conduire à exercer un pouvoir de censure sur les contenus qu'ils hébergent, ce qui aurait pour effet de restreindre la liberté de communication. Le Conseil Constitutionnel a validé le texte. En réalité, la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs est limitée au seul cas où, ayant effectivement connaissance d'activités ou d'informations illicites hébergées, ils n'auraient pas agi promptement pour rendre impossible l'accès aux informations. C'est une responsabilité limitée, expressément prévues par une directive communautaire, à la différence de celle de l'éditeur de contenu qui est totale.
Le mécanisme conduisant à l'intervention du juge et à l'engagement éventuel de la responsabilité de l'hébergeur a été au coeur de nombreuses discussions. Lorsqu'un signalement d'un contenu illicite lui est fait, l'hébergeur prend alors ses responsabilités. Il peut décider de ne pas donner suite à la demande formulée. Comme le signalement lui aura été fait, c'est le juge qui, le cas échéant, décidera de la responsabilité de l'hébergeur.
Il est bien évident que le juge l'appréciera dans la continuité de la jurisprudence, en appréciant notamment la bonne foi de l'hébergeur. Dans le cas de signalements abusifs ou fondés sur des critères flous, l'hébergeur n'encourra aucune répression devant le tribunal, sa bonne foi étant acquise.
Je profite donc de ce colloque pour vous rassurer ! Ce dispositif ne transforme pas l'hébergeur en juge, mais crée un préalable : pour pouvoir saisir le juge, il faut d'abord notifier à l'hébergeur. L'hébergeur apprécie et agit comme il l'entend ; il peut s'adresser à l'éditeur ou à l'émetteur avant de prendre sa décision.
b) La lutte contre les contenus pédophiles, antisémites et racistes est au coeur du dispositif
La discussion sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique a donné lieu à d'importants débats de société sur la lutte contre la propagation sur Internet des contenus particulièrement odieux.
Le Parlement est parvenu à un accord sur la difficile question de l'obligation de surveillance des contenus hébergés en recherchant ceux qui sont à caractère pédophile, négationniste, antisémite ou raciste. Je m'en félicite car le dispositif équilibré auquel elle a abouti permet de respecter la directive européenne tout en rehaussant le niveau d'engagement, avec des sanctions le cas échéant, des fournisseurs d'accès à Internet dans le signalement des sites pédophiles ou incitant à la haine raciale. Je crois qu'il s'agit d'un dispositif efficace qui a été complété par la signature en juillet d'une charte entre le Ministère de l'Industrie et les fournisseurs d'accès à Internet.
Ce dispositif constitue une avancée dans la lutte contre ces agissements intolérables à caractère antisémite. Il renforce notre démocratie.
c) la lutte contre la contrefaçon numérique disposera aussi d'armes efficaces
Rappelons que le droit de propriété est l'un des fondements de notre démocratie. Nous ne pouvions accepter la mise en cause de la propriété intellectuelle sur Internet. La loi rappelle ainsi les pouvoirs de l'autorité judiciaire pour prévenir et faire cesser un dommage dans ce domaine. Le Gouvernement a également engagé les fournisseurs d'accès et les représentants des ayants droit à signer une charte qui définit les voies et moyens pour combattre la piraterie dans le domaine de la musique.
d) La publicité par voie électronique est mieux encadrée
Sur ce sujet épineux du " spam ", la loi indique que l'envoi de courriers électroniques ayant pour but la prospection commerciale directe est désormais interdit sans l'accord préalable des consommateurs. Le champ de la loi étant limité à la prospection à caractère commercial, les différents mouvements politiques, associatifs ou syndicaux qui contribuent à la formation de l'opinion publique peuvent donc envoyer des courriers électroniques sans restriction.
e) Le vote électronique devient légal pour les élections professionnelles
Au cours des débats, le Parlement a introduit cette possibilité, dans des conditions devant être précisées par décret en Conseil d'Etat, de voter par voie électronique dans le cadre des élections professionnelles dans les entreprises. Toutefois, la mise en oeuvre de cette possibilité est subordonnée à la signature d'un accord d'entreprise.
III. Dans ce contexte nouveau de l'Internet, je voudrais enfin partager avec vous quelques réflexions sur la nouvelle nature de la relation politique qui est aujourd'hui possible
1. Internet offre incontestablement de nouvelles possibilités qui peuvent enrichir notre vie démocratique
Internet crée une relation personnalisée de proximité et informelle. Il devient possible à tout citoyen de dialoguer facilement de façon personnalisée avec les élus qui le représentent. Il m'arrive ainsi fréquemment au Ministère, de recevoir des courriers par mail. Le style informel d'Internet crée en réalité une nouvelle forme de relation que je qualifierai d'intermédiaire entre le contact téléphonique et la lettre.
Internet facilite la diffusion des idées des partis et des hommes politiques. Nombreux sont ceux, et j'en fais partie, qui disposent d'un site Internet propre. C'est un outil très efficace, car après tout, un homme politique est un homme public, qui doit pouvoir se faire connaître facilement, et à qui il arrive souvent d'être en campagne. Il en est de même des partis qui me semblent avoir tous aujourd'hui parfaitement intégré Internet dans leur stratégie.
Dans un contexte où l'internet investit des domaines toujours plus nombreux, il serait donc paradoxal que ses formidables possibilités ne soient pas mises au service de nos démocraties.
2. Nous devons cependant bien apprécier les enjeux en cause pour faire de l'Internet un véritable atout pour nos démocraties
Aussi c'est tout le mérite de votre forum de s'interroger sur l'E démocratie, en particulier à travers l'évaluation de l'impact des Net campagnes, des comportements électoraux et des outils qui peuvent être mis au service de l'E démocratie.
Comme dans d'autres domaines, nous devons, en effet, concilier le formidable apport de l'Internet avec l'exigence de préserver les principes essentiels qui ont toujours guidé la conception que nous partageons ensemble de la démocratie.
D'abord, je crois que l'e démocratie ne pourrait prospérer en matière électorale si la sécurité des procédures n'était pas parfaitement assurée. La confidentialité des opérations électorales est un préalable. Il ne serait naturellement pas acceptable qu'une défaillance des procédures permette de remonter au cybervotant.
Au-delà de ce préalable d'ordre technique, nous devons également être vigilants sur l'impact que le vote électronique peut avoir sur les conditions mêmes d'exercice de l'acte électoral et sur sa signification profonde.
Traditionnellement le vote combine deux aspects : le déplacement de l'électeur vers le bureau de vote, c'est-à-dire vers un espace public, sauf naturellement le cas des procurations ; le passage obligatoire vers l'isoloir qui garantit tout à la fois le caractère individuel du vote et sa sincérité.
Si le vote électronique était accompli depuis le domicile, il s'exercerait dans une sphère privée. Dès lors, nous devrions réfléchir aux risques de pressions sur l'électeur ou de manipulation d'un individu par un autre. En prenant sa source dans la sphère privée, le vote perd sa dimension symbolique, il faut donc aussi s'interroger sur le risque d'une exposition plus forte de l'électeur aux considérations d'ordre individualiste ou communautariste.
Vous allez également débattre des campagnes électorales sur le Net. Naturellement, celui-ci, comme dans les autres domaines, peut être un formidable outil de diffusion de l'information. Il peut permettre de sensibiliser de manière plus directe l'électeur aux enjeux du scrutin à venir.
Mais de toute évidence, de telles campagnes devraient être régulées pour éviter les risques de manipulation ou encore de fausses rumeurs diffusées sciemment pour nuire à son concurrent.
Dans cette perspective, nous devrions être particulièrement attentifs au problème de la rémanence. Les messages, les images utilisés dans une telle campagne ne quittent pas le Net. Ils vont dormir dans des sites, des courriels ou ordinateurs personnels, avant le cas échéant d'être " réveillés " plus tard, décuplant ainsi leur impact, le cas échéant très nuisible à la sincérité du scrutin.
Voilà quelques réflexions que je souhaitais vous livrer en prélude à vos travaux de ce dernier après midi du colloque. Ils s'avèrent passionnants, et pour ma part, je serai très intéressé par les enseignements qui pourront en être dégagés ainsi que par les résultats du sondage sur les net campagnes qui seront présentés. Je crois que c'est une première et cela enrichira certainement notre réflexion.

(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 12 octobre 2004)