Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord vous dire le plaisir que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous.
Ce plaisir est d'autant plus grand que mon emploi du temps ne m'avait pas permis d'assister, en Janvier dernier, au 28ème Salon de l'Avocat.
C'est donc ma première rencontre officielle avec la Confédération nationale des avocats, même si j'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec ses dirigeants.
Je suis également heureux que vous m'ayez donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet fondamental que constitue la défense de l'Homme et de la Nature.
Nul intitulé ne pouvait être mieux choisi. A travers la défense de la Nature, c'est l'avenir de l'Homme que l'on préserve.
Mais l'Homme a acquis sur la Nature un pouvoir nouveau. Alors qu'il en est toujours tributaire, il ne lui est plus soumis. Ce pouvoir lui donne une responsabilité nouvelle. Responsabilité envers ses contemporains pour préserver et améliorer l'environnement et réparer les atteintes qui lui sont portées. Responsabilité envers les générations futures car ce patrimoine que nous avons reçu, nous devons le transmettre.
Devant cet enjeu exceptionnel, le Président de la République et le Gouvernement ont choisi d'apporter une réponse politique qui trouvera sa traduction juridique dans un acte solennel, la Charte de l'environnement adossée à la Constitution.
Cette proposition annoncée par le Chef de l'Etat, lors des élections présidentielles, a été débattue, au cours de ces derniers mois, dans le cadre des assises régionales de la Charte de l'environnement et de la Commission présidée par le professeur Coppens.
J'aurai l'honneur, au nom du Gouvernement, de la présenter au Parlement dans les tout prochains mois.
Cette révision constitutionnelle traduira la consécration d'une écologie humaniste et le choix, pour les politiques publiques, d'un développement durable.
Le premier objectif d'une constitutionnalisation d'une écologie humaniste est symbolique. Il s'agit de proclamer un engagement du peuple français dans la continuité des droits de l'Homme de la Déclaration de 1789 et des principes politiques, économiques et sociaux du Préambule de 1946. Cet acte marque une troisième et nouvelle étape du pacte républicain. Au-delà des volontés individuelles ou de l'action des groupes, le " vouloir vivre collectif " s'inscrira désormais dans le respect de la Nature.
Il faut que nous cessions de fragiliser les conditions mêmes de la vie sur terre. Nous le savons tous: les progrès techniques, la croissance démographique, des exigences de confort croissantes, ont fait naître des risques de surexploitation des ressources, de destructions irréversibles du patrimoine naturel, d'atteintes à la santé et de catastrophes naturelles.
Le second objectif de la Charte est d'ordre juridique. Il importe d'édicter une norme qui s'impose à tous et qui soit reconnue au même titre que les autres principes constitutionnels, de telle sorte qu'une combinaison puisse être opérée entre eux.
La préservation de l'environnement requiert l'adoption de prescriptions qui peuvent affecter des principes aussi fondamentaux que le droit de propriété, la liberté d'entreprendre ou même le principe d'égalité. Face à ces droits constitutionnellement garantis, les mesures environnementales ne peuvent actuellement trouver de fondements juridiques suffisamment forts pour permettre une conciliation favorable en cas de conflit.
Dois-je rappeler que, par exemple le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé, ou encore le devoir de chaque personne de préserver l'environnement, n'ont pas de base législative ?
L'élévation des principes et objectifs environnementaux au niveau constitutionnel permettra désormais d'encadrer l'activité de l'ensemble de la Nation :
- du législateur dont les lois pourront être sanctionnées par le Conseil constitutionnel en cas de méconnaissance.
- des juridictions des deux ordres, administratif et judiciaire, qui disposeront des outils appropriés pour réparer ou sanctionner,
- et plus généralement de toute personne, physique ou morale, publique ou privée, qui devront se comporter de manière responsable.
Pour autant les autres intérêts fondamentaux de la Nation ne seront pas méconnus. L'objectif de la Charte est de créer un nouvel équilibre entre développement économique, progrès social et protection de l'environnement et de la santé.
Si l'avancée des technologies a conduit les activités humaines à avoir un impact croissant sur l'environnement, elle devrait également permettre à l'Homme de développer des mesures de correction, des moyens de restauration des espaces dégradés ou encore de valorisation des ressources renouvelables.
Le Gouvernement s'y attache à travers le programme interministériel d'actions de développement durable, qui est en voie d'être finalisé. Dans le cadre de cette réflexion, différents objectifs ont été dégagés en termes de précaution, prévention, police de l'environnement et justice.
Il s'agit de :
- renforcer les capacités d'expertise pour une meilleure application du principe de précaution ;
- donner une nouvelle dimension aux politiques de prévention des risques et de protection de la population ;
- accroître enfin l'efficacité de la police de l'environnement et renforcer la répression des infractions.
Dans cet esprit, la responsabilité pénale des entreprises en matière environnementale doit être retenue partout où sont constatés des comportements de non respect flagrant des réglementations ou de négligence fautive susceptibles de causer des dommages graves pour la santé humaine ou l'environnement.
J'ajoute qu'il me paraît indispensable de réaffirmer à quel point l'action pénale en ce domaine est étroitement liée à l'action administrative, qui inclut elle-même des dispositifs de sanctions. Il convient de parvenir à un niveau de concertation utile entre procureurs de la République, préfets et services dotés de missions de contrôle et de pouvoirs de police judiciaire.
Des programmes de contrôles concertés et coordonnés devraient être mis en uvre d'un commun accord. Plus globalement, des orientations nationales prioritaires, adaptées au contexte local, doivent être arrêtés. Pour ce faire, mes services préparent une circulaire d'action publique en matière d'environnement.
Par ailleurs dans la mesure où le droit pénal de l'environnement présente une complexité certaine, les magistrats ont besoin d'être dotés de services de police judiciaire spécialisés. C'est pourquoi, de concert avec les ministères de l'intérieur, de la défense et de l'écologie, nous travaillons à la création d'un nouvel office central de police judiciaire consacré à la lutte contre les infractions portant atteinte à l'environnement, à la santé publique et à la consommation.
Dans la même perspective, la Chancellerie s'attache à améliorer la prise en compte de la gestion, par les juridictions pénales, des dossiers relatifs à la sécurité environnementale. Comme vous le savez, ont été créés l'année dernière, les "pôles santé", juridictions spécialisées, surtout au stade des enquêtes et de l'instruction, à compétence interrégionale et qui gèrent les dossiers liés à la sécurité sanitaire et alimentaire. Il suffit d'évoquer les procédures relatives au sang contaminé, à la maladie de Creutzfeld Jacob ou à celle de la "vache folle", pour mesurer la nécessité de regrouper des magistrats spécialisés, secondés par des assistants également spécialisés, fonctionnaires dépendant d'autres ministères tels que médecins inspecteurs ou vétérinaires.
J'envisage de proposer l'extension de la compétence de ces "pôles santé" aux dossiers liés à la sécurité environnementale pour avoir les moyens de mieux gérer les procédures pénales liées à l'amiante, au plomb, au mercure, ou encore aux produits chimiques.
Vous connaissez l'extrême complexité de ces procédures : des victimes parfois nombreuses et, en tout cas, dans une situation de détresse et de "demande de droit", une réglementation complexe et évolutive dans le temps, des investigations longues et parfois à dimension internationale.
La justice pénale doit avoir les moyens humains et matériels de traiter, comme la société le lui demande, ces procédures d'une dimension, réelle et symbolique, très particulière.
Je voudrais terminer sur l'aspect pénal en évoquant la question spécifique des pollutions marines par rejets des navires. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les dommages considérables que nos côtes françaises ont connu, à la suite du naufrage de l'Erika en décembre 1999, puis du Prestige en novembre 2002.
J'étais mercredi à Brest pour discuter de la question avec des armateurs, des représentants de l'industrie pétrolière et des assureurs.
Le projet de loi que je présenterai à l'Assemblée Nationale, le 21 mai prochain, comporte deux objectifs de lutte contre ce type de délinquance maritime inadmissible, en majorité causés par des propriétaires, exploitants ou affréteurs de navires étrangers, passant au large de nos côtes, au mépris de la réglementation internationale.
Il s'agit :
- d'une part, d'augmenter les peines, notamment financières, en répression des déballastages et dégazages " sauvages " ;
- d'autre part, d'augmenter l'efficacité des tribunaux spécialisés créés en mai 2001, qui doivent sanctionner de façon extrêmement dissuasive, les auteurs de ces infractions.
Plus globalement, le thème de la prévention, de la justice et de la police de l'environnement s'illustre à travers le projet de loi sur la prévention des risques technologiques et naturels, examiné en deuxième lecture cette semaine au Sénat, et la négociation actuellement pendante de la directive communautaire sur la prévention et la réparation du dommage environnemental.
Ces deux textes privilégient un régime juridique dans lequel l'obligation principale est antérieure à la survenance du dommage. A titre d'exemple, l'obligation d'information en matière d'environnement des sociétés vis-à-vis de leurs actionnaires est renforcé.
Ces nouvelles mesures auront, au départ, sans aucun doute un coût, mais il s'agira d'une charge financière prévisible pour l'entreprise, contrairement à la réparation du dommage environnemental pour lequel il n'existe pas encore de barème. Les dirigeants d'entreprises devront être encouragés à prendre des garanties financières propres à les mettre en mesure de faire face à leurs obligations.
Dans ce contexte, les avocats, conseillers des entreprises, auront un rôle essentiel à jouer pour faire connaître ces nouvelles règles de prévention.
Bien sûr, il leur appartiendra également de défendre les victimes des dommages environnementaux dont la nature ne rend pas, il faut bien le dire, leur mission facile. Je pense en particulier à la recherche de l'établissement du lien de causalité ou à l'identification du responsable du dommage qui est souvent longue et difficile.
C'est pourquoi je crois qu'il est nécessaire de mieux assurer, par la voie législative, l'indemnisation des dommages provoqués par des catastrophes technologiques. Celle de Toulouse, si présente à l'esprit, est directement à l'origine de la modification du code des assurances opérée par le projet de loi sur la prévention des risques technologiques et naturels.
Ce texte crée un régime de garantie et d'indemnisation spécifiques des biens mobiliers et immobiliers en cas de catastrophe technologique constatée par l'autorité administrative. Il est clair que les victimes qui se trouvent la plupart du temps dans des situations matérielles dramatiques ne peuvent pas attendre l'issue d'une procédure judiciaire.
C'est pourquoi il est prévu que sur la base d'un descriptif des dommages établi par la victime et son assureur, une indemnisation sera versée dans un délai de 3 mois sans qu'il y ait lieu de recourir une expertise, du moins dans les limites d'un certain montant d'indemnités. Bien sûr, les avocats pourront assister et conseiller la victime tout au long de ces négociations.
Ainsi sera garantie une indemnisation rapide et complète tout en préservant la possibilité d'un contentieux contre le responsable. De manière générale, l'aide aux victimes de catastrophes ou d'accidents collectifs est une préoccupation constante du ministère de la justice. Je rappelle qu'un dispositif spécifique de suivi a été mis en place, au sein de la Chancellerie, par le bureau de l'aide aux victimes.
Dans ces situations, il est systématiquement proposé, la constitution d'un comité de suivi, animé, soit par les chefs de juridiction soit par les services du Ministère, en lien étroit avec les autorités locales.
Ce comité a vocation à remplir trois missions :
- veiller à une indemnisation rapide et équitable des victimes quelle que soit la nature de leur préjudice, notamment en retenant un dispositif d'expertise unique opposable aux organismes sociaux et aux assureurs ;
- diffuser une information sur les dispositions prises en leur faveur et les procédures judiciaires ;
- enfin accompagner les victimes en leur offrant un soutien psychologique.
Les barreaux sont étroitement associés à la mise en place de ces actions, la présence des avocats étant nécessaire pour garantir la préservation des droits des victimes. Il reste que malgré la mise en oeuvre de mesures de ce type, les victimes peuvent encore éprouver le sentiment de se retrouver trop seules face aux démarches à effectuer.
L'amélioration de leur prise en charge constitue pour moi, un objectif prioritaire, qui s'est traduit dans le Programme National d'Action en leur faveur que j'ai présenté en Conseil des Ministres, le 18 septembre dernier. Ses 14 mesures sont destinées à replacer les victimes au centre des préoccupations de l'institution judiciaire, en garantissant leurs droits procéduraux et en leur assurant une plus grande solidarité matérielle et morale.
La plupart des mesures annoncées sont d'ores et déjà réalisées. Je citerai l'une d'entre elles dans laquelle votre profession est particulièrement expliquée à savoir la possibilité, pour les victimes qui en font la demande, de se voir désigner un avocat par le bâtonnier au moment de la décision sur les poursuites.
Nombre de barreaux ont déjà mis en place des permanences spécialisées d'avocats qui sont à même d'assurer aux victimes un accueil immédiat et de les assister aux audiences. Cette organisation particulière a été désormais prise en compte par le décret du 2 avril 2003, qui a introduit l'assistance des parties civiles dans le champ d'application des protocoles de qualité conclus entre les barreaux et les juridictions, ouvrant droit à un financement complémentaire au titre de l'aide juridictionnelle.
S'agissant de l'amélioration des interventions en matière de catastrophes et d'accidents collectif, prévue également par le Programme National d'Action, un groupe de travail a été mis en place dans le cadre du Conseil National de l'Aide aux Victimes. Présidé par Monsieur Claude Lienhard - spécialiste du droit des accidents et des catastrophes collectives et qui interviendra je crois au cours de vos débats - il est chargé de mettre au point un guide méthodologique à l'usage des professionnels. Le rapport du groupe de travail sera déposé dans les tout prochains mois.
Je ne voudrais pas terminer mes propos sans aborder certaines questions d'ordre professionnel que vous avez vous-même évoquées, Monsieur le Président, notamment la fiscalité et le tarif.
Je sais combien le dispositif fiscal est déterminant quant à l'évolution de vos cabinets vers de nouvelles formes d'exercice plus adaptées à l'environnement concurrentiel.
Je rappellerai, à cet égard, que les conséquences fiscales résultant de la transformation des structures professionnelles ont été sensiblement allégées au cours des dernières années.
C'est ainsi que le dispositif introduit par la loi de finances rectificative pour 1999 a permis d'étendre aux sociétés civiles professionnelles qui se transforment en sociétés d'exercice libéral, le régime favorable applicable aux plus-values réalisées par les personnes physiques à l'occasion de l'apport à une société des éléments d'actifs professionnels.
Afin de faciliter le passage à l'impôt sur les sociétés, des mesures d'accompagnement ont par ailleurs été prises dont certaines, qui devaient expirer le 31 décembre 2002, ont été prorogées.
Il est vrai qu'en dépit de ces mesures, l'évolution des structures d'exercice des avocats, au cours des dernières années, est marquée par une grande stabilité. Le choix de la profession se porte encore massivement sur les cabinets individuels et la proportion de sociétés civiles professionnelles demeure à peu près constante alors que les sociétés d'exercice libéral ne se sont pas sensiblement accrues.
Il faut que nous continuions à mieux faire connaître l'avantage des dispositifs fiscaux et je compte sur votre syndicat. D'une manière plus globale, il est temps d'ouvrir le chantier stratégique de l'avenir économique des professions juridiques confrontées à la concurrence croissante sur le marché désormais européen et international du conseil juridique.
S'agissant de la revalorisation du tarif de postulation des avocats, votre propos appelle de ma part deux remarques.
La première me conduit à un détour par une autre profession, celle des avoués près les cours d'appel, puisque vous faites référence au tarif de ces professionnels qui ont demandé et obtenu la revalorisation de l'unité de base utilisée pour le calcul de leurs émoluments. Pour autant, l'approche de ces dossiers n'est pas identique. Les avoués près les cours d'appel sont en effet des officiers ministériels, rémunérés par des émoluments tarifés, en contrepartie d'un monopole de représentation devant la juridiction du second degré. La rémunération de cette activité de représentation repose sur le caractère obligatoire et, j'insiste, exclusif du tarif.
La dualité de la rémunération des avocats, posée par la loi du 31 décembre 1971, situe votre profession dans une situation différente, puisque la détermination contractuelle des honoraires, fixés en accord avec le client, place l'avocat en dehors du cadre strictement réglementé que constitue un tarif.
Ceci étant, vous savez, avec moi, que la question du tarif de postulation divise encore, à ce jour, les organisations représentatives de la profession d'avocat. La Confédération nationale des avocats est fidèle à cette revendication et cette fidélité l'honore.
Mon directeur adjoint de cabinet a eu l'occasion, lors du salon de l'avocat des 17 et 18 janvier dernier, de vous faire savoir que j'étais favorable à une démarche de réflexion et de concertation sur ce point. Je le suis toujours.
Plus globalement, le temps me paraît venu de mettre à profit les différentes approches exprimées au sein de votre profession, en ce qui concerne la question plus large de la rémunération de l'avocat, qui comporte plusieurs volets.
En la matière, différentes pistes ont été ouvertes, notamment, celle de l'assurance de protection juridique.
Vous savez, Monsieur le Président, que cette question appelle de ma part, une attention toute particulière et que mes services finalisent des propositions en étroite concertation avec votre profession sur ce sujet.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, le dossier est également largement entamé comme je m'y étais engagé lors de la convention nationale des avocats de Nice en octobre dernier.
Un décret modificatif du barème dit de l'article 90 est sur le point d'être adressé au Conseil d'Etat. Il comblera les lacunes du protocole du 18 décembre 2000 en réévaluant les unités de valeurs (UV) des rubriques procédurales les plus importantes telle la procédure devant les tribunaux de grande instance. Indépendamment de ce travail à court terme, je suis ouvert, je tiens à le redire, à des réflexions plus en profondeur comme me l'ont proposé les organes représentatifs de la profession qui doivent me faire des propositions à cet égard.
Je conclurai en vous disant combien les travaux de votre Congrès illustrent ce constat que la force et la grandeur du dispositif juridique d'un pays passe par ses règles de droit, son système judiciaire, mais aussi ses professions juridiques.
En choisissant de porter vos réflexions sur la défense de l'environnement, vous montrez à quel point les avocats entendent prendre pleinement part à un combat majeur pour l'avenir de la société et, pour tout dire, à celle de l'humanité.
Je vous remercie.
(source http://www.cna-avocats.com, le 10 décembre 2003)
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord vous dire le plaisir que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous.
Ce plaisir est d'autant plus grand que mon emploi du temps ne m'avait pas permis d'assister, en Janvier dernier, au 28ème Salon de l'Avocat.
C'est donc ma première rencontre officielle avec la Confédération nationale des avocats, même si j'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec ses dirigeants.
Je suis également heureux que vous m'ayez donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet fondamental que constitue la défense de l'Homme et de la Nature.
Nul intitulé ne pouvait être mieux choisi. A travers la défense de la Nature, c'est l'avenir de l'Homme que l'on préserve.
Mais l'Homme a acquis sur la Nature un pouvoir nouveau. Alors qu'il en est toujours tributaire, il ne lui est plus soumis. Ce pouvoir lui donne une responsabilité nouvelle. Responsabilité envers ses contemporains pour préserver et améliorer l'environnement et réparer les atteintes qui lui sont portées. Responsabilité envers les générations futures car ce patrimoine que nous avons reçu, nous devons le transmettre.
Devant cet enjeu exceptionnel, le Président de la République et le Gouvernement ont choisi d'apporter une réponse politique qui trouvera sa traduction juridique dans un acte solennel, la Charte de l'environnement adossée à la Constitution.
Cette proposition annoncée par le Chef de l'Etat, lors des élections présidentielles, a été débattue, au cours de ces derniers mois, dans le cadre des assises régionales de la Charte de l'environnement et de la Commission présidée par le professeur Coppens.
J'aurai l'honneur, au nom du Gouvernement, de la présenter au Parlement dans les tout prochains mois.
Cette révision constitutionnelle traduira la consécration d'une écologie humaniste et le choix, pour les politiques publiques, d'un développement durable.
Le premier objectif d'une constitutionnalisation d'une écologie humaniste est symbolique. Il s'agit de proclamer un engagement du peuple français dans la continuité des droits de l'Homme de la Déclaration de 1789 et des principes politiques, économiques et sociaux du Préambule de 1946. Cet acte marque une troisième et nouvelle étape du pacte républicain. Au-delà des volontés individuelles ou de l'action des groupes, le " vouloir vivre collectif " s'inscrira désormais dans le respect de la Nature.
Il faut que nous cessions de fragiliser les conditions mêmes de la vie sur terre. Nous le savons tous: les progrès techniques, la croissance démographique, des exigences de confort croissantes, ont fait naître des risques de surexploitation des ressources, de destructions irréversibles du patrimoine naturel, d'atteintes à la santé et de catastrophes naturelles.
Le second objectif de la Charte est d'ordre juridique. Il importe d'édicter une norme qui s'impose à tous et qui soit reconnue au même titre que les autres principes constitutionnels, de telle sorte qu'une combinaison puisse être opérée entre eux.
La préservation de l'environnement requiert l'adoption de prescriptions qui peuvent affecter des principes aussi fondamentaux que le droit de propriété, la liberté d'entreprendre ou même le principe d'égalité. Face à ces droits constitutionnellement garantis, les mesures environnementales ne peuvent actuellement trouver de fondements juridiques suffisamment forts pour permettre une conciliation favorable en cas de conflit.
Dois-je rappeler que, par exemple le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé, ou encore le devoir de chaque personne de préserver l'environnement, n'ont pas de base législative ?
L'élévation des principes et objectifs environnementaux au niveau constitutionnel permettra désormais d'encadrer l'activité de l'ensemble de la Nation :
- du législateur dont les lois pourront être sanctionnées par le Conseil constitutionnel en cas de méconnaissance.
- des juridictions des deux ordres, administratif et judiciaire, qui disposeront des outils appropriés pour réparer ou sanctionner,
- et plus généralement de toute personne, physique ou morale, publique ou privée, qui devront se comporter de manière responsable.
Pour autant les autres intérêts fondamentaux de la Nation ne seront pas méconnus. L'objectif de la Charte est de créer un nouvel équilibre entre développement économique, progrès social et protection de l'environnement et de la santé.
Si l'avancée des technologies a conduit les activités humaines à avoir un impact croissant sur l'environnement, elle devrait également permettre à l'Homme de développer des mesures de correction, des moyens de restauration des espaces dégradés ou encore de valorisation des ressources renouvelables.
Le Gouvernement s'y attache à travers le programme interministériel d'actions de développement durable, qui est en voie d'être finalisé. Dans le cadre de cette réflexion, différents objectifs ont été dégagés en termes de précaution, prévention, police de l'environnement et justice.
Il s'agit de :
- renforcer les capacités d'expertise pour une meilleure application du principe de précaution ;
- donner une nouvelle dimension aux politiques de prévention des risques et de protection de la population ;
- accroître enfin l'efficacité de la police de l'environnement et renforcer la répression des infractions.
Dans cet esprit, la responsabilité pénale des entreprises en matière environnementale doit être retenue partout où sont constatés des comportements de non respect flagrant des réglementations ou de négligence fautive susceptibles de causer des dommages graves pour la santé humaine ou l'environnement.
J'ajoute qu'il me paraît indispensable de réaffirmer à quel point l'action pénale en ce domaine est étroitement liée à l'action administrative, qui inclut elle-même des dispositifs de sanctions. Il convient de parvenir à un niveau de concertation utile entre procureurs de la République, préfets et services dotés de missions de contrôle et de pouvoirs de police judiciaire.
Des programmes de contrôles concertés et coordonnés devraient être mis en uvre d'un commun accord. Plus globalement, des orientations nationales prioritaires, adaptées au contexte local, doivent être arrêtés. Pour ce faire, mes services préparent une circulaire d'action publique en matière d'environnement.
Par ailleurs dans la mesure où le droit pénal de l'environnement présente une complexité certaine, les magistrats ont besoin d'être dotés de services de police judiciaire spécialisés. C'est pourquoi, de concert avec les ministères de l'intérieur, de la défense et de l'écologie, nous travaillons à la création d'un nouvel office central de police judiciaire consacré à la lutte contre les infractions portant atteinte à l'environnement, à la santé publique et à la consommation.
Dans la même perspective, la Chancellerie s'attache à améliorer la prise en compte de la gestion, par les juridictions pénales, des dossiers relatifs à la sécurité environnementale. Comme vous le savez, ont été créés l'année dernière, les "pôles santé", juridictions spécialisées, surtout au stade des enquêtes et de l'instruction, à compétence interrégionale et qui gèrent les dossiers liés à la sécurité sanitaire et alimentaire. Il suffit d'évoquer les procédures relatives au sang contaminé, à la maladie de Creutzfeld Jacob ou à celle de la "vache folle", pour mesurer la nécessité de regrouper des magistrats spécialisés, secondés par des assistants également spécialisés, fonctionnaires dépendant d'autres ministères tels que médecins inspecteurs ou vétérinaires.
J'envisage de proposer l'extension de la compétence de ces "pôles santé" aux dossiers liés à la sécurité environnementale pour avoir les moyens de mieux gérer les procédures pénales liées à l'amiante, au plomb, au mercure, ou encore aux produits chimiques.
Vous connaissez l'extrême complexité de ces procédures : des victimes parfois nombreuses et, en tout cas, dans une situation de détresse et de "demande de droit", une réglementation complexe et évolutive dans le temps, des investigations longues et parfois à dimension internationale.
La justice pénale doit avoir les moyens humains et matériels de traiter, comme la société le lui demande, ces procédures d'une dimension, réelle et symbolique, très particulière.
Je voudrais terminer sur l'aspect pénal en évoquant la question spécifique des pollutions marines par rejets des navires. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les dommages considérables que nos côtes françaises ont connu, à la suite du naufrage de l'Erika en décembre 1999, puis du Prestige en novembre 2002.
J'étais mercredi à Brest pour discuter de la question avec des armateurs, des représentants de l'industrie pétrolière et des assureurs.
Le projet de loi que je présenterai à l'Assemblée Nationale, le 21 mai prochain, comporte deux objectifs de lutte contre ce type de délinquance maritime inadmissible, en majorité causés par des propriétaires, exploitants ou affréteurs de navires étrangers, passant au large de nos côtes, au mépris de la réglementation internationale.
Il s'agit :
- d'une part, d'augmenter les peines, notamment financières, en répression des déballastages et dégazages " sauvages " ;
- d'autre part, d'augmenter l'efficacité des tribunaux spécialisés créés en mai 2001, qui doivent sanctionner de façon extrêmement dissuasive, les auteurs de ces infractions.
Plus globalement, le thème de la prévention, de la justice et de la police de l'environnement s'illustre à travers le projet de loi sur la prévention des risques technologiques et naturels, examiné en deuxième lecture cette semaine au Sénat, et la négociation actuellement pendante de la directive communautaire sur la prévention et la réparation du dommage environnemental.
Ces deux textes privilégient un régime juridique dans lequel l'obligation principale est antérieure à la survenance du dommage. A titre d'exemple, l'obligation d'information en matière d'environnement des sociétés vis-à-vis de leurs actionnaires est renforcé.
Ces nouvelles mesures auront, au départ, sans aucun doute un coût, mais il s'agira d'une charge financière prévisible pour l'entreprise, contrairement à la réparation du dommage environnemental pour lequel il n'existe pas encore de barème. Les dirigeants d'entreprises devront être encouragés à prendre des garanties financières propres à les mettre en mesure de faire face à leurs obligations.
Dans ce contexte, les avocats, conseillers des entreprises, auront un rôle essentiel à jouer pour faire connaître ces nouvelles règles de prévention.
Bien sûr, il leur appartiendra également de défendre les victimes des dommages environnementaux dont la nature ne rend pas, il faut bien le dire, leur mission facile. Je pense en particulier à la recherche de l'établissement du lien de causalité ou à l'identification du responsable du dommage qui est souvent longue et difficile.
C'est pourquoi je crois qu'il est nécessaire de mieux assurer, par la voie législative, l'indemnisation des dommages provoqués par des catastrophes technologiques. Celle de Toulouse, si présente à l'esprit, est directement à l'origine de la modification du code des assurances opérée par le projet de loi sur la prévention des risques technologiques et naturels.
Ce texte crée un régime de garantie et d'indemnisation spécifiques des biens mobiliers et immobiliers en cas de catastrophe technologique constatée par l'autorité administrative. Il est clair que les victimes qui se trouvent la plupart du temps dans des situations matérielles dramatiques ne peuvent pas attendre l'issue d'une procédure judiciaire.
C'est pourquoi il est prévu que sur la base d'un descriptif des dommages établi par la victime et son assureur, une indemnisation sera versée dans un délai de 3 mois sans qu'il y ait lieu de recourir une expertise, du moins dans les limites d'un certain montant d'indemnités. Bien sûr, les avocats pourront assister et conseiller la victime tout au long de ces négociations.
Ainsi sera garantie une indemnisation rapide et complète tout en préservant la possibilité d'un contentieux contre le responsable. De manière générale, l'aide aux victimes de catastrophes ou d'accidents collectifs est une préoccupation constante du ministère de la justice. Je rappelle qu'un dispositif spécifique de suivi a été mis en place, au sein de la Chancellerie, par le bureau de l'aide aux victimes.
Dans ces situations, il est systématiquement proposé, la constitution d'un comité de suivi, animé, soit par les chefs de juridiction soit par les services du Ministère, en lien étroit avec les autorités locales.
Ce comité a vocation à remplir trois missions :
- veiller à une indemnisation rapide et équitable des victimes quelle que soit la nature de leur préjudice, notamment en retenant un dispositif d'expertise unique opposable aux organismes sociaux et aux assureurs ;
- diffuser une information sur les dispositions prises en leur faveur et les procédures judiciaires ;
- enfin accompagner les victimes en leur offrant un soutien psychologique.
Les barreaux sont étroitement associés à la mise en place de ces actions, la présence des avocats étant nécessaire pour garantir la préservation des droits des victimes. Il reste que malgré la mise en oeuvre de mesures de ce type, les victimes peuvent encore éprouver le sentiment de se retrouver trop seules face aux démarches à effectuer.
L'amélioration de leur prise en charge constitue pour moi, un objectif prioritaire, qui s'est traduit dans le Programme National d'Action en leur faveur que j'ai présenté en Conseil des Ministres, le 18 septembre dernier. Ses 14 mesures sont destinées à replacer les victimes au centre des préoccupations de l'institution judiciaire, en garantissant leurs droits procéduraux et en leur assurant une plus grande solidarité matérielle et morale.
La plupart des mesures annoncées sont d'ores et déjà réalisées. Je citerai l'une d'entre elles dans laquelle votre profession est particulièrement expliquée à savoir la possibilité, pour les victimes qui en font la demande, de se voir désigner un avocat par le bâtonnier au moment de la décision sur les poursuites.
Nombre de barreaux ont déjà mis en place des permanences spécialisées d'avocats qui sont à même d'assurer aux victimes un accueil immédiat et de les assister aux audiences. Cette organisation particulière a été désormais prise en compte par le décret du 2 avril 2003, qui a introduit l'assistance des parties civiles dans le champ d'application des protocoles de qualité conclus entre les barreaux et les juridictions, ouvrant droit à un financement complémentaire au titre de l'aide juridictionnelle.
S'agissant de l'amélioration des interventions en matière de catastrophes et d'accidents collectif, prévue également par le Programme National d'Action, un groupe de travail a été mis en place dans le cadre du Conseil National de l'Aide aux Victimes. Présidé par Monsieur Claude Lienhard - spécialiste du droit des accidents et des catastrophes collectives et qui interviendra je crois au cours de vos débats - il est chargé de mettre au point un guide méthodologique à l'usage des professionnels. Le rapport du groupe de travail sera déposé dans les tout prochains mois.
Je ne voudrais pas terminer mes propos sans aborder certaines questions d'ordre professionnel que vous avez vous-même évoquées, Monsieur le Président, notamment la fiscalité et le tarif.
Je sais combien le dispositif fiscal est déterminant quant à l'évolution de vos cabinets vers de nouvelles formes d'exercice plus adaptées à l'environnement concurrentiel.
Je rappellerai, à cet égard, que les conséquences fiscales résultant de la transformation des structures professionnelles ont été sensiblement allégées au cours des dernières années.
C'est ainsi que le dispositif introduit par la loi de finances rectificative pour 1999 a permis d'étendre aux sociétés civiles professionnelles qui se transforment en sociétés d'exercice libéral, le régime favorable applicable aux plus-values réalisées par les personnes physiques à l'occasion de l'apport à une société des éléments d'actifs professionnels.
Afin de faciliter le passage à l'impôt sur les sociétés, des mesures d'accompagnement ont par ailleurs été prises dont certaines, qui devaient expirer le 31 décembre 2002, ont été prorogées.
Il est vrai qu'en dépit de ces mesures, l'évolution des structures d'exercice des avocats, au cours des dernières années, est marquée par une grande stabilité. Le choix de la profession se porte encore massivement sur les cabinets individuels et la proportion de sociétés civiles professionnelles demeure à peu près constante alors que les sociétés d'exercice libéral ne se sont pas sensiblement accrues.
Il faut que nous continuions à mieux faire connaître l'avantage des dispositifs fiscaux et je compte sur votre syndicat. D'une manière plus globale, il est temps d'ouvrir le chantier stratégique de l'avenir économique des professions juridiques confrontées à la concurrence croissante sur le marché désormais européen et international du conseil juridique.
S'agissant de la revalorisation du tarif de postulation des avocats, votre propos appelle de ma part deux remarques.
La première me conduit à un détour par une autre profession, celle des avoués près les cours d'appel, puisque vous faites référence au tarif de ces professionnels qui ont demandé et obtenu la revalorisation de l'unité de base utilisée pour le calcul de leurs émoluments. Pour autant, l'approche de ces dossiers n'est pas identique. Les avoués près les cours d'appel sont en effet des officiers ministériels, rémunérés par des émoluments tarifés, en contrepartie d'un monopole de représentation devant la juridiction du second degré. La rémunération de cette activité de représentation repose sur le caractère obligatoire et, j'insiste, exclusif du tarif.
La dualité de la rémunération des avocats, posée par la loi du 31 décembre 1971, situe votre profession dans une situation différente, puisque la détermination contractuelle des honoraires, fixés en accord avec le client, place l'avocat en dehors du cadre strictement réglementé que constitue un tarif.
Ceci étant, vous savez, avec moi, que la question du tarif de postulation divise encore, à ce jour, les organisations représentatives de la profession d'avocat. La Confédération nationale des avocats est fidèle à cette revendication et cette fidélité l'honore.
Mon directeur adjoint de cabinet a eu l'occasion, lors du salon de l'avocat des 17 et 18 janvier dernier, de vous faire savoir que j'étais favorable à une démarche de réflexion et de concertation sur ce point. Je le suis toujours.
Plus globalement, le temps me paraît venu de mettre à profit les différentes approches exprimées au sein de votre profession, en ce qui concerne la question plus large de la rémunération de l'avocat, qui comporte plusieurs volets.
En la matière, différentes pistes ont été ouvertes, notamment, celle de l'assurance de protection juridique.
Vous savez, Monsieur le Président, que cette question appelle de ma part, une attention toute particulière et que mes services finalisent des propositions en étroite concertation avec votre profession sur ce sujet.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, le dossier est également largement entamé comme je m'y étais engagé lors de la convention nationale des avocats de Nice en octobre dernier.
Un décret modificatif du barème dit de l'article 90 est sur le point d'être adressé au Conseil d'Etat. Il comblera les lacunes du protocole du 18 décembre 2000 en réévaluant les unités de valeurs (UV) des rubriques procédurales les plus importantes telle la procédure devant les tribunaux de grande instance. Indépendamment de ce travail à court terme, je suis ouvert, je tiens à le redire, à des réflexions plus en profondeur comme me l'ont proposé les organes représentatifs de la profession qui doivent me faire des propositions à cet égard.
Je conclurai en vous disant combien les travaux de votre Congrès illustrent ce constat que la force et la grandeur du dispositif juridique d'un pays passe par ses règles de droit, son système judiciaire, mais aussi ses professions juridiques.
En choisissant de porter vos réflexions sur la défense de l'environnement, vous montrez à quel point les avocats entendent prendre pleinement part à un combat majeur pour l'avenir de la société et, pour tout dire, à celle de l'humanité.
Je vous remercie.
(source http://www.cna-avocats.com, le 10 décembre 2003)