Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la politique de l'outre-mer, notamment la réforme des institutions des DOM et TOM, Paris le 22 septembre 2000.

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Circonstance : Réunion des préfets au ministère de l'intérieur le 22 septembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord, permettez moi de remercier Daniel VAILLANT de m'avoir proposé de vous présenter, de façon nécessairement brève et synthétique, les grands axes de la politique du gouvernement vis-à-vis de l'outre-mer.
En effet, si neuf de vos collègues servent aujourd'hui outre-mer, cinq d'entre eux sont d'ailleurs ici présents, les quatre préfets des départements d'outre-mer ainsi que celui de Mayotte (les autres étant retenus pour cause de référendum) la moitié d'entre vous, préfets actuellement en poste, a servi outre-mer au cours de sa carrière.
Pour la moitié de votre assemblée donc, mes propos auront une résonnance particulière tirée de leur expérience personnelle, bien supérieure à la mienne, car, pas plus sans doute que tous mes prédécesseurs, je ne m'étais évidemment préparé à occuper de telles fonctions.
Je crois possible cependant d'intéresser aussi l'autre partie de la salle à raison d'une évidence qui à mon sens s'impose à l'observateur le moins concerné et le moins attentif : l'existence d'un outre-mer français, certains diraient sa survivance, contraint, au sens premier du terme, la perception que nous devons avoir de la République. Ceci était vrai hier. A mon sens, cela le sera encore plus demain.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, en juin 1997, proposait aux Français de s'atteler à une tâche aussi nécessaire qu'ambitieuse, celle de rénover le modèle républicain afin de refonder un nouveau pacte citoyen.
Cet appel ne s'adressait pas seulement aux Français de métropole mais aussi, et c'est bien ainsi qu'ils l'ont compris, à plus de deux millions de nos compatriotes qui vivent outre-mer.
Pour moi, cette rénovation du pacte républicain porte une double exigence : davantage de solidarité mais aussi davantage de respect de l'identité particulière que l'histoire comme la géographie ont forgé pour chacune des neuf collectivités de l'outre-mer français. Cette double exigence peut être perçue comme contradictoire mais justement là est tout l'enjeu de la politique suivie vis-à-vis de l'outre-mer : dépasser cet apparent dilemme et en réconcilier les termes.
Davantage de solidarité, cela passait et cela passe toujours par une vigilance de tous les instants à l'encontre des réflexes cartiéristes qui continuent trop souvent d'imprégner les administrations centrales, logique qui au demeurant, se nourrit des clichés les plus éculés et qui fonde une vision stigmatisante et injuste de l'outre-mer.
Au travers des contrats de plan, des différents textes qui ont été pris ou qui restent à prendre comme la loi d'orientation pour les départements d'outre-mer et Saint-Pierre et Miquelon, l'effort financier de l'Etat a été considérablement accru par rapport à la période précédente. Mais, et contrairement aux idées reçues, cet effort ne signifie pas placer sous perfusion des économies jugées artificielles qui ne recèleraient pas en elles suffisament de ressorts propres pour trouver un équilibre macro-économique. A chaque fois, la volonté a été de faire émerger des solutions nouvelles et originales à partir d'une concertation étroite avec les acteurs économiques et en prenant en compte des contraintes qui trop souvent sont occultées en métropole.
Je ne prendrais qu'un exemple : sur la période du dernier recensement, la croissance de la population aux Antilles a dépassé les 6 % contre un peu plus de 2 en métropole. Que dire de la situation de la Guyane ou de La Réunion qui ont respectivement connu des taux de croissance de 37 % et de 18 % ? La transition démographique est loin d'être achevée outre-mer. Mais ce qui aujourd'hui est une contrainte, se révèlera non seulement pour l'outre-mer mais pour l'ensemble du pays, un atout incontestable eu égard à la qualité, là encore souvent méconnue, de l'appareil de formation sur place, et aux besoins en main-d'oeuvre qualifiée qui vont s'accroître dans toute l'Europe dans les années qui viennent.
J'en viens maintenant à la revendication d'identité qui partout s'est fait jour outre-mer, sous des formes aussi différentes que cet outre-mer est pluriel. En termes de politique publique, cette revendication appelle une réflexion et des choix clairs sur l'évolution institutionnelle de l'outre-mer.
De ce point de vue, le choix du gouvernement est sans ambiguïté : permettre à chacune des collectivités d'outre-mer, dès lors qu'elle y aspire, d'être dotée des institutions les plus adaptées à sa situation propre aux plans politique, culturel, économique ou social.
Cette approche a été mise en oeuvre successivement pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française (reste à franchir l'étape de la révision constitutionnelle, retardée pour d'autres motifs), et pour Mayotte (un projet de loi statutaire sera déposé avant la fin de l'année au Parlement). Des dispositions modernisant le statut de 1985 de Saint-Pierre et Miquelon figurent dans le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer qui reviendra le mois prochain en seconde lecture à l'Assemblée nationale. Enfin, des discussions s'ouvriront au premier semestre de l'année prochaine avec les élus de Wallis et Futuna, territoire dont le statut date de 1959. Les quatre départements, j'y reviendrai, seront eux aussi concernés.
Les réformes institutionnelles outre-mer répondent à une logique de modernisation. Mais l'évolution mise en oeuvre ne peut se faire que de façon différenciée car, nonobstant les catégories juridiques de notre droit, ni les réalités, ni les aspirations ne sont semblables d'une collectivité à l'autre.
Plus encore, à l'intérieur de chacune des collectivités concernées, des débats existent, des contradictions se font jour qui témoignent au demeurant de la vitalité démocratique de ces sociétés. Ces débats, ces contradictions, parfois même ces antagonismes, sont légitimes. Nous devons les respecter et donc les prendre en compte car outre-mer pas plus qu'ailleurs, n'existe une pensée unique.
Pour ce faire, la méthode retenue par le gouvernement s'agissant de l'évolution institutionnelle, fondée je l'ai dit sur le principe de différenciation, suppose la vérification de trois conditions de mise en oeuvre.
Tout d'abord, que cette évolution se fasse à l'initiative des collectivités concernées et ne soit pas imposée par le pouvoir central. Il faut donc une demande politique locale qui ne peut s'exercer que par les élus, c'est-à-dire dans un cadre démocratique et légal.
Ensuite, que cette demande politique s'appuie elle-même sur le plus large rassemblement possible. Ce nécessaire consensus local conditionne au demeurant la capacité de trouver à Paris un consensus national dépassant les clivages partisans surtout lorsqu'il s'agit de se placer dans la perspective, comme ce fut le cas pour la Nouvelle-Calédonie, d'une révision constitutionnelle.
Enfin, et dès lors que seraient proposées des évolutions statutaires substancielles, par exemple ici ou là la sortie du statut départemental, que ces propositions reçoivent le consentement des populations intéressées. De ce point de vue, pour moi essentiel, il n'y a pas lieu de différencier, même si les fondements juridiques de telles consultations peuvent être différents, entre les départements et les autres collectivités d'outre-mer. Une consultation a eu lieu en Nouvelle-Calédonie. Prévue par la révision constitutionnelle, elle était décisionnelle. Une autre consultation, juridiquement pour avis, a eu lieu à Mayotte. Elle était attendue depuis près d'un quart de siècle. Leur sens politique était pourtant le même.
Le projet de loi d'orientation qui concerne les départements d'outre-mer pose lui aussi dans son article 39, le principe de la consultation des populations. Au plan juridique, cette approche qui ne manque pas d'arguments recèle aussi quelques incertitudes. Au plan politique, elle reste fondamentale et ce choix du gouvernement a d'ailleurs reçu l'aval du Président de la République lorsqu'il s'est exprimé sur ce sujet lors de son dernier voyage aux Antilles.
Au demeurant, et dès lors que les trois conditions que je viens d'évoquer sont vérifiées, chacun voit bien que l'idée d'une évolution institutionnelle de l'outre-mer ne suscite plus dans l'opinion publique métropolitaine de véritables débats. Elle trouve en effet son fondement dans des réalités historiques et géographiques, voire juridiques qui ne sont plus contestées par personne.
Cela étant, dans mon esprit, davantage d'aspiration à l'identité, ne signifie nullement, outre-mer, moins de République. Et dans bien des cas, c'est même le contraire. Vos collègues en poste outre-mer pourraient en porter témoignage. L'évolution institutionnelle, quel que soit le partage des compétences entre niveau local et pouvoir central qui en découle, aboutit à cet apparent paradoxe que se renforce la demande d'Etat et donc son rôle sinon ses pouvoirs.
Cette demande d'Etat est pourtant logique. Dans des sociétés qui ont pour caractéristique évidente, eu égard à leur éloignement de la métropole et à d'autres réalités géographiques comme l'insularité (même en Guyane, on parle de l'île de Cayenne) de vivre un peu en vase clos, les antagonismes sociaux sont forcément plus vifs et le risque de concentration des pouvoirs, plus grand.
L'Etat voit ainsi son rôle d'arbitre à la fois accru et conforté. Il est le premier médiateur, et parfois le seul. Il est aussi perçu comme un véritable contre-pouvoir, garant du respect de la règle qui veut qu'en démocratie, le fait majoritaire ne peut contraindre le pluralisme des opinions. Le rôle de ses représentants peut s'en trouver modifié au plan juridique. Mais outre-mer, il demeure, sans doute plus qu'en métropole, essentiel car cette perception de l'Etat, par delà les discours politiques, imprègne la société toute entière, notamment ses strates les moins favorisées.
Dans le domaine de l'évolution des institutions locales, ma conviction est faite depuis longtemps qu'il n'existe aucun laboratoire. Dans sa pluralité, l'outre-mer n'échappe pas à cette règle. Mais ce que nous y avons déjà réussi et que j'espère nous continuerons de faire est à ce titre riche d'enseignements.
Davantage de solidarité, davantage d'identité, et pourtant davantage de République et donc d'Etat, mais d'une République qui ne doit pas confondre uniformité et universalisme, assimilation et égalité.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 2 octobre 2000)