Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à France Info le 28 novembre 2003, sur l'état d'avancement des discussions européennes sur le projet de Constitution et la défense européenne, et sur les protestations suscitées au ministère des Affaires étrangères par les coupes budgétaires prévues pour 2004.

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Circonstance : Réunion en conclave à Naples des ministres des affaires étrangères de l'Europe élargie dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, les 28 et 29 novembre 2003

Média : France Info

Texte intégral

Q - Dominique de Villepin, bonjour. Vous êtes à Naples où les ministres des Affaires étrangères des Vingt-cinq sont en conclave depuis ce matin. A l'ordre du jour : le projet de Constitution européenne. C'est une réunion, dit-on, de rapprochement. Dans quel climat se déroule cette réunion ?
R - Je dois dire que c'est dans un très bon climat. Chacun est conscient de l'importance, de la gravité du moment, puisqu'il s'agit de peaufiner ce projet de Constitution de façon à ce qu'il puisse être présenté dans quelques jours, à la mi-décembre, à l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne.
Q - Est-ce que vous pensez que l'on va vers un compromis dans quinze jours ?
R - Je dois dire que depuis plusieurs mois que nous discutons de ce projet de Constitution, c'est sans doute la séance où l'esprit est le plus positif, le plus constructif. Je crois que nous allons faire des progrès. Les deux grands sujets, ceux qui sont les plus difficiles, ne seront pas abordés aujourd'hui parce qu'il s'agit de sujets éminemment politiques. Je parle de la question de la commission, de sa composition et de la question du vote. La Convention a proposé un système de vote à la double majorité. Ces deux questions ne seront pas abordées mais nous avons néanmoins beaucoup de travail à faire sur les questions de justice, de gouvernance économique et sociale, sur les questions de défense. C'est l'ensemble de ces sujets que nous voulons aborder au cours de ces deux journées.
Q - Est-ce que le coup de force, en début de semaine, contre le pacte de stabilité ne complique pas un peu les discussions ?
R - Vous savez, en fait, je crois qu'il faut prendre la mesure de ce qui s'est passé. Nous voulons respecter les engagements pris, c'est-à-dire que nous respectons le pacte de stabilité. A aucun moment il n'est question de le remettre en cause. Mais, d'un autre côté, il s'agit d'adapter à des situations particulières, en l'occurrence, une situation de croissance qui n'est pas tout à fait suffisamment au rendez-vous, que nous voulons pousser, que nous voulons encourager. Chacun des Etats l'a compris. Je crois que dans ce domaine il y a une réalité qui s'impose à tous.
Q - Mais tout de même, est-ce que cette décision ne handicape pas le couple franco-allemand qui pèse de tout son poids et qui doit peser de tout son poids dans cette recherche d'un compromis ?
R - Pas du tout, mais alors pas du tout ! Je vois que les commentaires de presse et d'observateurs sont nombreux dans ce sens. Je peux vous dire que la réalité dans la salle n'est pas celle-là. La réalité, c'est que chacun comprend bien que la France et l'Allemagne sont mobilisées au service d'une vision et d'une ambition pour l'Europe et pas pour la seule défense de leurs propres intérêts. Je crois que c'est tout à fait réducteur. Cela ne correspond pas à la réalité. La réalité, c'est que nous sommes mobilisés ensemble, que nous voulons trouver des solutions ensemble et regardez, d'ailleurs, au cours des derniers mois, la France et l'Allemagne se sont mobilisées pour proposer des solutions en matière agricole, pour proposer des solutions en matière institutionnelle et c'est bien cela qu'ont compris nos partenaires, au-delà des polémiques de circonstance, des stratégies et des négociations de salle. Je crois que la réalité est bien comprise par tous, c'est qu'aujourd'hui, - et il faudra confirmer notre capacité lors du Conseil européen de décembre - nous avons un devoir, celui de définir la meilleure des Constitutions possible et vous savez que, pour cela, nous avons en commun une grande ambition. Nous pensons que nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une Constitution au rabais.
Q - Il y a un point, Monsieur de Villepin, où, semble-t-il, on a progressé, c'est sur la défense européenne. Il y a eu un compromis avec l'Allemagne et surtout la Grande-Bretagne.
R - Il y a, comme vous le savez, effectivement des discussions depuis plusieurs mois sur ces sujets avec nos amis britanniques et nos amis allemands. Nous serons amenés, ce soir, à présenter un certain nombre de propositions à nos partenaires européens. Ne préjugeons pas de ce qui pourra sortir. Vous savez, l'Europe est une famille où chacun doit avoir son mot. Nous ferons des propositions en souhaitant, bien sûr, que dans le domaine de la défense qui est un domaine essentiel, nous puissions avancer ensemble à la fois pour renforcer nos capacités en matière de défense, renforcer notre volonté de pouvoir mobiliser des coopérations renforcées. C'est un domaine évidemment tout à fait essentiel. Il n'y a pas d'Europe sans défense et il n'y a pas de défense sans mobiliser tous les Etats qui ont de grandes capacités dans ce domaine. Et je pense bien évidemment à nos amis britanniques.
Q - Alors, ce rapprochement avec la Grande-Bretagne, même si les divergences existent toujours sur l'Irak, est important parce qu'on l'a vu par exemple sur le dossier du nucléaire iranien, ce sont les positions européennes de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne qui ont prévalu. C'est peut-être ce qu'il aurait fallu faire en Irak ?
R - Il y a une volonté de nous retrouver sur des propositions communes. L'Iran, vous le citez, est un très bon exemple. Voilà des questions - celle de la prolifération - qui sont tout à fait essentielles pour la sécurité de nos Etats, pour la sécurité du monde. La Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France se sont mobilisées pour trouver une solution. Nous avons proposé, dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique, une résolution. Cette résolution a été acceptée à l'unanimité. Je vois que quand les Européens sont unis, ils sont capables de proposer, et nous sommes capables de résoudre des problèmes. C'est bien ce que nous voulons.
Q - Revenons à des dossiers plus hexagonaux. Lundi, lors de l'examen de votre budget au Sénat, les fonctionnaires du Quai d'Orsay vont se mettre en grève. Ils vont même se rassembler devant le Sénat. Dites-moi, c'est peu banal ça ?
R - C'est peu banal et j'ai eu l'occasion de leur dire. J'ai réuni, hier, l'ensemble des fonctionnaires du Quai d'Orsay de Paris, mais à travers eux, je me suis adressé à ceux qui sont à Nantes, à ceux qui sont dans chacun de nos postes à l'étranger, dans les services diplomatiques, culturels, consulaires. Nous vivons, aujourd'hui, au Quai d'Orsay, comme dans d'autres administrations de l'Etat, une situation difficile sur le plan budgétaire.
Q - Oui, mais ils disent que c'est toujours eux qui font les efforts. Cela fait dix ans qu'ils font des efforts.
R - C'est vrai que le Quai d'Orsay a fait des efforts particuliers et il les a faits dans un esprit positif, c'est-à-dire avec le souci, en permanence, de s'adapter et de se situer - et c'est l'ambition que j'ai eue en arrivant au Quai d'Orsay - aux avant-postes de la réforme de l'Etat. Ce que je leur ai expliqué, c'est que ces efforts-là servaient la modernisation de notre propre administration et servaient aussi d'exemple à beaucoup d'autres administrations de l'Etat. Notre volonté aujourd'hui, c'est que nous, qui ne représentons qu'un peu moins de la moitié du budget de l'Etat dans le domaine de l'action extérieure, nous voulons véritablement que la transparence puisse exister sur l'ensemble de l'action extérieure. Nous demandons donc une mission action extérieure de l'Etat et je veux que les efforts qui ont été faits par le Quai d'Orsay tout au long de ces mois, de ces dernières années, puissent être reconnus.
Q - C'est ce que vous allez dire à votre collègue de Bercy ?
R - Je l'ai dit évidemment à mon collègue de Bercy. Je crois qu'il en a pleinement conscience. Le Premier ministre et le président de la République le savent tout à fait également. Je crois que chacun comprend bien cette situation et c'est pour cela que j'ai bon espoir que le Quai d'Orsay sera reconnu pour l'année prochaine parmi les budgets prioritaires, que chacun comprendra qu'il est important véritablement de ne pas aller plus loin dans les limitations et les coupes faites sur notre propre budget. Nous devons permettre à notre diplomatie de donner le meilleur d'elle-même et, pour cela, nous avons besoins d'agents mobilisés, d'agents ayant les moyens et les capacités d'agir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 décembre 2003)