Tribune de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, dans "Le Figaro" du 7 janvier 2004, intitulée "Loin des yeux, près du coeur", sur les priorités d'action et réformes du ministère en faveur des Français de l'étranger.

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Loin des yeux, près du coeur
En un peu plus de 500 jours au secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères aux côtés de Dominique de Villepin, ce sont des milliers de Français qu'il m'a été donné de rencontrer à travers le monde. A chacune de mes missions à l'étranger, je mets en effet un point d'honneur à visiter ces "lieux de France", tant officiels - ambassades, lycées français - que privés ou associatifs - alliances françaises, ONG, entreprises -. J'ai pris un réel plaisir à multiplier ces rencontres avec nos communautés expatriées, qu'elles soient numériquement importantes - Tunis, Sao Paulo, New York, Sydney - ou plus modestes - Erevan, Lilongwe, Oulan Bator -.
C'est pour répondre aux attentes ou aux craintes qui m'ont été exprimées depuis mon arrivée au Quai d'Orsay que j'ai présenté le 17 décembre une communication en Conseil des ministres relative à nos deux millions de compatriotes établis hors de France. J'ai ainsi pu établir le bilan de 18 mois de travail en leur faveur et définir précisément les axes de notre action future, dans trois domaines essentiels : la sécurité, tant physique que sociale ; leur participation pleine et entière à la vie politique et à la réforme de l'Etat ; la préparation de l'avenir.
Hors de nos frontières comme en France même, la question de leur sécurité est pour nos compatriotes une préoccupation majeure. De fait, lourd est le tribut qu'ils ont, récemment encore, payé à l'instabilité politique, au terrorisme, aux épidémies, etc. Conscient de cet enjeu, le gouvernement a tout d'abord doublé, entre 2002 et 2003, les crédits consacrés par le Quai d'Orsay à la sécurité, et qui sont allés à la sécurisation de nos communautés, notamment au Proche et Moyen-Orient et en Asie. Dès octobre 2002, nous avons créé un Comité interministériel de sécurité. De plus, le site Internet "Conseil aux voyageurs", actualisé en permanence, est plus que jamais une référence pour qui veut connaître les conditions d'un séjour à l'étranger. C'est aujourd'hui l'un des sites Internet de l'administration les plus visités.
La sécurité doit également s'entendre au sens large et notamment au sens de la protection sociale. La situation précaire de nos compatriotes les plus démunis ne saurait être tolérée. Nous avons ainsi placé depuis 18 mois notre action sous la double exigence de l'efficacité, bien sûr, et de l'équité, car la situation de chaque allocataire doit être examinée selon les mêmes critères et au regard du coût de la vie des pays de résidence, nécessairement variable. Nous avons ainsi augmenté de 3 % les crédits d'action sociale en faveur de nos compatriotes de l'étranger en 2003, singulièrement en faveur des personnes âgées et des handicapés, avant de les stabiliser en 2004. Le nombre des bénéficiaires de la Caisse des Français de l'étranger ne cesse, quant à lui, de croître : 130.000 aujourd'hui. Nous préparons enfin pour 2004 l'expérimentation, dans quelques consulats, de "comités de gestion consulaires", permettant d'associer davantage les élus des communautés françaises à l'étranger à l'action sociale menée localement au bénéfice de ces communautés. Car la décentralisation voulue par le Premier ministre concerne tous les Français, y compris ceux qui sont établis hors de France. Si on ne souhaite pas que le lien entre la France et ses enfants disséminés partout dans le monde soit distendu, il est impératif qu'ils se sentent représentés et considérés. C'est ce qui a guidé notre action depuis le printemps 2002. On le sait, les Français de l'étranger votent de moins en moins pour désigner leurs élus au Conseil supérieur des Français de l'étranger (CSFE) : 28 % de participation en 1994, 24 % en 1997, 19 % en 2000. Nous avons voulu changer la donne, tout d'abord en faisant inscrire dans la Constitution une notion nouvelle, celle d'"instances représentatives des Français établis hors de France" grâce à la loi de mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
Nous avons également réalisé une "petite révolution" dans la vie politique française, en y introduisant, conformément au souhait du président de la République, la cyberdémocratie : la possibilité de voter par voie électronique pour désigner les membres du CSFE. L'expérience de juin dernier a été concluante, puisque 60 % des votants ont voté par Internet. Cet outil de modernisation politique sera par conséquent généralisé dès le prochain scrutin en 2006.
Si les Français de l'étranger veulent se sentir pleinement intégrés, ils doivent également pouvoir disposer d'une administration modernisée et de proximité. Voilà pourquoi nous développons la télé-administration, qui doit devenir la norme des relations entre le public et les postes consulaires là où les infrastructures le permettent. Nous travaillons également à une refonte de notre carte consulaire. Une expérimentation de regroupement des tâches consulaires est actuellement menée dans notre réseau en Belgique, justement autorisée par le développement de l'administration par Internet. Si cette expérimentation est concluante, il faudra l'étendre. La création de "vice-consulats", structures mobiles, allant au-devant de l'administré lors d'événements ponctuels (culturels, sportifs) qui concentrent les Français à l'étranger est également prévue.
Deux facteurs jouent pleinement dans le choix de s'expatrier : pouvoir bénéficier d'un établissement scolaire de qualité ; avoir de la "lisibilité" en matière d'expatriation, et notamment dans la perspective d'un éventuel retour.
Je peux témoigner, pour en avoir visité des dizaines depuis juin 2002, que le réseau des écoles et lycées français à travers le monde est excellent, avec des taux de réussite avoisinant bien souvent 95 % au baccalauréat. La qualité de ce réseau doit être préservée, c'est une priorité absolue tant directement, pour nos compatriotes expatriés que pour sa contribution à notre rayonnement linguistique et culturel. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a augmenté les fonds alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger de plus de 7 % cette année. De même en 2003, le montant de la dotation des bourses scolaires a augmenté de plus de 4 %. Le ministère de l'Education nationale a homologué cette année sept nouveaux établissement scolaires. Mieux que des longs discours, ce sont là des témoignages concrets de notre détermination. Enfin, nous allons faire en sorte que les élèves qui ont passé le baccalauréat français à l'étranger puissent s'inscrire dans l'enseignement supérieur français en bénéficiant de procédures adaptées, s'inspirant du système "Ravel".
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin entend promouvoir, enfin, une politique cohérente de l'expatriation, car elle est une chance pour la France. Non seulement en terme de rayonnement, mais aussi par le dynamisme, la croissance économique et les créations d'emplois qu'elle engendre. Nous souhaitons donc poursuivre la rationalisation du dispositif public d'aide à l'expatriation, aujourd'hui partagé entre différents ministères. Cette démarche s'inscrit pleinement dans la réforme de l'Etat, par les économies d'échelle qu'elle peut induire. En parallèle, nous facilitons l'aide à nos compatriotes au retour. Le rôle traditionnel du Comité d'entraide aux Français rapatriés (CEFR), qui était limité à l'aide au retour de Français de l'étranger indigents, a ainsi été étendu au bénéfice d'autres catégories de compatriotes, notamment ceux qui sont évacués d'un pays en crise. Un "guide du retour" sera également publié prochainement pour tout Français envisageant de venir s'installer ou se réinstaller en France.
Les Français de l'étranger, outre le formidable relais d'influence qu'ils constituent, représentent une France que nous aimons. C'est la France de l'audace, la France de l'ouverture à l'étranger et aux étrangers, c'est la France des possibles. C'est à ce lien invisible, mais hautement perceptible, entre la France et nos communautés expatriées que nous avons voulu répondre par une politique ambitieuse. Elle sera poursuivie avec confiance et détermination.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2004)