Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à RTL le 3 juin 2004, sur la prochaine célébration d'un mariage homosexuel à la mairie de Bègles.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Q- J.-M. Aphatie -. Vous êtes avec nous au téléphone depuis Nevers. J.-P. Raffarin vous menace, Noël Mamère. Le mariage homosexuel, que vous souhaitez célébrer samedi prochain à Bègles, la ville dont vous êtes le maire, serait, selon le Premier ministre - il l'a dit à l'Assemblée nationale - "une manifestation illégale, nulle de droit et de nul effet." "Si cette initiative était menée à son terme, a-t-il poursuivi, le maire - donc vous, N. Mamère - qui ne respecterait pas la loi et le code civil, encourrait les sanctions prévues par la loi." Que répondez-vous à J.-P. Raffarin ?
R- "Je pense que le Premier Ministre, son gouvernement et l'ensemble de la droite, puisque c'est la deuxième fois qu'une question est posée au Gouvernement sur ce sujet, en voulant dramatiser l'ouverture du mariage à des personnes du même sexe, est en train de prendre le même risque politique que lorsqu'on avait entendu ses cris d'orfraie et des annonces du cataclysme de la société française il y a cinq ans, lors du vote du Pacs. Je pense que Monsieur Raffarin et ses amis sont en train de prendre le risque de se ringardiser. Quant à ses menaces, c'est, pardonnez-moi de le dire, du flan. Que la loi s'applique, cela me paraît tout à fait normal dans ce pays ! Que maintenant, monsieur Raffarin vienne dire que je ne respecte pas l'Etat de droit, ce n'est pas à lui de le dire. Il ne fait qu'exprimer une opinion politique. C'est au juge, après un débat contradictoire devant les tribunaux."
Q- Pas tout à fait. Le ministre de l'Intérieur peut prendre un arrêté de suspension vous concernant...
R- "Non ! Certainement pas ! Il faut prouver que je commets une faute. Et pour prouver que je commets une faute, il faut aller devant les tribunaux au cours d'un débat contradictoire. Car il n'y a aucun article, ni du code civil, ni du code pénal, ni du code des collectivités territoriales, qui prévoit cette occurrence."
Q-Donc Noël Mamère, sur RTL, vous êtes très clair : vous ferez ce mariage homosexuel. Et vous verrez bien ensuite si des sanctions sont prises contre vous ?
R- "Je ferai naturellement ce mariage. J'attendrai qu'on prouve que j'ai commis une faute."
Q- jours, était à votre place. Il disait : "Il faut respecter la loi, et la loi aujourd'hui n'est pas de marier des personnes de même sexe. Je pense que Noël Mamère a tort de s'engager dans la voie qu'il a choisie."
R- "Oui. Mais les considérations de Dominique Strauss-Kahn m'amusent. On ne peut pas dire d'un côté qu'on est favorable à l'ouverture du mariage à des personnes du même sexe, et en même temps condamner celui qui a permis de lancer le débat de société, qui a permis à Monsieur Strauss-Kahn de se singulariser par rapport à ses collègues du Parti socialiste !"
Q- Est-ce que vous n'êtes pas dépassé par la tournure des événements
aujourd'hui ?
R- "Je ne m'attendais pas, pour ne rien vous cacher, à ce que cette initiative qui est une initiative politique, dans la droite ligne des décisions prises par les Verts et dans les engagements que j'ai pris également avec le manifeste pour l'égalité des droits, je ne m'attendais pas à ce qu'elle prenne cette tournure. Je pensais que la France était plus adulte, que les politiques l'étaient aussi un petit peu plus, et que l'on pouvait débattre de ce sujet sans que pour autant cela enflamme l'ensemble de la société française !"
Q- Vous regrettez de vous être engagé dans cette voie ?
R- "Je ne regrette certainement pas. Je dirais que je tire même une certaine fierté d'avoir provoqué ce débat de société, avant maintenant de provoquer un débat de droit, parce que c'est dans la fonction des politiques que de prendre des risques pour défendre des causes qu'ils croient justes. Et je pense que la lutte contre les discriminations, toutes les discriminations, quelles qu'elles soient, c'est une cause juste qui mérite que l'on prenne des risques."
Q- Quelles sont les réactions de vos administrés à Bègles ?
R- "Mes administrés, ils sont partagés, comme les Français. Il y a ceux qui s'en foutent. Il y a ceux qui sont pour, et puis ceux qui sont contre, pour toute une série de raisons, qui peuvent être à la fois religieuses ou de représentation de l'homosexualité ; tout ce qu'on peut imaginer comme réactions passionnelles."
Q-Trop passionnelles ?
R- "Les Bèglais sont adultes et ils ne confondent pas entre la gestion de la ville, et la décision de leur maire, qui est une décision qui n'engage que le maire, puisque la délégation du mariage, c'est une délégation intuitu personae et ils savent faire la différence entre mes engagements pour la société, c'est-à-dire pour faire avancer les choses, comme je l'ai fait par exemple, lorsque j'ai présenté au nom des Verts la proposition de loi sur le vote des étrangers, ou lorsque je suis allé arracher avec Greenpeace du colza transgénique pour lutter contre la cartellisation de l'agriculture par les grandes entreprises transnationales des semences. Ils savent faire la différence entre ces gestes-là et la gestion de ma commune."
Q- C'est difficile pour vous de supporter cette tension aujourd'hui ?
R- "Je trouve que les attaques qui sont livrées contre moi sont [...] à la fois injustes, et je les trouve très hypocrites. Mais c'est la règle du jeu. Donc je l'accepte, et ce n'est pas ce qui me fera changer d'avis ! Je trace un sillon, je n'ai pas choisi de m'engager dans la vie politique à l'âge de quarante ans, alors que j'étais très bien dans ma vie de journaliste, pour rester un homme taiseux, et pour attendre que l'opinion bascule avant de prendre des décisions. Je pense que notre fonction, c'est aussi de savoir être en avance, et il se trouve que sur ce sujet-là, le personnel politique français est en retard, et que l'opinion française, comme cela a été prouvé par trois enquêtes d'opinion, est largement en avance par rapport à son personnel politique."
Q- On vous sent un peu seul dans ce débat...
R- "Non, j'ai le soutien des Verts... "
Q- Ce n'est pas beaucoup les Verts !
R- "J'ai le soutien de nombreuses personnalités qui sont en train d'ailleurs de s'exprimer aujourd'hui. Et puis je vais vous dire, le fait d'être seul ou pas seul, ce n'est pas le problème ! C'est de savoir si l'on pense que ce que l'on défend est juste, et si l'on est convaincu, en toute sincérité et en toute conscience, que l'on fait avancer la société et que l'on fait avancer les droits et les libertés. Ce n'est que cela qui me conduit, et c'est au nom de cela que j'agis."
Q- Vous aimez ce rôle de martyr ?
R- "Je ne me considère pas du tout comme un martyr. Loin de là. Ce n'est pas parce qu'une ambulance tire sur moi, et cette ambulance s'appelle Monsieur Raffarin, que je vais me considérer comme un martyr. Les attaques de la droite ne m'ont jamais ému, pas plus que les attaques d'une partie de la gauche. Je me souviens des positions qui étaient les miennes avec les Verts sur la question des sans-papiers et de la double peine. Je me souviens du ministre des Affaires étrangères tchétchène d'un gouvernement combattu par la Russie que j'ai fait entrer clandestinement à l'Assemblée nationale, alors même que le ministre des affaires étrangères de la gauche ne lui avait pas donné de visa. Je me suis fait montrer du doigt par une bonne partie du Parti socialiste, et franchement je vous assure, ça ne m'a pas gêné, ça ne m'a pas fait rougir et je ne me suis pas senti honteux ce jour-là. Ni les autres jours."
Q-Vous envisagez que votre mandat de maire de Bègles puisse être interrompu avant son terme avec cette histoire ?
R- "Pourquoi serait-il interrompu avant son terme ? J'ai été élu pour six ans, ce n'est pas une affaire aussi banale que celle-ci, au regard des problèmes de société, et au regard des menaces sur la planète, qui devrait empêcher que j'exerce mon mandat de maire jusqu'à son terme."
Q- Vous êtes entré en résistance Noël Mamère ?
R- "Appelez-le "résistance", c'est un joli mot. Si je pouvais être un homme politique aussi respecté que je l'ai été comme journaliste, ce serait pour moi une grande satisfaction."
Noël Mamère, qui "résiste", était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 juin 2004)