Intervention de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur les nouveaux défis pour l'OSCE en matière de sécurité, de démocratie et de droits de l'homme et sur l'engagement de la France pour le renforcement de l'efficacité de son fonctionnement, Sofia le 6 décembre 2004.

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Circonstance : Réunion du Conseil ministériel de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Sofia (Belgrade) le 6 décembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres, Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,
Mes premiers mots vont naturellement à la Présidence bulgare à laquelle j'exprime la reconnaissance de mon pays pour l'excellente préparation et l'accueil exemplaire de cette réunion, mais plus encore pour le remarquable travail accompli par elle depuis le début de cette année. L'expression de ma gratitude va tout particulièrement à mon ami le ministre Solomon Passy.
C'est avec grand plaisir que je me joins à vous pour participer à cette session ministérielle de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Et je tiens, au préalable, à m'associer à la déclaration faite par le Ministre Bot au nom de la Présidence de l'Union européenne et par Mme Ferrero-Waldner au nom de la Commission européenne.
Nous célèbrerons, dans quelques mois, le 30ème anniversaire de l'Acte final d'Helsinki et le 15ème anniversaire de la Charte de Paris. Le moment est donc bienvenu pour faire un premier bilan, évaluer le présent, et nous tourner résolument vers l'avenir.
Car l'OSCE se trouve aujourd'hui à un tournant de son histoire. L'année 2004 a vu l'élargissement de l'Union européenne à 10 nouveaux États. L'Alliance atlantique, de son côté, a accueilli 7 nouveaux États. L'Europe est en paix, nous l'espérons durablement ; l'Europe est presque réunifiée. C'est l'aboutissement d'un processus entamé, il y a tout juste 15 ans, par la chute du Mur de Berlin. Et l'OSCE a été au coeur du processus qui a rendu possible cette transformation, en jouant depuis bientôt 30 ans un rôle essentiel pour la sécurité et la stabilité en Europe.
Doit-on en conclure pour autant que l'OSCE n'a plus de raison d'être et aurait achevé sa mission ?
Nous savons bien qu'il n'en est rien, et que notre continent l'Europe et le monde se trouvent aujourd'hui confrontés à de nouveaux défis.
C'est en premier lieu, comme plusieurs d'entre vous l'ont cité, le terrorisme qui, de Madrid à Beslan, a frappé durement notre continent cette année, et personne n'est à l'abri. Ce sont aussi la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliquescence de certains États et la criminalité organisée. Ces cinq défis sont ceux retenus par la stratégie de sécurité de l'Union européenne. Ce sont aussi les défis auxquels l'OSCE devra être en mesure de répondre rapidement, efficacement dans les années à venir.
Ma conviction est claire : aux yeux de la France, l'OSCE conserve toute sa pertinence pour contribuer, aujourd'hui et demain, à la sécurité et à la stabilité en Europe avec la capacité que nous devons tous avoir à nous adapter. Et ce, pour deux raisons.
La première est que l'OSCE rassemble sur un pied d'égalité tous les États d'Europe et d'Amérique du Nord. Elle est, sur la base du consensus, leur forum commun. Nous ne devons pas nous priver de cette instance unique, mais en utiliser au contraire toutes les possibilités.
Une deuxième raison est que l'OSCE combine de façon originale des principes et une méthode qui lui permettront de dépasser les difficultés du moment. Car la sécurité européenne, c'est certainement le domaine de la sécurité militaire et de la maîtrise des armements - le Traité sur les Forces conventionnelles demeure, à cet égard, une pierre angulaire de la sécurité européenne. Mais notre conception est que la sécurité doit être plus largement comprise et associer aussi bien les dimensions humaine, citoyenne et économique que les Droits de l'Homme et le développement. Pour la France, le maintien de cet équilibre est essentiel. Il ne saurait y avoir de sécurité sans démocratie ni justice. Je veux bien répéter ce que j'ai dit à la tribune des Nations unies : un monde plus libre et plus sûr sera d'abord un monde plus juste.
Quant à la méthode du consensus, elle a fait ses preuves au cours des trois dernières décennies. Elle exprime le principe d'égalité entre nos États. Elle conditionne le maintien d'une nécessaire confiance. Elle garantit à tous un traitement équitable, pour autant que soit respecté le cadre commun de nos valeurs.
Aujourd'hui comme hier, le maintien de cette approche globale et équilibrée est le gage de l'efficacité de notre action. Mais l'OSCE ne pourra continuer à rapprocher les États et les peuples de la zone euro-atlantique que si nous demeurons fidèles à nos engagements. C'est la raison même de l'existence de notre Organisation.
Dans le domaine de la sécurité, où nous souhaitons que soient réunies les conditions d'une entrée en vigueur du Traité sur les Forces conventionnelles en Europe.
Dans le domaine de la démocratie et des Droits de l'Homme qui préoccupe tant et à juste titre nos peuples, où les droits des personnes appartenant aux minorités nationales doivent être respectés, et la tenue d'élections libres, équitables et transparentes doit être assurée.
C'est tout l'enjeu en Ukraine, toute proche et évoquée à l'instant par la ministre de Géorgie, où notre action est guidée, comme l'a exprimé Javier Solana, par plusieurs principes : le soutien à la démocratie, le refus de la violence, la recherche d'une solution politique qui préserve l'unité de l'Ukraine et la stabilité régionale, le soutien aux institutions ukrainiennes qui se sont engagées avec lucidité pour trouver une issue à la crise. L'OSCE doit apporter sa contribution à la bonne organisation et à la transparence du nouveau scrutin qui va être organisé. Mon pays est prêt à y participer financièrement avec une contribution exceptionnelle.
Mais nous le savons : face aux nouvelles menaces, l'OSCE devra également faire des adaptations nécessaires. Quelle pourrait être notre feuille de route ? J'identifierai deux grandes ambitions.
Première ambition : nous devons continuer à approfondir les champs d'activité traditionnels de l'OSCE, en recherchant, partout où cela est possible, de nouvelles synergies, notamment avec l'Union européenne et avec le Conseil de l'Europe.
Apprenons à travailler ensemble ! Prenons le champ économique. De nouveaux domaines de coopération concrets peuvent être envisagés, et mon pays est prêt à les explorer. Je pense, en particulier, à la sécurité énergétique et aux réseaux paneuropéens de transport.
Dans le domaine des Droits de l'Homme, nous devons préserver avant tout l'acquis commun à nos 55 pays. Face à l'intolérance, à l'antisémitisme, à la xénophobie et au racisme, il n'y a pas de compromis possible. J'ai moi-même accueilli, en juin dernier à Paris, la réunion spéciale de l'OSCE consacrée aux phénomènes d'intolérance sur l'Internet - le ministre Solomon Passy y était comme beaucoup d'entre vous. La France se félicite aussi de l'initiative de l'Espagne d'accueillir à Cordoue, en 2005, une conférence sur l'antisémitisme et les autres formes d'intolérance, et nous recevrons au printemps 2005 une conférence sur les violences envers les femmes. Je pense aussi aux violences qui touchent les enfants, et qui sont très largement répandues sur notre continent. La lutte contre l'exploitation sexuelle et les trafics d'enfants, contre la violence envers les enfants et les femmes est, avec la sincérité des élections, le combat de la démocratie d'aujourd'hui. Je suis décidé à m'engager.
Deuxième ambition : nous devons renforcer l'OSCE dans l'efficacité de son fonctionnement. La France est favorable à une meilleure prise en compte des capacités contributives des États, dans le respect du caractère politique de l'OSCE. Dans cet effort, nous savons que le Secrétaire général a un rôle important à jouer pour garantir la cohérence d'ensemble de l'OSCE. C'est dans cet esprit que mon pays veut proposer la candidature de M. Marc Perrin de Brichambaut pour succéder, le moment venu, à M. Jan Kubis dont je salue le travail accompli pendant ses deux mandats.
Monsieur le Président, Chers Collègues,
Les défis sont nombreux, l'OSCE doit et peut demeurer l'une des pièces maîtresses de l'Europe pacifiée, cet espace commun de stabilité, de sécurité, de prospérité et de démocratie. Il ne tient qu'à nous, à notre volonté politique, de nous en donner les moyens.
Je renouvelle mes remerciements à la Présidence bulgare et je souhaite bon courage et bon vent, avec quelques semaines d'avance, à la Présidence slovène.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 décembre 2004)