Texte intégral
O. Truchot - Pour la première fois en France, une entreprise a remis en cause les 35 heures et demandé à ses salariés de travailler une heure de plus gratuitement. Les salariés de Bosch à Vénissieux ont dit "oui" à 71 %. C'était cela ou la délocalisation, comme la direction menaçait. 36 heures payés 35, c'est le sauvetage de l'emploi ou c'est le chantage à l'emploi ?
R - "Tout d'abord, c'est un accord que l'on découvre, je n'ai donc pas tous les éléments. J'ai constaté que la CFDT a soutenu cet accord. Ce qui est important, sur les 35 heures, c'est d'être sur la ligne qui a été définie par le président de la République, c'est-à-dire mettre davantage de souplesse. Cela a été fait avec la loi Fillon, qui a permis de mettre davantage de souplesse, c'est-à-dire la possibilité de passer de 35 à 39 en payant seulement 10 % supplémentaire ces quatre heures de différence. Donc, il faut rester dans une logique qui est celle de la souplesse et du mode contractuel. Maintenant, il faudrait avoir plus d'éléments pour pouvoir réagir."
O. Truchot - Il n'avait pas beaucoup le choix les salariés. C'était cela ou c'était le licenciement.
R - "Oui, mais je pense que cela a fait l'objet de négociations. Si j'entends que la CFDT a donné son accord..."
O. Truchot - Cela ne vous choque pas dans le principe ?
R - "A partir du moment où c'est contractuel et où il y a effectivement une adhésion qui peut être pour un moment limité et qui permet ensuite de pouvoir payer cette heure de plus. Le mode contractuel ne me choque pas. Maintenant, il faut voir de quelle manière il a été fait ; s'il a été fait comme un vrai contrat, c'est-à-dire dans le dialogue et la concertation ou s'il a été fait sous pression."
O. Truchot - Lorsque vous rencontrez des chefs d'entreprise, est-ce que la remise en cause des 35 heures, c'est quelque chose qui revient dans la discussion ?
R - "La souplesse du temps de travail. Il y a une demande de plus en plus forte de la part des chefs d'entreprise d'avoir davantage de souplesse pour répondre aux opportunités de marché et le cadre verrouillé ou bloqué du temps de travail est un handicap à la compétitivité, indiscutablement. Et cela, tous les chefs d'entreprise nous le redisent régulièrement."
O. Truchot - L'actualité, c'est aussi le duel J. Chirac/N. Sarkozy. Trouvez-vous normal que J. Chirac, le 14 juillet dernier, ait consacré une bonne partie de son entretien télévisé à sa querelle avec N. Sarkozy ?
R - "Il faut sortir de la caricature. La presse en fait beaucoup sur le sujet, mais c'est normal que vous réagissiez. Il y a une question des journalistes à laquelle le président de la République a répondu avec beaucoup de clarté, en expliquant d'abord qu'il n'y avait pas de querelle, parce qu'institutionnellement, il ne peut pas y en avoir. Le président de la République a une légitimité que personne d'autre n'a dans la Ve République, et un ministre ne peut pas être en désaccord avec le président de la République. C'est clair, cela a été dit, je crois avec beaucoup de lucidité. Cela é été compris par tout le monde."
O. Truchot - Vous avez une position pas facile : vous êtes ministre délégué auprès du ministre de l'Economie qui est N. Sarkozy, et vous êtes un très proche de J. Chirac. Par exemple, sur la querelle qui oppose N. Sarkozy à M. Alliot-Marie, soutenue par J. Chirac, sur le budget de la défense, où vous situez-vous ?
R - "Moi, je n'ai aucun problème. Il y a une ligne : c'est le président de la République ; il y a un Premier ministre : c'est J.-P. Raffarin, et on travaille dans un seul intérêt qui est celui de faire avancer les réformes, dans le cadre de l'intérêt général et sans difficulté particulière. La ligne est fixée par le président de la République et par le Premier ministre. Donc, à partir de là, si on est dans cette ligne, il n'y a pas de souci."
O. Truchot - Il décide, et vous, ministres, vous exécutez ?
R - "On se met au travail après un travail de concertation. C'est ce que je suis en train de faire en ce moment avec les chefs d'entreprise et les patrons de PME, parce qu'on prépare une loi pour l'automne prochain sur le financement de l'entreprise, mais aussi sur les évolutions de statut. Donc, sur une ligne définie par le Premier ministre, avec beaucoup de concertation, de dialogue. Et ce dialogue vaut également avec le ministre des Finances, bien évidemment. Mais tout cela, encore une fois, dans un cadre qui est clair et qui ne pose, pour moi en tout cas, aucune difficulté."
O. Truchot - Il n'y a pas de souci. Mais il n'y a pas de tension en ce moment au sein même du Gouvernement ? Comment se passe le Conseil des ministres ? Cela doit être un peu tendu...
R - "Non, je suis désolé, mais je sens que je vais vous faire de la peine en vous disant que cela se passe bien. Il n'y a pas de quoi en rajouter, ce n'est pas cela la préoccupation quotidienne des Français, honnêtement."
O. Truchot - Alors pourquoi J. Chirac en a parlé autant mercredi dernier ?
R - "Parce qu'il a été interrogé, parce que les déclarations ont été reprises par la presse et donc, les deux journalistes qui l'interviewaient l'ont interrogé sur le sujet. Il a répondu, avec beaucoup de simplicité et de limpidité, voilà, le sujet est clos."
O. Truchot - L'UMP qui est votre parti n'a plus de président depuis vendredi dernier, depuis le départ d'A. Juppé, avec ce grand suspense de l'été : N. Sarkozy sera-t-il, oui ou non candidat ? A-t-il raison de faire durer le plaisir ?
R - "Ca, c'est à lui qu'il faut poser la question."
O. Truchot - Vous souhaiteriez qu'il soit candidat ?
R - "Je n'ai pas à souhaiter. C'est une décision individuelle. Le fait d'être candidat à la présidence d'un mouvement aussi important que l'UMP, premier parti politique de France, c'est d'abord une décision individuelle : est-ce que l'on envie d'y aller ou pas, pour quel projet, pour quoi y faire, dans quel état d'esprit ? C'est aux intéressés de répondre. Il y a déjà quelques candidats déclarés. Je pense qu'il y en aura d'autres dans les semaines qui viennent. Et N. Sarkozy prendra la décision qu'il souhaite au moment où il le souhaite."
O. Truchot - Et votre candidat ?
R - "Quand tous les candidats seront sur la ligne de départ, on verra ! Mais, ce qu'il faut, et c'est ce qu'a souhaité..."
O. Truchot - Serez-vous candidat ?
R - "Non, je ne serai pas candidat. Ce qu'ont souhaité A. Juppé et F. Baroin, c'est que ces élections se passent dans la plus grande transparence, limpidité, sans aucune agressivité, pour que chacun aille défendre le projet qui st le sien. Les militants se prononceront, et puis voilà ! Au mois de novembre, il y aura un président au terme du processus mis en place par A. Juppé."
O. Truchot - Etes-vous d'accord avec J. Chirac lorsqu'il dit que le président de l'UMP ne peut pas être ministre ?
R - "Tout à fait. Le président de la République l'a expliqué très clairement : on ne peut pas être à la fois ministre dans un Gouvernement, président du premier parti. La différence avec le passé, c'est que pour la première fois, nous avons un parti qui a la majorité complète, seule, sans besoin d'avoir une alliance. Ce qui voudrait dire que le Premier ministre, qui, institutionnellement, s'appuie sur sa majorité parlementaire devrait, là, aller demander à un de ses ministres qui serait le président du parti. Donc, cela ne peut pas fonctionner. C'est pour cela que J. Chirac, à juste titre, a rappelé cette règle pour le bon fonctionnement des institutions."
O. Truchot - En revanche, un Premier ministre peut être président du premier parti ?
R - "Dans la mesure où c'est le même qui s'appuie (sic) effectivement, qui serait président du parti et Premier ministre, les choses se posent différemment."
O. Truchot - Mais, vous, par exemple, aimeriez que J.-P. Raffarin se porte candidat ?
R - "C'est une décision lourde et ce n'est pas à l'appel de tel ou tel ou "c'est un devoir d'y aller", ou "il faut absolument que"... Non ! Le sujet ne se pose comme ça. Soit on a envie d'y aller pour y faire quelque chose et on le présente aux militants, sinon, on n'y va pas. On n'y va pas sous la contrainte."
O. Truchot - J.-P. Raffarin s'est, semble-t-il, fixé un objectif : tenir bon à Matignon jusqu'au référendum sur la Constitution européenne...
R - "Vous ne voulez pas que l'on parle des entreprises ?"
O. Truchot - On va en parler, on a le temps jusqu'à 9 heures. Mais terminons avec cela. J.-P. Raffarin lui-même l'a dit ; il s'est fixé un objectif : rester à Matignon jusqu'au référendum ?
- "Je n'ai entendu parler d'une remise en cause du Premier ministre. Aujourd'hui, un cap a été fixé par le Président, avec des réformes qu'il a rappelées le 14 Juillet dernier. Donc, il y a du travail. Le Gouvernement est au travail, et voilà."
O. Truchot - Question d'Alain, un auditeur, sur l'ouverture des commerces le dimanche.
R - "Je ne suis pas favorable à l'ouverture des commerces le dimanche au-delà du cadre qui est fixé par la loi, c'est-à-dire le maire peut décider de cinq ouvertures hebdomadaires par an. La question peut se poser pour les villes touristiques, où là, il faut effectivement donner plus de souplesse, parce que l'activité commerciale est forcément très importante, le week-end, dans les villes touristiques. Mais ailleurs, je n'y suis pas favorable, parce que je trouve que cela crée une concurrence disproportionnée avec le commerce de centre ville. Lorsque vous avez un couple de commerçants qui travaillent à deux ou avec un seul salarié, ils n'ont pas la possibilité d'être ouvert sept jours sur sept. C'est une concurrence déloyale et je pense aussi que le dimanche après-midi, on peut faire autre chose que se promener dans les grands magasins."
Question de Bernard, autre auditeur, commerçant dans le sud de la France, qui se plaint du décalage des dates des soldes entre la région parisienne et le reste de la France.
R - "Vous avez raison de réagir. Vous savez que maintenant, les soldes sont fixés par arrêté préfectoral. Pourquoi le fait-on par arrêté préfectoral et pas à la même date partout en France ? L'idée était de coller au terrain et de répondre aux spécificités de chaque région. Et les moments d'action commerciale et de vente ne sont pas nécessairement à la même période à Lille qu'à Marseille ou à Paris. La difficulté en face de laquelle nous sommes maintenant, c'est que le poids de la région parisienne donne finalement le "la". Il y a le débat chaque année - et je souhaite y travailler cet automne avec toutes les associations et les représentants des commerçants - pour voir si l'on ne doit pas se rapprocher d'une date commune. Le débat est de savoir si on déclenche les soldes fin juin, au moment où les consommateurs sont encore sur Paris, ou est-ce qu'au contraire, on décale plus tard dans l'été, lorsque les consommateurs sont sur leur lieu de vacances."
O. Truchot : Mais c'est vrai que pour l'instant, à Paris, on a l'impression que ce sont les grands magasins qui font la loi sur la décision d'ouvrir de plus en plus tôt.
R - "Et ce qui est choquant, c'est ce que disait notre auditeur : c'est d'y lier les coupons de transports... Cela finit par faire ce qui se passe dans la grande distribution, où on a tellement de coupons, de tickets, que le consommateur ne s'y retrouve pas et que tout cela manque de transparence et de lisibilité, et donc nuit finalement à l'activité commerciale d'une manière générale."
Question de Patrick, un gérant d'une PME de dix salariés dans le 78, sur la réforme des cotisations des charges patronales qui va être faîte par le Gouvernement.
R - "Ce que nous sommes en train de préparer, c'est un projet de loi pour cet automne, qui va concerner l'ensemble des entreprises, essentiellement artisanats, commerces et PME, sur deux axes, qui nous semblent importants : celui de la transmission du financement de l'entreprise et celui du cadre juridique. Et quand on parle du cadre juridique, c'est parfois le statut du conjoint ou du chef d'entreprise. On touche donc là aussi l'assiette de calcul des cotisations sociales, puisque dans certaines entreprises - je ne pense pas que ce soit votre cas, puisque vous êtes vraisemblablement en société, avec une dizaine de salariés -, mais lorsque l'on est en nom propre, la part de résultats qui est réaffectée dans l'entreprise sert aussi de base au calcul des cotisations sociales. Et c'est vécu légitimement comme une injustice par beaucoup de chefs d'entreprises, qui disent qu'ils veulent bien payer des cotisations sociales sur le revenu réellement disponible, celui qu'ils utilisent pour vivre ou pour faire vivre leur famille, mais pas sur celui qu'ils réinvestissent dans l'outil de production. Tout cela pour dire que sur le cadre juridique de nos entreprises, l'assiette des cotisations sociales fait partie des éléments de discussion que nous allons avoir cet automne."
[...]
O. Truchot : Plus généralement, aujourd'hui, la question est comment aider les PME à embaucher, à se développer, parce que l'on a l'impression que le Gouvernement écoute beaucoup le Medef, mais en France, les entreprises sont majoritairement des PME, et ce sont elles qui font l'activité économique du pays...
R - "Oui, mais vous savez, lorsque l'on travaille avec les représentants des organisations professionnelles, c'est la CGPME, c'est l'UPA, ce sont les chambres de commerce, ce sont les chambres de métiers, c'est aussi le Medef, qui représente aussi beaucoup de PME... Sur ces différents sujets, c'est plus de souplesse, plus de réactivité ; et le rôle de l'Etat n'est pas de se substituer à l'entreprise - à chaque fois qu'on l'a fait, cela n'a jamais marché - mais c'est de créer un environnement favorable. Et on le voit bien, on a à la fois des chiffres très intéressants en matière de création d'entreprise, donc on a plus en plus de gens qui croient à l'entreprise et qui se lancent..."
O. Truchot - Mais aujourd'hui, c'est une croisade de se lancer et les chefs d'entreprise qui montent leurs affaires sont des héros en France !
R - "Il faut sortir de la caricature ! 200 000 chefs d'entreprise s'installaient il y a deux ans, aujourd'hui ils sont 240 000 par an."
O. Truchot - Combien d'entreprises ferment chaque année ?
R - "On a le maintien des entreprises considérées comme déficientes, c'est-à-dire qui sont en procédure de redressement, il n'y a donc pas d'augmentation. Il y a donc un solde net qui est tout à fait favorable. En revanche, là où l'on a une vraie difficulté - et cela va faire partie des sujets sur lesquels nous travaillerons cet automne -, c'est sur l'accès au financement, le fonds de roulement - c'est-à-dire le premier pépin lorsque l'on est installé depuis un an ou deux ans, avec le premier impayé qui arrivé, la première difficulté. Là, on voit bien que les outils de financement ne sont pas bons, qu'il y a effectivement la difficulté sur les charges, tel un décalage à l'URSSAF ou ailleurs, et c'est l'engrenage..."
O. Truchot - Oui, on n'a pas commencé son activité qu'il faut déjà payer l'URSSAF...
R - "C'est là qu'il faut qu'on améliore vraiment les choses. Et nous y travaillons, notamment à la lumière du rapport que vient de sortir J.-P. Denis, qui va nous aider sur la BDPME, pour trouver les bonnes réponses. Mais la création d'entreprise, cela marche en France et cela se développe !"
O. Truchot - Le sujet de l'été, comme chaque été, c'est la peur de l'arnaque. C'est vrai que les vacances sont propices aux arnaques en tout genre. Vous avez en charge le contrôle des infrastructures touristiques, qui parfois dérapent - des restaurants, des hôtels, etc. Comment doit-on réagir si, sur son lieu de vacances, on se fait avoir ? Contre qui peut-on se retourner ?
R - "Déjà, il y a un numéro de téléphone unique qui est en place, le 0820.202.203, Info Service Consommation. A partir du moment où on a un doute sur quoi que ce soit, que ce soit en matière alimentaire, sur des équipements de vacances, sur tel ou tel type de matériel, on appelle ce numéro unique, celui de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF)."
O. Truchot - Des contrôles sont-ils organisés ?
R - "L'été, nous faisons les contrôles avec plusieurs corps d'administration. Vous avez la Répression des fraudes, qui peut faire des contrôles avec l'Inspection du travail, avec les représentants du ministère des Sports ou l'Agence de sécurité alimentaire, de façon à avoir un panel de contrôles le plus large possible. Et ils ne savent pas qu'à faire du contrôle : c'est aussi de la prévention, du conseil aux propriétaires d'équipements ou aux chefs d'entreprises, pour les aider à améliorer en permanence la sécurité des vacanciers."
O. Truchot - La baisse des prix dans les grandes surfaces, pour quand est-ce précisément ?
R - "C'est pour septembre. Certaines enseignes ont décidé de le faire avant, mais ce sera 2 % à partir de septembre. Les vérifications se feront donc à partir du mois de septembre..."
O. Truchot - 2 %, ça va être difficile de s'en apercevoir concrètement...
R - "Ah, ça se voit. Lorsqu'on contrôle les prix, 2 %, ça peut être aussi significatif sur un bon panel de produits... [...]."
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 juillet 2004)