Texte intégral
Q - Quinze jours après votre nomination, comment concevez-vous votre rôle à Bercy ?
R - Comme un facilitateur ! Je crois vraiment que ce ministère n'est pas seulement celui des Finances. Je suis d'abord ministre de l'Économie, et mon rôle est de mettre toute mon énergie au service de la croissance et de l'emploi. Je serai, bien sûr, gardien des grands équilibres.
Bercy doit être la maison de ceux qui créent et innovent, entrepreneurs et créateurs de richesse.
C'est pourquoi je compte être à l'écoute des chefs d'entreprise, de ceux qui prennent des risques et qui construisent l'avenir, conformément au cap fixé par le chef de l'État. Je vais effectuer un maximum de déplacements sur le terrain, parce que je ne veux être en aucun cas prisonnier de ce que certains appellent : la " forteresse Bercy ". Je veux être un ministre de l'Économie et des Finances à l'écoute des gens, des organisations syndicales. C'est clairement notre état d'esprit avec Jean-François Copé, Patrick Devedjian et François Loos.
Q - Quels infléchissements souhaitez-vous apporter à la politique économique suivie depuis le début du quinquennat ?
R - Je le redis : toute notre action doit être dédiée à l'emploi. Le début du quinquennat a été marqué par une rupture de croissance et la gestion des " ardoises " laissées par nos prédécesseurs. En 2002 et 2003, il a fallu à la fois solder les impayés, lancer des réformes comme celle des retraites et réduire les déficits. Puis 2004 a été une année sociale, axée sur la cohésion sociale et la réforme de l'assurance-maladie. Maintenant que ce socle social est conforté, la deuxième moitié du quinquennat sera celle de l'initiative. Il faut déverrouiller l'économie française, lever les freins à la croissance et à l'embauche pour favoriser l'activité et la création d'emplois.
Q - Au vu des nouvelles prévisions de l'Insee, maintenez-vous votre scénario de croissance pour 2005 ?
R - Prévoir la croissance est un art difficile. Ce qui s'est produit en 2003 montre à quel point les prévisions peuvent être éloignées de la réalité constatée : fin 2002, le consensus des économistes était proche de 2 % pour 2003. Finalement, on a frôlé la récession. En 2004, la surprise a été à la hausse. L'Insee parle d'une " reprise bousculée " sur cette fin d'année. On ne saurait mieux dire, compte tenu des cours du dollar et du mouvement du pétrole ces derniers mois. Dans ce contexte, il faut garder son calme et ne pas perdre de vue les fondamentaux. En 2004, la croissance ne sera sans doute pas loin de l'objectif retenu de 2,5 %. Comme anticipé, le rebond du quatrième trimestre semble avoir rattrapé la mauvaise performance du troisième.
En cette fin d'année, la consommation se tient bien. Pour 2005, je maintiens donc l'objectif d'une croissance avoisinant 2,5 %, si les tensions sur le pétrole et le dollar s'atténuent.
Q - Mais la situation des changes reste préoccupante...
R - Un mot, avant, sur le pétrole. J'observe déjà que les anticipations de prix sont revenues à des niveaux plus raisonnables. Sur le dollar, la situation est effectivement très préoccupante. Nous avons eu un débat très nourri sur ce sujet, la semaine dernière, à l'Eurogroupe. Un communiqué a été publié, qui a tout de même produit quelque effet. Il est clair que, à mesure qu'approche la prochaine réunion du G7, en février, les Américains devront prendre davantage en compte les déséquilibres qu'ils provoquent dans le reste du monde et dans leur propre économie. Par exemple le risque des remontées brutales, aux États-Unis des taux longs que fait peser l'accumulation des déficits.
Q - La reconduction de John Snow à la tête du Trésor américain est-elle une mauvaise nouvelle ?
R - Je n'ai pas à la commenter. C'est un homme d'expérience et de grande qualité. Nous avons déjà eu l'occasion de nous entretenir au téléphone. Je souhaite le rencontrer au début de l'année prochaine. La solution ne peut venir que des deux rives de l'Atlantique, en coopération avec l'Asie. C'est ce à quoi nous travaillons.
Q - À partir de quel niveau, précisément, l'appréciation de l'euro devient-elle à vos yeux vraiment dangereuse ?
R - À partir du niveau de parité dans lequel nous sommes, on entre dans une zone de forte préoccupation. Il y a, je crois, un consensus très large en Europe sur cette analyse. La BCE a des outils. Je ne doute pas qu'elle saura les utiliser le moment venu.
Q - Dans le domaine intérieur, comment comptez-vous relancer le pouvoir d'achat ?
R - D'abord, la consommation se tient bien. Ses ressorts profonds sont liés à une confiance retrouvée dans la politique économique et aux actions programmées pour 2005. Des réformes importantes ont été faites pour traiter des problèmes, comme celui des retraites, qui menaçaient notre modèle social. Par ailleurs, le " contrat 2005 " apporte un certain nombre d'initiatives nouvelles. Ce qu'a proposé le Premier ministre sur les 35 heures est considérable. Cela permettra de redonner du salaire donc du pouvoir d'achat aux ménages. Tout en dynamisant la croissance, nous allons poursuivre parallèlement en 2005, l'augmentation du SMIC. Les mesures de soutien à la consommation et à l'investissement prises par mon prédécesseur, cet été, ont été utiles et justifiées et n'ont pas encore libéré leur plein potentiel. Avec Christian Jacob, je compte bien trouver enfin une voie rapide, efficace et raisonnable pour lutter contre les marges anormalement élevées de la grande distribution. Mais, au-delà de ces actions ciblées, il faut donner une ligne directrice durable à notre politique économique et budgétaire.
C'est déterminant pour les anticipations d'épargne donc pour l'investissement et la consommation. C'est pourquoi je maintiens sans ambiguïté le cap de la réduction des déficits et de la dette. C'est cela qui rend crédible la poursuite de la baisse des impôts et des charges.
Q - Jean-Pierre Raffarin a annoncé le retour des baisses d'impôt en 2006. Quelles sont vos intentions ?
R - La baisse des impôts et des charges devra se poursuivre en 2006, comme elle le sera en 2005.
Il reste à définir les mesures les plus efficaces, compte tenu des marges dont nous disposerons.
Pour ma part, je pense que notre stratégie fiscale doit être prioritairement dédiée à l'emploi.
Pour moi, trop d'impôt tue l'emploi ! La baisse générale de l'impôt sur le revenu, qui est favorable au pouvoir d'achat des ménages imposables, encourage le travail et soutient la consommation. Je souhaite cependant expertiser en parallèle l'impact sur l'emploi de mesures plus ciblées. Le Premier ministre m'a demandé de mettre en place un crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile. Dans le même esprit, je pense que la prime pour l'emploi peut également être " activée " pour être rendue plus efficace dans la lutte contre le chômage. J'ai demandé qu'on examine les moyens de l'améliorer pour qu'elle soit plus favorable aux salariés qui reprennent un travail à temps partiel, étape souvent décisive dans le retour à l'emploi durable. Mais, reconnaissez qu'en décembre 2004 il est un peu prématuré de parler des impôts 2006, même si je souhaite que les réflexions fiscales démarrent plus tôt dans l'année et non pas fin août ! Avec le ministre délégué au Budget, Jean-François Copé, j'ai proposé au Premier ministre, qui l'a accepté, que nous ayons, au sein du gouvernement, une discussion collective sur les prélèvements dès le premier semestre.
Q - Le Sénat va examiner le collectif budgétaire 2004. La droite sénatoriale demande une exonération fiscale des plus-values sur les cessions de participation. Y êtes-vous favorable ?
R - Ces dernières années, un nombre non négligeable de grandes entreprises françaises ont délocalisé leurs sièges sociaux à l'étranger. Ces délocalisations sont en partie dues au traitement fiscal des plus-values de cessions de participations. La France est aujourd'hui l'un des derniers pays en Europe à les taxer fortement. Si nous voulons lutter contre les délocalisations des centres de décision, il faut faire évoluer ce régime en visant l'exonération des plus-values de cession comme dans les autres pays européens. Et, dans le cadre de cette réforme, je souhaite aussi baisser la taxation des produits de brevets de 19 % à 15 %. Ce serait une mesure forte pour renforcer l'attractivité de la France en matière de centres d'activités de recherche. Avec Jean-François Copé, nous allons discuter de cela avec le Parlement dans les jours qui viennent.
Q - Quand s'appliquera la réforme de la taxe professionnelle ?
R - La réforme devrait s'inscrire dans le budget 2006 au plus tôt, sachant que, dans les faits, elle ne s'appliquera pas aux entreprises avant 2008. La commission propose sa mise en oeuvre très étalée dans le temps, ce qui me paraît nécessaire.
Q - Partagez-vous le pessimisme du rapport Camdessus sur la perte de compétitivité de la France ?
R - Je ne vise pas en particulier tel ou tel rapport, mais il faut arrêter de se lamenter et se secouer.
Notre pays a ses défauts, mais aussi ses qualités. Depuis vingt ans, il y a tout de même eu une " furia francese " de la part de nos entrepreneurs. Dans plusieurs secteurs, nous avons créé des entreprises parmi les plus grandes du monde. Nous attirons des investissements étrangers qui créent plusieurs dizaines de milliers d'emplois chaque année. S'agissant du commerce extérieur, il est vrai que les résultats de 2004 ne sont pas remarquables, mais c'est en partie lié à la hausse des prix de l'énergie, qui pénalise les importations. Et notre commerce extérieur souffre d'un mauvais positionnement structurel : nous sommes spécialisés sur des zones de croissance faible et sur des secteurs qui ne sont pas les plus dynamiques. J'entends bien agir de manière décisive avec François Loos pour contribuer à corriger cela. Plus largement, beaucoup des propos de M. Camdessus méritent vraiment d'alimenter la réflexion.
Q - Pouvez-vous affirmer que, dans une conjoncture plus incertaine que prévu, le déficit public de la France reviendra bien sous les 3 % du PIB en 2005 ?
R - Mardi, le commissaire européen aux Affaires économiques a proposé la suspension de la procédure d'infraction ouverte contre la France. J'en profite pour rendre hommage à l'action de mes prédécesseurs. Nous tiendrons l'objectif des 3 %, en 2005 et au-delà, mais une grande vigilance s'impose.
Q - Cette année encore, il aura été difficile de stabiliser la dépense budgétaire en volume. Les crédits reportés sur 2005 seront-ils inférieurs à ceux reportés sur 2004 ?
R - Les ordres de grandeur seront similaires, et je veux améliorer la régulation budgétaire. En général, pour sécuriser l'exécution du budget, Bercy, propose dès la mi-janvier de geler des crédits alors que l'encre de la loi de Finances est à peine sèche. Dans l'état actuel des textes, il n'y a pas moyen de faire autrement. Avec Jean-François Copé, nous allons donc proposer d'améliorer la loi organique relative aux lois de Finances. Nous voulons qu'à partir de 2006, en toute transparence avec le Parlement, chaque ministre définisse, dans son propre budget, d'une certaine manière une tranche ferme et une tranche optionnelle de crédits, grâce à laquelle il pourra faire face aux imprévus en redéployant ses dépenses ou bien qui pourront être annulées si l'équilibre des finances publiques l'exige, compte tenu des décisions prises en cours d'année.
Nous présenterons un amendement en ce sens à la loi organique.
Q - Que pense le ministre des Finances des concessions accordées aux médecins par le ministre de la Santé ?
R - On ne fait pas de réforme de l'assurance-maladie contre les acteurs du système. La définition de parcours de soins coordonnés est une bonne chose. De ce que j'en sais, cela coûte 500 millions d'euros, pour un gain estimé de 1 milliard d'euros. Il faut évidemment défendre cet objectif avec la même énergie.
Q - C'est un coût sûr pour un gain aléatoire...
R - Je n'ai aucun doute sur le fait que cela sera suivi de près par Philippe Douste-Blazy. Je ne fais pas de procès d'intention. Je regarderai les résultats à la fin de l'année.
Q - Après le " nationalisme industriel " de Nicolas Sarkozy, quelle sera votre politique dans ce domaine ?
R - Nous devons avoir une politique industrielle active. Il y a une vision extrêmement sommaire de la mondialisation consistant à dire qu'il y a une puissance agricole, le Brésil, une puissance industrielle, la Chine, et une nation de services, l'Inde. Je récuse cette vision. Je crois à notre avenir agricole et industriel.
Mais notre stratégie industrielle ne peut pas être celle de grand-papa. Nous ne sommes plus dans l'esprit de la moitié du XXe siècle. Cette politique ne peut pas être seulement française, mais aussi européenne. La stratégie industrielle doit d'abord porter sur la localisation des centres de décision, qui doivent rester en Europe. De ce point de vue, ce qui s'est passé avec Pechiney est le contre-exemple absolu. Le deuxième sujet, c'est la question du lien recherche-industrie. Il faut mettre en oeuvre des programmes à l'échelle nationale et européenne. Il y a un troisième sujet, qui est celui de l'adossement énergétique de la politique industrielle. J'ai demandé à Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, NDLR, de nous faire des propositions sur les prix de marché de l'énergie pour les entreprises. Enfin, il faut mettre sous revue générale la manière dont l'État travaille avec les grandes filières industrielles. Je ferai avec Patrick Devedjian des propositions dans quelques semaines sur ce point.
Q - Quelle est votre position dans le conflit de pouvoir à la tête d'EADS ?
R - L'État possède 15 % du capital et a son rôle à jouer avec les autres actionnaires. Il est dans le tour de table. Chacun sait qu'il y a des conflits de pouvoir liés aux hommes. Je le déplore. Je souhaite que, très rapidement, on remette de la sérénité et que l'on clarifie le management d'EADS. Il n'est de l'intérêt de personne de rester dans cette situation. Des décisions seront prises le plus vite possible. Il y a des discussions en ce moment pour régler ce problème de personnes.
Q - La fusion avec Thales est-elle toujours d'actualité ?
R - Compte tenu de ses activités, Thales est un peu à la croisée des chemins. Il y a un certain nombre de futurs possibles, par rapport à des alliances européennes. Je regarde ce dossier avec Michèle Alliot-Marie. L'État prendra pour ce qui le concerne sa décision au premier semestre 2005.
Q - Plusieurs opérations de marché sont programmées pour 2005. Quel en sera l'ordre : Areva, puis GDF et, enfin, EDF ?
R - Je confirme leurs besoins de faire appel aux marchés, mais tout dépendra bien sûr des conditions boursières. Il y a pour certaines de ces entreprises des préalables qu'il faut lever avant de décider du calendrier. C'est particulièrement le cas pour EDF. Il y a un préalable sérieux qui est la participation italienne. La nouvelle direction d'EDF regarde ce dossier de très près. Sur le plan juridique, on attend d'en savoir davantage. Tout comme Pierre Gadonneix, je n'exclus aucune hypothèse à ce stade. Il faut aussi savoir tirer les leçons de certains investissements aventureux, comme en Amérique latine. Enfin, la question est de savoir ce que l'État veut pour EDF, sur le plan stratégique. Le choix du gouvernement est le développement d'EDF, qui passe par une augmentation de capital de 8 à 11 milliards d'euros au second semestre 2005. Pour Areva et GDF, j'ai commencé à discuter avec leur président respectif dès mon arrivée.
Q - Le nouveau président d'EDF souhaite pouvoir relever ses tarifs de plus de 7 % d'ici à 2007. Après avoir été gelés en 2004, les tarifs de l'électricité augmenteront-ils en 2005 ?
R - Nous travaillons avec EDF sur cette question. Sur 2005 à 2008, l'entreprise doit avoir une visibilité sur ses tarifs. Les décisions seront annoncées au début de l'année prochaine. On ne va pas avoir un blocage des tarifs pendant trois ans, c'est évident. Il nous faut trouver la bonne formule.
Q - L'État arrive au seuil de sa participation dans France Télécom. Peut-il descendre au-dessous de 43 % ?
R - Ce n'est pas d'actualité. Mais je veux rendre hommage à l'action de Thierry Breton à la tête de cette superbe entreprise.
Q - L'État a-t-il vocation à conserver ses 20 % dans Renault ?
R - Oui.
Q - Les recettes des futures privatisations seront-elles affectées en totalité au désendettement ?
R - Elles doivent servir prioritairement à cet objectif.
Propos recueillis par Jacques Barraux, Jean-Francis Pécresse et Dominique Seux
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 17 décembre 2004)
R - Comme un facilitateur ! Je crois vraiment que ce ministère n'est pas seulement celui des Finances. Je suis d'abord ministre de l'Économie, et mon rôle est de mettre toute mon énergie au service de la croissance et de l'emploi. Je serai, bien sûr, gardien des grands équilibres.
Bercy doit être la maison de ceux qui créent et innovent, entrepreneurs et créateurs de richesse.
C'est pourquoi je compte être à l'écoute des chefs d'entreprise, de ceux qui prennent des risques et qui construisent l'avenir, conformément au cap fixé par le chef de l'État. Je vais effectuer un maximum de déplacements sur le terrain, parce que je ne veux être en aucun cas prisonnier de ce que certains appellent : la " forteresse Bercy ". Je veux être un ministre de l'Économie et des Finances à l'écoute des gens, des organisations syndicales. C'est clairement notre état d'esprit avec Jean-François Copé, Patrick Devedjian et François Loos.
Q - Quels infléchissements souhaitez-vous apporter à la politique économique suivie depuis le début du quinquennat ?
R - Je le redis : toute notre action doit être dédiée à l'emploi. Le début du quinquennat a été marqué par une rupture de croissance et la gestion des " ardoises " laissées par nos prédécesseurs. En 2002 et 2003, il a fallu à la fois solder les impayés, lancer des réformes comme celle des retraites et réduire les déficits. Puis 2004 a été une année sociale, axée sur la cohésion sociale et la réforme de l'assurance-maladie. Maintenant que ce socle social est conforté, la deuxième moitié du quinquennat sera celle de l'initiative. Il faut déverrouiller l'économie française, lever les freins à la croissance et à l'embauche pour favoriser l'activité et la création d'emplois.
Q - Au vu des nouvelles prévisions de l'Insee, maintenez-vous votre scénario de croissance pour 2005 ?
R - Prévoir la croissance est un art difficile. Ce qui s'est produit en 2003 montre à quel point les prévisions peuvent être éloignées de la réalité constatée : fin 2002, le consensus des économistes était proche de 2 % pour 2003. Finalement, on a frôlé la récession. En 2004, la surprise a été à la hausse. L'Insee parle d'une " reprise bousculée " sur cette fin d'année. On ne saurait mieux dire, compte tenu des cours du dollar et du mouvement du pétrole ces derniers mois. Dans ce contexte, il faut garder son calme et ne pas perdre de vue les fondamentaux. En 2004, la croissance ne sera sans doute pas loin de l'objectif retenu de 2,5 %. Comme anticipé, le rebond du quatrième trimestre semble avoir rattrapé la mauvaise performance du troisième.
En cette fin d'année, la consommation se tient bien. Pour 2005, je maintiens donc l'objectif d'une croissance avoisinant 2,5 %, si les tensions sur le pétrole et le dollar s'atténuent.
Q - Mais la situation des changes reste préoccupante...
R - Un mot, avant, sur le pétrole. J'observe déjà que les anticipations de prix sont revenues à des niveaux plus raisonnables. Sur le dollar, la situation est effectivement très préoccupante. Nous avons eu un débat très nourri sur ce sujet, la semaine dernière, à l'Eurogroupe. Un communiqué a été publié, qui a tout de même produit quelque effet. Il est clair que, à mesure qu'approche la prochaine réunion du G7, en février, les Américains devront prendre davantage en compte les déséquilibres qu'ils provoquent dans le reste du monde et dans leur propre économie. Par exemple le risque des remontées brutales, aux États-Unis des taux longs que fait peser l'accumulation des déficits.
Q - La reconduction de John Snow à la tête du Trésor américain est-elle une mauvaise nouvelle ?
R - Je n'ai pas à la commenter. C'est un homme d'expérience et de grande qualité. Nous avons déjà eu l'occasion de nous entretenir au téléphone. Je souhaite le rencontrer au début de l'année prochaine. La solution ne peut venir que des deux rives de l'Atlantique, en coopération avec l'Asie. C'est ce à quoi nous travaillons.
Q - À partir de quel niveau, précisément, l'appréciation de l'euro devient-elle à vos yeux vraiment dangereuse ?
R - À partir du niveau de parité dans lequel nous sommes, on entre dans une zone de forte préoccupation. Il y a, je crois, un consensus très large en Europe sur cette analyse. La BCE a des outils. Je ne doute pas qu'elle saura les utiliser le moment venu.
Q - Dans le domaine intérieur, comment comptez-vous relancer le pouvoir d'achat ?
R - D'abord, la consommation se tient bien. Ses ressorts profonds sont liés à une confiance retrouvée dans la politique économique et aux actions programmées pour 2005. Des réformes importantes ont été faites pour traiter des problèmes, comme celui des retraites, qui menaçaient notre modèle social. Par ailleurs, le " contrat 2005 " apporte un certain nombre d'initiatives nouvelles. Ce qu'a proposé le Premier ministre sur les 35 heures est considérable. Cela permettra de redonner du salaire donc du pouvoir d'achat aux ménages. Tout en dynamisant la croissance, nous allons poursuivre parallèlement en 2005, l'augmentation du SMIC. Les mesures de soutien à la consommation et à l'investissement prises par mon prédécesseur, cet été, ont été utiles et justifiées et n'ont pas encore libéré leur plein potentiel. Avec Christian Jacob, je compte bien trouver enfin une voie rapide, efficace et raisonnable pour lutter contre les marges anormalement élevées de la grande distribution. Mais, au-delà de ces actions ciblées, il faut donner une ligne directrice durable à notre politique économique et budgétaire.
C'est déterminant pour les anticipations d'épargne donc pour l'investissement et la consommation. C'est pourquoi je maintiens sans ambiguïté le cap de la réduction des déficits et de la dette. C'est cela qui rend crédible la poursuite de la baisse des impôts et des charges.
Q - Jean-Pierre Raffarin a annoncé le retour des baisses d'impôt en 2006. Quelles sont vos intentions ?
R - La baisse des impôts et des charges devra se poursuivre en 2006, comme elle le sera en 2005.
Il reste à définir les mesures les plus efficaces, compte tenu des marges dont nous disposerons.
Pour ma part, je pense que notre stratégie fiscale doit être prioritairement dédiée à l'emploi.
Pour moi, trop d'impôt tue l'emploi ! La baisse générale de l'impôt sur le revenu, qui est favorable au pouvoir d'achat des ménages imposables, encourage le travail et soutient la consommation. Je souhaite cependant expertiser en parallèle l'impact sur l'emploi de mesures plus ciblées. Le Premier ministre m'a demandé de mettre en place un crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile. Dans le même esprit, je pense que la prime pour l'emploi peut également être " activée " pour être rendue plus efficace dans la lutte contre le chômage. J'ai demandé qu'on examine les moyens de l'améliorer pour qu'elle soit plus favorable aux salariés qui reprennent un travail à temps partiel, étape souvent décisive dans le retour à l'emploi durable. Mais, reconnaissez qu'en décembre 2004 il est un peu prématuré de parler des impôts 2006, même si je souhaite que les réflexions fiscales démarrent plus tôt dans l'année et non pas fin août ! Avec le ministre délégué au Budget, Jean-François Copé, j'ai proposé au Premier ministre, qui l'a accepté, que nous ayons, au sein du gouvernement, une discussion collective sur les prélèvements dès le premier semestre.
Q - Le Sénat va examiner le collectif budgétaire 2004. La droite sénatoriale demande une exonération fiscale des plus-values sur les cessions de participation. Y êtes-vous favorable ?
R - Ces dernières années, un nombre non négligeable de grandes entreprises françaises ont délocalisé leurs sièges sociaux à l'étranger. Ces délocalisations sont en partie dues au traitement fiscal des plus-values de cessions de participations. La France est aujourd'hui l'un des derniers pays en Europe à les taxer fortement. Si nous voulons lutter contre les délocalisations des centres de décision, il faut faire évoluer ce régime en visant l'exonération des plus-values de cession comme dans les autres pays européens. Et, dans le cadre de cette réforme, je souhaite aussi baisser la taxation des produits de brevets de 19 % à 15 %. Ce serait une mesure forte pour renforcer l'attractivité de la France en matière de centres d'activités de recherche. Avec Jean-François Copé, nous allons discuter de cela avec le Parlement dans les jours qui viennent.
Q - Quand s'appliquera la réforme de la taxe professionnelle ?
R - La réforme devrait s'inscrire dans le budget 2006 au plus tôt, sachant que, dans les faits, elle ne s'appliquera pas aux entreprises avant 2008. La commission propose sa mise en oeuvre très étalée dans le temps, ce qui me paraît nécessaire.
Q - Partagez-vous le pessimisme du rapport Camdessus sur la perte de compétitivité de la France ?
R - Je ne vise pas en particulier tel ou tel rapport, mais il faut arrêter de se lamenter et se secouer.
Notre pays a ses défauts, mais aussi ses qualités. Depuis vingt ans, il y a tout de même eu une " furia francese " de la part de nos entrepreneurs. Dans plusieurs secteurs, nous avons créé des entreprises parmi les plus grandes du monde. Nous attirons des investissements étrangers qui créent plusieurs dizaines de milliers d'emplois chaque année. S'agissant du commerce extérieur, il est vrai que les résultats de 2004 ne sont pas remarquables, mais c'est en partie lié à la hausse des prix de l'énergie, qui pénalise les importations. Et notre commerce extérieur souffre d'un mauvais positionnement structurel : nous sommes spécialisés sur des zones de croissance faible et sur des secteurs qui ne sont pas les plus dynamiques. J'entends bien agir de manière décisive avec François Loos pour contribuer à corriger cela. Plus largement, beaucoup des propos de M. Camdessus méritent vraiment d'alimenter la réflexion.
Q - Pouvez-vous affirmer que, dans une conjoncture plus incertaine que prévu, le déficit public de la France reviendra bien sous les 3 % du PIB en 2005 ?
R - Mardi, le commissaire européen aux Affaires économiques a proposé la suspension de la procédure d'infraction ouverte contre la France. J'en profite pour rendre hommage à l'action de mes prédécesseurs. Nous tiendrons l'objectif des 3 %, en 2005 et au-delà, mais une grande vigilance s'impose.
Q - Cette année encore, il aura été difficile de stabiliser la dépense budgétaire en volume. Les crédits reportés sur 2005 seront-ils inférieurs à ceux reportés sur 2004 ?
R - Les ordres de grandeur seront similaires, et je veux améliorer la régulation budgétaire. En général, pour sécuriser l'exécution du budget, Bercy, propose dès la mi-janvier de geler des crédits alors que l'encre de la loi de Finances est à peine sèche. Dans l'état actuel des textes, il n'y a pas moyen de faire autrement. Avec Jean-François Copé, nous allons donc proposer d'améliorer la loi organique relative aux lois de Finances. Nous voulons qu'à partir de 2006, en toute transparence avec le Parlement, chaque ministre définisse, dans son propre budget, d'une certaine manière une tranche ferme et une tranche optionnelle de crédits, grâce à laquelle il pourra faire face aux imprévus en redéployant ses dépenses ou bien qui pourront être annulées si l'équilibre des finances publiques l'exige, compte tenu des décisions prises en cours d'année.
Nous présenterons un amendement en ce sens à la loi organique.
Q - Que pense le ministre des Finances des concessions accordées aux médecins par le ministre de la Santé ?
R - On ne fait pas de réforme de l'assurance-maladie contre les acteurs du système. La définition de parcours de soins coordonnés est une bonne chose. De ce que j'en sais, cela coûte 500 millions d'euros, pour un gain estimé de 1 milliard d'euros. Il faut évidemment défendre cet objectif avec la même énergie.
Q - C'est un coût sûr pour un gain aléatoire...
R - Je n'ai aucun doute sur le fait que cela sera suivi de près par Philippe Douste-Blazy. Je ne fais pas de procès d'intention. Je regarderai les résultats à la fin de l'année.
Q - Après le " nationalisme industriel " de Nicolas Sarkozy, quelle sera votre politique dans ce domaine ?
R - Nous devons avoir une politique industrielle active. Il y a une vision extrêmement sommaire de la mondialisation consistant à dire qu'il y a une puissance agricole, le Brésil, une puissance industrielle, la Chine, et une nation de services, l'Inde. Je récuse cette vision. Je crois à notre avenir agricole et industriel.
Mais notre stratégie industrielle ne peut pas être celle de grand-papa. Nous ne sommes plus dans l'esprit de la moitié du XXe siècle. Cette politique ne peut pas être seulement française, mais aussi européenne. La stratégie industrielle doit d'abord porter sur la localisation des centres de décision, qui doivent rester en Europe. De ce point de vue, ce qui s'est passé avec Pechiney est le contre-exemple absolu. Le deuxième sujet, c'est la question du lien recherche-industrie. Il faut mettre en oeuvre des programmes à l'échelle nationale et européenne. Il y a un troisième sujet, qui est celui de l'adossement énergétique de la politique industrielle. J'ai demandé à Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, NDLR, de nous faire des propositions sur les prix de marché de l'énergie pour les entreprises. Enfin, il faut mettre sous revue générale la manière dont l'État travaille avec les grandes filières industrielles. Je ferai avec Patrick Devedjian des propositions dans quelques semaines sur ce point.
Q - Quelle est votre position dans le conflit de pouvoir à la tête d'EADS ?
R - L'État possède 15 % du capital et a son rôle à jouer avec les autres actionnaires. Il est dans le tour de table. Chacun sait qu'il y a des conflits de pouvoir liés aux hommes. Je le déplore. Je souhaite que, très rapidement, on remette de la sérénité et que l'on clarifie le management d'EADS. Il n'est de l'intérêt de personne de rester dans cette situation. Des décisions seront prises le plus vite possible. Il y a des discussions en ce moment pour régler ce problème de personnes.
Q - La fusion avec Thales est-elle toujours d'actualité ?
R - Compte tenu de ses activités, Thales est un peu à la croisée des chemins. Il y a un certain nombre de futurs possibles, par rapport à des alliances européennes. Je regarde ce dossier avec Michèle Alliot-Marie. L'État prendra pour ce qui le concerne sa décision au premier semestre 2005.
Q - Plusieurs opérations de marché sont programmées pour 2005. Quel en sera l'ordre : Areva, puis GDF et, enfin, EDF ?
R - Je confirme leurs besoins de faire appel aux marchés, mais tout dépendra bien sûr des conditions boursières. Il y a pour certaines de ces entreprises des préalables qu'il faut lever avant de décider du calendrier. C'est particulièrement le cas pour EDF. Il y a un préalable sérieux qui est la participation italienne. La nouvelle direction d'EDF regarde ce dossier de très près. Sur le plan juridique, on attend d'en savoir davantage. Tout comme Pierre Gadonneix, je n'exclus aucune hypothèse à ce stade. Il faut aussi savoir tirer les leçons de certains investissements aventureux, comme en Amérique latine. Enfin, la question est de savoir ce que l'État veut pour EDF, sur le plan stratégique. Le choix du gouvernement est le développement d'EDF, qui passe par une augmentation de capital de 8 à 11 milliards d'euros au second semestre 2005. Pour Areva et GDF, j'ai commencé à discuter avec leur président respectif dès mon arrivée.
Q - Le nouveau président d'EDF souhaite pouvoir relever ses tarifs de plus de 7 % d'ici à 2007. Après avoir été gelés en 2004, les tarifs de l'électricité augmenteront-ils en 2005 ?
R - Nous travaillons avec EDF sur cette question. Sur 2005 à 2008, l'entreprise doit avoir une visibilité sur ses tarifs. Les décisions seront annoncées au début de l'année prochaine. On ne va pas avoir un blocage des tarifs pendant trois ans, c'est évident. Il nous faut trouver la bonne formule.
Q - L'État arrive au seuil de sa participation dans France Télécom. Peut-il descendre au-dessous de 43 % ?
R - Ce n'est pas d'actualité. Mais je veux rendre hommage à l'action de Thierry Breton à la tête de cette superbe entreprise.
Q - L'État a-t-il vocation à conserver ses 20 % dans Renault ?
R - Oui.
Q - Les recettes des futures privatisations seront-elles affectées en totalité au désendettement ?
R - Elles doivent servir prioritairement à cet objectif.
Propos recueillis par Jacques Barraux, Jean-Francis Pécresse et Dominique Seux
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 17 décembre 2004)