Texte intégral
Nous avons assisté à l'Assemblée nationale durant huit jours à un débat absolument caricatural. Débat de posture mais en aucun cas débat de fond sur la réduction du temps de travail : à droite, ce texte est "La réforme des 35 heures", à gauche, ce texte remet fondamentalement en cause un acquis social. En réalité, il ne s'agit en rien de tout cela. Il s'agit d'un texte technique qui offre quelques souplesses de plus mais qui en rien ne remet en cause l'erreur historique que représentent les 35 heures, que la France et les Français paieront longtemps. Les 35 heures sont en effet une quadruple erreur.
Une erreur économique. Dans une économie mondialisée et de plus en plus concurrentielle, la durée du travail est un facteur de compétitivité. Il n'est bien entendu pas le seul : notre compétitivité passe d'abord et avant tout par la qualité de nos produits, l'intelligence qu'ils incorporent, l'innovation, tout ce qui est autour de la qualité plutôt que de la quantité. Mais on doit tout de même se situer à un niveau comparable aux pays développés qui sont sur les mêmes créneaux que nous.
Le rapport Camdessus démontre que la durée de travail annuelle par personne en âge de travailler est en France la plus faible des pays de l'OCDE. Nous travaillons 900 heures par an, là où le Canada est à 1 200 heures. Bien entendu, ce dernier rang des pays de l'OCDE est lié au niveau de notre chômage et au taux d'activité très faible des moins de 25 ans et des plus de 50 ans. Mais la réduction autoritaire du temps de travail a aggravé sérieusement la situation.
C'est ensuite une erreur financière. Les 35 heures coûtent environ à notre pays entre 20 et 25 milliards d'euros par an de réductions de charges sociales et de coût engendré pour les collectivités publiques. Dans une période où nos finances publiques sont autant dans le rouge, il aurait été intelligent de dégager cet argent pour préparer l'avenir dans les universités, la recherche ou financer de grands équipements, plutôt que de financer le temps libre.
C'est aussi une erreur sociale, au moins en partie. Dire que les 35 heures ne sont appréciées par personne serait mentir. Sans aucun doute pour nombre de parents voulant s'occuper de leurs enfants ou pour nombre de salariés ayant notamment des niveaux de rémunération corrects ou élevés, les 35 heures sont apparues comme une aubaine.
Cependant, les 35 heures ont un coût social très élevé, notamment pour celles et ceux qui se situent en bas de l'échelle des salaires : pour amortir le choc, les salaires ont été bloqués et ont conduit à une perte du pouvoir d'achat. Personne ne saurait contester non plus que les 35 heures, à travers de vastes négociations dans les entreprises qui ont introduit modulation et annualisation, ont conduit à une raréfaction considérable des heures supplémentaires. Elles ont aussi compliqué la vie des familles par des horaires décalés.
Les 35 heures ont aussi globalement dégradé les conditions de travail en augmentant l'intensité au travail, le stress au travail - ce que nos compatriotes traduisent par cette expression : "On nous dit de faire en 35 ce que nous faisions en 39." Reconnaissons-le, les 35 heures sont d'abord et avant tout une loi pour les riches, tout du moins une loi pour celles et ceux dont la préoccupation du pouvoir d'achat n'est pas la première des préoccupations. Elle est formidable pour ceux qui peuvent partir un peu plus en week-end ! Elle a eu des effets beaucoup plus contrastés, voire très clairement négatifs pour une partie de nos compatriotes, et particulièrement ceux qui sont au smic.
C'est enfin une erreur culturelle. Les 35 heures ont participé largement à l'idée que le travail n'était pas une fin en soi, que l'épanouissement des individus passait d'abord et avant tout par le loisir, comme si le travail était par définition un facteur d'asservissement et qu'il ne pouvait pas être un facteur d'épanouissement. Il ne l'est pas de manière certaine. Mais il n'est pour autant ni la corvée ni la servitude.
Les 35 heures ont provoqué une vraie rupture culturelle particulièrement manifeste chez nombre de compatriotes. Très nombreux sont aujourd'hui ceux qui ne font plus du travail une priorité. Ce phénomène est particulièrement manifeste chez les jeunes cadres même si les 35 heures n'en sont pas la seule cause. Le fait, par exemple, qu'ils aient vu leurs aînés ou leurs parents se faire rejeter "comme des malpropres" par leur entreprise la cinquantaine passée a dû aussi jouer un rôle. Il faudra bien pourtant un jour mettre nos compatriotes face à leurs responsabilités, car l'équation est malheureusement basique : on ne peut pas travailler moins que les autres et avoir une fiche de paie égale ou plus importante que les autres.
Comme la question des retraites était devenue une évidence en 2002, la question de la place du travail dans notre société devra être au coeur de la prochaine campagne présidentielle, puisque c'est à ce moment que de tels débats peuvent avoir lieu. Il faudra dire clairement à nos compatriotes qu'il ne peut pas y avoir de progrès social, ni de mécanisme de solidarité efficace, ni d'augmentation sensible du pouvoir d'achat, s'il n'y a pas d'abord production de richesses.
Dans ce débat, l'UDF avance toujours la même proposition depuis 2002, celle de François Bayrou : maintenir à 35 heures la durée légale du travail, rémunérer les quatre premières heures supplémentaires à 125% au-delà de 35 heures et exonérer les charges sociales à due proportion pour les entreprises. On récompensait sans mécanisme compliqué et conditionné à d'hypothétiques accords celles et ceux qui veulent travailler plus, sans que cela coûte plus cher à l'entreprise. On cassait surtout la logique infernale de la réduction du temps de travail.
Que propose la nouvelle loi ? L'assouplissement du compte épargne temps, peu utilisé, et, lorsqu'il est en place dans le cadre d'accords de branche ou d'entreprises, peu alimenté, est bienvenu comme l'est la création du régime des heures choisies. Faut-il pour autant que des négociations s'ouvrent ? Pour cela, il faudrait qu'il y ait des syndicats et des entreprises prêts à engager de nouvelles négociations pour que ces assouplissements aient lieu ! Compte tenu du paysage syndical, on imagine mal de nouvelles discussions sur ce sujet. Enfin, dans le cadre des accords sur les 35 heures, un quart des entreprises ont passé des accords d'annualisation ou de modulation du temps de travail pour lesquels le compte épargne temps ou les heures choisies sont quasi inutiles puisqu'il n'y a plus beaucoup d'heures supplémentaires.
Enfin, la proposition de loi prolonge de trois années le régime des heures supplémentaires pour les salariés des entreprises de moins de 20 salariés. Cette prolongation d'une bonification à 10% au lieu de 25% est d'autant plus injuste que les salariés de ces entreprises n'ont souvent pas d'avantages sociaux comme ceux des grandes.
Le gouvernement aura réussi quelque chose de rare sur cette question. En 2002, il n'a pas eu le courage de l'affronter directement alors que nous avions été élus sur une critique fondamentale de la réduction du temps de travail et que les socialistes reconnaissaient eux-mêmes qu'il s'agissait d'une des causes de leur échec. Trois ans plus tard, le gouvernement va réussir à déplaire à tout le monde : celles et ceux qui souhaitent travailler plus ou produire plus facilement et qui verront dans la pratique que cette proposition de loi ne change pas les choses ; celles et ceux qui sont attachés aux 35 heures et qui, sans avoir lu le texte, ont le sentiment qu'on remet en cause un droit acquis.
S'il y a bien deux leçons qu'il faut tirer de tout cela, c'est d'abord qu'il faut faire les choses rapidement au moment de l'état de grâce, c'est-à-dire dans les six mois suivant les élections. Qu'ensuite il ne sert à rien de faire les choses à moitié. Quand il s'agit d'un sujet emblématique qui prend une tournure politicienne, il faut les faire totalement en disant la vérité aux Français, ou bien ne rien faire pour éviter de déplaire à tout le monde sans rien régler au fond.
(Source http://www.udf.org, le 15 février 2005)
Une erreur économique. Dans une économie mondialisée et de plus en plus concurrentielle, la durée du travail est un facteur de compétitivité. Il n'est bien entendu pas le seul : notre compétitivité passe d'abord et avant tout par la qualité de nos produits, l'intelligence qu'ils incorporent, l'innovation, tout ce qui est autour de la qualité plutôt que de la quantité. Mais on doit tout de même se situer à un niveau comparable aux pays développés qui sont sur les mêmes créneaux que nous.
Le rapport Camdessus démontre que la durée de travail annuelle par personne en âge de travailler est en France la plus faible des pays de l'OCDE. Nous travaillons 900 heures par an, là où le Canada est à 1 200 heures. Bien entendu, ce dernier rang des pays de l'OCDE est lié au niveau de notre chômage et au taux d'activité très faible des moins de 25 ans et des plus de 50 ans. Mais la réduction autoritaire du temps de travail a aggravé sérieusement la situation.
C'est ensuite une erreur financière. Les 35 heures coûtent environ à notre pays entre 20 et 25 milliards d'euros par an de réductions de charges sociales et de coût engendré pour les collectivités publiques. Dans une période où nos finances publiques sont autant dans le rouge, il aurait été intelligent de dégager cet argent pour préparer l'avenir dans les universités, la recherche ou financer de grands équipements, plutôt que de financer le temps libre.
C'est aussi une erreur sociale, au moins en partie. Dire que les 35 heures ne sont appréciées par personne serait mentir. Sans aucun doute pour nombre de parents voulant s'occuper de leurs enfants ou pour nombre de salariés ayant notamment des niveaux de rémunération corrects ou élevés, les 35 heures sont apparues comme une aubaine.
Cependant, les 35 heures ont un coût social très élevé, notamment pour celles et ceux qui se situent en bas de l'échelle des salaires : pour amortir le choc, les salaires ont été bloqués et ont conduit à une perte du pouvoir d'achat. Personne ne saurait contester non plus que les 35 heures, à travers de vastes négociations dans les entreprises qui ont introduit modulation et annualisation, ont conduit à une raréfaction considérable des heures supplémentaires. Elles ont aussi compliqué la vie des familles par des horaires décalés.
Les 35 heures ont aussi globalement dégradé les conditions de travail en augmentant l'intensité au travail, le stress au travail - ce que nos compatriotes traduisent par cette expression : "On nous dit de faire en 35 ce que nous faisions en 39." Reconnaissons-le, les 35 heures sont d'abord et avant tout une loi pour les riches, tout du moins une loi pour celles et ceux dont la préoccupation du pouvoir d'achat n'est pas la première des préoccupations. Elle est formidable pour ceux qui peuvent partir un peu plus en week-end ! Elle a eu des effets beaucoup plus contrastés, voire très clairement négatifs pour une partie de nos compatriotes, et particulièrement ceux qui sont au smic.
C'est enfin une erreur culturelle. Les 35 heures ont participé largement à l'idée que le travail n'était pas une fin en soi, que l'épanouissement des individus passait d'abord et avant tout par le loisir, comme si le travail était par définition un facteur d'asservissement et qu'il ne pouvait pas être un facteur d'épanouissement. Il ne l'est pas de manière certaine. Mais il n'est pour autant ni la corvée ni la servitude.
Les 35 heures ont provoqué une vraie rupture culturelle particulièrement manifeste chez nombre de compatriotes. Très nombreux sont aujourd'hui ceux qui ne font plus du travail une priorité. Ce phénomène est particulièrement manifeste chez les jeunes cadres même si les 35 heures n'en sont pas la seule cause. Le fait, par exemple, qu'ils aient vu leurs aînés ou leurs parents se faire rejeter "comme des malpropres" par leur entreprise la cinquantaine passée a dû aussi jouer un rôle. Il faudra bien pourtant un jour mettre nos compatriotes face à leurs responsabilités, car l'équation est malheureusement basique : on ne peut pas travailler moins que les autres et avoir une fiche de paie égale ou plus importante que les autres.
Comme la question des retraites était devenue une évidence en 2002, la question de la place du travail dans notre société devra être au coeur de la prochaine campagne présidentielle, puisque c'est à ce moment que de tels débats peuvent avoir lieu. Il faudra dire clairement à nos compatriotes qu'il ne peut pas y avoir de progrès social, ni de mécanisme de solidarité efficace, ni d'augmentation sensible du pouvoir d'achat, s'il n'y a pas d'abord production de richesses.
Dans ce débat, l'UDF avance toujours la même proposition depuis 2002, celle de François Bayrou : maintenir à 35 heures la durée légale du travail, rémunérer les quatre premières heures supplémentaires à 125% au-delà de 35 heures et exonérer les charges sociales à due proportion pour les entreprises. On récompensait sans mécanisme compliqué et conditionné à d'hypothétiques accords celles et ceux qui veulent travailler plus, sans que cela coûte plus cher à l'entreprise. On cassait surtout la logique infernale de la réduction du temps de travail.
Que propose la nouvelle loi ? L'assouplissement du compte épargne temps, peu utilisé, et, lorsqu'il est en place dans le cadre d'accords de branche ou d'entreprises, peu alimenté, est bienvenu comme l'est la création du régime des heures choisies. Faut-il pour autant que des négociations s'ouvrent ? Pour cela, il faudrait qu'il y ait des syndicats et des entreprises prêts à engager de nouvelles négociations pour que ces assouplissements aient lieu ! Compte tenu du paysage syndical, on imagine mal de nouvelles discussions sur ce sujet. Enfin, dans le cadre des accords sur les 35 heures, un quart des entreprises ont passé des accords d'annualisation ou de modulation du temps de travail pour lesquels le compte épargne temps ou les heures choisies sont quasi inutiles puisqu'il n'y a plus beaucoup d'heures supplémentaires.
Enfin, la proposition de loi prolonge de trois années le régime des heures supplémentaires pour les salariés des entreprises de moins de 20 salariés. Cette prolongation d'une bonification à 10% au lieu de 25% est d'autant plus injuste que les salariés de ces entreprises n'ont souvent pas d'avantages sociaux comme ceux des grandes.
Le gouvernement aura réussi quelque chose de rare sur cette question. En 2002, il n'a pas eu le courage de l'affronter directement alors que nous avions été élus sur une critique fondamentale de la réduction du temps de travail et que les socialistes reconnaissaient eux-mêmes qu'il s'agissait d'une des causes de leur échec. Trois ans plus tard, le gouvernement va réussir à déplaire à tout le monde : celles et ceux qui souhaitent travailler plus ou produire plus facilement et qui verront dans la pratique que cette proposition de loi ne change pas les choses ; celles et ceux qui sont attachés aux 35 heures et qui, sans avoir lu le texte, ont le sentiment qu'on remet en cause un droit acquis.
S'il y a bien deux leçons qu'il faut tirer de tout cela, c'est d'abord qu'il faut faire les choses rapidement au moment de l'état de grâce, c'est-à-dire dans les six mois suivant les élections. Qu'ensuite il ne sert à rien de faire les choses à moitié. Quand il s'agit d'un sujet emblématique qui prend une tournure politicienne, il faut les faire totalement en disant la vérité aux Français, ou bien ne rien faire pour éviter de déplaire à tout le monde sans rien régler au fond.
(Source http://www.udf.org, le 15 février 2005)