Texte intégral
Q- Vous êtes ministre délégué en charge des Affaires européennes. C'est ingrat l'Europe, à en croire certains ?
R - C'est une grande leçon d'humilité.
Q - Sauf à Montbéliard, dans votre circonscription.
R - Peut-être pas uniquement quand même. C'est vrai que la politique, de toute façon, est une bonne leçon d'humilité. Je suis un optimiste, je pense toujours aux vers de René Char : "Impose ta chance, sers ton bonheur, vas vers ton risque et à te regarder, ils s'habitueront."
Q - Voilà, c'est donc ce que vous êtes très nombreux à faire ce soir.
R - Pour le reste, ce qui m'inquiète le plus, - parce que je ne pense pas que ce soit lié à ma personne - c'est que c'est de l'Europe dont on parle trop peu. On en parle chez vous, on n'en parle pas assez dans les médias. On n'en parle pas forcément assez à la télévision. C'est vrai qu'il y a bien sûr mes propres défauts, mais il y aussi la fonction qui veut cela. On ne parle pas assez de l'Europe, et pourtant, je pense que c'est l'essentiel. Je crois que c'est l'avenir et je crois que c'est un sujet absolument déterminant.
Q - C'est bien évidemment d'Europe dont il sera beaucoup question ce soir, mais d'abord, actualité et drame obligent, le Proche-Orient. Demain, le sommet israélo-palestinien à Charm el-Cheikh, après une semaine de guerre qui n'a pas dit son nom. En France même, beaucoup d'émotions, beaucoup de tensions, beaucoup d'agressions antisémites. Nos journalistes à Paris ont rencontré des citoyens d'origine, de confession, d'opinions diverses qui ont des questions à vous poser sur l'intervention de l'Europe au Proche-Orient, la sécurité en France, attiser ou apaiser ?
R - Je ne crois pas que nous soyons dans une guerre de religion, ni en France, ni d'ailleurs au Proche-Orient. Je pense qu'il y a un conflit, qui, en fait, dure depuis des décennies, entre deux peuples qui n'ont pas appris à se tolérer, qui n'ont pas su faire la paix et qui doivent impérativement la faire parce qu'ils vivent sur la même terre et cela ne doit sûrement pas se projeter en France.
Je refuse complètement la thématique occupant-occupé, la thématique les uns contre les autres, les juifs contre les musulmans. Je n'accepte pas cela. Pas davantage que je ne n'accepte le déferlement de racisme et d'antisémitisme qui peut se produire, notamment l'antisémitisme. On ne doit pas libérer l'antisémitisme à l'occasion de ce qui se passe. Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait dans notre pays une sorte de retour du refoulé. Donc, je dis que tous ces gestes, à l'encontre des musulmans, ou aussi des gestes, et c'est surtout de cela dont il est question en ce moment, à l'encontre de la communauté juive, sont absolument inadmissibles, ils sont inacceptables. Je le dis avec beaucoup de clarté et là, je réponds à la deuxième question qui est posée. Il faut absolument, et le gouvernement y veille, assurer la sécurité des lieux de culte. Comme l'a dit le Premier ministre hier à Biarritz, la répression sera d'une fermeté absolue. Puis, il faut par ailleurs retrouver une atmosphère de tolérance et de dialogue, et les communautés ont un rôle à jouer et ne doivent pas intérioriser l'idée que l'on favorise les uns ou les autres. La France a, à la fois par rapport à ce problème, et dans cette région du monde, une politique qui est équilibrée, qui est active...
Q - C'était précisément la question que vous posait ce professeur de la Torah. Il a dit, de façon extrêmement nuancée, mais en gros, on sait qu'il y a eu, ne serait-ce que de la part du gouvernement israélien, mais aussi en France, pas mal de critiques sur la position que la France et le président de la République avaient pu prendre qui semblaient favoriser davantage la thèse palestinienne que la thèse israélienne, en tous cas lors des réunions qui ont eu lieu à Paris. Quelle est votre réponse précise là-dessus ? Est-ce que la France est partie prenante ?
R - Non, la France n'a pas de parti pris. La France est depuis longtemps dans cette région du monde un pays qui joue un rôle significatif, mais pas le premier. On sait que ce sont les Etats-Unis, c'est historique, qui sont l'interlocuteur principal en la matière.
Q - C'est pour cela que Bill Clinton sera demain à Charm el-Cheikh.
R - Absolument. Mais aussi les Européens sont là, à travers Javier Solana, qui ne jouera pas le même rôle que Bill Clinton, mais la présence européenne est importante et d'ailleurs je précise, parce qu'il y a eu des rumeurs là-dessus notamment hier à Biarritz, que cette présence n'a pas été exigée par les Européens, pas demandée par les Européens, mais demandée par les parties mêmes, demandée par M. Arafat, demandée et acceptée aussi par M. Barak. C'est bien de cela dont il s'agit. La France veut jouer un rôle de facilitateur de la paix. La France a une politique équilibrée. Ce n'est pas parce que nous avons constaté, il faut le dire, que la conduite de M. Sharon était une conduite un peu provocatrice, que nous avons pris une position déséquilibrée. Ce n'est pas parce que nous pensons qu'il est nécessaire, comme le rappelait tout à l'heure Hubert Védrine, qu'il y ait une Commission d'enquête internationale sur ce qui s'est produit, ne serait-ce que pour éviter que cela se reproduise, que nous avons une politique partiale. Nous savons très bien, d'ailleurs, que ce qui se produit dans cette région, les responsabilités des uns et des autres, les lynchages d'Israéliens qui ont été faits sont absolument insoutenables, insupportables.
Encore une fois, les dérives antisémites sont condamnables, impardonnables. Donc non, nous sommes à la fois équilibrés, objectifs, je l'espère, dans une région qui est habitée par les passions, dans un conflit qui suscite la passion, y compris chez nous. Je lance un appel à la tolérance et non pas à la suspicion, comme on peut le sentir à travers les interventions de la première et de la troisième personnes.
Q - Que répondez-vous précisément à cette jeune femme médecin d'origine palestinienne qui demande pourquoi la France, et l'Europe surtout, n'interviendraient pas militairement dans cette région, comme l'Europe a pu le faire dans les Balkans ?
R - Pour deux raisons qui sont extrêmement simples. Je sais qu'elles ne sont pas toujours faciles à comprendre, mais c'est clair :
Premièrement, nous ne sommes pas en Europe. Le Kosovo, c'était tout de même quelque chose qui se situait près de chez nous, aux confins de l'Union européenne. Il y avait là quelque chose qui remettait en cause les valeurs de notre propre civilisation, la civilisation européenne. Nous voyons bien aujourd'hui qu'avec la libération de la Serbie, c'est bien de cela dont il s'agit, c'est vers nous que les Serbes se tournent. M. Kostunica, le nouveau président élu yougoslave, était hier au Sommet européen de Biarritz et c'était quelque chose d'extrêmement important. L'avenir du Kosovo, l'avenir de la Yougoslavie, est dans l'Europe.
La deuxième chose est que c'est une zone où notre sphère d'influence, comme l'on dit, est plus proche, plus réelle. Nous étions avec les Américains dans cette affaire. Je rappelle tout de même que l'OTAN était en première ligne au Kosovo, mais aussi les pays de l'Union européenne. Donc, au Kosovo, nous étions plus proches.
Au Proche-Orient, reconnaissons que nous avons un rôle, encore une fois, souhaité, un rôle de facilitateur, un rôle d'incitateur au dialogue, mais nous ne sommes pas la puissance influente. Ce sont les Etats-Unis. On peut le critiquer, le regretter. Je souhaite que l'Europe devienne, dans les années qui viennent, la superpuissance diplomatique, le géant politique qu'elle doit être, et pas seulement une puissance économique. Mais pour l'heure, nous en sommes là, il y a des causes historiques diverses à cette puissance américaine.
Q - Au Sommet de Biarritz, vous y avez fait allusion, il a été évidemment beaucoup question, j'imagine, du Proche-Orient. C'est vrai que l'on comprend mal quand même : l'Union européenne est le premier bailleur de fonds dans les territoires occupés en particulier, et pourtant, jusqu'à la dernière minute semble-t-il, on s'est demandé si le représentant de la diplomatie européenne, Javier Solana, irait ou non.
R - C'est vrai.
Q - Mais il n'a qu'un strapontin, franchement.
R - Cela vient de ce que je viens d'expliquer à l'instant. Mais je voudrais dire deux choses : la première, c'est que l'Union européenne a lancé un appel, au début du Conseil européen de Biarritz, le premier jour. C'était vendredi, à l'heure du déjeuner, un appel à dépasser tout cela, à revenir au dialogue.
Q - C'était pour le moins !
R - Oui, mais cet appel a eu sa petite influence, parmi bien d'autres choses, mais il a eu son influence. Yasser Arafat l'a souligné. Il a été en contact constant avec les uns et les autres, notamment avec le président de la République. Il l'a informé hier matin de sa venue au Sommet de Charm el-Cheikh - je continue d'espérer et de croire en cela, comme étant l'hypothèse la plus probable, malgré les petits doutes qui ont pu naître ce soir. Et puis, la deuxième chose, c'est que M. Solana sera là. C'est vrai que nous nous sommes interrogés, mais il sera là. Il sera là, je pense, pour une des situations les plus importantes que l'Union européenne n'a jamais connue.
Prenez, par exemple, Camp David : l'Union européenne n'y était pas. Cela se passait sur le territoire américain. Il y avait notre envoyé spécial, M. Moratinos, qui est un ambassadeur, qui ne se trouvait pas très loin de là, dans un hôtel. On le tenait bien informé, mais là, pour le coup, c'était un strapontin. M. Solana sera directement à Charm el-Cheikh. Je pense que l'Europe est plus influente qu'elle ne l'a jamais été, et que la France, dans ce contexte, qui préside l'Union européenne, a joué son rôle qui est aussi un rôle d'influence, d'influence positive.
Q - Est-ce une preuve de ces coopérations renforcées qui, semble-t-il, ont été mises sur les rails à Biarritz ?
R - C'est la preuve, en tout cas, qu'en matière de Politique étrangère et de sécurité commune, ce qu'on appelle la PESC, en matière de défense aussi, l'Europe progresse considérablement. Elle a sans doute davantage progressé dans ces domaines, au cours des deux dernières années qu'au cours des cinquante années passées. Nous sommes loin du compte encore, mais je crois que nous y venons.
Q - Ariel Sharon, le leader de l'opposition israélienne, devait se rendre en France la semaine prochaine, mardi exactement. Apparemment, cette visite a été annulée. Est-ce que c'est à votre demande - quand je dis à votre demande, à la demande du gouvernement français - compte tenu du contexte ?
R - Je ne crois pas que les choses se soient exactement passées comme cela, mais je pense que le Premier ministre a su faire comprendre que ce n'était pas nécessairement la chose la plus utile dans le contexte. Il n'y a pas eu d'interdiction, il ne s'agit pas de cela ; il n'y a pas eu de contact diplomatique, mais un message a été passé par Lionel Jospin à Biarritz, un message assez clair, à savoir que nous n'avions pas demandé que M. Sharon vienne en France.
Q - Compte tenu de cette situation, êtes-vous favorable à la tenue d'une discussion sur ce thème à l'Assemblée nationale, en tout cas à la réunion d'urgence de la Commission des Affaires étrangère ?
R - Comme vous le savez, c'est le Parlement qui prendra les initiatives qu'il croit devoir prendre. Ce n'est pas le gouvernement.
Q - Vous pensez que ce sera utile ?
R - C'est possible.
Q - A Biarritz vous avez traité du Proche-Orient, l'ex-Yougoslavie et puis l'Union européenne, on va en parler. Sur l'ex-Yougoslavie, un accueil très particulier a été fait au nouveau président de la République de Serbie. Avez-vous eu des assurances pour ce qui concerne l'avenir des relations entre la Serbie et le Kosovo ?
R - D'abord, j'ai eu l'impression, et c'est tout à fait important, que M. Kostunica n'a rien a voir avec M. Milosevic. C'est un homme pondéré, calme, un homme qui pense, qui sait ou il va, un homme qui a une formation juridique.
Q - M. Milosevic pensait. Il pensait mal, mais il pensait.
R - Oui, mais là nous avons quelqu'un qui pense bien, et qui en plus a une pensée formée par ses origines de juriste. C'est extrêmement important. C'est quelqu'un qui est respectueux du droit, de la démocratie, que ce soit sur un plan national ou international. Pour le reste, il a pris, au cours de la conférence de presse avec le président de la République et le Premier ministre, une position intéressante qui n'a pas été beaucoup soulignée, disant notamment qu'il était nationaliste, mais un nationaliste défensif. Défensif dans le sens où c'est vrai qu'il était prêt à défendre les intérêts des Serbes, ceux des Yougoslaves, qu'il était serbe, mais contre les agressions extérieures, qu'il n'avait pas de visées sur le Monténégro ou le Kosovo. Il a eu des phrases assez précises.
Q - Justement, je voudrais être encore plus précis, étant donné que vous êtes ministre des Affaires européennes. Il y a eu une levée des sanctions. Est-ce qu'en échange de cette levée des sanctions, vous avez des assurances très précises en ce qui concerne les relations avec le Kosovo ? Il y a par exemple des prisonniers kosovars qui sont en Serbie, il y a la question des réfugiés Serbes.
R - Nous connaissons tout cela. Mais cela n'a pas été notre logique, nous n'avons pas dit qu'il y avait des conditions à la levée des sanctions. Nous avons estimé que nous étions dans une situation encore suffisamment fragile - elle l'est - , il n'y a pas encore de gouvernement. Par exemple aujourd'hui, il n'y a pas eu d'élections pour faire en sorte qu'il y ait une levée des sanctions de façon unilatérale. Nous faisons le pari de la démocratie, de consolider la position de cet homme qui, je crois, en vaut la peine. Mais Hubert Védrine, qui est en ce moment le président du Conseil Affaires générales, s'est rendu à Belgrade dès mardi. M. Kostunica était samedi à Biarritz. Nous avons parlé de tout, du Montenegro, du Kosovo, des prisonniers kosovars...
Mon sentiment est que le message passe et que M. Kostunica est un homme qui comprend effectivement que son avenir est dans l'Union européenne et que l'Union européenne souhaite que l'on ne revienne pas aux pratiques nationalistes, qui, justement, ont engendré les épurations ethniques, les guerres, les horreurs que nous avons connues dans la région. J'ai plutôt confiance en cet interlocuteur mais, soyez rassurés, l'Union européenne, si elle n'a pas posé de conditions à cette levée des sanctions, a tout de même des idées pour la suite des affaires. Faisons les choses dans l'ordre ! Commençons par consolider ce régime. Nous poserons ensuite les questions telles que celles que vous avez posées : le Kosovo, les réfugiés, et aussi le sort de M. Milosevic.
Q - A propos des sanctions, vous prononciez le mot...Une parenthèse à l'égard de l'Autriche. Avez-vous l'impression que les Français ont bien compris que l'Europe avait pris des sanctions à l'égard de l'Autriche il y a six mois et qu'elles soient levées aujourd'hui, alors que la France, en l'occurrence, avait été très en pointe sur ce sujet. Les Français ont-ils bien compris cet aller-retour ?
R - Ce n'est pas sûr que les Français aient compris, effectivement. Que s'est-il passé ? Nous avons pris ces sanctions car il y avait là-bas une coalition contre-nature.
Q - Qu'est-ce qui a changé depuis?
R - C'est assez simple. L'Union européenne a envoyé un groupe de sages qui a constaté que, sur le terrain, il n'y avait pas de violations des Droits de l'Homme, même si le parti de M. Haider, le FPÖ, demeure raciste, xénophobe, très ambigu. Donc, nous passons du stade des mesures diplomatiques au stade de la vigilance politique : il y a toujours une vigilance politique ; je considère toujours que l'alliance entre M. Haider et les conservateurs est une alliance anormale qu'il convient d'observer car il y a là un danger potentiel.
Q - Vous n'irez pas en Autriche si j'ai bien compris ?
R - Non, je n'irai pas en Autriche.
Q - Jusqu'à la fin du semestre, vous n'irez pas en Autriche ?
R - Je n'irai pas en Autriche. Il y a, toutefois, une question qui se pose, à laquelle je ne sais pas comment répondre : vous savez que le président de la République, avant le Sommet de Nice, fait la tournée des capitales. Puisqu'il n'y a plus de mesures diplomatiques à l'encontre de l'Autriche...
Q - Donc, il ira à Vienne ?
R - Cela n'est pas impossible.
Q - Vous l'accompagnerez ?
R - Non, je ne l'accompagnerai pas. Vous savez, je suis devenu la tête de turc des médias autrichiens.
Q - Ils n'aiment pas Jacques Chirac non plus...
R - C'est vrai, mais il ira dans un rôle plus fonctionnel. De toute façon, je doute que ce soit une rencontre extrêmement chaleureuse car je ne doute pas que les relations, les sentiments du président de la République à l'égard du gouvernement autrichien demeurent les mêmes, c'est-à-dire extrêmement vigilants. Il y a là-dessus une homogénéité de l'Exécutif. Mais je voudrais signaler autre chose : par rapport aux sanctions, les Français sont restés en pointe jusqu'à la fin, avec les Belges, et nous avons été obligés de constater qu'il n'y avait pas de front uni sur cette question.
Q - Vous avez été mis en minorité ?
R - Non, mais il n'y avait pas d'unanimité pour les maintenir.
Q - Revenons à ce qui s'est passé à Biarritz. Vous avez dit sur place qu'il soufflait un "esprit de Biarritz". Il a soufflé sur quoi cet esprit ? On a l'impression qu'il a surtout soufflé sur les braises et sur les dissensions, notamment entre les grands et les petits pays, sur tout ce qui touche aux réformes institutionnelles, qui sont très compliquées, mais qui, bien évidemment, remettent en cause le poids relatif des uns et des autres.
R - Un mot peut-être, pour dire de quoi on a parlé à Biarritz. On a parlé de la Serbie, d'Israël de la Palestine, mais ce n'était pas l'essentiel. Dix heures de travail. Toutes les heures de travail, à part les déjeuners et les dîners, des chefs d'Etat ont été consacrées à la Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire à la réforme des institutions européennes nécessaire avant l'élargissement de l'Union européenne. Quand je parle de "l'esprit de Biarritz", c'est que je suis obligé de constater, moi qui préside la plupart des réunions au niveau ministériel, qu'au niveau des ministres, on parlait de choses très techniques, sans débloquer vraiment les choses. Or, là, il y a eu un vrai échange. J'ai senti qu'aucun pays n'avait une volonté de bloquer, de veto, pour des raisons politiques ou idéologiques, mais qu'il y avait au contraire une volonté d'aboutir. Nous avons pu parler des sujets au fond.
Je constate d'ailleurs qu'il y a des sujets sur lesquels on a pu réellement progresser, d'autres sur lesquels on a commencé à circonscrire nos accords. Cela a été, de ce point de vue une très bonne discussion.
Quant au débat entre les grands et les petits, il est vrai que des relations ont été faites par certains, au dîner des chefs d'Etat et de gouvernement de vendredi, par certains, le Portugais et le Belge, je crois. Le mérite de ce Sommet a été de permettre une explication franche entre les uns et les autres. Elle a été, virile et amicale. Elle a aussi permis que l'on dépasse ce clivage entre les grands et les petits. Mon sentiment est que cela est fini, notamment parce que sur un des sujets (la composition de la Commission), l'enjeu était : faut-il une Commission qui ait moins ou plus de membres et qui soit mieux organisée ? Sur ce sujet, nous avons fait une proposition qui est que cela tourne, c'est-à-dire qu'un pays, y compris le nôtre, puisse ne pas avoir de commissaire pendant une période déterminée. Donc, nous ne sommes plus en train de dire : nous sommes grands, nous en avons deux, ou nous en avons un, pendant que vous n'en avez aucun ; nous sommes tous sur le même plan : c'est ce qu'on appelle l'intérêt général communautaire et je pense que cela a contribué à faire bouger les lignes. Il y a eu de vraies évolutions à Biarritz.
Q - Le paradoxe c'est que c'est la France qui bloque, notamment sur la majorité qualifiée...
R - Sur deux secteurs, nous souhaitons que l'on continue à voter à l'unanimité
Première chose : nous pensons qu'en matière de commerce extérieur, dès lors qu'il s'agit des services audiovisuels, si nous voulons préserver notre identité culturelle, il faut décider de façon consensuelle, c'est ce que nous faisons maintenant. Le deuxième sujet, c'est toute la politique de visas, d'asile, d'immigration, sur laquelle on a décidé qu'on passerait à la majorité qualifiée en 2004. Nous pensons qu'il n'existe pas aujourd'hui de rapport de force politique qui permette d'y passer avant. Sur le reste, nous sommes très allants. J'ai noté que sur une grosse moitié des 50 sujets sur lesquels on travaille dans le Conseil des ministres, les choses ont bien avancé.
Q - Ceux qui ne comptent pas énormément...On a quand même l'impression que c'est la France qui bloque sur la question de la majorité qualifiée. Sur tous les sujets importants, délicats, la justice, l'harmonisation fiscale, le commerce, l'agriculture...c'est la France qui bloque en Europe.
R - Je viens de vous dire ce qu'étaient les deux seuls sujets sur lesquels nous avons évoqué des réserves.
Q - Finalement vous êtes plus proches des Britanniques, vous êtes pour l'intergouvernemental, beaucoup plus que les Allemands ou les Italiens...
R - Nous sommes totalement pour la méthode communautaire, c'est-à-dire pour un équilibre entre les trois institutions communautaires : la Commission, le Parlement européen et le Conseil. Il est vrai que contrairement au président de la Commission, Romano Prodi, nous n'estimons pas qu'il faut le tout communautaire, qu'il faut négliger l'intergouvernemental. Il faut un bon équilibre entre les trois.
Sur la majorité qualifiée, nous avons considérablement réduit ce qu'étaient nos objections, justement parce que nous avons fait un travail technique. Je vais prendre deux matières que vous avez citées : la fiscalité et les problèmes de politique sociale. Nous sommes prêts à ouvrir les discussions en la matière pour passer à la majorité qualifiée. Quand on pense fiscalité, c'est vrai qu'on doit constater que le blocage britannique a conduit à ce qu'on ait en Europe une situation de concurrence fiscale là où il faudrait très nettement une harmonisation. Nous n'aurons pas une harmonisation, si l'on ne passe pas au vote à la majorité qualifiée au moins sur certaines matières fiscales. Donc, nous sommes très ouverts.
Nous avons évoqué deux problèmes qui sont des problèmes de principe. Je pense que ce n'est pas ici qu'on va me dire qu'il faudrait ouvrir complètement au vote à la majorité qualifiée, c'est-à-dire aux Anglo-Saxons, les décisions en matière audiovisuelle. Je pense que nous avons un modèle qui n'est pas anti-américain mais que nous ne souhaitons pas l'américanisation de la société française et de sa culture. Donc nous avons une exception - pas une exception - une identité à préserver.
Q - Pour terminer ce chapitre, vous avez aussi entériné à Biarritz ce qu'on appelle la Charte des droits fondamentaux européens. Est-ce un texte uniquement politique ou aura-t-il une valeur juridique importante ? Va-t-on le retrouver par exemple au sommet de Nice ? Pour vous, est-ce que ce serait un bon préambule à une future Constitution européenne ?
R - C'est un bon texte, un texte complet qui comprend à la fois les droits de la personne, les droits économiques et sociaux et aussi ce qu'on appelle les droits de troisième génération : la bioéthique, le droit des familles. Bref, c'est un texte extrêmement fort.
Q - Mais pas le droit des minorités ?
R - Cela n'est pas tout à fait compatible avec notre conception de ce qu'est la République, la Nation, l'Europe, qui n'est pas une collection de minorités. C'est un texte important, positif et c'est un texte dont on a décidé hier qu'on allait l'adopter sans y toucher. Donc, c'est le Conseil européen de Nice qui va voir les 3 institutions - voyez, c'est communautaire - le Conseil, la Commission, le Parlement, adopter cette charte. Reste un problème qui est effectivement celui de sa valeur juridique : là, on est obligés de constater qu'il n'y a pas aujourd'hui, dans le Conseil, - et c'était très clair à Biarritz - une majorité, ni même l'unanimité qui serait nécessaire, surtout pas une unanimité, pour l'intégrer dans les traités.
Q - En fait, vous vous êtes donné bonne conscience à Biarritz...
R - Je vais vous dire deux choses. La première est que, pour moi, il n'y a pas d'ambiguïté, la Charte sera un jour le préambule au traité constitutionnel que l'Union européenne devra adopter dans une deuxième étape. Je suis d'une clarté totale là-dessus. La deuxième est que je souhaiterais qu'on puisse faire une référence à la Charte dans les textes communautaires. Il y a ce qu'on appelle l'article 7, donc celui qui définit les violations des droits fondamentaux, par exemple ce qui pourrait s'appliquer mieux dans le cas autrichien, et dont on a parlé au Conseil européen. Et l'article 6 qui définit ce que sont ces droits fondamentaux. Dans cet article 6 - pardonnez-moi d'être technique - il y a une référence à un autre texte qui est la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui est celle du Conseil de l'Europe : puisque maintenant nous avons une charte qui reprendra la convention en allant plus loin, pourquoi ne pas dire : ce sont les droits prévus par la Convention et par la Charte. Voilà une proposition que je suis tout prêt à défendre à la CIG qui fera qu'il n'y ait pas intégration directe - les Britanniques par exemple ne l'accepteront pas, Tony Blair a été clair.
Q - Il l'a dit dès samedi...
R - Il l'avait dit avant beaucoup plus fortement. Ils se sont battus comme des lions contre la Charte. Tony Blair a finalement fait un geste en l'acceptant, à condition que ce ne soit pas contraignant. Pas de contrainte, pas de justiciabilité, comme on dit. Mais pourquoi pas une référence pour montrer que c'est un vrai acquis moral et politique pour l'Union européenne, celui dont elle a besoin, j'en suis sûr.
Q - Pourquoi un ministre des Affaires européennes, rattaché au Quai d'Orsay ? L'euro et sa faiblesse : la grande pagaille en 2002 ?
R - D'abord, sur la première question.
Q - Elle vous chatouille, elle vous gratouille...
R - Non, c'est peut-être plutôt le ministre des Affaires étrangères qu'elle gratouillerait...Je vais répondre sans vouloir faire de peine à Hubert Védrine. Il le sait, nous avons déjà eu ce débat plus d'une fois. Je ne crois pas qu'à l'avenir, le ministre des Affaires européennes doive être rattaché au Ministre des Affaires étrangères. Les Affaires européennes ne sont plus des Affaires étrangères. Ce sont des questions qui sont à l'interface avec l'extérieur, mais qui sont très présentes dans notre vie quotidienne. Il faut un ministre qui puisse avoir dans le gouvernement, auprès du Premier ministre, un rôle de coordination en matière d'Europe, c'est-à-dire pour voir aussi comment on transpose l'Europe dans notre droit. Je suis pour cette réforme. Je vous rassure d'ailleurs, pas pour moi, cela fait 3 ans et demi que je fais ce travail mais pour mes successeurs. Je pense que c'est essentiel si on veut avoir une plus grande efficacité, une plus grande coordination de l'action gouvernementale et si on veut éviter ce qu'on a vu : une méconnaissance, non pas du ministre des Affaires européennes, mais des Affaires européennes par le public. J'en ai une conviction très calme, très sereine et très souriante. Le ministre des Affaires étrangères le sait. Ce ne sera pas pour maintenant, peut-être pas en cohabitation non plus. Mais je pense que ce sera pour bientôt. C'est d'ailleurs une idée que défend Jacques Delors avec beaucoup de talent et de conviction et que, je crois, tous ceux qui connaissent les affaires européennes partagent.
J'en viens maintenant à l'euro. Il n'était pas possible, au moment où nous avons fait l'euro, de prévoir un passage immédiat - ce qu'on a appelé le big bang - ne serait-ce que pour des raisons qui tiennent au délai technique. Il faut à la fois organiser la sortie des billets, des pièces que nous avons aujourd'hui, qui sont nationaux, et prévoir la réalisation et l'introduction des nouvelles pièces et des billets. Il faut aussi que les entreprises, les particuliers puissent transférer leur comptabilité. Il y a toute une série de délais pour la préparation à l'euro pratique. Il était difficile d'aller plus vite. Cela dit, nous entrons maintenant dans une phase essentielle, celle de la fin de l'année de 2000, de l'année 2001, qui est la préparation à l'euro pratique. Ce sera une des priorités du gouvernement, car nous voulons éviter que ce soit une "belle pagaille", on pourrait dire plus, effectivement. Il est important que cela se passe dans le calme, que les choses soient claires et que le remplacement se fasse vite, au début de l'année 2002.
Q - (sur la sécurité alimentaire : une harmonisation européenne ?)
R - Nous avons, contre une certaine logique européenne et contre nos amis britanniques, décidé de conserver l'embargo sur le buf britannique. Ce qui se produit, d'ailleurs, ces derniers temps, ne nous conduit pas à revenir sur cette décision, ne serait-ce que parce qu'on constate une multiplication des cas de vache folle. Je prends le cas de mon département, le Doubs, il y a eu un cas, il y a deux semaines : c'est tout à fait traumatisant. Nous n'avons pas réussi à mettre fin à cette épidémie. Nous n'avons pas encore bien identifié ses canaux de transmission. Donc, il faut être prudent. C'est le sens des mesures qu'a aussi annoncé Jean Glavany à l'Assemblée, mardi ou mercredi dernier. Par ailleurs, il faut aussi renforcer la sécurité alimentaire et sanitaire, au niveau européen. C'est pour cela que nous proposons la création d'une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments, de la même façon qu'il existe une Agence française de sécurité sanitaire des aliments car nous pensons, non pas que nous devons transposer notre modèle, mais qu'il est tout à fait important d'avoir un contrôle, une harmonisation européennes. Là encore, la logique d'harmonisation doit l'emporter sur celle de concurrence et de protectionnisme, si nous voulons que l'avenir soit à l'Europe, si nous voulons aussi que ce soit synonyme de sécurité. Car l'Europe ne doit pas être insécurisante.
Q - (sur la charte : à cause de l'Europe, on va être obligés d'autoriser le travail de nuit des femmes)
R - C'est un autre problème. C'est une directive qui a été adoptée par le Conseil des ministres à l'unanimité, il y a plusieurs années, et que l'on doit transposer en tenant compte aussi du souhait des femmes. Donc, c'est en cours devant notre Parlement. Pour ce qui est de la Charte, elle ne marque pas un progrès sur tous les sujets par rapport au droit français, mais c'est un progrès pour le droit européen../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2000)
R - C'est une grande leçon d'humilité.
Q - Sauf à Montbéliard, dans votre circonscription.
R - Peut-être pas uniquement quand même. C'est vrai que la politique, de toute façon, est une bonne leçon d'humilité. Je suis un optimiste, je pense toujours aux vers de René Char : "Impose ta chance, sers ton bonheur, vas vers ton risque et à te regarder, ils s'habitueront."
Q - Voilà, c'est donc ce que vous êtes très nombreux à faire ce soir.
R - Pour le reste, ce qui m'inquiète le plus, - parce que je ne pense pas que ce soit lié à ma personne - c'est que c'est de l'Europe dont on parle trop peu. On en parle chez vous, on n'en parle pas assez dans les médias. On n'en parle pas forcément assez à la télévision. C'est vrai qu'il y a bien sûr mes propres défauts, mais il y aussi la fonction qui veut cela. On ne parle pas assez de l'Europe, et pourtant, je pense que c'est l'essentiel. Je crois que c'est l'avenir et je crois que c'est un sujet absolument déterminant.
Q - C'est bien évidemment d'Europe dont il sera beaucoup question ce soir, mais d'abord, actualité et drame obligent, le Proche-Orient. Demain, le sommet israélo-palestinien à Charm el-Cheikh, après une semaine de guerre qui n'a pas dit son nom. En France même, beaucoup d'émotions, beaucoup de tensions, beaucoup d'agressions antisémites. Nos journalistes à Paris ont rencontré des citoyens d'origine, de confession, d'opinions diverses qui ont des questions à vous poser sur l'intervention de l'Europe au Proche-Orient, la sécurité en France, attiser ou apaiser ?
R - Je ne crois pas que nous soyons dans une guerre de religion, ni en France, ni d'ailleurs au Proche-Orient. Je pense qu'il y a un conflit, qui, en fait, dure depuis des décennies, entre deux peuples qui n'ont pas appris à se tolérer, qui n'ont pas su faire la paix et qui doivent impérativement la faire parce qu'ils vivent sur la même terre et cela ne doit sûrement pas se projeter en France.
Je refuse complètement la thématique occupant-occupé, la thématique les uns contre les autres, les juifs contre les musulmans. Je n'accepte pas cela. Pas davantage que je ne n'accepte le déferlement de racisme et d'antisémitisme qui peut se produire, notamment l'antisémitisme. On ne doit pas libérer l'antisémitisme à l'occasion de ce qui se passe. Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait dans notre pays une sorte de retour du refoulé. Donc, je dis que tous ces gestes, à l'encontre des musulmans, ou aussi des gestes, et c'est surtout de cela dont il est question en ce moment, à l'encontre de la communauté juive, sont absolument inadmissibles, ils sont inacceptables. Je le dis avec beaucoup de clarté et là, je réponds à la deuxième question qui est posée. Il faut absolument, et le gouvernement y veille, assurer la sécurité des lieux de culte. Comme l'a dit le Premier ministre hier à Biarritz, la répression sera d'une fermeté absolue. Puis, il faut par ailleurs retrouver une atmosphère de tolérance et de dialogue, et les communautés ont un rôle à jouer et ne doivent pas intérioriser l'idée que l'on favorise les uns ou les autres. La France a, à la fois par rapport à ce problème, et dans cette région du monde, une politique qui est équilibrée, qui est active...
Q - C'était précisément la question que vous posait ce professeur de la Torah. Il a dit, de façon extrêmement nuancée, mais en gros, on sait qu'il y a eu, ne serait-ce que de la part du gouvernement israélien, mais aussi en France, pas mal de critiques sur la position que la France et le président de la République avaient pu prendre qui semblaient favoriser davantage la thèse palestinienne que la thèse israélienne, en tous cas lors des réunions qui ont eu lieu à Paris. Quelle est votre réponse précise là-dessus ? Est-ce que la France est partie prenante ?
R - Non, la France n'a pas de parti pris. La France est depuis longtemps dans cette région du monde un pays qui joue un rôle significatif, mais pas le premier. On sait que ce sont les Etats-Unis, c'est historique, qui sont l'interlocuteur principal en la matière.
Q - C'est pour cela que Bill Clinton sera demain à Charm el-Cheikh.
R - Absolument. Mais aussi les Européens sont là, à travers Javier Solana, qui ne jouera pas le même rôle que Bill Clinton, mais la présence européenne est importante et d'ailleurs je précise, parce qu'il y a eu des rumeurs là-dessus notamment hier à Biarritz, que cette présence n'a pas été exigée par les Européens, pas demandée par les Européens, mais demandée par les parties mêmes, demandée par M. Arafat, demandée et acceptée aussi par M. Barak. C'est bien de cela dont il s'agit. La France veut jouer un rôle de facilitateur de la paix. La France a une politique équilibrée. Ce n'est pas parce que nous avons constaté, il faut le dire, que la conduite de M. Sharon était une conduite un peu provocatrice, que nous avons pris une position déséquilibrée. Ce n'est pas parce que nous pensons qu'il est nécessaire, comme le rappelait tout à l'heure Hubert Védrine, qu'il y ait une Commission d'enquête internationale sur ce qui s'est produit, ne serait-ce que pour éviter que cela se reproduise, que nous avons une politique partiale. Nous savons très bien, d'ailleurs, que ce qui se produit dans cette région, les responsabilités des uns et des autres, les lynchages d'Israéliens qui ont été faits sont absolument insoutenables, insupportables.
Encore une fois, les dérives antisémites sont condamnables, impardonnables. Donc non, nous sommes à la fois équilibrés, objectifs, je l'espère, dans une région qui est habitée par les passions, dans un conflit qui suscite la passion, y compris chez nous. Je lance un appel à la tolérance et non pas à la suspicion, comme on peut le sentir à travers les interventions de la première et de la troisième personnes.
Q - Que répondez-vous précisément à cette jeune femme médecin d'origine palestinienne qui demande pourquoi la France, et l'Europe surtout, n'interviendraient pas militairement dans cette région, comme l'Europe a pu le faire dans les Balkans ?
R - Pour deux raisons qui sont extrêmement simples. Je sais qu'elles ne sont pas toujours faciles à comprendre, mais c'est clair :
Premièrement, nous ne sommes pas en Europe. Le Kosovo, c'était tout de même quelque chose qui se situait près de chez nous, aux confins de l'Union européenne. Il y avait là quelque chose qui remettait en cause les valeurs de notre propre civilisation, la civilisation européenne. Nous voyons bien aujourd'hui qu'avec la libération de la Serbie, c'est bien de cela dont il s'agit, c'est vers nous que les Serbes se tournent. M. Kostunica, le nouveau président élu yougoslave, était hier au Sommet européen de Biarritz et c'était quelque chose d'extrêmement important. L'avenir du Kosovo, l'avenir de la Yougoslavie, est dans l'Europe.
La deuxième chose est que c'est une zone où notre sphère d'influence, comme l'on dit, est plus proche, plus réelle. Nous étions avec les Américains dans cette affaire. Je rappelle tout de même que l'OTAN était en première ligne au Kosovo, mais aussi les pays de l'Union européenne. Donc, au Kosovo, nous étions plus proches.
Au Proche-Orient, reconnaissons que nous avons un rôle, encore une fois, souhaité, un rôle de facilitateur, un rôle d'incitateur au dialogue, mais nous ne sommes pas la puissance influente. Ce sont les Etats-Unis. On peut le critiquer, le regretter. Je souhaite que l'Europe devienne, dans les années qui viennent, la superpuissance diplomatique, le géant politique qu'elle doit être, et pas seulement une puissance économique. Mais pour l'heure, nous en sommes là, il y a des causes historiques diverses à cette puissance américaine.
Q - Au Sommet de Biarritz, vous y avez fait allusion, il a été évidemment beaucoup question, j'imagine, du Proche-Orient. C'est vrai que l'on comprend mal quand même : l'Union européenne est le premier bailleur de fonds dans les territoires occupés en particulier, et pourtant, jusqu'à la dernière minute semble-t-il, on s'est demandé si le représentant de la diplomatie européenne, Javier Solana, irait ou non.
R - C'est vrai.
Q - Mais il n'a qu'un strapontin, franchement.
R - Cela vient de ce que je viens d'expliquer à l'instant. Mais je voudrais dire deux choses : la première, c'est que l'Union européenne a lancé un appel, au début du Conseil européen de Biarritz, le premier jour. C'était vendredi, à l'heure du déjeuner, un appel à dépasser tout cela, à revenir au dialogue.
Q - C'était pour le moins !
R - Oui, mais cet appel a eu sa petite influence, parmi bien d'autres choses, mais il a eu son influence. Yasser Arafat l'a souligné. Il a été en contact constant avec les uns et les autres, notamment avec le président de la République. Il l'a informé hier matin de sa venue au Sommet de Charm el-Cheikh - je continue d'espérer et de croire en cela, comme étant l'hypothèse la plus probable, malgré les petits doutes qui ont pu naître ce soir. Et puis, la deuxième chose, c'est que M. Solana sera là. C'est vrai que nous nous sommes interrogés, mais il sera là. Il sera là, je pense, pour une des situations les plus importantes que l'Union européenne n'a jamais connue.
Prenez, par exemple, Camp David : l'Union européenne n'y était pas. Cela se passait sur le territoire américain. Il y avait notre envoyé spécial, M. Moratinos, qui est un ambassadeur, qui ne se trouvait pas très loin de là, dans un hôtel. On le tenait bien informé, mais là, pour le coup, c'était un strapontin. M. Solana sera directement à Charm el-Cheikh. Je pense que l'Europe est plus influente qu'elle ne l'a jamais été, et que la France, dans ce contexte, qui préside l'Union européenne, a joué son rôle qui est aussi un rôle d'influence, d'influence positive.
Q - Est-ce une preuve de ces coopérations renforcées qui, semble-t-il, ont été mises sur les rails à Biarritz ?
R - C'est la preuve, en tout cas, qu'en matière de Politique étrangère et de sécurité commune, ce qu'on appelle la PESC, en matière de défense aussi, l'Europe progresse considérablement. Elle a sans doute davantage progressé dans ces domaines, au cours des deux dernières années qu'au cours des cinquante années passées. Nous sommes loin du compte encore, mais je crois que nous y venons.
Q - Ariel Sharon, le leader de l'opposition israélienne, devait se rendre en France la semaine prochaine, mardi exactement. Apparemment, cette visite a été annulée. Est-ce que c'est à votre demande - quand je dis à votre demande, à la demande du gouvernement français - compte tenu du contexte ?
R - Je ne crois pas que les choses se soient exactement passées comme cela, mais je pense que le Premier ministre a su faire comprendre que ce n'était pas nécessairement la chose la plus utile dans le contexte. Il n'y a pas eu d'interdiction, il ne s'agit pas de cela ; il n'y a pas eu de contact diplomatique, mais un message a été passé par Lionel Jospin à Biarritz, un message assez clair, à savoir que nous n'avions pas demandé que M. Sharon vienne en France.
Q - Compte tenu de cette situation, êtes-vous favorable à la tenue d'une discussion sur ce thème à l'Assemblée nationale, en tout cas à la réunion d'urgence de la Commission des Affaires étrangère ?
R - Comme vous le savez, c'est le Parlement qui prendra les initiatives qu'il croit devoir prendre. Ce n'est pas le gouvernement.
Q - Vous pensez que ce sera utile ?
R - C'est possible.
Q - A Biarritz vous avez traité du Proche-Orient, l'ex-Yougoslavie et puis l'Union européenne, on va en parler. Sur l'ex-Yougoslavie, un accueil très particulier a été fait au nouveau président de la République de Serbie. Avez-vous eu des assurances pour ce qui concerne l'avenir des relations entre la Serbie et le Kosovo ?
R - D'abord, j'ai eu l'impression, et c'est tout à fait important, que M. Kostunica n'a rien a voir avec M. Milosevic. C'est un homme pondéré, calme, un homme qui pense, qui sait ou il va, un homme qui a une formation juridique.
Q - M. Milosevic pensait. Il pensait mal, mais il pensait.
R - Oui, mais là nous avons quelqu'un qui pense bien, et qui en plus a une pensée formée par ses origines de juriste. C'est extrêmement important. C'est quelqu'un qui est respectueux du droit, de la démocratie, que ce soit sur un plan national ou international. Pour le reste, il a pris, au cours de la conférence de presse avec le président de la République et le Premier ministre, une position intéressante qui n'a pas été beaucoup soulignée, disant notamment qu'il était nationaliste, mais un nationaliste défensif. Défensif dans le sens où c'est vrai qu'il était prêt à défendre les intérêts des Serbes, ceux des Yougoslaves, qu'il était serbe, mais contre les agressions extérieures, qu'il n'avait pas de visées sur le Monténégro ou le Kosovo. Il a eu des phrases assez précises.
Q - Justement, je voudrais être encore plus précis, étant donné que vous êtes ministre des Affaires européennes. Il y a eu une levée des sanctions. Est-ce qu'en échange de cette levée des sanctions, vous avez des assurances très précises en ce qui concerne les relations avec le Kosovo ? Il y a par exemple des prisonniers kosovars qui sont en Serbie, il y a la question des réfugiés Serbes.
R - Nous connaissons tout cela. Mais cela n'a pas été notre logique, nous n'avons pas dit qu'il y avait des conditions à la levée des sanctions. Nous avons estimé que nous étions dans une situation encore suffisamment fragile - elle l'est - , il n'y a pas encore de gouvernement. Par exemple aujourd'hui, il n'y a pas eu d'élections pour faire en sorte qu'il y ait une levée des sanctions de façon unilatérale. Nous faisons le pari de la démocratie, de consolider la position de cet homme qui, je crois, en vaut la peine. Mais Hubert Védrine, qui est en ce moment le président du Conseil Affaires générales, s'est rendu à Belgrade dès mardi. M. Kostunica était samedi à Biarritz. Nous avons parlé de tout, du Montenegro, du Kosovo, des prisonniers kosovars...
Mon sentiment est que le message passe et que M. Kostunica est un homme qui comprend effectivement que son avenir est dans l'Union européenne et que l'Union européenne souhaite que l'on ne revienne pas aux pratiques nationalistes, qui, justement, ont engendré les épurations ethniques, les guerres, les horreurs que nous avons connues dans la région. J'ai plutôt confiance en cet interlocuteur mais, soyez rassurés, l'Union européenne, si elle n'a pas posé de conditions à cette levée des sanctions, a tout de même des idées pour la suite des affaires. Faisons les choses dans l'ordre ! Commençons par consolider ce régime. Nous poserons ensuite les questions telles que celles que vous avez posées : le Kosovo, les réfugiés, et aussi le sort de M. Milosevic.
Q - A propos des sanctions, vous prononciez le mot...Une parenthèse à l'égard de l'Autriche. Avez-vous l'impression que les Français ont bien compris que l'Europe avait pris des sanctions à l'égard de l'Autriche il y a six mois et qu'elles soient levées aujourd'hui, alors que la France, en l'occurrence, avait été très en pointe sur ce sujet. Les Français ont-ils bien compris cet aller-retour ?
R - Ce n'est pas sûr que les Français aient compris, effectivement. Que s'est-il passé ? Nous avons pris ces sanctions car il y avait là-bas une coalition contre-nature.
Q - Qu'est-ce qui a changé depuis?
R - C'est assez simple. L'Union européenne a envoyé un groupe de sages qui a constaté que, sur le terrain, il n'y avait pas de violations des Droits de l'Homme, même si le parti de M. Haider, le FPÖ, demeure raciste, xénophobe, très ambigu. Donc, nous passons du stade des mesures diplomatiques au stade de la vigilance politique : il y a toujours une vigilance politique ; je considère toujours que l'alliance entre M. Haider et les conservateurs est une alliance anormale qu'il convient d'observer car il y a là un danger potentiel.
Q - Vous n'irez pas en Autriche si j'ai bien compris ?
R - Non, je n'irai pas en Autriche.
Q - Jusqu'à la fin du semestre, vous n'irez pas en Autriche ?
R - Je n'irai pas en Autriche. Il y a, toutefois, une question qui se pose, à laquelle je ne sais pas comment répondre : vous savez que le président de la République, avant le Sommet de Nice, fait la tournée des capitales. Puisqu'il n'y a plus de mesures diplomatiques à l'encontre de l'Autriche...
Q - Donc, il ira à Vienne ?
R - Cela n'est pas impossible.
Q - Vous l'accompagnerez ?
R - Non, je ne l'accompagnerai pas. Vous savez, je suis devenu la tête de turc des médias autrichiens.
Q - Ils n'aiment pas Jacques Chirac non plus...
R - C'est vrai, mais il ira dans un rôle plus fonctionnel. De toute façon, je doute que ce soit une rencontre extrêmement chaleureuse car je ne doute pas que les relations, les sentiments du président de la République à l'égard du gouvernement autrichien demeurent les mêmes, c'est-à-dire extrêmement vigilants. Il y a là-dessus une homogénéité de l'Exécutif. Mais je voudrais signaler autre chose : par rapport aux sanctions, les Français sont restés en pointe jusqu'à la fin, avec les Belges, et nous avons été obligés de constater qu'il n'y avait pas de front uni sur cette question.
Q - Vous avez été mis en minorité ?
R - Non, mais il n'y avait pas d'unanimité pour les maintenir.
Q - Revenons à ce qui s'est passé à Biarritz. Vous avez dit sur place qu'il soufflait un "esprit de Biarritz". Il a soufflé sur quoi cet esprit ? On a l'impression qu'il a surtout soufflé sur les braises et sur les dissensions, notamment entre les grands et les petits pays, sur tout ce qui touche aux réformes institutionnelles, qui sont très compliquées, mais qui, bien évidemment, remettent en cause le poids relatif des uns et des autres.
R - Un mot peut-être, pour dire de quoi on a parlé à Biarritz. On a parlé de la Serbie, d'Israël de la Palestine, mais ce n'était pas l'essentiel. Dix heures de travail. Toutes les heures de travail, à part les déjeuners et les dîners, des chefs d'Etat ont été consacrées à la Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire à la réforme des institutions européennes nécessaire avant l'élargissement de l'Union européenne. Quand je parle de "l'esprit de Biarritz", c'est que je suis obligé de constater, moi qui préside la plupart des réunions au niveau ministériel, qu'au niveau des ministres, on parlait de choses très techniques, sans débloquer vraiment les choses. Or, là, il y a eu un vrai échange. J'ai senti qu'aucun pays n'avait une volonté de bloquer, de veto, pour des raisons politiques ou idéologiques, mais qu'il y avait au contraire une volonté d'aboutir. Nous avons pu parler des sujets au fond.
Je constate d'ailleurs qu'il y a des sujets sur lesquels on a pu réellement progresser, d'autres sur lesquels on a commencé à circonscrire nos accords. Cela a été, de ce point de vue une très bonne discussion.
Quant au débat entre les grands et les petits, il est vrai que des relations ont été faites par certains, au dîner des chefs d'Etat et de gouvernement de vendredi, par certains, le Portugais et le Belge, je crois. Le mérite de ce Sommet a été de permettre une explication franche entre les uns et les autres. Elle a été, virile et amicale. Elle a aussi permis que l'on dépasse ce clivage entre les grands et les petits. Mon sentiment est que cela est fini, notamment parce que sur un des sujets (la composition de la Commission), l'enjeu était : faut-il une Commission qui ait moins ou plus de membres et qui soit mieux organisée ? Sur ce sujet, nous avons fait une proposition qui est que cela tourne, c'est-à-dire qu'un pays, y compris le nôtre, puisse ne pas avoir de commissaire pendant une période déterminée. Donc, nous ne sommes plus en train de dire : nous sommes grands, nous en avons deux, ou nous en avons un, pendant que vous n'en avez aucun ; nous sommes tous sur le même plan : c'est ce qu'on appelle l'intérêt général communautaire et je pense que cela a contribué à faire bouger les lignes. Il y a eu de vraies évolutions à Biarritz.
Q - Le paradoxe c'est que c'est la France qui bloque, notamment sur la majorité qualifiée...
R - Sur deux secteurs, nous souhaitons que l'on continue à voter à l'unanimité
Première chose : nous pensons qu'en matière de commerce extérieur, dès lors qu'il s'agit des services audiovisuels, si nous voulons préserver notre identité culturelle, il faut décider de façon consensuelle, c'est ce que nous faisons maintenant. Le deuxième sujet, c'est toute la politique de visas, d'asile, d'immigration, sur laquelle on a décidé qu'on passerait à la majorité qualifiée en 2004. Nous pensons qu'il n'existe pas aujourd'hui de rapport de force politique qui permette d'y passer avant. Sur le reste, nous sommes très allants. J'ai noté que sur une grosse moitié des 50 sujets sur lesquels on travaille dans le Conseil des ministres, les choses ont bien avancé.
Q - Ceux qui ne comptent pas énormément...On a quand même l'impression que c'est la France qui bloque sur la question de la majorité qualifiée. Sur tous les sujets importants, délicats, la justice, l'harmonisation fiscale, le commerce, l'agriculture...c'est la France qui bloque en Europe.
R - Je viens de vous dire ce qu'étaient les deux seuls sujets sur lesquels nous avons évoqué des réserves.
Q - Finalement vous êtes plus proches des Britanniques, vous êtes pour l'intergouvernemental, beaucoup plus que les Allemands ou les Italiens...
R - Nous sommes totalement pour la méthode communautaire, c'est-à-dire pour un équilibre entre les trois institutions communautaires : la Commission, le Parlement européen et le Conseil. Il est vrai que contrairement au président de la Commission, Romano Prodi, nous n'estimons pas qu'il faut le tout communautaire, qu'il faut négliger l'intergouvernemental. Il faut un bon équilibre entre les trois.
Sur la majorité qualifiée, nous avons considérablement réduit ce qu'étaient nos objections, justement parce que nous avons fait un travail technique. Je vais prendre deux matières que vous avez citées : la fiscalité et les problèmes de politique sociale. Nous sommes prêts à ouvrir les discussions en la matière pour passer à la majorité qualifiée. Quand on pense fiscalité, c'est vrai qu'on doit constater que le blocage britannique a conduit à ce qu'on ait en Europe une situation de concurrence fiscale là où il faudrait très nettement une harmonisation. Nous n'aurons pas une harmonisation, si l'on ne passe pas au vote à la majorité qualifiée au moins sur certaines matières fiscales. Donc, nous sommes très ouverts.
Nous avons évoqué deux problèmes qui sont des problèmes de principe. Je pense que ce n'est pas ici qu'on va me dire qu'il faudrait ouvrir complètement au vote à la majorité qualifiée, c'est-à-dire aux Anglo-Saxons, les décisions en matière audiovisuelle. Je pense que nous avons un modèle qui n'est pas anti-américain mais que nous ne souhaitons pas l'américanisation de la société française et de sa culture. Donc nous avons une exception - pas une exception - une identité à préserver.
Q - Pour terminer ce chapitre, vous avez aussi entériné à Biarritz ce qu'on appelle la Charte des droits fondamentaux européens. Est-ce un texte uniquement politique ou aura-t-il une valeur juridique importante ? Va-t-on le retrouver par exemple au sommet de Nice ? Pour vous, est-ce que ce serait un bon préambule à une future Constitution européenne ?
R - C'est un bon texte, un texte complet qui comprend à la fois les droits de la personne, les droits économiques et sociaux et aussi ce qu'on appelle les droits de troisième génération : la bioéthique, le droit des familles. Bref, c'est un texte extrêmement fort.
Q - Mais pas le droit des minorités ?
R - Cela n'est pas tout à fait compatible avec notre conception de ce qu'est la République, la Nation, l'Europe, qui n'est pas une collection de minorités. C'est un texte important, positif et c'est un texte dont on a décidé hier qu'on allait l'adopter sans y toucher. Donc, c'est le Conseil européen de Nice qui va voir les 3 institutions - voyez, c'est communautaire - le Conseil, la Commission, le Parlement, adopter cette charte. Reste un problème qui est effectivement celui de sa valeur juridique : là, on est obligés de constater qu'il n'y a pas aujourd'hui, dans le Conseil, - et c'était très clair à Biarritz - une majorité, ni même l'unanimité qui serait nécessaire, surtout pas une unanimité, pour l'intégrer dans les traités.
Q - En fait, vous vous êtes donné bonne conscience à Biarritz...
R - Je vais vous dire deux choses. La première est que, pour moi, il n'y a pas d'ambiguïté, la Charte sera un jour le préambule au traité constitutionnel que l'Union européenne devra adopter dans une deuxième étape. Je suis d'une clarté totale là-dessus. La deuxième est que je souhaiterais qu'on puisse faire une référence à la Charte dans les textes communautaires. Il y a ce qu'on appelle l'article 7, donc celui qui définit les violations des droits fondamentaux, par exemple ce qui pourrait s'appliquer mieux dans le cas autrichien, et dont on a parlé au Conseil européen. Et l'article 6 qui définit ce que sont ces droits fondamentaux. Dans cet article 6 - pardonnez-moi d'être technique - il y a une référence à un autre texte qui est la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui est celle du Conseil de l'Europe : puisque maintenant nous avons une charte qui reprendra la convention en allant plus loin, pourquoi ne pas dire : ce sont les droits prévus par la Convention et par la Charte. Voilà une proposition que je suis tout prêt à défendre à la CIG qui fera qu'il n'y ait pas intégration directe - les Britanniques par exemple ne l'accepteront pas, Tony Blair a été clair.
Q - Il l'a dit dès samedi...
R - Il l'avait dit avant beaucoup plus fortement. Ils se sont battus comme des lions contre la Charte. Tony Blair a finalement fait un geste en l'acceptant, à condition que ce ne soit pas contraignant. Pas de contrainte, pas de justiciabilité, comme on dit. Mais pourquoi pas une référence pour montrer que c'est un vrai acquis moral et politique pour l'Union européenne, celui dont elle a besoin, j'en suis sûr.
Q - Pourquoi un ministre des Affaires européennes, rattaché au Quai d'Orsay ? L'euro et sa faiblesse : la grande pagaille en 2002 ?
R - D'abord, sur la première question.
Q - Elle vous chatouille, elle vous gratouille...
R - Non, c'est peut-être plutôt le ministre des Affaires étrangères qu'elle gratouillerait...Je vais répondre sans vouloir faire de peine à Hubert Védrine. Il le sait, nous avons déjà eu ce débat plus d'une fois. Je ne crois pas qu'à l'avenir, le ministre des Affaires européennes doive être rattaché au Ministre des Affaires étrangères. Les Affaires européennes ne sont plus des Affaires étrangères. Ce sont des questions qui sont à l'interface avec l'extérieur, mais qui sont très présentes dans notre vie quotidienne. Il faut un ministre qui puisse avoir dans le gouvernement, auprès du Premier ministre, un rôle de coordination en matière d'Europe, c'est-à-dire pour voir aussi comment on transpose l'Europe dans notre droit. Je suis pour cette réforme. Je vous rassure d'ailleurs, pas pour moi, cela fait 3 ans et demi que je fais ce travail mais pour mes successeurs. Je pense que c'est essentiel si on veut avoir une plus grande efficacité, une plus grande coordination de l'action gouvernementale et si on veut éviter ce qu'on a vu : une méconnaissance, non pas du ministre des Affaires européennes, mais des Affaires européennes par le public. J'en ai une conviction très calme, très sereine et très souriante. Le ministre des Affaires étrangères le sait. Ce ne sera pas pour maintenant, peut-être pas en cohabitation non plus. Mais je pense que ce sera pour bientôt. C'est d'ailleurs une idée que défend Jacques Delors avec beaucoup de talent et de conviction et que, je crois, tous ceux qui connaissent les affaires européennes partagent.
J'en viens maintenant à l'euro. Il n'était pas possible, au moment où nous avons fait l'euro, de prévoir un passage immédiat - ce qu'on a appelé le big bang - ne serait-ce que pour des raisons qui tiennent au délai technique. Il faut à la fois organiser la sortie des billets, des pièces que nous avons aujourd'hui, qui sont nationaux, et prévoir la réalisation et l'introduction des nouvelles pièces et des billets. Il faut aussi que les entreprises, les particuliers puissent transférer leur comptabilité. Il y a toute une série de délais pour la préparation à l'euro pratique. Il était difficile d'aller plus vite. Cela dit, nous entrons maintenant dans une phase essentielle, celle de la fin de l'année de 2000, de l'année 2001, qui est la préparation à l'euro pratique. Ce sera une des priorités du gouvernement, car nous voulons éviter que ce soit une "belle pagaille", on pourrait dire plus, effectivement. Il est important que cela se passe dans le calme, que les choses soient claires et que le remplacement se fasse vite, au début de l'année 2002.
Q - (sur la sécurité alimentaire : une harmonisation européenne ?)
R - Nous avons, contre une certaine logique européenne et contre nos amis britanniques, décidé de conserver l'embargo sur le buf britannique. Ce qui se produit, d'ailleurs, ces derniers temps, ne nous conduit pas à revenir sur cette décision, ne serait-ce que parce qu'on constate une multiplication des cas de vache folle. Je prends le cas de mon département, le Doubs, il y a eu un cas, il y a deux semaines : c'est tout à fait traumatisant. Nous n'avons pas réussi à mettre fin à cette épidémie. Nous n'avons pas encore bien identifié ses canaux de transmission. Donc, il faut être prudent. C'est le sens des mesures qu'a aussi annoncé Jean Glavany à l'Assemblée, mardi ou mercredi dernier. Par ailleurs, il faut aussi renforcer la sécurité alimentaire et sanitaire, au niveau européen. C'est pour cela que nous proposons la création d'une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments, de la même façon qu'il existe une Agence française de sécurité sanitaire des aliments car nous pensons, non pas que nous devons transposer notre modèle, mais qu'il est tout à fait important d'avoir un contrôle, une harmonisation européennes. Là encore, la logique d'harmonisation doit l'emporter sur celle de concurrence et de protectionnisme, si nous voulons que l'avenir soit à l'Europe, si nous voulons aussi que ce soit synonyme de sécurité. Car l'Europe ne doit pas être insécurisante.
Q - (sur la charte : à cause de l'Europe, on va être obligés d'autoriser le travail de nuit des femmes)
R - C'est un autre problème. C'est une directive qui a été adoptée par le Conseil des ministres à l'unanimité, il y a plusieurs années, et que l'on doit transposer en tenant compte aussi du souhait des femmes. Donc, c'est en cours devant notre Parlement. Pour ce qui est de la Charte, elle ne marque pas un progrès sur tous les sujets par rapport au droit français, mais c'est un progrès pour le droit européen../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2000)