Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le bilan, et les perspectives de la politique économique du gouvernement, Paris le 12 janvier 1995.

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Circonstance : Forum de l'Expansion, Paris le 12 janvier 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Le début de l'année est une période propice pour faire le point sur les perspectives économiques et sur les orientations de la politique économique. Vous comprendrez que face à une telle question je souhaite au préalable rappeler le chemin parcouru depuis deux ans. Vous comprendrez aussi qu'au delà des questions immédiates, j'évoque, en cette année décisive pour la France, les grands défis auxquels notre économie est confrontée à la veille du XXIe siècle.
En avril 1993, la France était en récession; elle était plongée dans la plus grave crise qu'elle ait connue depuis la guerre. L'activité venait de reculer de 1 %. La construction de logements se situait à son plus bas niveau depuis 1954. Le nombre de chômeurs s'accroissait de 30 000 par mois.
Le déficit budgétaire atteignait 341 milliards de francs, soit plus du double de l'objectif que le Gouvernement précédent avait fixé quelques mois plus tôt. Le déficit du Régime Général menaçait d'atteindre 80 milliards de francs en 1993 et 110 milliards en 1994.
La période de 1993 à 1995 devait, à mes yeux, permettre le retour de la croissance ; aujourd'hui, chacun le constate, la croissance est revenue, elle est même revenue plus rapidement que prévu. Le taux de croissance a atteint 2,4 % en 1994. Il pourrait dépasser, en 1995, les 3,1 % retenus par le Gouvernement en septembre dernier. Ce chiffre est parmi les plus élevés en Europe.
Mais ce qui est le plus important c'est que l'emploi est à nouveau orienté à la hausse après quatre années de baisse ; 210 000 emplois auraient été crées en 1994. Les offres d'emplois ont augmenté de plus de 50 %. Pour 1995, le Gouvernement prévoit 260 à 300 000 créations d'emplois et 200 000 chômeurs en moins.
Comment sommes-nous parvenus à ces résultats et à ces perspectives plus favorables ? La reprise des économies de l'Europe continentale, notamment de l'Allemagne, la croissance vigoureuse des économies anglo-saxonnes et le dynamisme de l'Asie du Sud-Est ainsi que de la Chine y ont contribué. Toutefois, la demande extérieure ne suffit pas à elle seule à expliquer la vigueur de la reprise.
La nouvelle politique économique, que le Gouvernement a mise en oeuvre y a aussi contribué en assurant les conditions nécessaires au redressement. De fait, la demande intérieure a progressivement pris le relais de l'extérieur pour soutenir la reprise. Ainsi, la consommation des ménages en produits manufacturés est en hausse de 4,4 % sur un an et le nombre de mises en chantiers de logement est revenu à 300 000 sur douze mois, soit 20 % de plus qu'au printemps de 1993.
La première tâche de mon Gouvernement a été de restaurer la confiance. A cet effet, le redressement des finances de l'État a été inscrit dans une perspective quinquennale qui impose de ramener le déficit budgétaire à 2,5 % du PIB en 1997 et 2 % du PIB en 1998. De 341 milliards de francs en 1993, le déficit a été réduit à 275 milliards de francs pour 1995.
Parallèlement, le Gouvernement a levé les incertitudes qui pesaient sur l'avenir de l'assurance vieillesse et a enrayé la dérive des comptes sociaux. Le déficit du Régime Général qui allait dépasser 110 milliards de francs en 1994 a été ramené à 54 milliards de francs en dépit de moins values importantes de cotisations sociales. Il devrait se situer aux environs de 50 milliards de francs en 1995. C'est grâce à la maîtrise des dépenses de santé que ce résultat a été obtenu. Aujourd'hui, la progression des dépenses est revenue sur un rythme annuel de 3 %, alors qu'il était du double les années précédentes.
Les conditions nécessaires à la stabilité de notre monnaie ont été assurées et le système monétaire européen a été préservé. Je souligne que la stabilité monétaire a constitué un puissant facteur d'accompagnement de la reprise. La modération de l'inflation a procuré des gains non négligeables de pouvoir d'achat aux salariés et aux entreprises. D'un autre côté, la confiance accrue dans notre monnaie a permis de réduire de moitié les taux d'intérêt sur le marché monétaire et de diminuer sensiblement le coût du crédit. Selon l'enquête de la Banque de France, celui-ci a baissé en moyenne de trois points depuis la formation du Gouvernement.
Afin de soutenir le redémarrage de la demande des ménages, le Gouvernement a aussi adopté des mesures plus ciblées. L'allocation de rentrée scolaire a vu son montant triplé. L'impôt sur le revenu a été allégé de 6,2 % en moyenne, près de la moitié des ménages bénéficiant d'une réduction supérieure à 10 %. Le marché de l'automobile et celui du logement, particulièrement déprimés en 1993, ont retrouvé leur niveau d'avant la crise grâce au soutien dont ils ont fait l'objet.
Par ailleurs, la poursuite des privatisations a contribué à l'amélioration de l'efficacité de l'économie. La suppression du décalage d'un mois sur la TVA a conforté, en priorité, la situation financière des petites et moyennes entreprises. Au total, ce sont 52 milliards de francs qui ont ainsi été remboursés aux entreprises, 98 % d'entre elles ayant été intégralement remboursées. En matière de financement, de nombreuses mesures ont été prises pour faciliter l'accès au crédit des petites entreprises et favoriser le renforcement de leurs fonds propres.
Les résultats ne se sont pas fait attendre. La situation financière des entreprises s'est
redressée ; pour la première fois depuis 1982, le nombre des défaillances d'entreprises a diminué en 1994 par rapport à l'année précédente.
L'ensemble de ces mesures s'est articulé autour de ce qui a constitué et qui demeure la principale priorité de mon Gouvernement: la lutte pour l'emploi. Des dispositions importantes ont été adoptées dont l'originalité mérite d'être soulignée : droit pour tout jeune de sortir du système éducatif avec un diplôme ou une qualification, soit d'enseignement général, soit de formation professionnelle ; développement de l'apprentissage ; assouplissement de l'organisation du travail ; exonération progressive des cotisations familiales sur les bas salaires ; simplification des procédures administratives liées à l'emploi d'une personne à domicile, grâce au chèque service ; réorientation des dépenses d'indemnisation des chômeurs de longue durée vers des dépenses incitant à la reprise d'activité. Par ailleurs, des dispositifs dont l'efficacité est avérée ont été substantiellement améliorés ; c'est notamment le cas de l'aide à l'emploi à temps partiel et de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, qui vient d'être portée à 45 000 francs. Les créations d'emploi et la diminution du chômage des jeunes observées en 1994 confirment le bien fondé de ce changement de cap.
A partir de ce constat, quels sont les grands défis de politique économique auxquels la France va devoir faire face au cours des prochaines années, si elle veut rester au premier rang des pays développés ?
La France doit tout d'abord conforter sa place comme acteur de l'économie mondiale. Elle représente, je le rappelle, environ 6 % des exportations mondiales depuis une vingtaine d'années. Elle est ainsi le quatrième exportateur mondial.
C'est pourquoi nous devons veiller, avec nos partenaires européens, à assurer un démarrage rapide de l'Organisation Mondiale de Commerce qui a remplacé le GATT le 1er janvier 1995 et dont la création doit beaucoup à la France.
Il faut que nos intérêts y soient défendus dans les meilleures conditions. La tâche est importante car nous devrons négocier de nouvelles règles et disciplines permettant de garantir la loyauté des échanges commerciaux internationaux. Je pense notamment au respect de clauses sociales minimales ainsi qu'à une meilleure prise en compte des contraintes de l'environnement.
Nous devrons aussi inciter les grand pays industrialisés à reprendre leur réflexion sur le système monétaire international car l'instabilité ou les dévaluations agressives de certaines monnaies portent un préjudice grave aux échanges internationaux. On ne saurait concevoir de commerce international équilibré sans un minimum de stabilité monétaire qui repose sur des parités adaptées aux données économiques fondamentales.
Au niveau Européen, nous devrons profiter de la plus grande convergence des économies de l'Union, permise par la croissance retrouvée, pour poursuivre l'Union Économique et Monétaire. Celle-ci constitue le complément naturel du grand marché européen à l'intérieur duquel pourront circuler librement les hommes, les marchandises, les capitaux et les services.
Nous sommes entrés dans la seconde phase de l'union économique et monétaire, il y a un an. Aujourd'hui, nous devons nous préparer au passage à la troisième phase qui interviendra en 1997 ou 1999. C'est une priorité de la Présidence française de l'Union. Au plan interne, la politique économique que j'ai mise en oeuvre devrait permettre à la France de satisfaire les conditions du passage à la monnaie unique. Mais ceci suppose de conserver l'esprit de réforme qui a animé le Gouvernement depuis avril 1993.
Il ne faut pas renouveler la grande erreur de la fin des années quatre vingt et du début des années quatre vingt dix, au cours desquelles les réformes nécessaires ont été sans cesse retardées par manque de courage, en espérant que le retour de la croissance suffirait à inverser la tendance à la hausse du chômage. Cet espoir ne pouvait être que déçu.
Prenons garde que la reprise ne nous fasse à nouveau perdre le sentiment d'urgence qui a permis au Gouvernement d'entreprendre les importantes réformes des vingt deux derniers mois. Il faut poursuivre et approfondir ces réformes afin d'améliorer la compétitivité de notre économie et de favoriser une croissance plus créatrice d'emplois.
Les entreprises françaises ont réalisé des efforts importants d'adaptation et de compétitivité. Ceux-ci doivent être complétés par un retour des finances publiques et sociales à l'équilibre, de façon à ce que l'activité ne soit pas handicapée par un avenir incertain ou des prélèvements plus lourds. Parallèlement, l'initiative économique doit être valorisée et soutenue.
La réduction des déficits publics et sociaux doit rester prioritaire. La dette de l'ensemble des administrations publiques a atteint 45,8 % du PIB en 1993, c'est dire les contraintes financières qui pèsent sur les finances publiques et sociales. Ceux qui prétendent que cela est sans importance, que les déficits soutiennent la croissance et qu'ils réduisent les inégalités se trompent. En vérité, la persistance de déficits élevés entretiendrait un climat d'incertitude qui pèserait sur les taux d'intérêt, la demande, l'activité et finalement l'emploi. Nos compatriotes les moins favorisés en seraient les premiers affectés. Une politique qui ne retiendrait pas comme priorité la réduction des déficits, serait de fait une politique de régression sociale.
Le rapport présenté par le Gouvernement au Parlement sur les perspectives financières de la Sécurité sociale a montré qu'un retour du Régime Général à l'équilibre était possible à l'horizon de 1997, sans prélèvements supplémentaires ni remise en cause du niveau de la protection sociale. Ceci suppose d'entretenir l'esprit de réforme et d'approfondir l'effort entrepris par le Gouvernement, de façon à prolonger la tendance actuelle des dépenses tout en profitant du redressement des recettes de cotisations sociales.
Ce n'est qu'une fois la maîtrise des dépenses assurée qu'il y aura lieu d'examiner des adaptations au financement de la protection sociale, faute de quoi toute modification serait considérée comme un moyen supplémentaire de financer la croissance incontrôlée des dépenses. L'avenir est sans doute lié à la diversification des recettes du financement de la protection sociale, qui même s'il continue de reposer principalement sur le salaire, devra faire la part à d'autres ressources ; mais de tels changements ne pourront être envisagés que s'ils se substituent au financement sur le salaire et non pas s'ils s'y ajoutent.
Pour ce qui concerne le budget de l'État, la loi quinquennale sur les finances publiques a tracé la voie; il faut la mettre en oeuvre avec persévérance.
Je voudrais aussi souligner la place centrale que l'initiative économique doit tenir dans la politique économique dans les années à venir. C'est l'initiative économique qui est créatrice d'emplois et non la bureaucratie ou l'étatisme. C'est pourquoi, les privatisations doivent être poursuivies et les principes d'une concurrence loyale prévaloir. La liberté et la concurrence étant aux fondements de l'initiative économique et de la compétitivité, il appartient, en revanche, à la puissance publique d'assurer un environnement juridique, social et économique qui leur soit favorable. Parallèlement, les aides publiques à l'emploi, à l'exportation ou à la recherche doivent être rendues plus efficaces; pour cela il faut renforcer les aides en faveur des entreprises pour lesquelles elles sont économiquement justifiées, c'est-à-dire les petites et moyennes entreprises. Il faut enfin traquer tout ce qui, dans la fiscalité, ou dans les procédures administratives, freine l'initiative privée. La simplification des procédures administratives doit être une préoccupation constante des pouvoirs publics.
La fiscalité, quelle que soit sa forme (impôts d'État, impôts locaux, prélèvements sociaux), doit être réformée, avec quatre objectifs clairs : simplification, diminution, justice et développement de l'emploi. Il nous faut traquer tout ce qui, dans la fiscalité, pénalise directement l'emploi et freine l'initiative économique. Rien n'est simple, en cette matière, car chacun voit bien qu'il faut réformer, mais souhaite surtout ne pas en subir les effets. Ce qui favorise l'emploi et l'activité peut défavoriser la consommation, l'épargne, le revenu. Autant de choix difficiles, et cependant la direction est claire. Ici plus qu'ailleurs, peut-être, la méthode de la réforme, fondée sur le dialogue et la concertation sera fondamentale.
En même temps qu'une économie plus compétitive, c'est aussi une économie plus créatrice d'emplois que nous devons aménager. Il faut un partage des fruits de la croissance qui assure la réinsertion des chômeurs, privilégie la création d'emplois par rapport à la distribution de pouvoir d'achat supplémentaire et favorise l'emploi des jeunes. Ce doit être la préoccupation de l'État pour le secteur public ; je l'ai indiqué dans la lettre que j'ai adressée aux Ministres sur l'évolution des revenus dans les entreprises qui sont dans la mouvance de l'État. Ce doit aussi être celle de l'ensemble des partenaires sociaux.
Pour l'avenir, j'ai proposé que soit fixé un objectif à la fois ambitieux et réaliste : diminuer le nombre des chômeurs de 1 million en cinq ans, soit 200 000 chômeurs de moins par an en moyenne. Pour mettre en oeuvre cet objectif, il me semble nécessaire de privilégier cinq axes d'action principaux :
1. L'allègement des charges sociales sur les bas salaires, qui a été entamée avec les cotisations familiales, devra être poursuivi. Dans ce but, j'ai proposé d'introduire une franchise annuelle de l'ordre de 4 000 francs sur les cotisations maladie, équivalente à 6 points de cotisations sur le SMIC. Cette franchise pourrait être ciblée, dans un premier temps, sur les bas salaires.
2. Les gisements d'emplois dans les services devront être plus systématiquement mis en valeur. En s'appuyant sur les incitations existantes, comme la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile et le chèque service, il faudrait notamment organiser l'offre de services aux personnes et tirer les leçons de l'expérimentation de la couverture du risque de dépendance des personnes âgées qui a été décidé dans une dizaine de départements.
3. L'amélioration des conditions d'insertion des jeunes devra être poursuivie. Notamment, l'effort de formation devra, ainsi que le prévoit le nouveau contrat pour l'école, être approfondi. Il devra aussi s'appuyer sur une formation en alternance et un apprentissage modernisés. Plus concrètement, il faut que la société puisse offrir à tous les jeunes de moins de vingt ans soit un emploi, soit une formation, soit un stage.
4. Les dépenses en faveur des chômeurs devront être, dans toute la mesure du possible, réorientées en vue de financer la reprise d'activité plutôt que l'indemnisation de l'inactivité. Nous avons commencé à le faire pour les allocataires du Revenu Minimum d'Insertion qui sont chômeurs de longue durée. Une fois que ses résultats en auront été évalués, cette expérience pourra être étendue.
5. La promotion du temps choisi, qui permet une plus grande souplesse dans l'organisation du temps de travail, vaut d'être amplifiée. J'ai proposé de se fixer pour objectif de relever la part du temps partiel de 14 % aujourd'hui à 20 %, niveau atteint chez nos principaux partenaires. Plus généralement l'objectif devrait être la définition d'un véritable droit à organiser son temps de travail de façon à mieux concilier les aspirations familiales, les engagements associatifs, la formation et le travail. Il y a là matière à de larges négociations entre employeurs et salariés.
Pour conclure, je voudrais vous dire que l'ensemble de ces actions en faveur de l'emploi ne sera efficace que si celles-ci sont accompagnées d'un véritable engagement collectif que la France doit passer avec elle-même au printemps de 1995. Les principaux acteurs de la société française, et tout particulièrement le patronat et les syndicats de salariés, ont là une responsabilité historique.