Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à RFI le 12 janvier 2005, sur l'aide humanitaire d'urgence aux victimes du tsunami en Asie du sud et du sud-est et sur la proposition du président de la République d'une taxe sur les transactions financières en faveur du développement.

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Circonstance : Raz-de-marée en Asie du sud et du sud-est le 26 décembre 2004

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- Quels efforts financiers la France fournit-elle à l'égard des victimes du tsunami ?
R- Pour l'aide publique d'urgence et de post-urgence, notamment pour traiter les épidémies, c'est environ 50 millions d'euros qui sont déjà décaissés ou qui le seront dans les semaines qui viennent. Vous ajoutez à cela une facilité de 300 millions d'euros pour la reconstruction, qui est une ligne de crédits qui est ouverte pour les années qui viennent. Et enfin, de ce que l'on sait aujourd'hui, environ 95 millions d'euros de dons privés aux associations caritatives.
Q-50 millions d'aides publiques, ce n'est pas beaucoup...
R- Avec notre contribution à l'Union européenne, avec tout ce que nous ne comptons pas - c'est-à-dire les moyens militaires et médicaux mis à disposition dans l'Océan indien -, vous savez que l'Europe est parmi les premiers donateurs au monde.
Q-Est-ce que vous comptez l'aide bilatérale ? Au début de la catastrophe, tout de suite, au lendemain du tsunami, la France a insisté sur son investissement en aides bilatérales, notamment auprès du Sri Lanka.
R- Oui, les 50 millions d'euros dont je vous ai parlé, comportent d'abord une vingtaine de millions qui ont d'ores et déjà été versés dans les caisses des agences spécialisées de l'ONU, le 31 décembre de l'année dernière, l'aide alimentaire, l'aide médicale, toute l'urgence que nous avons envoyée dans les premiers jours de la catastrophe sur les lieux...
Q-Ce mercredi, c'est la réunion des pays du Club de Paris, les principaux pays créanciers du monde. A priori, tout le monde est d'accord sur le principe d'un moratoire sur la dette de certains des pays touchés par les raz de marée, notamment l'Indonésie et le Sri Lanka, les autres pays refusent. Est-ce que ce moratoire est "la" bonne idée ?
R- Chaque pays est libre d'accepter ou non cette proposition. C'est une proposition française qui a été faite à l'origine, qui a été très vite acceptée par, d'abord les autres pays membres du G7 et ensuite les autres pays membres du Club de Paris. Nous allons donc entériner cette décision ce matin à Paris. Mais c'est vrai qu'un certain nombre de pays - je pense par exemple à la Thaïlande - ne souhaitent pas bénéficier de ce moratoire, tout simplement parce qu'ils ont un niveau d'endettement moins élevé que les autres et qu'ils ne veulent pas que leur signature soit dégradée sur les marchés financiers internationaux, puisque des pays par exemple comme la Thaïlande, comme la Malaisie, empruntent sur les marchés internationaux de capitaux et ont beaucoup moins de dettes bilatérales que ne l'ont l'Indonésie, le Sri Lanka ou les Seychelles, qui sont les trois pays, je pense, qui accepteront cette proposition.
Q-Justement, la France s'est engagée hier auprès de l'Indonésie, à ce moratoire, l'Indonésie qui souhaite effectivement qu'il n'y ait pas de conditions à ce moratoire...
R- Pour l'Indonésie, la tranche 2005 est de l'ordre de trois milliards de dollars, ce qui est donc considérable, et c'est vrai que ce moratoire va donner à ce pays une bouffée d'oxygène dont il a absolument besoin.
Q-L'aide mondiale théorique, calculée par certains, s'élève aujourd'hui à 6, 8, voire 10 milliards de dollars. Or la dette cumulée des pays victimes se monte à 406 milliards de dollars, selon la Banque mondiale. Est-ce que ça ne serait pas plus simple, comme le souhaitent certains, de rayer d'un trait de plume toutes ces
dettes ?
R- Je crois que la question de l'annulation du principal de la dette est un véritable sujet politique. Il est normal que les Etats soient endettés, puisqu'ils empruntent... Dans les Etats, vous avez deux sortes de dettes. Vous avez, si je puis dire, la dette FMI, qui est la dette à l'aide des balances de paiements, puisque c'est quand un pays a une difficulté de trésorerie, en quelque sorte, que le Fonds monétaire international fait des prêts, qui ensuite sont remboursés. Ensuite, vous avez une dette auprès des banques de développement - ce peut être la Banque mondiale, ce peut être la Banque asiatique de développement, ce peut être la Banque africaine de Développement. Donc ce sont des prêts qui correspondent en général à des infrastructures. Et puis ensuite vous avez une troisième catégorie, qui ressemble à la deuxième, c'est la dette contractée auprès des autres pays, ce que l'on appelle la "dette bilatérale". Donc, toutes ces dettes ne sont pas des dettes scandaleuses, je veux dire. Surtout que la plupart du temps, les taux d'intérêts qui y sont associés sont des taux, comme l'on dit, "concessionnels", c'est-à-dire préférentiels. Regardez un pays comme le Liban : un pays comme le Liban a toujours, malgré toutes les difficultés qu'il a connues, honoré sa dette, même s'il y a eu des choses de faites sur les intérêts. Donc, je pense que traiter d'un bloc la question de la dette n'est pas tout à fait approprié, parce que dans cette masse d'argent que vous avez citée, il n'y a pas toutes les mêmes dettes. Ceci étant, ce qui est vrai, et le président Chirac l'a dit à de très nombreuses reprises, c'est qu'il faut prendre le taureau par les cornes pour l'aide au développement. Et c'est la raison pour laquelle le président de la République a toujours dit que le montant actuel de l'aide au développement ne suffisait pas, et qu'il fallait créer des ressources nouvelles pour venir en aide aux pays pauvres. C'est un sujet qui est porté par le président de la République depuis de nombreuses années. Au mois d'octobre 2004, Jean-Pierre Landau, chargé de mission spéciale auprès du président de la République, a fait des propositions en la matière. Nous souhaitons que ces propositions soient discutées à la prochaine réunion du G7, puis du G8 au printemps, parce que l'on ne peut pas continuer comme ça.
Q-Où serait prélevée cette taxe internationale pour l'aide humanitaire ?
R- Il y a plusieurs hypothèses. Il y a des hypothèses qui circulent, par exemple, sur le transport aérien, sur les taxes d'aéroports ou sur les tickets d'avion ou sur le kérosène. Il y a un certain nombre de propositions techniques qui sont faites, qui doivent être maintenant discutées et débattues. Et en tout cas, j'ai la conviction que s'il y a une volonté politique de le faire, c'est tout à fait possible. Et sachez qu'en tout cas, nous allons beaucoup nous battre pour défendre et mettre en oeuvre cette idée.
Q-C'est une taxe qui serait prélevée au niveau des Etats ou bien est-ce que le contribuable, chaque individu dans les pays concernés, serait touché par cette taxe ?
R- Il ne s'agit pas d'un impôt sur le revenu international, il s'agit d'une taxe sur des transactions ou sur des actes économiques, donc c'est une taxe indirecte en quelque sorte, qui toucherait un certain nombre d'opérations ciblées. Maintenant, tout le problème, c'est de se mettre d'accord sur quelles opérations sont les plus facilement taxables, à un faible niveau, pour produire le plus d'argent possible pour le développement des pays pauvres.
Q-Cet effort considérable aujourd'hui de nombreux pays en faveur des victimes des tsunamis, ne risque-t-il pas de détourner une partie de l'argent pour d'autres pays qui sont dans le besoin, notamment les pays africains ?
R- Non, parce qu'il s'agit très clairement - en tout cas, pour ce qui concerne la France -d'une aide additionnelle. Et vous savez bien que la France n'a jamais laissé tombé l'Afrique et que nous n'allons pas commencer à le faire.
Q-A propos des risques de détournement d'argent, de mauvaise gestion - je pense à ce qui s'est passé dans le cadre de l'opération "pétrole contre nourriture" en Irak -, pensez-vous qu'aujourd'hui l'ONU met en place des garanties fiables ?
R- C'est absolument indispensable et je n'ai aucune raison de faire de procès d'intention à l'ONU. Pour ce qui nous concerne, il y a de l'argent que nous avons d'ores et déjà décaissé directement ou que nous allons décaisser directement dans les prochaines semaines : donc, là dessus, nous pouvons être complètement transparents bien évidemment. Pour le reste, je crois que l'ONU, sous l'égide de son secrétaire général adjoint, a fait un énorme travail dans l'Océan indien. Nous avons versé nos contributions additionnelles aux agences spécialisées de l'ONU et il y a tous les corps de contrôle pour vérifier que l'argent aille bien là où il faut.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 janvier 2005)