Texte intégral
Q- P. Weill-. "J'y suis, j'y reste", du moins provisoirement, en attendant le résultat de son procès en appel : voilà ce qu'a annoncé hier soir A. Juppé, sur TF1. Pour commenter cette décision, qui a quand même créé la surprise, deux invités dans Questions Directes ce matin : A. Montebourg, députés socialiste de Saône-et-Loire, et P. Devedjian, ministre UMP délégué aux Libertés locales.
A. Juppé, profil bas, fait cet aveu devant les téléspectateurs : "J'ai commis des erreurs, des fautes, mais j'attends le procès en appel". Quelle est votre réaction, A. Montebourg ?
R- A. Montebourg : "Il avait dit lorsqu'il a été mis en examen, qu'il assumerait ses responsabilités. Il ne les a pas assumées, puisque finalement, Mme Cassetta, je crois, qui s'est proclamée être une "exécutante" - ce que nous voulons bien croire - a déclaré que tous ses chefs n'avaient pas pris leurs responsabilités dans ce système illégal. Et il avait dit qu'il se retirerait si le tribunal le condamnait : il ne se retire pas. Nous connaissons maintenant la piètre valeur des engagements publics de monsieur Juppé. Voilà ce que nous pouvons dire. Pour le reste, c'est son droit le plus strict de faire appel, de se maintenir. Je veux simplement indiquer les conséquences importantes, et peut-être graves, pour notre Etat de droit et notre République d'engager un bras-de-fer face à l'institution judiciaire, qui a déjà été engagé aujourd'hui par ce déferlement d'attaques contre l'Etat de droit et contre les magistrats. Ce qui d'ailleurs s'est traduit par des intimidations dans la vie personnelle de ces magistrats. De ce point de vue-là, cela n'annonce rien de bon pour la suite."
Q- Cela dit, cela aurait une solution de facilité, finalement, pour lui de se retirer. Là, il va devoir encore et encore s'expliquer sur les pratiques du RPR et de la mairie de Paris ?
R- A. Montebourg : "Je crois que s'il doit s'expliquer, c'est le minimum que l'on puisse demander à quelqu'un qui a commis de graves infractions. De ce point de vue-là, la manière dont l'UMP a pris la décision d'attaquer cette décision est une grave erreur, parce que si aujourd'hui on donne l'impression que la justice n'est pas la même selon que l'on est un citoyen ordinaire à qui on ne passe rien - nous le voyons bien dans notre vie quotidienne, surtout avec le durcissement d'un certain nombre de lois par ce Gouvernement - et que, par ailleurs, on ne subit pas le même traitement lorsque l'on est un des grands dignitaires du régime actuel, eh bien, c'est la reconstitution du système des privilèges aristocratiques. Donc c'est finalement la mise à bas du pacte républicain. C'est ce que fait monsieur Berlusconi en Italie, rien que de très banal malheureusement."
Q- Lorsque H. Emmanuelli avait été condamné en appel, les socialistes ne s'étaient pas gênés pour dire que la sanction était politique, injuste. Il y avait aussi un déferlement de critiques contre la justice...
R- A. Montebourg : "Je vais vous dire tout de suite que cela était une faute. Et rétrospectivement, aujourd'hui, beaucoup de dirigeants socialistes le pensent. Par ailleurs, cela a nui à la force du pacte républicain."
Q- J. Chirac, finalement, a su se montrer convaincant. Il a dîné en tête-à-tête lundi soir avec A. Juppé, il y a eu de multiples coups de téléphone et, finalement, il a réussi à le convaincre de rester à son poste provisoirement ?
R- P. Devedjian : "Je ne sais pas si c'est le Président qui a réussi à le convaincre. Le Président lui a assuré de son amitié - c'est une amitié ancienne. Et c'est une épreuve dure pour n'importe qui, donc pour A. Juppé aussi. Il est normal que le Président l'ait assuré de son amitié. Mais ce qui est important, c'est qu'A. Juppé a droit aux garanties de tous les justiciables, c'est-à-dire qu'il a le droit au double degré de juridiction, il a le droit de faire appel. Il a été condamné avec beaucoup de sévérité - c'est parfaitement le droit du tribunal ; c'est le jugement le plus sévère, en terme d'inéligibilité, qui ait été prononcé à l'encontre d'un dirigeant de parti politique, pour des faits - en ce qui concerne A. Juppé, juridiquement, il n'était poursuivi que pour sept emplois fictifs - bien moins graves, au regard de l'accusation juridique, que ceux qui ont donné lieu à des condamnations bien moins importantes dans le passé. Dans l'affaire que vous avez citée, H. Emmanuelli n'avait été condamné qu'à deux ans d'inéligibilité, et c'était tout le système d'Urba dont on lui avait fait porter la responsabilité, un système qui portait sur des dizaines de millions de francs et qui n'était pas comparable, en terme d'accusation, à ce que A. Juppé se voyait reprocher. Et il a dix ans d'inéligibilité. Eh bien, il a le droit de demander à la Cour d'appel une appréciation peut-être plus raisonnable, de son point de vue, de sa responsabilité. Tous les citoyens ont droit à cela."
Q- On n'est pas dupes lorsqu'il dit "je veux préserver l'UMP", "je ne veux pas laisser tomber ce parti que j'ai créé". En fait, c'est J. Chirac qu'il ne veut pas laisser tomber ? Il reste le bouclier...
R- P. Devedjian : "Ce n'est pas en terme de "bouclier" que cela se pose. Il agit avec un sens des responsabilités... D'ailleurs, A. Montebourg doit bien savoir ce que cela fait, quand un dirigeant s'en va d'un seul coup, brutalement, en laissant ses amis en plein désarroi. Quand monsieur Jospin, après une défaite politique, a brutalement quitté la direction du Parti socialiste, le PS ne s'en est toujours pas remis. A. Juppé a le sens des responsabilités. Il avait envie de partir, mais quand on est un homme politique, on doit aussi assumer des devoirs."
Q- Et J. Chirac lui a téléphoné...
R- P. Devedjian : "Mais J. Chirac l'a assuré de son amitié et de son soutien moral. C'est normal qu'il ait fait cela. Mais par ailleurs, le sens des responsabilités conduit à prendre des décisions. Et on peut le comprendre."
Q- A. Montebourg veut dire un mot ?
R- A. Montebourg : "Ce n'est pas une condamnation excessive par sa sévérité. C'est l'application de la loi, loi d'ailleurs que la majorité de l'époque, derrière monsieur Balladur, a durcie, que monsieur Juppé a approuvée. C'est sa loi qui est appliquée à monsieur Juppé."
Q- P. Devedjian : "C'est la loi de tous les Français..."
R- A. Montebourg : "Non, quand je dis que c'est "sa loi", c'est un projet de loi. D'ailleurs, il faut relire le rapport de madame Rozès, ancienne présidente de la Cour de cassation, qui avait présidé à l'instauration de cette disposition de l'inéligibilité automatique ; elle disait que c'était le seul moyen qu'ils avaient trouvé pour lutter contre la corruption dans notre pays. Et de ce point de vue-là, la loi a été durcie, entre le moment où notre ami H. Emmanuelli était condamné et le moment où monsieur Juppé est condamné, il s'est écoulé presque quinze ans. Et, de ce point de vue, toutes les législations ont été durcies, à juste titre d'ailleurs. Donc c'est la loi qui s'applique. Et, de ce point de vue là, on ne peut pas comparer le retrait de L. Jospin à celui d'A. Juppé, car A. Juppé a bel et bien été condamné par un tribunal, ce qui est une peine infamante, et lui-même avait dit..."
Q- P. Devedjian : "Il a droit à la présomption d'innocence ! Permettez-moi de vous le rappeler : il n'est pas condamné, il a fait appel et il est présumé innocent. Vous êtes avocat, vous savez ce que les mots veulent dire."
R- A. Montebourg : "La présomption d'innocence s'arrête au jour où le tribunal a tranché, c'est ce qui vient de se passer..."
P. Devedjian : "Non, la présomption d'innocence s'arrête le jour où la condamnation est définitive, permettez-moi de vous le dire [...]."
Q- Et ce sera donc en appel ?
R- P. Devedjian : "Cela se fera même après la cassation, s'il y en a une..."
R- A. Montebourg : "Si je peux finir ma phrase, je crois que nous sommes dans une situation tout à fait inquiétante pour l'avenir de notre système politique, car les pressions considérables qui ont été exercées sur l'institution judiciaire, aujourd'hui, vont être renouvelées sur la Cour d'appel, et la Cour d'appel va être placée dans une situation terrible, où elle va être obligée de dire qu'elle ne veut pas de monsieur Juppé pour les élections présidentielles, ce qui n'est pas son rôle. Et on lui met aujourd'hui une telle pression que si elle se mettait à infirmer la décision du tribunal, personne ne croirait qu'il y a sincérité et jugement en conscience de la part des futurs magistrats de la Cour d'appel de Versailles. C'est donc une situation intenable. Et je suis tout à fait, comme beaucoup de nos concitoyens, fâché de la manière dont monsieur Chirac, qui est normalement garant de l'impartialité des pouvoirs, a orchestré cette intimidation contre l'Etat de droit et contre nos magistrats. En vérité, l'UMP veut des juges quand il est certain qu'il s'agit de caniches dévoués aux intérêts de son parti. C'est inacceptable. Et de ce point de vue, le responsable, ce n'est pas monsieur Juppé : c'est monsieur Chirac, qui est un homme compromis et qui n'a pas voulu que les attendus du tribunal restent en l'état, parce que c'est lui qui est visé dans cette affaire. Et c'est bien là le drame de notre pays : nous sommes la risée du monde..."
P. Devedjian : "Pour la risée, vous êtes expert !"
A. Montebourg : "Les gens nous regardent à l'extérieur avec des yeux ronds. [...] Et lorsque monsieur Berlusconi, par exemple, insulte les juges publiquement, en expliquant que ce sont des "attardés mentaux" - ce qu'il a fait et il n'y a d'ailleurs jamais de réactions, alors qu'il était président de l'Europe..."
[...]
Q- P. Devedjian : "Monsieur Weill, vous trouvez que le débat entre monsieur Montebourg et moi est équilibré en terme de temps ?"
R- Bon, alors, on va laisser parler monsieur Devedjian, pour défendre S. Berlusconi !
P. Devedjian : "Je suis étonné de la manière dont vous organisez ce débat, permettez-moi de vous le dire. On entend des réquisitions, un délire, mais pas de réponses !"
Q- Mais répondez, allez-y...
R- P. Devedjian : "La réponse est simple. A. Juppé a le droit, comme tout le monde, à l'ensemble des garanties du système judiciaire français. Je comprends qu'[A. Montebourg] aurait préféré qu'[A. Juppé] acquiesce : monsieur Montebourg trouverait cela plus simple que l'ancien dirigeant du RPR se couvre de poussière."
R- A. Montebourg : "Plus noble".
Q- P. Devedjian : "Vos amis ont utilisé toutes les voies de recours - et ils ont bien fait. D'ailleurs, ce serait dangereux, dans un pays, que sur la simple pression de l'opposition ou d'une formation politique, des citoyens soient privés de leur droit de faire appel. C'est un droit symbolique, qui appartient à tous les citoyens. Et il peut espérer très largement bénéficier d'une révision de son jugement..."
R- A. Montebourg : "C'est son droit."
Q- P. Devedjian : "... comme votre ami R. Dumas en a bénéficié : il a été condamné sévèrement en première instance, il a été acquitté devant la Cour d'appel. C'était son droit et c'était son intérêt de faire appel. J'espère que vous êtes content de l'acquittement de votre ami R. Dumas, en appel ? Et c'est un exemple pour tout le monde. Donc, ne venez pas reprocher à un homme d'utiliser les garanties de la justice. C'est tout à fait hors de propos. Et puis, je vais vous dire, c'est très imprudent."
R- A. Montebourg : "Ce n'est pas ...".
Q- Laissez parler P. Devedjian, sinon il ne sera pas content.
R- P. Devedjian : "Oui, c'est vrai, je ne serais pas content, parce que j'aurais le sentiment que le service public n'est pas équitable."
Q- Ce matin, vous avez l'occasion de vous exprimer. Allez-y.
R- P. Devedjian : "Alors, puisque vous y veuillez, je suis très heureux... Simplement, je disais à A. Montebourg que ses réquisitions véhémentes étaient très imprudentes, parce que toutes ces affaires ne sont pas achevées et le Parti socialiste va voir son tour arriver très prochainement, à nouveau, devant les juridictions. Et il peut espérer, lui aussi, être jugé avec sérénité et équité. Et donc, tout ce qu'il dit aujourd'hui à l'égard de ses adversaires politiques et par passion politique, il risque de se voir retourner, d'ici très peu de temps, dans des affaires tout a fait comparables..."
Q- Le RPR a encore quelques affaires qui vont être jugées, vous le savez ?
R- P. Devedjian : "Mais bien entendu, le RPR aussi. Simplement, ce que je souhaite, c'est que tous les politiques soient jugés avec sévérité - c'est normal, ils font la loi, ils doivent la subir, c'est tout à fait justifié -, mais aussi avec équité, égalité. Et je constate que par le passé, et dans le présent, par exemple cette semaine : deux anciens maires, un de gauche, un de droite, ont été condamnés pour prise d'intérêts. L'un a eu l'inéligibilité, l'autre ne l'a pas eu pour des faits comparables. Dans les affaires de financement des partis politiques, certains ont été condamnés immédiatement à des peines amnistiables - terminé, pas d'inéligibilité ; d'autres ont eu des peines d'inéligibilité de deux ans, d'autres n'en ont pas eu du tout. Je pense que pour les citoyens, tout le monde doit être condamné dans des termes comparables."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2004)
A. Juppé, profil bas, fait cet aveu devant les téléspectateurs : "J'ai commis des erreurs, des fautes, mais j'attends le procès en appel". Quelle est votre réaction, A. Montebourg ?
R- A. Montebourg : "Il avait dit lorsqu'il a été mis en examen, qu'il assumerait ses responsabilités. Il ne les a pas assumées, puisque finalement, Mme Cassetta, je crois, qui s'est proclamée être une "exécutante" - ce que nous voulons bien croire - a déclaré que tous ses chefs n'avaient pas pris leurs responsabilités dans ce système illégal. Et il avait dit qu'il se retirerait si le tribunal le condamnait : il ne se retire pas. Nous connaissons maintenant la piètre valeur des engagements publics de monsieur Juppé. Voilà ce que nous pouvons dire. Pour le reste, c'est son droit le plus strict de faire appel, de se maintenir. Je veux simplement indiquer les conséquences importantes, et peut-être graves, pour notre Etat de droit et notre République d'engager un bras-de-fer face à l'institution judiciaire, qui a déjà été engagé aujourd'hui par ce déferlement d'attaques contre l'Etat de droit et contre les magistrats. Ce qui d'ailleurs s'est traduit par des intimidations dans la vie personnelle de ces magistrats. De ce point de vue-là, cela n'annonce rien de bon pour la suite."
Q- Cela dit, cela aurait une solution de facilité, finalement, pour lui de se retirer. Là, il va devoir encore et encore s'expliquer sur les pratiques du RPR et de la mairie de Paris ?
R- A. Montebourg : "Je crois que s'il doit s'expliquer, c'est le minimum que l'on puisse demander à quelqu'un qui a commis de graves infractions. De ce point de vue-là, la manière dont l'UMP a pris la décision d'attaquer cette décision est une grave erreur, parce que si aujourd'hui on donne l'impression que la justice n'est pas la même selon que l'on est un citoyen ordinaire à qui on ne passe rien - nous le voyons bien dans notre vie quotidienne, surtout avec le durcissement d'un certain nombre de lois par ce Gouvernement - et que, par ailleurs, on ne subit pas le même traitement lorsque l'on est un des grands dignitaires du régime actuel, eh bien, c'est la reconstitution du système des privilèges aristocratiques. Donc c'est finalement la mise à bas du pacte républicain. C'est ce que fait monsieur Berlusconi en Italie, rien que de très banal malheureusement."
Q- Lorsque H. Emmanuelli avait été condamné en appel, les socialistes ne s'étaient pas gênés pour dire que la sanction était politique, injuste. Il y avait aussi un déferlement de critiques contre la justice...
R- A. Montebourg : "Je vais vous dire tout de suite que cela était une faute. Et rétrospectivement, aujourd'hui, beaucoup de dirigeants socialistes le pensent. Par ailleurs, cela a nui à la force du pacte républicain."
Q- J. Chirac, finalement, a su se montrer convaincant. Il a dîné en tête-à-tête lundi soir avec A. Juppé, il y a eu de multiples coups de téléphone et, finalement, il a réussi à le convaincre de rester à son poste provisoirement ?
R- P. Devedjian : "Je ne sais pas si c'est le Président qui a réussi à le convaincre. Le Président lui a assuré de son amitié - c'est une amitié ancienne. Et c'est une épreuve dure pour n'importe qui, donc pour A. Juppé aussi. Il est normal que le Président l'ait assuré de son amitié. Mais ce qui est important, c'est qu'A. Juppé a droit aux garanties de tous les justiciables, c'est-à-dire qu'il a le droit au double degré de juridiction, il a le droit de faire appel. Il a été condamné avec beaucoup de sévérité - c'est parfaitement le droit du tribunal ; c'est le jugement le plus sévère, en terme d'inéligibilité, qui ait été prononcé à l'encontre d'un dirigeant de parti politique, pour des faits - en ce qui concerne A. Juppé, juridiquement, il n'était poursuivi que pour sept emplois fictifs - bien moins graves, au regard de l'accusation juridique, que ceux qui ont donné lieu à des condamnations bien moins importantes dans le passé. Dans l'affaire que vous avez citée, H. Emmanuelli n'avait été condamné qu'à deux ans d'inéligibilité, et c'était tout le système d'Urba dont on lui avait fait porter la responsabilité, un système qui portait sur des dizaines de millions de francs et qui n'était pas comparable, en terme d'accusation, à ce que A. Juppé se voyait reprocher. Et il a dix ans d'inéligibilité. Eh bien, il a le droit de demander à la Cour d'appel une appréciation peut-être plus raisonnable, de son point de vue, de sa responsabilité. Tous les citoyens ont droit à cela."
Q- On n'est pas dupes lorsqu'il dit "je veux préserver l'UMP", "je ne veux pas laisser tomber ce parti que j'ai créé". En fait, c'est J. Chirac qu'il ne veut pas laisser tomber ? Il reste le bouclier...
R- P. Devedjian : "Ce n'est pas en terme de "bouclier" que cela se pose. Il agit avec un sens des responsabilités... D'ailleurs, A. Montebourg doit bien savoir ce que cela fait, quand un dirigeant s'en va d'un seul coup, brutalement, en laissant ses amis en plein désarroi. Quand monsieur Jospin, après une défaite politique, a brutalement quitté la direction du Parti socialiste, le PS ne s'en est toujours pas remis. A. Juppé a le sens des responsabilités. Il avait envie de partir, mais quand on est un homme politique, on doit aussi assumer des devoirs."
Q- Et J. Chirac lui a téléphoné...
R- P. Devedjian : "Mais J. Chirac l'a assuré de son amitié et de son soutien moral. C'est normal qu'il ait fait cela. Mais par ailleurs, le sens des responsabilités conduit à prendre des décisions. Et on peut le comprendre."
Q- A. Montebourg veut dire un mot ?
R- A. Montebourg : "Ce n'est pas une condamnation excessive par sa sévérité. C'est l'application de la loi, loi d'ailleurs que la majorité de l'époque, derrière monsieur Balladur, a durcie, que monsieur Juppé a approuvée. C'est sa loi qui est appliquée à monsieur Juppé."
Q- P. Devedjian : "C'est la loi de tous les Français..."
R- A. Montebourg : "Non, quand je dis que c'est "sa loi", c'est un projet de loi. D'ailleurs, il faut relire le rapport de madame Rozès, ancienne présidente de la Cour de cassation, qui avait présidé à l'instauration de cette disposition de l'inéligibilité automatique ; elle disait que c'était le seul moyen qu'ils avaient trouvé pour lutter contre la corruption dans notre pays. Et de ce point de vue-là, la loi a été durcie, entre le moment où notre ami H. Emmanuelli était condamné et le moment où monsieur Juppé est condamné, il s'est écoulé presque quinze ans. Et, de ce point de vue, toutes les législations ont été durcies, à juste titre d'ailleurs. Donc c'est la loi qui s'applique. Et, de ce point de vue là, on ne peut pas comparer le retrait de L. Jospin à celui d'A. Juppé, car A. Juppé a bel et bien été condamné par un tribunal, ce qui est une peine infamante, et lui-même avait dit..."
Q- P. Devedjian : "Il a droit à la présomption d'innocence ! Permettez-moi de vous le rappeler : il n'est pas condamné, il a fait appel et il est présumé innocent. Vous êtes avocat, vous savez ce que les mots veulent dire."
R- A. Montebourg : "La présomption d'innocence s'arrête au jour où le tribunal a tranché, c'est ce qui vient de se passer..."
P. Devedjian : "Non, la présomption d'innocence s'arrête le jour où la condamnation est définitive, permettez-moi de vous le dire [...]."
Q- Et ce sera donc en appel ?
R- P. Devedjian : "Cela se fera même après la cassation, s'il y en a une..."
R- A. Montebourg : "Si je peux finir ma phrase, je crois que nous sommes dans une situation tout à fait inquiétante pour l'avenir de notre système politique, car les pressions considérables qui ont été exercées sur l'institution judiciaire, aujourd'hui, vont être renouvelées sur la Cour d'appel, et la Cour d'appel va être placée dans une situation terrible, où elle va être obligée de dire qu'elle ne veut pas de monsieur Juppé pour les élections présidentielles, ce qui n'est pas son rôle. Et on lui met aujourd'hui une telle pression que si elle se mettait à infirmer la décision du tribunal, personne ne croirait qu'il y a sincérité et jugement en conscience de la part des futurs magistrats de la Cour d'appel de Versailles. C'est donc une situation intenable. Et je suis tout à fait, comme beaucoup de nos concitoyens, fâché de la manière dont monsieur Chirac, qui est normalement garant de l'impartialité des pouvoirs, a orchestré cette intimidation contre l'Etat de droit et contre nos magistrats. En vérité, l'UMP veut des juges quand il est certain qu'il s'agit de caniches dévoués aux intérêts de son parti. C'est inacceptable. Et de ce point de vue, le responsable, ce n'est pas monsieur Juppé : c'est monsieur Chirac, qui est un homme compromis et qui n'a pas voulu que les attendus du tribunal restent en l'état, parce que c'est lui qui est visé dans cette affaire. Et c'est bien là le drame de notre pays : nous sommes la risée du monde..."
P. Devedjian : "Pour la risée, vous êtes expert !"
A. Montebourg : "Les gens nous regardent à l'extérieur avec des yeux ronds. [...] Et lorsque monsieur Berlusconi, par exemple, insulte les juges publiquement, en expliquant que ce sont des "attardés mentaux" - ce qu'il a fait et il n'y a d'ailleurs jamais de réactions, alors qu'il était président de l'Europe..."
[...]
Q- P. Devedjian : "Monsieur Weill, vous trouvez que le débat entre monsieur Montebourg et moi est équilibré en terme de temps ?"
R- Bon, alors, on va laisser parler monsieur Devedjian, pour défendre S. Berlusconi !
P. Devedjian : "Je suis étonné de la manière dont vous organisez ce débat, permettez-moi de vous le dire. On entend des réquisitions, un délire, mais pas de réponses !"
Q- Mais répondez, allez-y...
R- P. Devedjian : "La réponse est simple. A. Juppé a le droit, comme tout le monde, à l'ensemble des garanties du système judiciaire français. Je comprends qu'[A. Montebourg] aurait préféré qu'[A. Juppé] acquiesce : monsieur Montebourg trouverait cela plus simple que l'ancien dirigeant du RPR se couvre de poussière."
R- A. Montebourg : "Plus noble".
Q- P. Devedjian : "Vos amis ont utilisé toutes les voies de recours - et ils ont bien fait. D'ailleurs, ce serait dangereux, dans un pays, que sur la simple pression de l'opposition ou d'une formation politique, des citoyens soient privés de leur droit de faire appel. C'est un droit symbolique, qui appartient à tous les citoyens. Et il peut espérer très largement bénéficier d'une révision de son jugement..."
R- A. Montebourg : "C'est son droit."
Q- P. Devedjian : "... comme votre ami R. Dumas en a bénéficié : il a été condamné sévèrement en première instance, il a été acquitté devant la Cour d'appel. C'était son droit et c'était son intérêt de faire appel. J'espère que vous êtes content de l'acquittement de votre ami R. Dumas, en appel ? Et c'est un exemple pour tout le monde. Donc, ne venez pas reprocher à un homme d'utiliser les garanties de la justice. C'est tout à fait hors de propos. Et puis, je vais vous dire, c'est très imprudent."
R- A. Montebourg : "Ce n'est pas ...".
Q- Laissez parler P. Devedjian, sinon il ne sera pas content.
R- P. Devedjian : "Oui, c'est vrai, je ne serais pas content, parce que j'aurais le sentiment que le service public n'est pas équitable."
Q- Ce matin, vous avez l'occasion de vous exprimer. Allez-y.
R- P. Devedjian : "Alors, puisque vous y veuillez, je suis très heureux... Simplement, je disais à A. Montebourg que ses réquisitions véhémentes étaient très imprudentes, parce que toutes ces affaires ne sont pas achevées et le Parti socialiste va voir son tour arriver très prochainement, à nouveau, devant les juridictions. Et il peut espérer, lui aussi, être jugé avec sérénité et équité. Et donc, tout ce qu'il dit aujourd'hui à l'égard de ses adversaires politiques et par passion politique, il risque de se voir retourner, d'ici très peu de temps, dans des affaires tout a fait comparables..."
Q- Le RPR a encore quelques affaires qui vont être jugées, vous le savez ?
R- P. Devedjian : "Mais bien entendu, le RPR aussi. Simplement, ce que je souhaite, c'est que tous les politiques soient jugés avec sévérité - c'est normal, ils font la loi, ils doivent la subir, c'est tout à fait justifié -, mais aussi avec équité, égalité. Et je constate que par le passé, et dans le présent, par exemple cette semaine : deux anciens maires, un de gauche, un de droite, ont été condamnés pour prise d'intérêts. L'un a eu l'inéligibilité, l'autre ne l'a pas eu pour des faits comparables. Dans les affaires de financement des partis politiques, certains ont été condamnés immédiatement à des peines amnistiables - terminé, pas d'inéligibilité ; d'autres ont eu des peines d'inéligibilité de deux ans, d'autres n'en ont pas eu du tout. Je pense que pour les citoyens, tout le monde doit être condamné dans des termes comparables."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2004)