Déclarations de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi relatif à la ratification des protocoles sur l'élargissement de l'Otan, Paris le 29 janvier 2004.

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Circonstance : Interventions de Dominique de Villepin et Michèle Alliot-Marie à l'Assemblée nationale le 29 janvier 2004 sur le projet de loi relatif à la ratification des protocoles sur l'élargissement de l'Otan

Texte intégral

M. Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères - Les chefs d'Etat et de gouvernements des pays de l'Alliance atlantique ont invité sept nouveaux membres à rejoindre l'Alliance.
Il s'agit d'un geste politique majeur qui confirme le retour de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie dans le cercle des Etats libres.
Ces pays ont désormais l'assurance de bénéficier de l'assistance de la communauté atlantique en cas de menaces contre leurs intérêts et pourront participer à la construction d'un monde plus stable et plus sûr.
L'élargissement de l'OTAN n'est pas un acte institutionnel mais un engagement commun à défendre des principes et des valeurs. La France a toujours défendu l'idée d'un élargissement rapide de l'OTAN afin de garantir la sécurité du continent européen. Elle a plaidé, comme le souligne M. Bouvard dans son rapport, pour une approche politique qui garantisse une adhésion large des pays candidats. Elle a donc accueilli avec satisfaction la décision du 21 novembre 2002 lors du Sommet de Prague. C'est le projet de loi portant ratification de cette décision que vous êtes appelés à voter aujourd'hui.
A la suite de l'effondrement du bloc soviétique, les pays d'Europe centrale et orientale se sont fixés comme priorités d'adhérer à la fois à l'Union européenne et à l'OTAN. L'Alliance atlantique a répondu à ce souhait en créant, au début des années 90, un cadre de coopération : le Partenariat pour la paix.
Une première étape a été franchie au Sommet de Madrid, en juillet 1997 : la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont été invitées à rejoindre l'OTAN, ce qu'elles ont fait deux ans plus tard. La France a non seulement soutenu ce Sommet, mais plaidé pour une ouverture plus grande, incluant la Roumanie et la Bulgarie car nous estimions que la stabilité du continent passait par une inclusion rapide de tous les Etats adhérant aux valeurs démocratiques.
Les autres Alliés ont préféré une démarche plus sélective, fondée sur des critères techniques. Lors du Sommet de Prague, en novembre 2002, sept nouveaux pays ont été ainsi invités à rejoindre l'OTAN, après s'y être préparés dans le cadre du Partenariat.
L'évolution du contexte de sécurité, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, a conduit les Alliés à amplifier le mouvement d'élargissement, afin de disposer de points d'appui plus solides près des zones de crise. Le président Bush a ainsi plaidé à Varsovie, au printemps 2002, pour une ouverture très large, comme l'avait fait le président Chirac dès 1997.
Les sept pays invités à Prague devraient rejoindre l'OTAN avant le Sommet d'Istanbul, en juin prochain.
Les portes restent ouvertes à tous les pays démocratiques du continent. Les trois autres candidats, l'Albanie, la Croatie et l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), doivent poursuivre leur préparation à l'adhésion.
Ce mouvement de fond renforcera la stabilité et la sécurité du continent européen pour plusieurs raisons. Sur le plan militaire, les pays candidats ont restructuré et modernisé leur appareil de défense. Même si le décalage d'une armée à l'autre reste significatif, le rapprochement est en cours. Sur le plan politique, les processus d'adhésion simultanée à l'Union européenne et à l'OTAN ont été marqués par l'engagement à respecter les principes fondamentaux de la démocratie et par le règlement des conflits frontaliers.
Sur le plan stratégique, enfin, les Alliés ont veillé à ne pas créer une nouvelle ligne de fracture en Europe, en particulier à l'égard de la Russie.
Sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, un partenariat stratégique a été conclu avec Moscou. Les Alliés ont pris, dans ce cadre, des engagements de retenue : non-déploiement d'armes et de dépôts nucléaires, limitation des stationnements des forces de l'Alliance dans les nouveaux pays membres.
Les relations entre l'OTAN et la Russie, qui avaient été gelées lors de la crise du Kosovo, ont repris en 2001. Un nouveau cadre a été mis en place au Sommet de Rome, en mai 2002. La création d'un Conseil OTAN-Russie a permis de renforcer la confiance et évité que l'élargissement décidé à Prague ne crée des difficultés.
Le mouvement d'élargissement s'inscrit dans un contexte stratégique nouveau. Des foyers de crise se sont développés à la périphérie de la zone euro-atlantique. Ainsi, dans les Balkans des rivalités nationales, ethniques et religieuses ont conduit à des affrontements violents, qui exigeaient une intervention déterminée de la part de la communauté internationale. Autre exemple, l'Afghanistan : aucun Etat ne pouvait accepter de laisser perdurer un régime qui soutenait directement les organisations terroristes les plus radicales.
L'apparition de nouvelles menaces est un deuxième trait marquant. La prolifération des armes de destruction massive et le terrorisme entretiennent l'instabilité, tout en échappant aux règles classiques des représailles militaires.
Face à ces menaces, l'Alliance a dû sortir de son champ traditionnel d'activité, la défense collective, pour s'engager dans de nouvelles missions. Cette évolution majeure a été entérinée par le Sommet de Washington, en 1999, qui a affirmé la vocation de l'Alliance à contribuer à la gestion des crises, dans le respect de la Charte des Nations unies. C'est ainsi que l'OTAN est intervenue en Bosnie et au Kosovo pour imposer la paix et garantir son maintien.
Les événements du 11 septembre 2001 ont accéléré cette évolution en entraînant plusieurs conséquences pour l'Alliance, sur le plan symbolique - l'activation de l'article 5 du Traité de Washington, signifiait que les Alliés assimilaient l'acte terroriste à une attaque armée -, sur le plan technique et sur le plan politique : l'OTAN s'est engagée sur de nouveaux théâtres de crises éloignés : en Afghanistan en prenant le commandement de la FIAS, en Irak en apportant un soutien technique à la Pologne. Si cet élargissement du champ d'intervention de l'OTAN répond à des exigences de sécurité, il doit continuer de se faire en étroite concertation avec l'ensemble des Alliés, et sur la base d'un mandat des Nations unies.
Pour faire face aux conséquences de l'ouverture à de nouveaux pays, l'Alliance s'est dotée de structures plus souples et plus réactives.
En premier lieu, la structure de commandement de l'OTAN a été réformée : pour simplifier le processus de décision, les commandements géographiques ont été remplacés par deux commandements fonctionnels.
En second lieu, la création d'une nouvelle force de réaction rapide (NRF) vise à doter l'Alliance d'une capacité de déploiement immédiat.
La France a apporté une contribution essentielle à ce mouvement de rénovation. Notre pays est l'un des premiers contributeurs aux opérations de l'OTAN avec près de 5 000 hommes engagés dans la SFOR, la KFOR et la FIAS. Nous fournissons aussi près du quart des moyens des premières rotations de la NRF.
Nous souhaitons donc encourager la transformation de l'Alliance pour que celle-ci dispose de capacités militaires plus réactives.
Cet engagement se fait dans le respect de nos principes.
Nous veillons au maintien du contrôle politique exercé par le Conseil atlantique. La rapidité de réaction ne signifie pas l'automaticité de l'engagement. Les Alliés doivent pouvoir s'assurer du cadre de l'intervention, de la conformité aux principes de la Charte des Nations unies et de l'adéquation des moyens militaires aux objectifs politiques.
A titre national, nous maintenons la spécificité de notre position à l'égard de la structure militaire de l'Alliance. Notre participation à la NRF n'a pas modifié le statut de nos forces, qui restent sous commandement national tant que la NRF n'est pas activée.
La modernisation de l'Alliance se fait en pleine compatibilité avec la mise en place de l'Europe de la défense.
Le dispositif de coopération entre les deux organisations est désormais opérationnel. La finalisation, en mars 2003, des arrangements dits de "Berlin Plus", pour la mise à disposition, au profit de l'Union européenne, de moyens de l'OTAN a rendu possible l'opération Concordia dans l'Ancienne République yougoslave de Macédoine.
L'Union s'est déclarée prête à assurer également la relève de l'OTAN en Bosnie. Le volet militaire de cette nouvelle mission de l'Union européenne devra également être organisé dans le cadre de "Berlin Plus".
Ces opérations illustrent le caractère complémentaire des activités de l'OTAN et de l'Union européenne. Les forces armées n'appartiennent pas à l'OTAN ou à l'Union européenne, elles appartiennent aux nations. Il ne doit pas y avoir concurrence entre les deux organisations, mais complémentarité des efforts.
L'Europe de la défense a par ailleurs réalisé cette année d'importants progrès, puisque deux opérations ont été décidées dans le cadre de la Politique étrangère de sécurité et de défense (PESD), en ARYM et en République démocratique du Congo.
L'Union s'est également dotée d'une stratégie de sécurité, rédigée sous l'autorité de Javier Solana.
La Convention et la Conférence intergouvernementale (CIG) ont ouvert la voie à des innovations institutionnelles importantes : clause de solidarité, clause de défense mutuelle, coopérations structurées.
Le Conseil européen, enfin, a chargé la présidence irlandaise d'étudier la création d'un noyau autonome pour la planification et la conduite des opérations.
Les efforts pour la transformation de l'OTAN n'empêchent donc pas la mise en place parallèle d'une politique européenne ambitieuse en matière de défense.
Pour la France, qui a soutenu activement à la fois l'élargissement de l'OTAN et celui de l'Union européenne, l'enjeu est important. Les nouveaux membres accordent aux deux organisations la même priorité. Nous devons, avec eux, faire en sorte que les activités de l'OTAN et de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense se renforcent les unes les autres.
Ce projet de loi n'engage pas seulement les sept Etats invités à rejoindre l'OTAN. Il détermine aussi l'idée que nous nous faisons d'une Alliance atlantique rénovée. L'unité de l'Europe et la cohésion de nos volontés nous permettront de faire face avec plus d'efficacité aux grands défis de sécurité contemporains.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense - Je remercie Monsieur le président de la Commission des Affaires étrangères, MM. les rapporteurs ainsi que MM. Gantier et Remiller pour leur hauteur de vue et leurs propos constructifs sur un sujet déterminant. D'un point de vue militaire, l'élargissement est une double chance et tout d'abord parce qu'il apporte des capacités additionnelles.
En effet, les pays candidats ont dû réformer leur outil de défense avec un objectif d'interopérabilité. Certes, des efforts supplémentaires devront être encore réalisés, mais un certain nombre d'entre eux dont la Roumanie - 75.000 hommes - et la Bulgarie - 45.000 hommes - disposent déjà de moyens non négligeables.
Ces pays ont également entrepris la modernisation de leurs équipements. Ils apporteront une contribution significative aux opérations de l'Alliance.
Ces capacités additionnelles serviront également l'Union européenne dans le cadre des arrangements de "Berlin plus" mais aussi pour les opérations autonomes.
De plus, l'élargissement apporte sécurité, stabilité et cohérence militaire à notre continent. Les nouveaux membres pourront contribuer aux opérations de stabilisation menées par l'Alliance dans de meilleures conditions. Ils oeuvrent déjà à la sécurité et à la stabilité régionale en particulier au Kosovo ou en Bosnie. Le rapprochement de la Russie et de l'Alliance conforte les perspectives de stabilité sur notre continent.
Enfin, l'élargissement constitue un élément de la rénovation de l'Alliance. L'OTAN est une institution en mouvement. Sa transformation, décidée au Sommet de Prague, doit nous permettre une adaptation au contexte stratégique international.
Désormais, l'Alliance peut intervenir dans des zones de crises qui, bien que situées hors de l'espace euro-atlantique, menacent sa sécurité. C'est ainsi que 5.000 hommes de l'Alliance sont aujourd'hui engagés en Afghanistan, où se trouvent des bases terroristes. De nombreuses crises liées aux trafics d'armes ou de drogues sont également susceptibles d'avoir des répercussions dans nos pays.
Pour autant, Monsieur Balladur, il n'est pas question que l'OTAN intervienne automatiquement dès qu'il y a une crise. Nous considérons qu'une décision politique, fondée sur un consensus, est nécessaire. Ce principe ne saurait être remis en cause. La transformation de l'Alliance permettra aux pays européens de disposer de capacités adaptées.
M. Gantier a cité le terrorisme, mais on constate aussi une multiplication des crises régionales un peu partout dans le monde. Souvent limitées géographiquement au départ, ces crises sont toujours susceptibles de dégénérer, on le voit bien en Afrique. L'Alliance doit donc être en mesure d'y réagir.
On a évoqué des problèmes d'interopérabilité avec nos Alliés, en particulier avec les forces armées américaines : mais cela ne correspond pas à la réalité sur le terrain. En Afghanistan comme ailleurs, l'interopérabilité fonctionne parfaitement ; certes, nous devons veiller à ne pas laisser se créer un écart technologique. Mais aujourd'hui la principale différence réside dans l'importance quantitative des forces engagées, non dans leur niveau technique.
Face à cette nécessité d'agir en coalition, nous avons décidé de prendre part à la Force de réaction rapide dénommée NRF. C'est un élément indispensable de la transformation de l'Alliance pour l'adapter au nouveau contexte. La NRF permettra de déployer jusqu'à 21.000 hommes dans un délai de 5 à 30 jours et associera des forces terrestres, maritimes et aériennes. Elle sera opérationnelle dès 2006 et dispose déjà d'une capacité de 8.000 hommes.
Cette nouvelle force s'accompagnera d'une nouvelle structure de commandement et j'ai rappelé, lors de mon déplacement à Washington, que la France était prête à y prendre toute sa part, dans le respect de sa position historique particulière. Ces propos ont été très bien accueillis et je pense que nous en verrons très prochainement l'effet.
Enfin, dernier point sur lequel je souhaite insister, notre vision d'une Alliance rénovée va de pair avec nos ambitions pour l'Europe de la défense. M. Gantier a exprimé la crainte d'un monopole de décision des Etats-Unis. Notre engagement pour l'Europe de la défense est cohérent avec notre vision du monde. L'Europe a démontré sa capacité à conduire des opérations, en liaison avec l'OTAN en Ancienne République yougoslave de Macédoine, ou de manière autonome en Iturie.
La défense européenne a également progressé sur le plan institutionnel et c'est même l'aspect de la construction européenne qui a le plus progressé au cours des derniers mois. Si les pays européens ont des difficultés à s'entendre sur certains choix de politique économique et de politique étrangère, sur l'Europe de la défense, en revanche, il y a une volonté commune d'avancer, comme l'a montré avec éclat le dernier Sommet de Bruxelles.
Ces efforts profiteront non seulement aux pays de l'Union européenne, mais également à l'OTAN puisque les deux organisations utilisent les mêmes moyens militaires nationaux. S'il est vrai que sur le plan budgétaire, des efforts importants restent à faire, les Européens, ont accepté de s'engager dans de grands programmes communs d'équipement comme l'avion A 400 M, le missile Météor, l'hélicoptère Tigre ou le NH 90. Tous ces moyens renforceront aussi les capacités de projection de l'Alliance, c'est le message que je suis allée porter à Washington.
Il est temps aujourd'hui de dépasser le vieux, mais faux, débat entre "Atlantistes" et "Européens". Les pays qui ont été invités à rejoindre l'Alliance sont aussi de futurs membres de l'Union européenne. Voyant que l'Europe de la défense devient une réalité, ils manifestent leur volonté d'y participer. Comment auraient-ils pu le faire il y a quelques années, quand cette Europe de la défense n'existait que sur le papier ? Dès lors que nous démontrons notre capacité opérationnelle, ils ne sont plus placés devant le choix "l'Alliance ou rien" et devraient s'associer de plus en plus à la PESD.
Il est de notre intérêt de réussir à reconstituer la famille européenne, y compris dans sa dimension euro-atlantique.
Voilà les ambitions de la France pour l'élargissement d'une Alliance qui a tant contribué à la sécurité de notre continent.
Le soutien de la représentation nationale marquera notre engagement dans cette mutation historique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 février 2004)