Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à LCI le 12 mai 2005, sur le plan gouvernemental de lutte contre l'immigration clandestine et sur les raisons du parti communiste de s'opposer à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- M.-G. Buffet, bonjour.
R- Bonjour.
Q- Vous n'arrêtez plus, vous arrivez je crois d'un meeting vous étiez hier soir à Dijon, ce soir vous serez à Toulouse. On va parler d'Europe, mais d'abord quel est votre sentiment, votre jugement sur le plan entre guillemets qu'a conçu D. de Villepin pour lutter contre l'immigration clandestine et qu'il a présenté ou qu'il va présenter en conseil des ministres ?
R- Je suis très en colère. Je suis très en colère parce que c'est un plan de circonstance, c'est un plan qui est lié au référendum le 29 mai. C'est un plan qui , comme d'ailleurs le matériel officiel qui accompagne le projet de traité constitutionnel qui a été adressé aux électeurs et aux électrices où l'on met en avant que justement l'Europe va renforcer la lutte contre les travailleurs immigrés... Moi je suis élue, le reçois dans ma permanence des hommes et des femmes qui sont poussés dans la clandestinité. Or c'est un manque à gagner bien sûr pour eux, pour leur dignité, pour leur vie, mais c'est un manque à gagner pour la société, parce que ces hommes et ces femmes, s'ils pouvaient être reconnus comme travailleurs à part entière, comme citoyens à part entière, ils pourraient tout simplement cotiser à la sécurité sociale, cotiser pour les retraites, participer à l'effort général de notre société et on les met dans la clandestinité, on les pousse au travail au noir. Il y a beaucoup de souffrance et puis je trouve qu'à chaque fois, on remet le couvert sur les contrôles, de nouveau, encore un peu plus contrôler les mariages. On a l'impression que tout mariage entre un homme et une femme de nationalité différente, on est menacé.
Q- Vous reconnaissez qu'il y a de vrais faux mariages.
R- Mais enfin, écoutez, je suis dans une municipalité en Seine-Saint-Denis, c'est une infime minorité. Par contre, et c'est formidable, de plus en plus il y a des mariages mixtes et je crois que c'est bon pour l'avenir de notre pays.
Q- Est-ce que vous seriez vous partisan d'une régularisation massive comme il y en a eu dans d'autres pays ?
R- Oui il y en a eu dans d'autres pays d'Europe - en Italie, c'est prévu en Espagne - et je suis étonnée que le ministre ne cherche pas à construire une réponse européenne sur cette question. On a l'impression que la seule réponse européenne, c'est de mettre des barbelés autour de l'Europe, mais qu'à l'intérieur de l'Europe, chacun fait ce qu'il veut. Donc on va se trouver dans une situation paradoxale, on va poursuivre en France les travailleurs immigrés qui n'auront pas leurs papiers et puis peut-être que des travailleurs immigrés italiens, ou espagnols viendront travailler en France. Donc je crois qu'il faut une réponse humaine, une réponse qui fasse en sorte que ces hommes et ces femmes puissent avoir tous leurs droits.
Q- Mais cette réponse humaine peut aller jusqu'à la régularisation collective ?
R- Mais bien sûr, il y en a besoin, c'est urgent. Il y a des hommes et des femmes qui sont là depuis des années, qui sont dans la situation, certains des fois plus de dix ans et on leur trouve toujours une raison de ne pas les régulariser. Les préfectures sont très très dures en ce moment.
Q- Alors j'en viens au référendum, vous l'évoquiez à l'instant. D'abord, certains reprochent aux partisans du "non" d'être en quelque sorte le syndicat - vous me direz ce que vous en pensez - des repêchés de la politique, autrement dit, ça permet au Parti communiste de se refaire une santé, à L. Fabius de retourner dans la course présidentielle, à J.-M. Le Pen de revenir sur la scène politique, à d'autres d'exister qui n'auraient pas existé autrement, à J.-P. Chevènement, une véritable résurrection...
R- Mais ça c'est une vision de bocal, des gens qui ne vivent que dans la vie politique parisienne. Moi j'ai assisté à autre chose, j'assiste à un formidable débat populaire et citoyen. Hier, j'étais sur le Parvis de la Défense, vous savez c'est un lieu qui est assez froid en général. On distribuait sur le "non". Petit à petit, les gens se sont regroupés, des partisans du "oui", des partisans du "non". On me posait des questions. Mais à la fin, les gens discutaient entre eux. Ils ne cherchent pas à repêcher Buffet ou Fabius. Ils cherchent à dire leur opinion sur la construction de l'Europe, telle qu'elle s'est faite et telle qu'on la prévoit. Et c'est ce débat-là qu'il faut prendre en compte et, si aujourd'hui, les gens se rassemblent sur le "non" à gauche, c'est parce qu'ils n'ont pas envie de ce traité de droite, ils n'ont pas envie qu'on poursuive l'Europe libérale. Ils veulent d'une autre Europe et c'est ça qu'il faut voir, c'est formidable.
Q- L'autre jour, dans le débat qui vous opposait à l'ensemble des partisans du "non" ou du "oui", N. Sarkozy vous a posé une question, je n'ai pas entendu la réponse. Alors je vous repose la question : il vous a dit : "Le Parti communiste, au fond, de Thorez à Waldeck Rochet, de Marchais à R. Hue, à vous-même, n'a jamais approuvé une décision portant la construction européenne". Est-ce que vous pouvez citer un seul exemple d'une décision que vous avez prise ?
R- Pourquoi ? Parce que l'Europe s'est construit sur des bases libérales. Dès le début, cette Europe qui était une très belle idée, moi j'ai envie d'Europe et je me suis battue quand j'étais ministre pour que justement l'Europe prenne en compte les jeunes, la spécificité sportive, donc je pense qu'on peut construire quelque chose de formidable au plan de l'espace européen. Mais dès le début, on nous a confisqué l'Europe, on en a fait un marché, l'Europe s'est bâtie uniquement sur des buts économiques et, aujourd'hui, on le voit bien, pour défendre la liberté des capitaux, la concurrence libre et non faussée, la possibilité pour un patron d'aller s'installer dans notre pays pour mettre en concurrence les salariés, moi j'ai envie d'une autre Europe, j'ai envie d'une Europe des droits fondamentaux, une Europe du progrès social, de l'harmonisation sociale.
Q- Mais est-ce que vous reconnaissez que le projet de traité constitutionnel par rapport au traité de Nice est plus démocratique, est plus social ?
R- Non, ça c'était... Ecoutez, nous avons trois parties, nous avons une partie institutionnelle...
Q- Non mais j'entends bien, mais la question, c'est si on revient au traité de Nice ?
R- Mais il ne faut pas revenir au traité de Nice, il est mauvais ce traité. D'ailleurs je suis étonnée que les partisans du "oui" nous expliquent à la fois, dans le même débat, parfois, que la partie 3 ce n'est pas grave, parce que ce n'est que le traité de Nice qu'on remet, puis les autres traités, donc ce n'est pas grave ! Et puis après on nous dit, vite, vite, il faut voter le projet de traité constitutionnel, parce que le traité de Nice est abominable et on vit sous ce traité, donc il faut vite en changer. La partie 3 en effet, c'est l'ensemble des traités depuis Maastricht, qu'on a remis, mais on l'a remis dans le marbre constitutionnel, avec une concurrence dite non faussée qui dicte sa loi sur toutes les autres parties. L'autre partie, c'est la chartre des droits fondamentaux. Quelle loupée ! Cela aurait pu être une charte pas aussi minimaliste et contraignante. Or elle n'ouvre pas de nouvelles compétences à l'Union européenne. Et les institutions ! Alors qu'on me cite les progrès ! Le président élu pour deux ans et demi...
Q- Attendez, on va prendre un exemple...
R- La pétition, le droit de pétition, qui est un véritable gag !
Q- J'entends bien, mais hier par exemple, le Parlement européen à Strasbourg a repris la fameuse directive européenne présentée par la Commission sur le travail, en refusant les dérogations qui étaient prévue dans le plafond à 48 heures. Est-ce que le fait même que les institutions européennes dans la Constitution prévoient un plus grand pouvoir au Parlement ne prouve pas que c'est une bonne chose ?
R- D'abord sur la directive du droit de travail, le Parlement n'a corrigé qu'une mesure, c'est-à-dire les dérogations pour dépasser 48 heures. Il a maintenu la nouvelle annualisation du temps de travail et il n'est pas clair sur le fait de la prise en compte ou non du travail actif. Donc nous sommes encore dans une directive extrêmement dangereuse, qui va revenir. Parce que la Commission a dit qu'elle ne voulait pas de cet amendement, qu'elle voulait maintenir la directive dans son intégralité. Donc moi je suis en effet pour qu'il y ait un véritable souffle démocratique sur l'Europe, avec un Parlement européen qui est l'initiative de la loi, qui construise lui-même son budget, qui soit en rapport avec les parlements nationaux. Vous voyez par exemple cette directive sur le plan de travail, moi je suis député, je ne vais pouvoir en discuter que lorsqu'elle va arriver pour être transposée dans la loi française.
Q- Et s'il y avait eu la Constitution européenne, vous auriez pu...
R- Je n'aurais pas plus de pouvoir, non, non, le Parlement français n'aurait pu que vérifier si cette directive était conforme aux principes de subsidiarité, point final. Mais il ne pouvait pas contribuer à son élaboration. Moi je propose que tous les ans, chaque Parlement de chaque pays puisse discuter de l'orientation de la construction européenne et mandater les chefs d'état et de gouvernement, qui ensuite se réunissent en conseil des chefs d'état et de gouvernement.
Q- Alors dernière question, J.-C. Cambadélis, socialiste, vous reproche une campagne, vous-même et d'autres, anti-socialiste.
R- Non, pas du tout. D'ailleurs il devrait venir à nos meetings. Nos meetings sont pleins de bonheur, ils sont pleins de dynamisme, pourquoi ? Parce qu'on se retrouve à la tribune avec toutes les forces de gauche réunies, encore hier soir. Tout l'échiquier de la gauche française, on se retrouve avec des syndicalistes, des membres d'associations, il y avait ATTAC, il y avait COPERNIC, il y avait des socialistes, tout le monde était là, des radicaux, le MRC et toute cette gauche porte vraiment une dynamique, parce qu'on veut vraiment changer l'Europe, on veut changer la vie en France.
Q- Je voyais un titre de l'Humanité ce matin : "Dans la campagne citoyenne pour le "non", se construit une union de toutes les forces de gauche", la phrase que vous venez de nous dire à l'instant...
R- Oui, meeting après meeting.
Q- Mais est-ce que ne sont pas en train de se créer deux gauches ?
R- Non, parce qu'au lendemain du référendum, moi j'invite les hommes et les femmes de gauche à se réunir dans chaque commune, dans chaque village et ceux qui ont voté "non", mais également ceux qui ont voté "oui", parce qu'ils pensaient qu'il n'y en avait pas d'autres possibles, pour dire, maintenant qu'on a ouvert la porte en faisant gagner le "non", comment on construit une autre Europe, comment on construit la France de demain ? Et moi je crois que la gauche devra tenir compte que de plus en plus de gens de gauche n'ont pas envie de renoncer.
Q- Voire avec L. Fabius qui, quand il était Premier ministre, ne voulait plus de ministres communistes.
R- Mais avec tous ceux qui à gauche aujourd'hui se battent pour une autre Europe. Le débat se poursuivra après le 29 mai. Ce qu'il faut, c'est aujourd'hui faire gagner le non à gauche, parce que nous avons besoin que la porte s'ouvre enfin en Europe.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 mai 2005)