Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement, à France-Inter le 4 mars 2005, sur l'action diplomatique pour la libération de Florence Aubenas, otage en Irak, la maîtrise des dépenses publiques, le chômage et le conflit social sur les salaires et les 35 heures.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Weil - Alors, un jour, c'est la main tendue à D. Julia, devant l'Assemblée nationale ; le lendemain on lui dit "non merci, on se passera de vos services". J.-P. Raffarin a dit hier devant les représentants des partis politiques qu'il recevait : "Julia ne sait rien et il ne sert à rien". Alors on se demande pourquoi J.-P. Raffarin a d'abord réhabilité Julia en s'adressant à lui, directement, devant toute l'Assemblée nationale, mercredi ? D. Julia, qui avait quand même traité votre collègue Barnier de "nul" lors de l'affaire Chesnot-Malbrunot. Notre diplomatie ne sort-elle pas de tout cela disons "chahutée", "ridiculisée" - je prends des termes lus dans la presse, ce matin ?
R - Ce sont évidemment des termes que je ne partage pas. Je voudrais rappeler que, comme toujours, dans toutes ces affaires difficiles et douloureuses, il y a ceux qui commentent, ce qui est normal, et puis il y a ceux qui agissent et qui sont en responsabilité. Pardon, mais il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui, sur votre antenne, le dise ! La disparition de F. Aubenas a conduit l'ensemble de nos services, vous le savez, à une mobilisation totale, totale, pour la retrouver. La dernière cassette qui a été diffusée montre F. Aubenas vivante. Chacun évidemment a ressenti avec l'émotion que l'on sait cette image, mais aussi, chacun a entendu le fait qu'elle a fait appel à D. Julia. Il était donc du devoir du Gouvernement et des services d'entendre D. Julia. Et c'est très exactement ce qui a été fait, sachant que...
Q - Cela pouvait se faire discrètement, peut-être, non ?
R - Mais pourquoi... ?
Q - Cet appel de Monsieur Raffarin devant tout l'Hémicycle à D. Julia !
R - Attendez, attendez, je ne comprends pas ! Excusez-moi, mais je ne comprends pas !
Q - On connaît le personnage quand même !
R - Cela veut dire quoi : "Tout l'Hémicycle ou pas tout l'Hémicycle" ? Je rappelle quand même que la cassette a été diffusée à l'ensemble de nos compatriotes. C'est l'ensemble des Françaises et des Français qui ont vu cette cassette et qui sont en droit de savoir comment nous travaillons. Il était donc tout à fait légitime que le Premier ministre prenne à ce moment-là ses responsabilités et dise : très bien, je demande aux services de rencontrer D. Julia et de savoir s'il y a des informations. Il est sorti de tout cela qu'il n'y en avait pas.
Q - D. Julia, pour vous, c'est "un mythomane" ?
R - Je ne rentre pas dans ces qualificatifs. Après tout, tous ceux qui commandent tout cela, ont le choix des mots dans ce domaine. Je dirais que, de ce point de vue ce n'est pas mon travaiL. Ce que chacun doit bien comprendre, c'est que nous, nous agissons en responsabilité, et qu'à partir du moment où cet appel avait été lancé à D. Julia, il était tout à fait normal que les services interrogent D. Julia. Il n'y a pas d'informations nouvelles, et surtout, il n'y a pas de diplomatie parallèle.
Q - Donc, Julia a rencontré le patron de la DGSE hier, vous confirmez...
R - Voilà.
Q - ...que tout ce qu'il a dit n'a aucun intérêt ?
R - En tout cas, c'est ce qui est ressorti des conclusions tirées par le directeur général de la Sécurité extérieure.
Q - On va passer à l'économie. Le déficit public de la France a dérapé l'année dernière - je rappelle que vous êtes ministre délégué au Budget - le déficit a atteint 3,7 % du PIB, en 2003, c'était 4,2, en 2002, c'était 3,2 %, et le Pacte européen exige de ne pas dépasser 3 %. Et vous dites, vous, J.-F. Copé qu'en 2005, nous passerons sous la barre des 3 %. Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ? Ne pratiquez-vous pas la méthode du célèbre psychothérapeute Emile Coué ? C'est-à-dire l'autosuggestion ?
R - Au moins, grâce à vous, on sait que Coué c'était Emile parce que personne ne le sait jamais. Pour le reste, je vous propose que l'on voie les choses ensemble, étape par étape. D'abord, je voudrais quand même vous dire que nos prévisions étaient à 3,6 et qu'il y a un très léger décalage à 3,7 mais que l'on reste bien dans la baisse par rapport à l'année d'avant ; on était à 4,2, et donc on a une baisse qui est quand même très significative. Premier point...
Q - Vous, vous dites : "En 2005, cela ira très bien, on va passer sous les 3 %".
R - En tout cas, on y travaille extrêmement activement, c'est un engagement qui a été pris, et qui passe par quoi ? Qui passe par le fait de maîtriser effectivement les comptes publics. Il y a trois acteurs publics : l'Etat, la Sécurité sociale, et les collectivités locales. Quand on regarde le détail des déficits constatés, l'Etat baisse de manière très significative ses déficits, puisque, je le rappelle, ce sont 13 milliards de moins de déficit public que nous avons engrangés en 2004 en maîtrisant la dépense publique. Il y a effectivement par ailleurs la Sécurité sociale qui est la principale cause, et c'est pour cela que l'on a fait un plan de maîtrise de l'assurance maladie, c'est justement parce que c'est là qu'il y a le plus grand risque de dérapage. Et puis il y a aussi dans une moindre mesure, les collectivités locales. Et c'est pour cela d'ailleurs que, sur ces sujets, on appelle chacun à l'esprit de responsabilité.
Q - Justement, le nouveau ministre de l'Economie, T. Breton, votre patron, a promis cette semaine pour réduire les déficits de la France "une lutte, je le cite, contre les dépenses inutiles". Pouvez-vous nous donner des exemples de "dépenses inutiles" que nous faisons actuellement ?
R - Vous savez, avec T. Breton, le travail que nous avons à faire cette année est de construire le budget pour 2006, puisqu'on y travaille dès maintenant, en essayant d'avoir une idée simple, c'est que : chaque euro public doit être un euro public efficace, c'est-à-dire, consacré effectivement à obtenir des résultats. La baisse de la délinquance...
Q - Des exemples de dépenses inutiles ?
R - Je vais vous donner des exemples très concrets : c'est par exemple tout ce qui concerne notre politique en matière d'achats publics. C'est tout simple : aujourd'hui, au ministère des Finances, nous avons complètement réformé notre système d'achats, de matériel informatique, etc., pour nous permettre, sous deux ou trois années, de faire des économies de plusieurs centaines de millions d'euros. Même chose pour ce qui concerne la politique de l'ensemble des parcs immobiliers de l'Etat. On le voit bien, le Quai d'Orsay est en train de faire un travail, par exemple, de réorganisation de son siège, moi-même étant en charge de la Direction générale des douanes, très concrètement, l'immeuble qui est aujourd'hui en centre ville de Paris, va être concentré un peu à l'extérieur, et il y aura une opération immobilière derrière. De tout cela, nous attendons pratiquement 800 millions d'euros dans le courant de cette année 2005.
Q - Alors, il y a une chose que les électeurs ne pardonnent pas à la gauche et à la droite, ce sont les promesses non tenues. J.-P. Raffarin a dit que "le chômage baissera de 9 % en 2005", or il vient de dépasser la barre des 10 %. N'a-t-il pas été imprudent dans ses pronostics ?
R - Non. D'abord, je rappelle que ne sommes qu'au tout début du mois de mars, et que, si on regarde les choses, il faut quand même constater que l'année 2004 est une année où le chômage s'est stabilisé. Certes, la barre de 10 % a été symboliquement atteinte, mais il faut savoir que nous étions juste avant très très proches de 10. C'est vrai que c'est un seuil symbolique qui nous frappe et qui exige une mobilisation très forte. Mais je veux rappeler tout de même, que depuis le début de l'année 2001, c'est-à-dire, finalement, la fin des années Jospin, le chômage s'est remis à grimper hélas !, à cause du ralentissement de la croissance.
Q - Vous confirmez, vous êtes certain, à la fin de l'année le chômage en France aura baissé de 9 % ?
R - Mais nous sommes totalement mobilisés sur cette question. Le plan de cohésion sociale de J.-L. Borloo, la mobilisation sur ce que l'on appelle "les contrats d'avenir", tout ce que nous mettons en place en matière d'apprentissage, de formation, de faire en sorte que beaucoup de nos concitoyens rentrent dans le système de l'emploi, c'est à cela que l'on travaille aujourd'hui.
Q - Le 10 mars, jeudi prochain, il y aura des grèves et des manifestations dans toute la France pour la défense du pouvoir d'achat, la défense des 35 heures. Les syndicats réclament "un Grenelle sur les salaires", autrement dit, une grande négociation sur les salaires. Ils disent : il y a de l'argent, de nombreuses entreprises annoncent des profits exceptionnels. Dites-vous : oui ou non à "un Grenelle sur les salaires" ?
R - Je dis que la mobilisation doit porter sur l'ensemble du pouvoir d'achat. La feuille de paye des Français, cela concerne effectivement toutes les politiques que l'on peut mener. Genre, par exemple : les baisses d'impôts. Quand vous baissez l'impôt sur le revenu, vous rendez du salaire aux Français. Lorsque vous augmentez la prime pour l'emploi, même remarque. L'objectif est de stimuler tout ce qui permet d'encourager effectivement la consommation, l'investissement, l'emploi. D'ailleurs toutes nos baisses d'impôts sont ciblées vers cela. De la même manière, lorsqu'on assouplit les 35 heures, il ne s'agit pas du tout de remettre en cause la législation sur les 35 heures, il s'agit simplement de dire que ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus puissent le faire.
Q - Mais une grande négociation sur les salaires : oui ou non ?
R - Non, mais encore une fois, je répète, l'objectif ce n'est pas simplement de décider d'en haut, comme cela, qu'on augmente les salaires, parce que tout cela c'est un circuit économique qui ne doit mettre en péril l'ensemble des acteurs. Parce que je rappelle que, aujourd'hui, nous sommes dans une situation de croissance économique fragile. C'est aux entreprises...
Q - Donc, pas de "Grenelle" !
R - ...c'est aux entreprises, branche par branche, en fonction des perspectives et de leur situation de faire cette politique-là. Nous, notre boulot, est de faire en sorte que l'on puisse suffisamment maîtriser la dépense publique pour baisser les impôts et rendre de l'argent aux Français.
Q - A propos des impôts, le PDG de FranceTélévision, M. Teissier, a envisagé une augmentation de la redevance audiovisuelle. Confirmez-vous ce matin ?
R - Non, écoutez, sur ce point, il n'y a pas d'augmentation qui soit envisagée.
Q - Un mot du référendum sur la Constitution européenne : tous ces mécontentements sociaux, actuellement, ne croyez-vous pas que cela risque de favoriser le "non" ?
R - Je ne le souhaite pas. Parce que, dans les banderoles que je vois lors des manifestations, je vois l'expression d'un certain nombre d'inquiétudes. Et ce que je voudrais que l'on comprenne bien, c'est que, la Constitution européenne pour laquelle les Français vont être appelés à se prononcer, apporte de très nombreuses réponses à ces inquiétudes. Par exemple, en garantissant la protection des services publics, par exemple, en garantissant la place du dialogue social, des partenaires sociaux. Il y a tout un volet social sur lequel il faut que l'on communique car les Français doivent savoir qu'il existe et qu'il est extrêmement protecteur.
Q - N'y a-t-il pas un jeu un peu étrange de certains partisans du "oui" ? Par exemple : F. Bayrou qui, dans une interview à La Croix, aujourd'hui, dit : "La société française traverse une véritable crise et a perdu les raisons de croire dans son avenir !" ? N. Sarkozy, le patron de l'UMP, qui dit qu'il est favorable au "oui", mais qui ne cesse de parler de la Turquie ! On sait que la Turquie n'est pas populaire en France. Ces hommes politiques, Sarkozy, Bayrou, ne jouent-ils pas un double jeu ? Ils se disent partisans du "oui", mais en fait, ils souhaiteraient la victoire du "non" pour déstabiliser J. Chirac ?
R - Non, je ne peux pas imaginer que l'on puisse leur faire un tel procès d'intention. Par contre...
Q - C'est ce que l'on lit dans la presse...
R - Oui, vous avez vu tout ce que l'on lit dans la presse, vous, ce matin, vous n'arrêtez pas de m'en parler ! Mais attendez, puisque l'on parle du "jeu étrange", et vous parliez du "jeu étrange" de ceux qui votent "oui". Moi, je voudrais vous parler du "jeu étrange" de ceux qui votent "non", parce que ce qui est extraordinaire chez ceux qui votent "non", c'est qu'ils passent leur temps à dire : il faut voter "non", pour toute une série de raisons qui n'ont rien à voir avec le Traité constitutionnel européen. Et en particulier d'ailleurs, en ce qui concerne la Turquie, puisque je crois que chacun a bien compris que ce sont deux choses complètement distinctes, mais qu'en revanche, si la Constitution européenne est adoptée, alors, à ce moment-là, chacun doit avoir à l'esprit que tout nouveau pays candidat à rentrer, cela passera par un référendum.
Q - Pouvez-vous rester avec nous participer à RadioCom, les questions des auditeurs ?
R - Avec plaisir. Comment manquer un rendez-vous pareil !
Q - Evidemment, je vous poserai une question à propos de votre appartement...
R - Je suis même étonné que cela n'ait pas été fait.
Q - Mais j'ai Le Canard Enchaîné, on va s'en occuper tout à l'heure.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2005)